15 décembre 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
19/14088
Chambre 3-3
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 15 DECEMBRE 2022
N° 2022/355
Rôle N° RG 19/14088 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BE233
Sté.coopérative Banque Pop. BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES
C/
[N] [E]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Olivier DE PERMENTIER
Me Yveline LE GUEN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MANOSQUE en date du 16 Juillet 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 2019000249.
APPELANTE
BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES (nouvelle dénomination de la BANQUE POPULAIRE DES ALPES), prise en la personne de son représentant légal,
dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Olivier DE PERMENTIER de la SCP TGA-AVOCATS, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE
INTIME
Monsieur [N] [E]
né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Yveline LE GUEN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 15 Décembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022
Signé par Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS SDKL dont M. [N] [E] est le gérant, a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la SA Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes (SA BP AURA) le 3 février 2016.
Selon acte authentique de Me [T], notaire à [Localité 4], du 18 mars 2016, la SAS SDKL a acquis le fonds de commerce de la SARL Aigardent, situé à [Localité 4], moyennant le prix de 150’000 euros financé par un prêt accordé par la SA BP AURA à hauteur de 120’000 euros, remboursable en 84 mensualités au taux de 2,5%. Dans le même acte, M. [N] [E] s’est porté caution solidaire des engagements de la SAS SDKL au titre de ce prêt à hauteur de la somme de 18’000 euros pour une durée de 96 mois.
Selon acte sous signatures privées du 15 juin 2016, M. [N] [E] s’est porté caution solidaire de tous les engagements de la SAS SDKL envers la SA BP AURA à hauteur de la somme de 10’000 euros et pour une durée de 10 ans.
Par jugement du 13 novembre 2018, le tribunal de commerce de Manosque a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS SDKL.
La SA BP AURA a déclaré ses créances et mis en demeure la caution par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 novembre 2018.
À défaut de paiement elle a fait assigner M. [N] [E] devant le tribunal de commerce de Manosque lequel, par jugement du 16 juillet 2019, a’:
– débouté la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de la totalité de ses demandes formulées à l’encontre de M. [N] [E],
– débouté M. [N] [E] de ses demandes faites à rencontre de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à titre de dommages et intérêts et au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– mis les entiers frais et dépens de l’instance, à la charge de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes.
La SA Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes a interjeté appel par déclaration du 4 septembre 2019.
Moyens
Par conclusions notifiées et remises au greffe le 29 décembre 2021, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SA Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes demande à la cour de’:
– débouter M. [E] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions’;
– condamner M. [N] [E] à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 10.000 euros au titre de son cautionnement du 15 juin 2016 ; outre intérêts au taux légal à courir à compter du 28 novembre 2018, date de la première mise en demeure, et jusqu’au parfait paiement ; avec capitalisation des intérêts qui seraient dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du Code civil ;
– condamner M. [N] [E] à payer et porter à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires du fait de la résistance illégitime opérée ;
– condamner M. [N] [E] à payer et porter à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 1.500 euros au titre de la procédure de première instance et celle de 2.500 euros au titre de la procédure d’appel et par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner M. [N] [E] à payer les entiers dépens du procès de première instance et du procès d’appel.
Par conclusions notifiées et remises au greffe le 23 janvier 2020, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [N] [E] demande à la cour de’:
– recevoir M. [E] en ses conclusions d’appel incident,
au principal :
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé nul et de nul effet le cautionnement litigieux et débouté la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de ses demandes, fins et conclusions,
– l’infirmer sur la responsabilité de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes,
– dire et juger nulle la clause de reconnaissance d’information et de mise en garde comme étant contraire aux articles L 211-1 et 312-28 du Code de la consommation,
– condamner la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à verser à M. [E] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
subsidiairement :
– débouter la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de toute demande au-delà de la somme de 10.000 euros
– débouter la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de sa demande de dommages et intérêts pour « résistance abusive »,
– accorder au défendeur les plus larges délais de paiement,
– condamner la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à verser à M. [E] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Motivation
MOTIFS
– Sur la disproportion’:
La SA BP AURA soutient que le cautionnement n’est pas disproportionné au regard des éléments figurant sur la fiche de renseignements que l’intimé a signée, et qu’il a omis sur cette même fiche de déclarer la «’valeur de sa société’», laquelle valeur nette doit être fixée à la somme de 40’000 euros au regard du chiffre d’affaires réalisé en 2015.
M. [N] [E] soutient que son cautionnement doit être déclaré nul en raison de la disproportion de son engagement compte tenu de la faiblesse de son salaire et de son absence de tout autre revenu.
Aux termes de l’article L.341-4, devenu L.332-1, du code de la consommation, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 29 septembre 2021, applicable à l’espèce, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Pour l’application de ces dispositions, c’est à la caution qu’il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu’elle allègue et au créancier qui entend se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.
Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s’apprécie au regard, d’une part, de l’ensemble des engagements souscrits par la caution, et, d’autre part, de ses biens et revenus, sans tenir compte des revenus escomptés de l’opération garantie.
La banque peut se fier aux éléments déclarés, au moment de l’engagement, par la caution sur sa situation financière, dont elle n’a pas à vérifier l’exactitude, sauf en cas d’anomalie apparente ou sauf lorsqu’elle avait connaissance ou ne pouvait pas ignorer l’existence d’autres charges, non déclarées sur la fiche de renseignement, pesant sur la caution.
