2 mars 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/02523
Pôle 5 – Chambre 8
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 2 MARS 2023
(n° / 2023, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02523 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDCOE
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2019049861
APPELANT
Monsieur [N] [F]
Né le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 7] (CAMEROUN)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050,
Assisté de Me Marc LADREIT DE LACHARRIERE de l’AARPI LLA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0785,
INTIMÉE
S.C.P. BTSG, prise en la personne de Maître [O] [S], en qualité de liquidateur judiciaire de la société FEULI & PARTNERS MANAGEMENT CONSULTING, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 508 506 607,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 434 122 511,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET – HATET, avocate au barreau de PARIS, toque : L0046,
Assistée de Me Isilde QUENAULT, avocate au barreau de PARIS, toque : C1515,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Avril 2022, en audience publique, devant la Cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 6 décembre 2021, et ses observations orales lors de l’audience.
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
Exposé du litige
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
La SARL Feuli & Partners Management Consulting, constituée en octobre 2008, avait pour activité le conseil en management et en gestion d’affaires à destination principalement des organisations africaines. Les formations qu’elle organisait en France ou à l’étranger étaient principalement animées par des consultants extérieurs, les sociétés Bearingpoint et Deloitte.
Sur assignation d’un créancier et par jugement du 18 octobre 2017, le tribunal de commerce de Paris, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Feuli & Partners Management Consulting, fixé la date de cessation des paiements au 18 avril 2016 et désigné la SCP BTSG en la personne de Maître [S] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 27 août 2019, la SCP BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Feuli & Partners Management Consulting a fait assigner M. [F], en sa qualité de gérant, devant la tribunal de commerce de Paris, en responsabilité pour insuffisance d’actif et sollicité sa condamnation au paiement de la somme de 218.288,67 euros. Étaient invoquées des fautes de gestion tenant à l’absence de comptabilité et à une gestion contraire à l’intérêt de la société dans un intérêt personnel.
Par jugement contradictoire du 26 janvier 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a condamné M. [F] à payer à la SCP BTSG, prise en la personne de Me [S], ès-qualités, la somme de 100.000 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société Feuli & Partners Management Consulting. Le tribunal a retenu que le détournement des biens de la société Feuli & Partners Management Consulting au profit de M.[F] caractérisait une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif à hauteur d’un montant minimal de 150 000 euros, mais faisant usage de son pouvoir d’appréciation a limité la condamnation à 100.000 euros.
M. [F] a relevé appel de ce jugement selon déclaration du 5 février 2021.
Moyens
Dans ses dernières conclusions (n° 4) déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 21 mars 2022, M. [F] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a déclaré responsable d’un détournement d’actifs de la société Feuli & Partners Management Consulting à hauteur de 150.000 euros, condamné à payer la somme de 100.000 euros au liquidateur, ès qualités, statuant à nouveau, constater que les retraits de 2015 à 2017 correspondent à des dépenses professionnelles effectuées par M. [F] de son compte bancaire personnel, qu’il a réalisé des apports à la société Feuli & Partners Management Consulting d’un montant total de 11.944 euros de 2015 à 2017, juger que les griefs invoqués par le liquidateur ne peuvent être retenus à son encontre, en conséquence débouter la SCP BTSG de l’intégralité de ses demandes.
Dans ses dernières conclusions (n° 3) déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 17 mars 2022, la SCP BTSG, prise en la personne de Me [S], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Feuli & Partners Management Consulting demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de M.[F], en ce qu’il a retenu que le grief de détournement de biens de la société Feuli & Partners Management Consulting était constitué à hauteur de 150 000 euros, et en ce qu’il a condamné M. [F] à payer des frais irrépétibles, l’infirmer pour le surplus, en conséquence, condamner M. [F] à payer la somme de 218.288,67 euros avec intérêts au taux légal de droit conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, dire que les intérêts se capitaliseront, pour ceux échus depuis une année entière au moins, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, débouter
M. [F] de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions et le condamner à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’ aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de la SCP Naboudet Hatet, avocat à la cour, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Dans son avis du 6 décembre 2021, notifié par voie électronique le 6 décembre 2021, le ministère public invite la cour à infirmer le jugement, à retenir les deux fautes de gestion invoquées par le liquidateur à savoir le défaut de comptabilité et la gestion contraire à l’intérêt de l’entreprise et à condamner M. [F] à payer 150.000 euros à la SCP BTSG, ès qualités.
Motivation
SUR CE
– Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif
Selon l’article L 651-2 du code de commerce,’Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée’.
En application de ce texte, il incombe au liquidateur d’établir l’existence d’une insuffisance d’actif, d’une faute de gestion, qui ne constitue pas une simple négligence, ayant contribué à l’insuffisance d’actif.
La SCP BTSG reprend à hauteur d’appel les deux griefs visés dans son assignation, pris de l’absence de tenue d’une comptabilité complète et régulière et d’avoir disposé des fonds de la société dans un intérêt contraire à celle-ci à des fins personnelles, ces deux griefs étant contestés par M.[F].
– sur l’existence d’une insuffisance d’actif
La SCP BTSG fait état d’une insuffisance d’actif d’un montant de
218.288,67 euros, que M.[F] ne conteste pas.
– sur la faute de gestion relative à la tenue de la comptabilité
Le liquidateur fait valoir qu’aucune comptabilité ne lui a été remise, qu’au jour du jugement d’ouverture, en octobre 2017, la comptabilité n’était pas établie au moins sur les années 2015 à 2017, que cette absence de comptabilité a fait obstacle à ce que le dirigeant prenne conscience des difficultés de la société et a empêché le liquidateur de comprendre les causes de ces difficultés, les raisons du non-paiement des sous-traitants et la cause des règlements identifiés au profit de M. et Mme [F]. Il ajoute que la production tardive et incomplète de comptabilité, certains documents comptables légalement obligatoires n’étant pas produits (la balance et le journal) ne saurait décharger le dirigeant de sa responsabilité.
Le ministère public partage la position du liquidateur.
M.[F] réplique que la comptabilité de la société Feuli & Partners Management Consulting a été régulièrement tenue jusqu’en 2013 par un cabinet d’expertise comptable, qu’en 2012 les graves problèmes de santé de son épouse, l’ont contraint à réduire son implication dans la société et à délaisser la comptabilité, que toutefois, en 2016, avant l’ouverture de la liquidation judiciaire et, a fortiori, avant qu’il ne soit assigné en responsabilité pour insuffisance d’actif, il a pris attache avec un nouveau cabinet d’expertise comptable, le cabinet [Z], qu’il a chargé de finaliser le bilan 2013 et d’établir la comptabilité des exercices 2014 et 2015. S’agissant de la comptabilité pour les années 2016 et 2017, il admet que si les comptes n’ont pas été transmis à temps aux organes de la procédure, il n’en demeure pas moins que des diligences avaient été effectuées en vue de la production de cette comptabilité, qu’il s’est astreint à régler les honoraires de l’expert-comptable afin de fournir les éléments de comptabilité manquants, démontrant ainsi l’absence de faute de gestion. Le cabinet [Z] a ainsi fourni la comptabilité des années 2015, 2016 et 2017 le 4 décembre 2020. Il demande en conséquence à la cour de considérer que la transmission tardive de la comptabilité constitue une simple négligence ne constituant pas une faute de gestion et ce d’autant que l’absence de tenue de la comptabilité n’a eu aucun impact sur l’appréciation par le dirigeant de la situation de cessation des paiements, qu’en effet le passif produit ne trouve pas son origine principale dans la poursuite de l’activité au-delà de 2013, l’activité postérieure à 2013 n’ayant induit que 49.468 euros de passif nouveau.
L’article L 123-12’du code de commerce fait obligation à toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant de procéder à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise, de contrôler par inventaire au mois une fois tous les douze mois la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l’entreprise et d’établir les comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire.
Il ressort des pièces aux débats que les éléments comptables concernant l’année 2012 et 2013 n’ont été établis que le 12 septembre 2016 . La comptabilité pour les exercices clos au 31 décembre 2014 et 31 décembre 2015 n’a été établie que le 14’septembre 2020.
Ainsi, durant plusieurs années, M.[F] n’a pas veillé à la tenue pourtant obligatoire de la comptabilité.
Si, les difficultés familiales survenues en décembre 2012, l’ont conduit à beaucoup s’impliquer dans la gestion de la vie de famille pour pallier la maladie de son épouse, et peuvent expliquer un manque de rigueur dans la gestion de la société durant quelques mois, cette situation ne saurait justifier une absence de tenue de la comptabilité durant plusieurs années, un tel manquement ayant conduit la société à fonctionner sans outil de pilotage.
L’établissement a posteriori de la comptabilité ne fait pas disparaître cette faute de gestion, la comptabilité devant être tenue au jour le jour pour permettre au dirigeant de prendre les décisions de gestion, qui s’imposent, en temps réel.
M.[F] se prévaut d’une attestation de son expert-comptable indiquant que le retard avec lequel il a fait procéder à l’établissement de sa comptabilité n’a pas induit d’accroissement de l’insuffisance d’actif pendant la période suspecte.
Selon l’expert-comptable, le passif de la société est constitué des dettes fournisseurs Bearing Point et Deloitte nées principalement en 2013 et pour le solde en 2014, ces deux prestataires ont accepté des encours croissants et des délais de paiement exorbitants dans une logique d’appui au développement de l’activité commerciale de la société Feuli & Partners Management Consulting.
Il ajoute que l’exploitation a été positive en 2015, que le résultat net s’élève à 20.321 euros en 2016, et qu’en 2017 la perte nette est de 54.768 euros.
Cependant, comme le relève le liquidateur, il ne peut être tiré argument d’un résultat positif de 15.640 euros au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2015, dès lors que le résultat d’exploitation était déficitaire de -232.889 euros et que le résultat bénéficiaire n’a été obtenu qu’en raison d’un produit exceptionnel de 252.279 euros dont l’origine est mal déterminée.
La tenue de la comptabilité en temps réel aurait permis au dirigeant de constater que les capitaux propres étaient négatifs depuis 2014 (-89.000 euros), qu’ils n’avaient pas été reconstitués ultérieurement (- 80.397 euros en 2017), ce qui traduisait une situation inquiétante pour la société, exigeant une réaction du dirigeant pour reconstituer les capitaux propres ou à défaut mettre un terme à une activité déficitaire. Or, en l’occurrence c’est à l’initiative d’un créancier qu’il a été mis un terme à l’activité de la société.
Ce manquement caractérisé revêt compte tenu de sa durée et de ses conséquences une gravité certaine, et, contrairement à ce que soutient M.[F], ne peut être qualifié de simple négligence.
Cette faute de gestion a bien contribué à l’insuffisance d’actif, en ce qu’elle a conduit à la poursuite d’une activité déficitaire sans reconstitution d’un actif à concurrence du passif .
– sur la gestion contraire à l’intérêt social
Il n’est pas contesté que M.[F] a procédé depuis le compte bancaire de la société Feuli & Partners Management Consulting à des versements sur son compte personnel pour un montant total de 197.486 euros entre le 1er janvier 2015 et le 17 avril 2016, et d’un total 171.795 euros pendant la période suspecte (à compter du 18 avril 2016), soit un montant total de 369.281 euros.Il est également constant que M.[F] procédait aux prélèvements dès qu’une somme était portée au crédit du compte bancaire de la société, l’intéressé expliquant cette pratique par la volonté d’éviter les saisies du compte bancaire de la société par la société Bearing Point France qui disposait d’un titre exécutoire pour un montant supérieur à 100.000 euros ( ordonnance de référé du 16 décembre 2014).
Les premiers juges ont admis que les opérations en cause correspondaientà hauteur d’environ 220.000 euros à des dépenses à caractère professionnel (132.000 euros de rémunération de 2015 à 2017/ 15.000 euros de charges locatives/ 70.000 euros pour l’organisation de séminaires), ce qui laissait subsister une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif à hauteur de 150.000 euros.
Le liquidateur fait valoir que l’étude des relevés bancaires de la société Feuli & Partners Management Consulting fait apparaitre un certain nombre de virements au profit de M.[F], dont certains en période suspecte voire postérieurement au jugement d’ouverture, qu’en l’absence de comptabilité ces flux ne sont ni causés ni justifiés, qu’une somme proche de 370.000 euros, supérieure à l’insuffisance d’actif, a été détournée par M.[F] à son profit. Il soutient qu’une comptabilité non probante et non sincère ne saurait justifier les virements effectués au profit du dirigeant et ce d’autant moins que la comptabilité a été établie pour les besoins de la cause, que M.[F] ne démontre pas que les encaissements qu’il a effectués à son profit correspondent à des factures de la société qu’il a personnellement payées, que la seule production de factures ne saurait rapporter la preuve que celles-ci ont effectivement été payées dans l’intérêt de la société, M.[F] ne produisant aucun relevé de son compte bancaire démontrant qu’il a personnellement exposé ces sommes, que de surcroît, il n’existe aucune corrélation entre les prétendus frais avancés et les montants ‘ronds’ reçus par l’appelant. Il ajoute que la preuve des apports en compte-courant allégués par l’appelant n’est pas rapportée, qu’une somme de 171.795,41 euros a été virée à l’appelant en période suspecte et que le remboursement d’un compte-courant d’associé, alors que la société est en état de cessation des paiements,est constitutif d’une faute de gestion.Il conclut que si le tribunal venait à considérer que la rémunération de l’appelant n’est pas excessive, il reste un montant de 208.000 euros non causé sur la somme totale de 370.000 euros perçue par lui.
M.[F] conteste tout détournement de la somme de 370.000 euros.Il expose avoir avancé personnellement des dépenses pour le compte de la société pour un montant de 210.700,22 euros et non pas uniquement 70.000 euros comme l’a retenu le tribunal. Il précise que dans le cadre de l’organisation de séminaires, il devait engager des fonds propres pour le règlement de salles, billets d’avions, reproduction de support, ainsi que pour régler les créances fournisseurs dont le cabinet Deloitte, sans quoi aucun chiffre d’affaires n’aurait pu être réalisé, que les montants réglés personnellement, ont été repris sur le compte de la société et reportés dans les livres comptables établis par l’expert-comptable, que certains paiements ont été faits pour lui par des amis présents dans le pays d’accueil du séminaire auprès des fournisseurs concernés, ce qui explique qu’il ait procédé à des remboursements à ces tiers. M.[F] invoque par ailleurs ses apports en compte-courant pour un montant total de 11.944 euros, une rémunération de 60.000 euros en 2015, de 36.000 euros en 2016, de 36.000 euros en 2017, et la perception d’un loyer de 15. 000 euros au titre de la mise à disposition d’un bureau à son domicile en 2015 et que le caractère professionnel de ces dépenses ne saurait être contesté.
Dès lors que M.[F] a bénéficié des fonds de la société, il lui appartient d’établir que les versements correspondent à des sommes qui lui étaient dues par la société.
– sur le règlement des fournisseurs pour un montant de 210.700,22 euros au titre des exercices 2015 à 2017.
M.[F] reproche au tribunal de n’avoir retenu qu’une dépense de 70.000 euros au titre des frais de séminaire. Quant au liquidateur, il considère que le gérant ne justifie des règlements dans l’intérêt de la société qu’à hauteur de 30. 000 euros au cabinet Deloitte.
L’appelant communique diverses factures datées de 2015, 2016 et 2017 établies au nom de la société Feuli & Partners Management Consulting. Certaines de ces factures correspondent manifestement à l’organisation de séminaires (location de salles à la Défense, ou au 91 Faubourg), d’autres se rapportent à des prestations hôtelières (notamment à Dubai: hôtels Hyatt, Pullman, Novotel, complexe Sahara Desert Camp….), à des frais de bouche ou à des locations de véhicule, dont il n’est pas exclu qu’ils puissent correspondre à l’organisation de séminaires à l’étranger.
Cependant, ainsi que le relève le liquidateur, M.[F] ne le contestant pas, des factures pour ces séminaires ont aussi été réglées par la société. En ne produisant aucun relevé de son compte bancaire personnel, M.[F] ne met pas en mesure la cour de vérifier, ne serait-ce que par sondage, que les factures qu’il communique ont été réglées sur ses deniers personnels.
Certes l’expert-comptable, M.[Z], atteste (pièce 28): 1) avoir procédé à la mise à jour de la comptabilité de la société au 31 octobre 2017 en se fondant, d’une part sur les relevés bancaires de la société, les pièces comptables fournisseurs et clients, d’autre part sur les relevés bancaires personnels de M.[F], 2) fait mention des retraits à destination de M.[F], au débit de son compte courant d’associé, 3) avoir créé des sous-comptes par nature de créance détenue par M.[F] sur la société (compte fournisseurs/ compte loyer+ charges pour le local mis à disposition/ comptes faisant état des apports de M.[F]/ compte rémunération de M.[F]/ compte note de frais), 4) avoir dans un second temps soldé ces comptes constitutifs de créances de M.[F] au crédit de son compte courant d’associé. Il en déduit que M.[F] n’a pas bénéficié sur la période 2015 à octobre 2017 de la part de la société de versements supérieurs aux sommes qui lui étaient dues par la société. L’expert-comptable indique dans son attestation n°2 que M.[F] a personnellement payé aux fournisseurs de la société en 2015 un cumul de 74.410,66 euros dont 30.000 euros au cabinet Deloitte (ce dernier poste n’étant pas contesté par le liquidateur).
La reconstitution de la comptabilité ne s’est toutefois pas uniquement faite sur la base de pièces justificatives, l’expert-comptable ayant passé en comptabilité du compte-courant d’associé des paiements qui n’avaient pas été réglés, sur le fondement de la seule foi de l’engagement de l’appelant de les régler.
Dans ces conditions, M.[F] n’établit que très partiellement avoir avancé sur ses deniers personnels des frais pour le compte de la société et en aucun cas à hauteur de la somme de 210.700,22 euros qu’il allègue.
– sur la rémunération:
La SCP BTSG relève que M.[F] s’est alloué une rémunération manifestement excessive eu égard à la santé financière dégradée de la société.
M.[F] indique avoir prélevé au titre de sa rémunération de gérant 60.000 euros en 2015, 36.000 euros en 2016 et 36.000 euros en 2017.
Il sera relevé concernant la rémunération au titre de l’exercice 2015, qui représente une part significative du chiffre d’affaires ( qui était de 119.326 euros au 31 décembre 2015), qu’elle a été prélevée alors que les comptes de la société n’étaient pas tenus, donc sans véritable outil de pilotage permettant à M.[F] de vérifier que la rémunération qu’il se versait était en rapport avec la situation financière de la société, et alors que l’établissement a posteriori des comptes au 31 décembre 2015 a mis en évidence un résultat d’exploitation déficitaire de -232.889 euros. Il sera également relevé que la société se trouvait poursuivie par la société Bearing Point France en paiement de ses factures et qu’une ordonnance de référé rendue le 16 février 2014 l’avait condamnée à payer plus de 100.000 euros, l’appel ayant été radié, M.[F] s’efforçant ainsi qu’il l’a admis d’empêcher l’exécution forcée de cette créance dont il contestait alors le bien-fondé. En s’attribuant une rémunération de 60.000 euros au titre de l’exercice 2015, en dépit de l’aléa pesant sur la trésorerie de la société, M.[F] a manifestement privilégié ses intérêts au détriment de ceux des créanciers de la société, ce qui a conduit la société Bearing Point France à assigner la société Feuli & Partners Management Consulting en ouverture d’une procédure collective le 11 mai 2017.
– sur le paiement d’un loyer :
M.[F] argue ensuite qu’une somme de 15.000 euros (1.250 euros par mois) a été versée au titre des loyers pour mise à disposition de la société d’un espace au sein de son domicile personnel.
Il est constant que cette dépense n’a donné lieu à aucun bail et qu’aucun revenu locatif de ce chef n’a été déclaré par M.[F] dans sa déclaration de revenus. Il ressort de l’extrait Kbis que le siège social de la société n’était pas situé au domicile de M.[F] à [Localité 6], mais [Adresse 8] dans une société de domiciliation.
L’expert-comptable indique dans son attestation n°5 que la non-rédaction d’un bail ne justifie pas d’un point de vue comptable de refuser de constater la charge afférente à la réalité d’une mise à disposition sur une base raisonnable.
Cependant, indépendamment de l’absence de bail, M.[F] n’apporte pas le moindre élément justifiant de la réalité de cette mise à disposition, sachant que la société n’employait pas de salarié à la date du jugement d’ouverture, que l’activité de formation de la société Feuli & Partners Management Consulting se déroulait dans des locaux extérieurs et qu’aucun élément ne permet de vérifier cette valorisation, rapportée à l’ensemble immobilier dans lequel se situait ce local.
En l’absence de tout élément justificatif le prélèvement de 15.000 euros opéré est excessif.
Il ressort de ce cet ensemble d’éléments que M.[F] a effectué des prélévements sur la trésorerie de la société qui n’ont pas été justifiés ou qui étaient excessifs au regard de la situation de celle-ci. Ces prélévements fautifs ont contribué à une insuffisance d’actif à hauteur d’un montant qui ne saurait être inférieur à 100.000 euros, même en tenant compte des apports allégués par l’appelant à hauteur de 11.944 euros. Il ne peut être retenu avec une certitude suffisante que cette gestion a contribué de façon plus importante à l’insuffisance d’actif. Cette gestion fautive revêt un caractère de gravité qui exclut qu’elle puisse être qualifiée de simple négligence.
– Sur la sanction
M.[F] justifie du grave problème de santé subi par son épouse en décembre 2012, qui l’a conduit à beaucoup s’impliquer dans la gestion de la vie de famille pour pallier l’incapacité de sa conjointe, au détriment de la gestion de sa société.
Agé de 51 ans et père de quatre enfants, M.[F] ne justifie pas de sa situation professionnelle actuelle. Il ne verse en effet aux débats que son avis d’imposition sur les revenus 2016 mentionnant des salaires de 36.480 euros.
Il ressort de la pièce n°13 du liquidateur que M.[F] était en décembre 2018 le dirigeant de la société de droit anglais Feuli Partners Corporation Ltd.
Au regard de la gravité des fautes constatées et de leur incidence sur l’insuffisance d’actif, la condamnation à combler l’insuffisance d’actif a justement été fixée par le tribunal à la somme de 100.000 euros. Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
M. [F] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel, le jugement étant infirmé en ce qu’il a mis les dépens à la charge de la liquidation judiciaire.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné M.[F] à régler 2.000 euros d’indemnité procédurale au liquidateur, ès qualités, sans qu’il y ait lieu d’y ajouter en appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement, sauf en ce qu’il a mis les dépens à la charge de la liquidation judiciaire,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Condamne M.[F] aux dépens de première instance et d’appel,
Déboute la SCP BTSG, ès qualités, de sa demande en appel fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT