17 novembre 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/02669
16e chambre
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53B
16e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 NOVEMBRE 2022
N° RG 22/02669 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VEKN
AFFAIRE :
[O] [H]
C/
CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 12]
Décision déférée à la cour : Renvoi après cassation suite à l’arrêt rendu le 08 Octobre 2020 par le Cour d’Appel de Versailles sur le jugement rendu le 16 novembre 2018 par le Tribunal de grande instance de Pontoise
N° RG : 15/09187
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 17.11.2022
à :
Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
DEMANDEUR devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation du 09 mars 2022 cassant et annulant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 08 octobre 2020
Monsieur [O] [H]
né le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 7] (Algérie)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Francis MARTIN de la SELARL CABINET SABBAH & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0466, Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.26 – N° du dossier 18680
****************
DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
CAISSE DE CREDIT MUTUEL [Localité 12]
Association coopérative à responsabilité limitée inscrite auprès du Tribunal d’Instance de Strasbourg sous le n°II 0043
[Adresse 2]
[Localité 5]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 – N° du dossier 20220259, Me Serge PAULUS de la SELARL ORION AVOCATS & CONSEILS, Plaidant, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire : 44
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport et Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence MICHON, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
Madame Anne THIVELLIER, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,
Exposé du litige
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon acte sous seing privé en date du 6 mai 2011, la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] a consenti à la société Bady II, en cours d’immatriculation, un prêt de 380 000 euros, au taux de 3,6% l’an, destiné à financer l’acquisition d’un fonds de commerce sis à [Localité 11], connu sous l’enseigne ‘Le Comptoir des Colonies’.
Le prêt, d’une durée de 7 ans, était remboursable en 84 échéances mensuelles de 5 124,47 euros.
Par acte du 5 février 2011, intégré à l’acte de prêt, M. [H] s’est engagé en qualité de caution solidaire de la société Bady II, à hauteur d’un montant, tout compris, de 152 000 euros, et pour une durée de 9 ans.
Par jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale, du 2 décembre 2013, la société Bady II a été placée en redressement judiciaire.
La banque a déclaré sa créance au titre du prêt susvisé, à hauteur de 360 407,58 euros.
Un plan de redressement et d’apurement du passif a été adopté par jugement du 24 novembre 2014, puis par jugement en date du 25 avril 2016, le tribunal a prononcé la résolution du plan, et la liquidation judiciaire de la société Bady II, cette dernière décision étant finalement infirmée par un arrêt de la cour d’appel de Colmar du 17 mai 2017, qui a décidé de la continuation du plan de continuation arrêté par jugement du 24 novembre 2014.
Saisi par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] d’une demande en paiement à l’encontre de M. [H], en sa qualité de caution, selon assignation délivrée le 19 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Pontoise, par jugement contradictoire rendu le 16 novembre 2018, a :
rejeté les fins de non-recevoir tirées de la prescription,
condamné M. [H], en sa qualité de caution solidaire, à payer à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] la somme de 152 000 euros au titre du remboursement du prêt consenti à la SARL Bady II,
condamné M. [H] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
condamné M. [H] aux dépens qui comprendront le remboursement des frais avancés par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] du chef de la prise de garantie et qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
ordonné l’exécution provisoire de [sa] décision.
Saisie par M. [H] d’un appel à l’encontre de cette décision, la cour d’appel de Versailles, par arrêt rendu le 8 octobre 2020, a :
confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription opposée à l’action en responsabilité introduite par la caution,
et statuant à nouveau de ce seul chef,
déclaré irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité fondée sur la faute pré-contractuelle de la banque,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
condamné M. [H] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] la somme complémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par arrêt du 9 mars 2022, la Cour de cassation, 1ère chambre civile, a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 8 octobre 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles, remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles autrement composée.
Moyens
Le 14 avril 2022, M. [H] a saisi la cour d’appel de Versailles comme cour de renvoi.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 4 octobre 2022, avec fixation de la date des plaidoiries au 12 octobre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 3 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. [H], appelant, demande à la cour de :
infirmer l’ensemble du dispositif du jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté les fins de non-recevoir tirés de la prescription,
débouter le Crédit Mutuel de toutes ses demandes, fins et conclusions,
condamner le Crédit Mutuel à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner le Crédit Mutuel aux entiers dépens lesquels pourront être recouvrés par son avocat postulant conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 30 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12], intimée, demande à la cour de :
confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Pontoise du 16 novembre 2018 en ce qu’il a condamné M. [H], en sa qualité de caution solidaire, à lui payer la somme de 152 000 euros au titre du remboursement du prêt consenti à la SARL Bady II,
constater que la cour n’a été saisie d’aucune demande en nullité du cautionnement,
débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamner M. [H] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [H] aux entiers frais et dépens, ainsi que ceux de première instance comprenant le remboursement des frais par elle avancés du chef de la prise de garantie, dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau, avocat et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 17 novembre 2022.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, sur l’étendue de la saisine de la cour
La cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, pour autant qu’elles sont soutenues par des moyens développés dans la discussion, et qu’elle ne répond aux moyens que pour autant qu’ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions.
Sur la contestation de la validité du prêt et la caducité subséquente du cautionnement
M. [H] soutient qu’il est impossible pour la banque de le poursuivre en sa qualité de caution, dès lors que son cautionnement a été donné pour couvrir un contrat de prêt qui a été consenti à une société qui n’existait pas, puisque n’ayant pas encore été immatriculée au registre du commerce et des sociétés. En effet, le 5 février 2011, date à laquelle il s’est engagé, la société Bady II n’avait pas d’existence légale, et elle n’en avait pas plus le 6 mai 2011, lorsque le contrat de prêt a été signé, son immatriculation n’étant intervenue que le 16 mai 2011. Le contrat de prêt signé par une société dépourvue de personnalité juridique étant nul d’une nullité absolue, son cautionnement, qui ne peut exister que sur une obligation valable, en vertu de l’article 2012 du code civil alors applicable, qui ne peut pas être étendu au delà des limites dans lesquelles il a été contracté, en vertu de l’article 2015 du code civil, et qui est sans objet et sans cause, est devenu caduc, du fait de l’absence de signature d’un prêt licite avec la société Bady II. En conséquence, conclut-il, la banque doit être déboutée de ses prétentions à son encontre.
La banque objecte, en substance, à cette argumentation, que la nullité est une prétention qui doit être prononcée par une juridiction, qu’aucune décision de justice n’a reconnu la nullité du contrat de prêt qu’il allègue, et que M. [H] ne formule dans le dispositif de ses écritures aucune prétention relative à la nullité du cautionnement ou du prêt, de sorte que la cour, par application de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, n’est saisie d’aucune demande en ce sens, demande qui serait au surplus une prétention nouvelle, et qui exigerait la présence à l’instance de la société Bady II, qui a contracté le prêt litigieux et l’a exécuté. Elle fait valoir, ensuite, qu’une telle demande est en tout état de cause irrecevable, car se heurtant à la prescription, qui est de 5 ans à compter de la conclusion du contrat pour une nullité absolue, et qu’elle se heurte à l’autorité de la chose jugée de l’état des créances de la société Bady II, sa créance ayant été déclarée à la procédure collective et admise à cette procédure. Ainsi, M. [H] ne peut, selon la banque, se prévaloir de la caducité de son engagement de caution.
S’agissant de l’absence de formulation d’une prétention dans le dispositif des conclusions de M. [H], la cour relève que celui-ci, ainsi qu’il le précise expressément dans ses écritures, ne sollicite pas la nullité de son acte de cautionnement, mais se borne à opposer à la banque que son engagement est caduc, comme portant sur un acte nul.
Il ne demande, par ce motif, que le rejet de la demande en paiement formée à son encontre, à l’exclusion de tout autre avantage, de sorte que son argumentation constitue un moyen de défense au fond, qui peut être opposé au créancier, sans qu’il soit nécessaire que la nullité du prêt cautionné ou du cautionnement soit elle-même demandée.
L’argumentation de la banque sur ce point ne peut donc prospérer.
S’agissant de la prescription, le moyen ne peut davantage prospérer, dès lors que comme indiqué ci-dessus, aucune prétention n’est formulée concernant la nullité du contrat de prêt, et que le moyen tenant à l’invalidité du prêt est un moyen de défense, sur lequel la prescription est sans incidence.
S’agissant de l’admission de la créance de la banque, il est rappelé que la caution, conformément aux dispositions de l’article R.624-8 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, peut former réclamation contre l’état des créances déposé au greffe du tribunal de commerce par le juge commissaire, en qualité de tiers intéressé, et qu’elle doit le faire dans le délai d’un mois à compter de la publication faite par le greffier, au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, d’une insertion indiquant ce dépôt et le délai pour présenter une réclamation. Il est de droit qu’à défaut de réclamation, la décision d’admission de la créance au passif du débiteur principal en procédure collective est opposable à la caution tant en ce qui concerne l’existence que le montant de sa créance, étant précisé toutefois que nonobstant la chose jugée par l’admission définitive d’une créance à la procédure collective d’un débiteur, la caution solidaire du paiement de cette créance peut opposer au créancier toutes les exceptions qui lui sont personnelles.
Il ressort des pièces produites aux débats que l’état des créances de la société Bady II a été déposé le 13 mars 2015 au tribunal de grande instance de Strasbourg, et que l’avis de dépôt de cet état, sur lequel figure, au nombre des créances admises, la créance de la Caisse de Crédit Mutuel au titre du prêt litigieux, a été publié au BODACC du 24 avril 2015, avec indication que les réclamations seraient recevables dans un délai de un mois à compter de la date de cette publication, au tribunal de grande instance de Strasbourg.
Contrairement à ce que soutient M. [H], la caducité du cautionnement résultant de la nullité du prêt n’est pas un moyen propre à la caution, mais un moyen qui regarde l’existence de la dette cautionnée.
M. [H], qui n’établit ni même n’allègue, avoir contesté l’état des créances déposé au greffe, dans le délai dont il disposait pour le faire, ne peut plus remettre en cause ni l’existence ni le montant de la dette de la société.
Dès lors, le moyen tiré de la caducité du cautionnement pour nullité de l’acte de prêt ne peut prospérer.
Sur la disproportion de l’engagement de la caution
M. [H] soutient que son engagement, au jour de la conclusion de l’acte de cautionnement, était disproportionné, et considère qu’il en rapporte la preuve, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal. Il reproche au tribunal, notamment, d’avoir pris en compte ses parts ou sa participation au sein de la société Bady II, alors que celle-ci n’a été immatriculée qu’au mois de mai 2011, soit postérieurement à la souscription de son engagement de caution. Il souligne, également, qu’il était alors déjà caution de la société Bady pour un montant de 140 000 euros, en suite d’un engagement consenti le 29 décembre 2010. Enfin, il soutient que la banque ne peut utilement invoquer l’absence de disproportion au jour où la caution est appelée, faute d’apporter un quelconque élément permettant d’en justifier.
Selon la banque, qui considère que M. [H] ne justifie pas de l’intégralité de ses revenus et de son patrimoine à cette date, aucune disproportion ne peut être caractérisée au jour où l’appelant a souscrit l’engagement de caution litigieux. M. [H], soutient-elle, est associé de plusieurs sociétés, détient des parts sociales, et doit également détenir des comptes courants d’associé dans les comptes des dites sociétés, dont il ne fait pas mention, et percevoir des rémunérations en sa qualité de gérant. En outre, il convient de tenir compte des autres garanties souscrites par la banque, et en l’occurrence, le prêt consenti à la société Bady II est garanti par un nantissement de 1er rang sur le fonds de commerce financé pour un montant de 456 000 euros, et deux autres associés de la société Bady II ont souscrit le même engagement de caution solidaire à son profit, à hauteur de 152 000 euros. Ainsi, au regard de l’ensemble de l’actif de M. [H], et des autres garanties par elle souscrites, l’engagement de caution de l’appelant, limité à un montant de 152 000 euros sur une durée de 9 ans, n’est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus au jour de la souscription. Subsidiairement, il n’y a pas de disproportion au jour où M. [H] a été appelé en garantie, soutient la banque. Quand bien même M. [H] refuse de justifier de ses revenus et de son patrimoine actuel, il détient un patrimoine immobilier qui, à lui seul, suffit à l’établir. Il est en effet propriétaire d’un bien immobilier à [Localité 10], et de deux autres biens immobiliers, à [Localité 8] et à [Localité 9], dont il doit percevoir des revenus locatifs. Et en outre, il est toujours associé de la société Bady, qui est désormais in bonis.
Aux termes de l’article L341-4 devenu L.332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La proportionnalité de l’engagement de la caution s’apprécie donc soit au moment de la conclusion de celui-ci, soit au moment où la caution est appelée à l’exécuter, c’est à dire au moment où elle est assignée en paiement.
Il appartient à la caution, quand elle l’invoque, de rapporter la preuve de l’existence d’une disproportion manifeste de son engagement, au moment de la conclusion de celui-ci, tandis que c’est au créancier qui entend se prévaloir d’un engagement de caution manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.
Le créancier peut apprécier la proportionnalité de l’engagement par rapport aux biens et revenus de la caution à partir de la déclaration qu’en fait celle-ci, sans avoir à en vérifier l’exactitude, sauf en cas d’anomalie apparente affectant la déclaration, ou lorsqu’il avait connaissance ou ne pouvait pas ignorer l’existence d’autres charges pesant sur la caution, non déclarées par celle-ci, ou encore lorsque la déclaration effectuée par la caution est trop ancienne.
En revanche, dans l’hypothèse où la caution n’a déclaré aucun élément sur sa situation patrimoniale lors de son engagement, elle est libre de rapporter, par tous moyens, la preuve qui lui incombe de sa situation financière réelle lors de la souscription de son engagement.
La disproportion manifeste de l’engagement de la caution suppose que celle-ci soit, au jour où elle contracte l’engagement, dans l’impossibilité manifeste d’y faire face.
Doivent être pris en considération d’une part, ses revenus et les éléments de son patrimoine, et d’autre part, son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution antérieurs ou concomitants.
Les revenus escomptés de l’opération garantie ne peuvent être pris en compte, et de même, l’appréciation de la disproportion doit s’effectuer sans prendre en considération l’existence d’autres sûretés, personnelles ou réelles, garantissant la même dette.
La banque n’apportant aucun élément relatif à une déclaration que lui aurait faite M. [H], concernant son patrimoine et son endettement, au moment de la souscription de son engagement, et notamment ne produisant aucune fiche de renseignement qu’elle lui aurait fait remplir, M. [H] est libre de rapporter, par tout moyen, la preuve de la consistance de son patrimoine au moment où il s’est engagé.
La date à laquelle il convient de se placer étant celle de la souscription de l’engagement, soit le 5 février 2011, et les revenus escomptés de l’opération garantie n’ayant pas à être pris en compte, c’est effectivement à tort, comme le fait valoir l’appelant, que le premier juge a pris en considération sa participation dans la société Bady II, qui n’a été créée qu’au mois d’avril 2011, et en vue d’exploiter le fonds de commerce acquis grâce au financement apporté par la Caisse de Crédit Mutuel intimée, avec la caution, notamment, de l’appelant.
Au vu de ses avis d’imposition sur les revenus des années 2010 et 2011, le revenu annuel de M. [H] était, lorsqu’il s’est engagé, de l’ordre de 34 000 euros ( 2010 : 34 298 et 2011 : 33 574 euros), avant imposition.
M [H] était en outre propriétaire de deux biens immobiliers :
un bien sis à [Localité 8], acquis le 26 avril 2005, en l’état futur d’achèvement, pour un prix de 105 000 euros, réglé au moyen d’un prêt du même montant, sur lequel restait dû, à la date de son engagement, une somme de 87 545,83 euros,
un bien sis à [Localité 9], acquis pour 195 000 euros, le 29 juin 2007, au moyen d’un prêt du même montant, sur lequel restait due, à la date de l’engagement de caution, une somme de 169 948,40 euros.
Ces biens étaient loués, et lui procuraient, au vu des déclarations des revenus fonciers 2010 et 2011 qu’il verse aux débats, des recettes entre 10 500 et 14 500 euros par an ( 14 400 en 2010, 10 665 en 2011), ses revenus fonciers étant toutefois déficitaires au plan fiscal, au vu des avis d’imposition produits ( 6 464 euros pour l’année 2010, 7 197 euros pour l’année 2011).
M. [H], enfin, était associé, et gérant jusqu’au 1er octobre 2010, de la société Bady, exploitant un restaurant à l’enseigne L’Alambar. Il était détenteur de 185 parts de cette société, représentant 37% du capital ( et non pas 18,50% comme il le prétend), s’élevant à 7 500 euros, et dont le résultat d’exploitation, au vu des liasses fiscales pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010 et du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011 était positif en juin 2010 ( 34 525), ainsi qu’en juin 2011 (23 474) , de même que le résultat courant avant impôts.
Au vu des liasses fiscales produites, il n’avait perçu aucune rémunération, que ce soit en sa qualité de gérant ou en sa qualité d’associé, depuis le 1er juillet 2009.
En revanche, comme le souligne la banque, et comme l’a relevé le tribunal, bien qu’il ait à la suite d’une erreur matérielle fait mention de la société Bady II alors qu’il s’agissait de la société Bady, les bilans produits font apparaître l’existence de comptes courants d’associés d’un montant de 99 189 euros pour l’exercice du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010, et de 93 854 euros pour l’exercice du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011, et le tribunal a relevé, avec justesse, que si M. [H] affirmait ne pas être titulaire d’un tel compte, il n’en rapportait pas la preuve et n’indiquait pas à qui d’autre il appartiendrait, alors que c’est à lui qu’il incombe de démontrer la disproportion de son engagement et qu’il serait donc de son intérêt de révéler l’identité du titulaire s’il ne s’agissait pas de lui. En cause d’appel, M. [H] conteste toujours la détention d’un tel compte courant, mais se garde d’apporter une quelconque explication complémentaire, alors que contrairement à ce qu’il prétend cela ne lui est pas du tout impossible, surtout compte tenu de la structure familiale de la société Bady. C’est donc à juste titre que le premier juge a retenu, parmi les éléments de son patrimoine, un compte courant d’associé à hauteur de 99 189 euros.
Au jour de son engagement de caution, M. [H] disposait donc d’un salaire mensuel avoisinant 2 800 euros comme l’a exactement retenu le tribunal, d’un patrimoine immobilier de l’ordre de 42 500 euros, d’un compte courant d’associé de 99 189 euros au sein de la société Bady, dont il détenait 37% du capital, établi à 7 500 euros, observation faite que la banque intimée n’apporte aucun élément objectif permettant de supposer que ceci ne constituerait pas l’intégralité du patrimoine de M. [H].
Outre son endettement au titre de l’acquisition des biens immobiliers susvisés, dont il a déjà été tenu compte, M. [H] était, à la date à laquelle il s’est engagé pour la société Bady II, caution de la société Bady, pour un montant de 140 000 euros, selon engagement régularisé le 29 décembre 2010.
Cet engagement, dont il convient de souligner qu’il ne pouvait pas ne pas être connu de la banque, puisqu’il était consenti à son profit ( cf courrier d’information de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12], produit par l’appelant, pièce n°6), doit être pris en considération pour l’appréciation de la disproportion alléguée.
Ce cautionnement de 140 000 euros équivalant à son patrimoine immobilier + son compte courant d’associé, M. [H] n’avait plus de disponible, pour couvrir le nouvel engagement souscrit, que son salaire, augmenté le cas échéant de ses revenus locatifs. Ces revenus, même s’ils n’étaient pas inexistants, n’étaient manifestement pas suffisants au regard d’un engagement de 152 000 euros, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, et à ce que soutient la banque intimée. Ainsi, en considération des éléments factuels soumis à l’appréciation de la cour de renvoi, il sera retenu que le cautionnement consenti par l’appelant était manifestement disproportionné, comme le soutient celui-ci.
Pour pouvoir se prévaloir utilement de l’engagement consenti par M. [H], il revient donc à la banque d’établir que, au jour où elle l’a appelé, c’est à dire le 19 novembre 2015, date de l’assignation en paiement, le patrimoine de M. [H] lui permettait de faire face à son obligation.
Le 19 novembre 2015, M. [H], même s’il produit un mandat de vente de son bien de [Localité 8], daté du 4 novembre 2015, était manifestement toujours propriétaire de ce bien, comme de celui de [Localité 9], et devait encore rembourser, au titre de ces biens immobiliers, au vu des tableaux d’amortissement qui figurent aux débats, 62 974 euros ( bien de 105 000 euros) et 131 282,19 euros ( bien de 195 000 euros).
Aucun élément n’est produit par l’appelant venant justifier que, contrairement à ce qu’indique la banque, ces biens n’étaient plus loués.
M. [H] était également propriétaire d’un troisième bien immobilier, acquis le 14 décembre 2011 avec Mme [E], avec laquelle il était marié depuis le [Date mariage 4] 2011 sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts, pour un prix de 200 000 euros, au moyen d’un apport personnel de 35 000 euros, et d’un prêt de 165 000 euros, au taux fixe de 4,20% l’an, remboursable sur 20 ans, du 5 décembre 2011 au 5 novembre 2031.
La disproportion de l’engagement de la caution s’appréciant, comme rappelé ci-dessus, par rapport aux biens de la caution sans distinction, un bien dépendant de la communauté doit être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil. Ainsi, comme le fait à raison valoir la banque, et contrairement à ce que soutient M. [H], ce bien, quoique commun, et bien que Mme [H] n’ait pas donné son consentement exprès au cautionnement, doit être pris en considération pour l’appréciation de la disproportion du cautionnement consenti.
Par ailleurs, à la date où il a été assigné en paiement, M. [H] n’était plus tenu de son engagement de caution au profit de la société Bady, cet engagement prenant fin le 31 mars 2015, au vu du courrier de la banque qu’il a versé aux débats.
Ainsi, au vu du patrimoine immobilier dont il disposait à cette époque, et même sans tenir compte de ses revenus, salariaux, fonciers, ou provenant de la société Bady, qui ne sont pas connus, M. [H] était en mesure, lorsqu’il a été appelé en paiement, de faire face à son engagement de 152 000 euros.
Dans ces conditions, le moyen tiré de la disproportion de l’engagement de la caution est écarté.
Sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde
M. [H] soutient, subsidiairement, que la banque a manqué, à son égard, à l’obligation de mise en garde à laquelle elle était tenue. Il fait valoir que la société Bady II n’ayant aucun fonds propres, venant de se créer, et ayant acquis pour un prix très important un fonds de commerce qui générait des charges également très importantes, la banque aurait dû attirer son attention sur ses difficultés potentielles de remboursement du prêt, évidentes au regard du chiffre d’affaires que le vendeur du fonds avait déclaré et des pertes subies par l’établissement, et le risque d’endettement excessif au regard de la capacité de paiement dégagée par le fonds. Il conteste, en dépit de ce que soutient la banque, avoir la qualité de caution avertie : il s’est associé avec ses frères pour leur permettre de lancer leurs activités commerciales, mais sans avoir de compétences particulières dans le domaine d’activité pressenti, ni dans la finance, en acceptant ponctuellement d’être le gérant de la société Bady, puis en s’en retirant rapidement en raison de son absence de compétence, et ce avant même son engagement de caution. Il est simple animateur de vente, et vit en région parisienne, ce que le banque ne peut ignorer, souligne-t-il.
La banque intimée considère quant à elle que M. [H] ne rapporte pas la preuve des conditions imposant la mise en oeuvre par ses soins d’un devoir de mise en garde. Il ne démontre pas plus devant la cour qu’il ne l’a fait en première instance l’existence d’un risque d’endettement excessif de l’emprunteur, né de l’octroi du prêt, les difficultés rencontrées par la société Bady II étant postérieures, et ayant pour origine, en fait, une série de dégâts des eaux subis à partir du mois d’avril 2011, conduisant à une importante perte de clientèle, et un refus d’indemnisation opposé par son assureur. Par ailleurs, rappelle-t-elle, le devoir de mise en garde du banquier ne s’applique qu’à l’égard des personnes considérées comme non averties, or, M. [H], associé de la société Bady II avec ses deux frères, était intéressé à l’opération financée par le prêt cautionné, et était également gérant de la société Bady, société soeur exerçant la même activité de restauration à [Localité 11], dont le capital est également détenu par lui et ses deux frères et dont l’exploitation était pérenne avant que les difficultés rencontrées par la société Bady II ne viennent grever son fonctionnement, de sorte qu’il ne peut être prétendu de bonne foi qu’il n’avait pas la capacité de mesurer le risque pris en s’engageant. En outre, compte tenu du nombre de biens immobiliers acquis par lui grâce à des financements bancaires, M. [H] ne peut, selon la banque, affirmer sérieusement qu’il serait néophyte en matière de financement d’acquisition de bien immobilier.
Lors de l’octroi d’un prêt, le banquier dispensateur de crédit est tenu, à l’égard de la caution non avertie, d’un devoir de mise en garde, si à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n’était pas adapté à ses capacités financières ou qu’il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, résultant de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.
Le devoir de mise en garde n’étant dû qu’à l’égard d’une caution non avertie, il doit être en premier lieu examiné si M. [H] était ou non une caution avertie, étant rappelé que la cour retient que, à la date de sa souscription, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
M. [H], à la lecture des statuts de cette société, établis à [Localité 11], le 27 décembre 2010, était associé de la société Bady II, détenteur de 264 parts sur 800, les autres parts, à hauteur respectivement de 264 et 272, étant détenues par ses deux frères.
Au moment où il a souscrit son engagement de caution au profit de cette société, il était l’un des associés de la société Bady, créée au printemps de l’année 2007, soit quatre ans plus tôt, également avec ses deux frères, dont il avait été le gérant jusqu’au 8 septembre 2010, et dont il détenait 185 parts sur 500.
Comme le souligne la banque, la société Bady exerçait la même activité de restauration que la société Bady II, également à [Localité 11], et son exploitation, au moment de la souscription de l’engagement litigieux, était pérenne, comme en témoignent, notamment, les éléments comptables évoqués ci-dessus. La société Bady a certes été placée en redressement judiciaire par décision du tribunal de grande instance de Strasbourg, 1ère chambre commerciale, du 2 décembre 2013, que produit la banque, mais ses difficultés s’expliquaient, notamment, par le fait qu’elle avait fait un ‘apport’ sous forme d’ ‘avance de trésorerie’, à la société Bady II, victime d’un important sinistre de dégât des eaux.
La cour relève par ailleurs qu’au moment de la création de la société Bady, c’est l’appelant qui avait reçu mandat des associés, en attendant l’immatriculation de la société, d’acquérir le fonds de commerce, de négocier et contracter tous emprunts nécessaires pour le financement de cette acquisition, des travaux de modification et d’aménagement et des investissements ultérieurs, moyennant le taux d’intérêt et sous les charges et conditions qu’il déterminerait, de réaliser toutes les opérations courantes, toutes les formalités de publicité légales et réglementaires, etc, et aucun élément n’est produit, ni avancé, dont il résulterait qu’il ne serait pas acquitté de son mandat de manière satisfaisante.
Enfin, à l’époque où il était gérant et associé de la société Bady, de même que lorsqu’il a signé son engagement de caution, M. [H] ne se trouvait aucunement en région parisienne, loin du lieu d’exploitation des fonds : toutes les pièces qu’il verse aux débats montrent en effet qu’il était domicilié à [Localité 9] ( 67), et il l’était encore lorsqu’il a souscrit l’engagement litigieux.
Il découle de l’ensemble de ces éléments, qui ne sont pas utilement contredits par M. [H], qui ne produit aucune pièce contraire, qu’au moment où il a souscrit l’engagement litigieux, M. [H] avait déjà conduit une opération d’acquisition d’un fonds de commerce similaire avec recherche de financements, et avait géré pendant plusieurs années une société exerçant la même activité que la société cautionnée, de sorte qu’il était à même d’apprécier le risque induit par une telle opération.
En conséquence, il était une caution avertie, à l’égard de laquelle la banque n’était tenue d’aucun devoir de mise en garde.
De ce fait, M. [H] ne peut utilement prétendre à être déchargé de son engagement au motif d’un manquement de la banque à une telle obligation.
Aucun des moyens soutenus par M. [H] ne prospérant, et aucune critique n’étant formulée à l’encontre du jugement déféré s’agissant du quantum de la condamnation prononcée, il y a lieu à confirmation de la décision en ce qu’elle a condamné l’appelant à hauteur de 152 000 euros en sa qualité de caution.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Partie perdante, M. [H] doit supporter les dépens de l’appel, ainsi que ceux exposés à l’instance d’appel ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la présente cour le 8 octobre 2020.
Il sera en outre condamné à régler à l’intimée une somme que l’équité commande de fixer à 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles qu’elle a exposés en appel, en sus de la condamnation prononcée en première instance, et sera débouté de sa propre demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, sur renvoi après cassation,
CONFIRME, en toutes ses dispositions frappées d’appel, le jugement rendu le 16 novembre 2018 par le tribunal de grande instance de Pontoise,
Y ajoutant,
Déboute M. [O] [H] de ses demandes, y compris sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [H] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [H] aux dépens de l’appel, ainsi qu’à ceux exposés à l’instance d’appel ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la présente cour le 8 octobre 2020, qui pourront être recouvrés directement par le conseil de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 12] dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Florence MICHON, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,