En l’espèce la fiche de renseignements établie le 5 juin 2016 et dont M. [N] [E] a certifié sur l’honneur la sincérité des indications qui y étaient portées, mentionne qu’il n’a qu’un salaire d’un montant annuel de 7’800 euros. Il est également indiqué’: surface financière = 0 et taux d’endettement = 0.
Si effectivement il n’est rien mentionné dans la case «’biens immobiliers et fonds de commerce’», il résulte de l’acte authentique d’acquisition du fonds de commerce produit aux débats (pièce 4 de la banque) que’:
– le fonds de commerce avait été acquis à l’aide du prêt qu’elle a consenti à la SAS SDKL d’un montant de 120’000 euros,
– M. [N] [E] a versé, sur ses deniers personnels, la somme de 30’000 euros pour partie du prix d’acquisition du fonds de commerce, et détenait ainsi un compte courant d’associé du même montant.
M. [N] [E] détenait en outre toutes les actions de la SAS SKDL dont la valeur peut au moins être établie à la somme de 10’000 euros, soit le montant du capital social.
Enfin, le paragraphe de la fiche de renseignements intitulé «’autres engagements et emprunts (y compris les cautions données)’» ne comporte aucune indication.
Mais la banque ne pouvait ignorer l’engagement de caution précédent, souscrit à son profit par l’intimé et figurant dans l’acte authentique auquel elle était partie, pour la somme de 18’000 euros, portant ainsi au jour du cautionnement litigieux, le montant total des engagements de M. [N] [E] à la somme de 28’000 euros.
Ainsi, les revenus et biens de M. [N] [E], composés de la valeur de son compte courant d’associé et de la valeur de ses actions, s’élèvent au moins à 40’000 euros au jour de la souscription du cautionnement de sorte qu’aucune disproportion n’est établie.
Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
– Sur le devoir de mise en garde’:
M. [N] [E] soutient que la clause du contrat de cautionnement dans laquelle il est stipulé qu’il «’reconnait avoir reçu de la banque une mise en garde sur le risque d’endettement résultant du concours qu’il sollicite’» doit être déclarée nulle en ce qu’elle figure dans un contrat d’adhésion, rédigé et imposé par la banque, dans une police extrêmement petite, illisible, et contraire aux dispositions du Code de la consommation dans ses articles L. 211-1 et L.’312-28.
Ces textes sont inapplicables s’agissant d’un acte de cautionnement consenti par M. [E], en sa qualité de président d’une SAS, pour les besoins de son activité professionnelle, qui ne peut en conséquence être qualifié de consommateur. En outre le dernier de ces textes est d’autant plus inapplicable qu’un acte de cautionnement n’est pas un prêt et que M. [E] n’est pas intervenu en qualité d’emprunteur.
M. [N] [E] soutient que même s’il est déchargé de son cautionnement, il a subi un préjudice causé «’par le sentiment d’avoir été trompé par la banque lors de la souscription du cautionnement et des contrariétés que lui occasionne la procédure’».
La banque réplique que l’intimé ne justifie pas d’un endettement excessif et qu’elle a en tout état de cause adressé une mise en garde spéciale à la caution puisque figure sur la fiche de renseignements, au-dessus de la signature de M. [N] [E], la mention qu’il «’reconnait avoir reçu de la banque une mise en garde sur le risque d’endettement résultant du concours qu’elle sollicite’».
Cette clause, même approuvée par M. [N] [E], ne peut trouver application à l’engagement de caution litigieux, lequel ne peut être qualifié de concours accordé à la caution’
Le banquier dispensateur de crédit n’est, au moment de la souscription du contrat litigieux, tenu d’un devoir, non de conseil, mais de mise en garde, qu’à la double condition que son cocontractant soit une personne non avertie et qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt.
Le préjudice né de la violation de l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu le banquier dispensateur de crédit envers la caution est la perte de chance de ne pas souscrire ledit cautionnement.
Or, d’une part, si M. [N] [E], dont il n’est pas démontré par la banque qu’il avait une compétence en matière économique et financière, ne peut être considéré comme averti, il ne démontre pas qu’il existait pour la SAS SKDL un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, et, d’autre part, il invoque des préjudices sans aucun lien avec la violation de l’obligation de mise en garde du banquier.
La banque n’était tenue à aucun devoir de mise en garde à son égard et il est débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
– Sur les demandes accessoires’:
La banque ne peut qualifier la défense de M. [N] [E] de «’résistance abusive’» quand les contestations de ce dernier ont été accueillies en première instance.
M. [N] [E], qui ne produit aucune pièce relative à sa situation financiére et personnelle postérieure à 2019, est débouté de sa demande de délais faute de justificatifs.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Manosque du 16 juillet 2016,
Statuant à nouveau,
Dit que l’engagement de caution de M. [N] n’est pas disproportionné,
Condamne M. [N] [E] à payer à la SA Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 10.000 euros au titre de son cautionnement du 15 juin 2016 avec intérêts au taux à compter du 28 novembre 2018,
Dit que les intérêts dus au moins pour une année entière seront capitalisés,
Déboute les parties su surplus de leurs demandes,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne M. [N] [E] à payer à la SA Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de trois mille euros,
Condamne M. [N] [E] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT