13 mars 2023
Cour d’appel de Basse-Terre
RG n°
21/01048
2ème Chambre
COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 123 DU 13 MARS 2023
N° RG 21/01048
N° Portalis DBV7-V-B7F-DLVK
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 05 août 2021, rendu dans une instance enregistrée sous le n° 2019JC1317.
APPELANTS :
Monsieur [F] [D] [I]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Madame [O] [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]
S.A.R.L. Société d’Ingiénerie Batiment [I] ( SIB [I])
[Adresse 4]
[Localité 8]
Ayant tous pour avocat Me Hugues Joachim de la Selarl J – F – M, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.
INTIMEES :
Madame [Z] [OB]
[Adresse 6]
[Localité 7]
S.C.I Poirier, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 7]
Ayant tous pour avocat Me Frédéric Candelon-Berrueta de la Selarl Candelon-Berrueta, avocat au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy.
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue à l’audience du 09 janvier 2023 devant Monsieur [G] [GT], les avocats ne s’y étant pas opposé.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries devant la cour composée de :
Monsieur Frank Robail, président de chambre,
Madame Annabelle Clédat, conseillère,
Monsieur Thomas Habu Groud, conseiller,
Les parties ont été avisées à l’issu des débats que l’arrêt serait rendu par sa mise à disposition le 13 mars 2023.
GREFFIER lors des débats ainsi que lors du prononcé : Mme Armélida Rayapin, greffier.
ARRÊT :
– Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
– Signé par Monsieur Frank Robail, Président de chambre et par Mme Armélida Rayapin, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
FAITS ET PROCEDURE
La SARL SIB G. [I], ci-après dénommée SIB [I], a été constituée le 10 décembre 1986 par M. [X] [I] et M. [HB] [GX]. A compter du 13 juillet 2004, son capital était détenu par M. [X] [I], son gérant, qui possédait 499 parts sociales sur 500, et par sa soeur, Mme [W] [I] épouse [NO], qui détenait 1 part sociale.
Le 25 novembre 2010, Mme [Z] [OB], compagne de M. [X] [I] depuis plusieurs années, a été nommée co-gérante à ses côtés.
[X] [I] est décédé le 23 février 2011, laissant pour lui succéder :
– Mme [K] [GX], son épouse survivante, dont il était séparé,
– M. [F] [I] et Mme [O] [I], ses deux enfants,
– Mme [Z] [OB], légataire universelle en vertu d’un testament authentique du 14 janvier 2011 aux termes duquel il lui avait légué ‘la quotité disponible autorisée par l’article 913 du code civil’.
Par ordonnance du 16 mai 2014, le juge des référés du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a nommé la SELAS Segard Carboni en qualité de mandataire chargé de représenter les propriétaires indivis des parts sociales ayant appartenu à [X] [I]
Mme [Z] [OB] est demeurée gérante de la société SIB [I] jusqu’au 30 juin 2015, date à laquelle elle a été remplacée dans ses fonctions par Mme [W] [NO].
Par ordonnance du 22 janvier 2016, le juge des référés de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a ordonné une expertise comptable et de gestion de la SIB [I] à la demande de M. [F] [I] et de Mme [O] [I], agissant en leur nom propre et ès qualités de tuteurs de Mme [K] [GX], qui avaient assigné à cette fin Mme [Z] [OB] et la société SIB [I], dont elle était encore gérante à la date de l’assignation, en arguant d’irrégularités de gestion apparues lors de l’assemblée générale qui s’était tenue le 1er octobre 2014.
Par ordonnance du 15 avril 2016, le juge des référés a désigné M. [H] en qualité d’expert pour y procéder et lui a confié notamment pour mission de vérifier les écritures comptables de la société pour les exercices 2010 à 2013 inclus et d’examiner les relations de la SIB [I] avec Mme [OB], via notamment son entreprise personnelle [GO], avec la SCI Poirier, dont elle était associée, et avec Mme [P], sa nièce, qui était également associée puis gérante de la SCI Poirier.
En parallèle, par acte du 16 février 2016, M. [F] [I] et Mme [O] [I], agissant en leur nom propre et ès qualités de tuteurs de Mme [K] [GX], avaient assigné Mme [OB] devant le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre afin d’obtenir l’annulation du testament du 14 janvier 2011, puis avaient demandé au conseiller de la mise en état de surseoir à statuer sur leur demande à ce titre dans l’attente du dépôt du rapport de l’expert judiciaire. Cette demande a été rejetée à deux reprises, par ordonnances du 12 octobre 2017 et du 04 octobre 2018.
Mme [L], qui a été nommée en remplacement de M. [H], a déposé son rapport le 18 juin 2018.
Par acte du 12 juin 2019, la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] ont assigné Mme [OB] et la SCI Poirier devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre afin de voir :
– condamner Mme [OB] et la SCI Poirier in solidum à payer à la SIB [I] le coût de l’expertise judiciaire,
– condamner Mme [OB] à payer à la SIB [I] :
– 250.000 euros au titre de prestations perçues sans contrat, en règlement de factures émises par son entreprise, [GO],
– 239.085 euros au titre de prêts soldés par la SIB [I] sans justification,
– 11.600 euros et 24.600 euros au titre de chèques émis par la SIB [I] à son profit et encaissés par elle alors qu’ils étaient fondés dans les écritures comptables sur de fausses factures dont le bénéficiaire était M. [F] [I],
– condamner la SCI Poirier à payer à la SIB [I] la somme de 148.242,17 euros au titre du remboursement de son compte courant,
– condamner la SCI Poirier à payer aux héritiers de [X] [I] la somme de 128.759,82 euros au titre du remboursement d’un contrat de prévoyance.
En réponse, Mme [OB] a demandé au tribunal principalement :
– d’annuler le rapport d’expertise judiciaire de Mme [L],
– de déclarer M. [F] [I] et Mme [O] [I] irrecevables en leurs demandes pour le compte de la SIB [I], sur le fondement de l’article L.223-22 du code de commerce,
– de déclarer tous les demandeurs irrecevables en leurs demandes de condamnation formées à son encontre, sur le fondement de l’article L. 223-23 du code de commerce, compte tenu de la prescription et faute pour elle d’avoir été gérante au moment des faits,
– de déclarer les demandeurs irrecevables en leur demande de paiement de la somme de 239.085 euros au titre des prêts soldés sans justification formée à son encontre, faute pour eux de rapporter la preuve de sa qualité de débitrice de ces sommes à l’égard de la SIB [I] et de sa qualité de bénéficiaire personnelle de cette somme,
– subsidiairement, sur le fond, de débouter les demandeurs de leurs prétentions à son encontre.
La SCI Poirier, quant à elle, a principalement demandé au tribunal :
– de déclarer la SIB [I] irrecevable en sa demande de remboursement de la somme de 148.242,17 euros, sur le fondement de l’article 2224 du code civil, compte tenu de la prescription,
– à titre subsidiaire, de débouter la SIB [I] de sa demande de remboursement de la somme de 148.242,17 euros comme étant mal fondée,
– de se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre sur la demande de condamnation au paiement de la somme de 128.0759,82 euros,
– à titre subsidiaire, de déclarer M. [F] [I] et Mme [O] [I] irrecevables en leur demande de remboursement de cette somme formée à son encontre, faute de qualité pour agir,
– à titre infiniment subsidiaire, de les déclarer mal fondés dans cette demande.
Par jugement contradictoire du 05 août 2021, le tribunal a :
– débouté Mme [OB] et la SCI Poirier de leur demande d’annulation du rapport d’expertise,
– déclaré prescrite l’action relative aux prêts de l’exercice 2010, aux chèques BRED des 21 février 2010 et 30 janvier 2011, aux prêts et frais de Mme [P], au règlement de 13.700 euros aux établissements Odalbert, aux rémunérations de Mme [OB] jusqu’au 12 janvier 2014, au prêt entre la SIB [I] et la SCI Poirier,
– débouté la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] de leurs demandes au titre des prestations effectuées par Mme [OB] sans contrat du 12 janvier 2014 au 30 juin 2015,
– débouté Mme [OB] et la SCI Poirier de leur exception d’incompétence au titre du contrat de prévoyance,
– débouté la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] de leur demande de remboursement du contrat de prévoyance,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] aux entiers dépens de l’instance comprenant le coût de l’expertise,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 110,77 euros.
La SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 05 octobre 2021, en indiquant que leur appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement, à l’exception du rejet de la demande d’annulation du rapport d’expertise et du rejet de l’exception d’incompétence au titre du contrat de prévoyance.
Mme [OB] et la SCI Poirier ont remis au greffe leur constitution d’intimées par voie électronique le 04 novembre 2021.
Le conseiller de la mise en état a clôturé l’instruction par ordonnance du 17 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 09 janvier 2023, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 13 mars 2023.
Moyens
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ La SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I], appelants:
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 mai 2022 par lesquelles les appelants demandent à la cour :
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a retenu la prescription de leurs actions et les a déboutés de leurs demandes,
– statuant à nouveau, vu les articles L.223-19, L.223-22, L.223-23 du code de commerce, l’article 2224 du code civil et le rapport d’expertise :
– de condamner la SCI Poirier et Mme [OB] in solidum à payer à la SIB [I] le coût de l’expertise judiciaire, soit les honoraires de Mme [L],
– de dire que Mme [OB] a commis des fautes de gestion engageant sa responsabilité de gérante,
– de condamner Mme [OB] à payer à la SIB [I] :
– 250.000 euros au titre des prestations qu’elle a perçues sans contrat,
– 239.085 euros au titre des prêts soldés sans justification,
– 11.600 euros et 24.600 euros, soit un total de 36.200 euros, au titre des chèques émis par la SIB [I] à son profit et encaissés par elle, alors qu’ils ont été libellés dans les écritures comptables sur de fausses factures dont le bénéficiaire était M. [F] [I],
– de condamner la SCI Poirier à payer à la SIB [I] la somme de 148.242,17 euros en remboursement de son compte courant,
– de condamner la SCI Poirier à payer ‘aux héritiers de M. [X] [I]’ la somme de 128.759,82 euros au titre du remboursement du contrat de prévoyance,
– de condamner Mme [OB] à payer la somme de 10.000 euros aux appelants en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la SCI Poirier à payer à la SIB [I] la somme de 10.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la SCI Poirier à payer à M. [F] [I] et à Mme [O] [I] la somme de 10.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner in solidum Mme [OB] et la SCI Poirier aux entiers dépens.
2/ Mme [Z] [OB] et la SCI Poirier, intimées :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 mars 2022 par lesquelles les intimées demandent à la cour :
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté leur demande de nullité et d’ordonner l’annulation du rapport d’expertise rendu par Mme [L] le 18 juin 2018,
– sur les demandes de condamnation dirigées à l’encontre de Mme [OB] :
– de déclarer M. [F] [I] et Mme [O] [I] irrecevables, sur le fondement de l’article L.223-22 du code de commerce, en leurs demandes de condamnation pour le compte de la SIB [I] au paiement des sommes de 250.000 euros au titre des prestations perçues sans contrat, 239.085 euros au titre des prêts soldés sans justification, 36.200 euros au titre des chèques émis par la SIB [I] émis à son profit et prétendument encaissés par elle, compte tenu du principe de subsidiarité attaché à l’action sociale ut singuli,
– de déclarer la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] irrecevables, sur le fondement de l’article L. 223-23 du code de commerce, en leurs demandes de condamnation formées à son encontre au titre des mêmes sommes, compte tenu de la prescription et faute pour elle d’avoir été gérante au moment des faits,
– en conséquence, d’infirmer le jugement déféré seulement en ce qu’il a estimé non prescrite la période postérieure au 12 janvier 2014 et de confirmer l’irrecevabilité tenant à la prescription retenue par le jugement entrepris pour le surplus des demandes de condamnation,
– de déclarer irrecevables la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] en leur demande de condamnation au paiement de la somme de 239.085 euros au titre des prêts soldés sans justification, formée à son encontre, faute de rapporter la preuve de sa qualité de débitrice de ces sommes à l’égard de la SIB [I] et de sa qualité de bénéficiaire personnelle des sommes réclamées,
– à titre subsidiaire, de débouter la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] de leurs demandes en paiement des sommes de 250.000 euros au titre des prestations perçues sans contrat, 239.085 euros au titre des prêts soldés sans justification, 36.200 euros au titre des chèques émis par la SIB [I] à son profit et prétendument encaissés par elle comme étant mal fondées,
– sur les demandes de condamnation dirigées à l’encontre de la SCI Poirier :
– de déclarer la SIB [I] irrecevable, sur le fondement de l’article 2224 du code civil, en sa demande de remboursement de la somme de 148.242,17 euros compte tenu de la prescription,
– à titre subsidiaire, de débouter la SIB [I] de sa demande de remboursement de la somme de 148.242,17 euros comme étant mal fondée,
– de déclarer M. [F] [I] et Mme [O] [I] irrecevables en leur demande de paiement de la somme de 128.0759,82 euros formée à son encontre, faute de qualité pour agir et faute pour la SCI Poirier d’avoir perçu cette somme,
– à titre subsidiaire, de les déclarer mal fondés en leur demande de paiement de la somme de 128.0759,82 euros formée à son encontre et de les en débouter,
– en tout état de cause:
– de condamner solidairement la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] à payer à Mme [OB] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner solidairement M. [F] [I] et Mme [O] [I] à payer à la SCI Poirier la somme de 10.000 euros au titre du code de procédure civile,
– de condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens, comprenant le coût de l’expertise.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
Motivation
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la recevabilité de l’appel :
Aucun élément du dossier ne permettant d’établir que l’appel interjeté par la SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] aurait été formé tardivement, en l’absence de preuve d’une signification préalable du jugement déféré, leur appel sera déclaré recevable.
Sur l’annulation du rapport d’expertise :
Conformément aux dispositions des articles 237, 238 et 276 du code de procédure civile, le technicien commis doit :
– accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité (article 237),
– donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis, ne pas répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties, et ne jamais porter d’appréciations d’ordre juridique (article 238),
– prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent (article 276).
Si aucune disposition ne sanctionne de nullité l’inobservation des obligations imposées par l’article 238, les obligations prévues par les articles 237 et 276 ont un caractère substantiel et leur violation peut être sanctionnée par l’annulation du rapport d’expertise judiciaire, à charge pour celui qui l’invoque de démontrer l’existence du grief causé par les irrégularités constatées.
Sur le fondement de ces textes et de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, Mme [OB] et la SCI Poirier sollicitent l’annulation de l’expertise judiciaire réalisée par Mme [L] à laquelle elles reprochent de n’avoir été ni impartiale, ni objective, et de ne pas avoir pris en compte les explications et pièces de Mme [OB], pas plus que les explications de l’expert-comptable de la société SIB [I] qui allaient dans son sens.
Au soutien de leur accusation concernant le défaut d’objectivité et d’impartialité de l’expert, les intimées font valoir :
– que l’expertise diligentée ne pouvait être une expertise de gestion de portée générale destinée à remettre en cause la régularité des comptes sociaux,
– que cependant l’expert a élargi le périmètre de sa mission à des années antérieures puisqu’il a examiné des prêts antérieurs à 2010, soi-disant à titre de rappel chronologique, mais en réalité pour en tirer des conséquences chiffrées non prévues dans sa mission,
– que l’expert, après avoir indiqué que l’expertise ne remettrait pas en cause la régularité et la sincérité des comptes, a considéré que le compte courant débiteur des enfants [I] relevait d’une erreur de l’expert-comptable afin de les exonérer du remboursement des sommes correspondantes, démontrant sa partialité,
– que l’expert a adressé au magistrat chargé du contrôle des expertises une demande d’injonction de produire des pièces dirigée contre Mme [OB] mais aussi contre sa nièce, qui n’était pas partie à la procédure, alors que le pré-rapport avait déjà été déposé,
– que la demande formée à l’encontre de Mme [OB], via son entreprise [GO], revenait à instaurer une mesure d’investigation générale de sa propre comptabilité, non comprise dans la mission de l’expert judiciaire.
Il convient cependant de rappeler que, bien que Mme [OB] se soit opposée à l’expertise sollicitée, tant son principe que la mission confiée à l’expert découlent de décisions judiciaires ayant force de chose jugée. L’expert n’est donc pas responsable de l’étendue de la mission qui lui a été confiée, ni de son orientation.
A ce titre, en plus de la vérification des écritures comptables des exercices 2010 à 2013, il lui était spécifiquement demandé :
– d’examiner les relations et les règlements entre la SIB [I] et l’entreprise en nom personnel [GO] de Mme [OB], la raison, le contrat éventuel, les missions et les règlements,
– de vérifier la nature et l’objet des prêts divers de l’exercice 2010 et leur remboursement,
– de vérifier la nature et l’objet des chèques BRED émis du 21 février 2010 au 30 janvier 2011,
– d’examiner les relations de la SIB [I] avec la SCI Poirier, la nature et l’objet des prêts et transferts de fonds consentis par la SIB [I] à la SCI et leur remboursement,
– d’examiner le prêt accordé par la SIB [I] à Melle [P], préciser sa nature et son objet, ainsi que son remboursement,
– d’examiner les frais de transport aérien de Melle [P] pris en charge par la SIB [I], en préciser la nature, l’objet et le remboursement,
– de dire à quoi correspondait le règlement de 13.700 euros porté au bilan 2010 aux établissements Odalbert,
– de vérifier le compte [I] et donner des explications sur ses variations,
– d’indiquer le montant du compte-titre détenu à Bfor Bank,
– d’examiner les actes de gestion sur la période considérée et de vérifier leur conformité à l’objet social de la société s’agissant de la reprise du chantier IME par la SIB [I] (son caractère nécessaire et ses conséquences financières pour la société) et des relations avec la Semsamar, La Poste et M. [A].
Dans la motivation de son ordonnance du 22 janvier 2016, le juge des référés avait retenu que lors de l’assemblée générale de la SIB [I] qui s’était tenue le 1er octobre 2014, les comptes des exercices 2010, 2011, 2012 et 2013 n’avaient pas été approuvés et qu’à l’occasion du changement de gérance du 30 juin 2015 étaient apparues certaines opérations comptables, notamment entre la SIB [I] et une SCI Poirier, des opérations de gestion, notamment l’embauche de Melle [P] en qualité d’assistante au moment où le bénéfice comptable de la société était en chute et la découverte d’un compte Bfor Bank dont les mouvements restaient inconnus, et une augmentation considérable des pertes, qui justifiaient la mise en oeuvre d’une expertise.
Mme [L], l’expert judiciaire, s’est donc vu confier une mission orientée dès le départ vers l’examen de certains points précis susceptibles de constituer des fautes de gestion imputables à Mme [OB]. Il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir relevé d’anomalie concernant le compte courant des enfants [I], point non compris dans sa mission.
En ce qui concerne l’élargissement du champ de cette mission, point central des critiques formulées par les intimées à l’encontre de Mme [L], il convient de rappeler qu’elle était chargée ‘d’examiner les relations de la SIB [I] avec la SCI Poirier, la nature et l’objet des prêts et transferts de fonds consentis par la SIB [I] à la SCI et leur remboursement’ et de ‘vérifier la nature et l’objet des prêts divers de l’exercice 2010 et leur remboursement’. Or l’expertise a démontré que les prêts en cause étaient antérieurs à l’année 2010, mais que diverses écritures comptables relatives in fine au remboursement de ces prêts étaient intervenues au cours de l’exercice 2010. Pour répondre à sa mission, l’expert ne pouvait donc que s’intéresser à ces prêts, quand bien même ils étaient antérieurs à la période concernée par la vérification des écritures comptables, sans qu’il lui puisse lui être reproché d’avoir de son propre chef étendu le champ de sa mission, ni d’avoir manqué d’impartialité.
Pour la même raison, le fait que l’expert ait souhaité obtenir le maximum d’éléments concernant l’entreprise individuelle de Mme [OB], [GO], et qu’elle ait pour cela sollicité une injonction auprès du magistrat chargé des expertises ne saurait s’analyser comme une violation du devoir d’impartialité dans la mesure où il lui était expressément demandé ‘d’examiner les relations et les règlements entre la SIB [I] et l’entreprise en nom personnel [GO] de Mme [OB], la raison, le contrat éventuel, les missions et les règlements’.
Si le fait que cette injonction ait été demandée après l’envoi aux parties du pré-rapport peut surprendre, Mme [OB] a été en mesure de faire valoir ses observations tant auprès du magistrat chargé des expertises qu’auprès de l’expert sur le pré-rapport, dans le cadre de dires.
Par ailleurs, quand bien même la liste des pièces demandées par l’expert était-elle manifestement inadaptée compte tenu de la nature d’entreprise individuelle de [GO], le juge chargé des expertises aurait pu tenir compte des explications de Mme [OB], ce qu’il n’a pas fait, sans que cela puisse être imputé à l’expert, ni accréditer l’accusation de partialité formée à son encontre.
Mme [OB] reproche également à l’expert d’avoir tenu des propos traduisant son absence d’impartialité en écrivant, en page 32 du pré-rapport : ‘Ainsi, dès le moment du prêt, il était supposé que le remboursement n’interviendrait jamais. A croire que tout était déjà orchestré !’.
Cependant, cette remarque est relative à un prêt souscrit bien avant que Mme [OB] ne soit nommée gérante, qui avait été passé dans son intégralité en 2007 en provision pour dépréciation du compte débiteur, avant que cette écriture ne soit reprise en 2010. Or l’expert n’a pas attribué cet acte de gestion à Mme [OB], puisqu’elle n’était pas gérante à l’époque, et a admis qu’il était impossible de connaître le bénéficiaire du montant de ce prêt.
En conséquence, cette phrase ne peut constituer une accusation portée à l’encontre de Mme [OB], mais plutôt à l’encontre du gérant de l’époque, [X] [I].
Le fait que l’expert ait parlé dans cette même page du pré-rapport de ‘sommes détournées’ en parlant des prêts restant dus à la SIB [I] pourrait être plus problématique, puisque cela traduit une appréciation très orientée de la situation. Néanmoins, l’expert a clairement indiqué, dans le même temps, que les sommes restant dues au titre de ces prêts avaient été soldées par le débit du compte courant de [X] [I] pour un montant correspondant et que cette décision ne relevait pas d’une opération normale de gestion. Ainsi, l’expert n’a jamais soutenu que Mme [OB] était l’auteur du ‘détournement’ des sommes correspondantes.
Enfin, l’expert a indiqué en conclusion de son rapport, en page 60 :
‘En conclusion, au regard des points précédents, les sommes totales versées au profit de Mme [OB] et de sa famille avec des fonds provenant de l’entreprise SIB [I] s’élèvent à 701.686,99 euros. Ce montant se décompose comme suit, à savoir:
– prestations versées à Mme [OB] sans contrat : 174.000 euros,
– montant des prêts soldés sans justification : 239.085 euros,
– montant des chèques au profit de Mme [OB] : 11.600 euros,
– compte courant SCI Poirier non remboursé à la SIB : 148.242,17 euros
– remboursement assurance vie M. [I] : 128.759,82 euros
scooter sorti en 2010 à parfaire’.
Pour parvenir à cette affirmation, l’expert a considéré que Mme [OB] avait été destinataire du montant de tous les prêts soldés sans justification. Pourtant, dans le point 3 de ses mêmes conclusions, elle indiquait que ‘pour connaître le ou les destinataires de ces sommes, il conviendrait d’obtenir les relevés de compte de Mme [OB] sur ladite période’. En concluant ainsi, elle a admis que les bénéficiaires de ces prêts n’avaient pas été identifiés. Pourtant, elle a supposé qu’il s’agissait de Mme [OB], ce qu’elle n’a pas hésité à affirmer dans une conclusion chiffrée qui ne lui était pas demandée puisqu’elle ne correspondait à aucun point de la mission qui lui avait été confiée, qui a été précédemment rappelée.
En concluant comme elle l’a fait, Mme [L] a donc non seulement commis une erreur de raisonnement, mais elle a également statué au-delà de sa mission et a manqué d’objectivité.
Cependant, le fait pour un expert de donner son avis sur un point qui ne lui était pas demandé n’est pas sanctionné par la nullité de l’expertise.
Par ailleurs, en l’absence de tout autre élément, le manque d’objectivité dont est empreinte cette seule partie de la conclusion du rapport ne saurait suffire à caractériser la partialité générale invoquée par les intimées.
Enfin, il convient de rappeler que les juges apprécient souverainement la valeur probante et la portée du rapport d’expertise judiciaire qui leur est soumis.
En conséquence, il n’y a pas lieu d’annuler le rapport de Mme [L] au regard des moyens précédemment développés par les intimées.
En ce qui concerne le grief tenant à l’absence de prise en compte des explications et des pièces de Mme [OB] et de l’expert-comptable de la société SIB [I], Mme [Y], les intimées soutiennent que l’expert a refusé de tenir compte des explications de Mme [OB] et des pièces qu’elle avait produites attestant de la décision de [X] [I] de solder l’ensemble des comptes débiteurs et créditeurs divers, notamment ceux sur lesquels transitaient les opérations litigieuses relevées par l’expert, en les portant à son compte courant d’associé.
Néanmoins, il ressort de la lecture du pré-rapport que Mme [L] a bien pris en compte cette situation puisqu’elle a écrit en page 32 que : ‘Pour effacer purement et simplement ces prêts restant dus à la SIB, des écritures ont été comptabilisées permettant ainsi d’annuler les créances dues à la SIB par le débit du compte courant de M. [I]’.
Si cette situation, au demeurant peu banale et donc susceptible de générer des interrogations dans le contexte de ce dossier, a conduit l’expert à rencontrer l’expert-comptable, Mme [Y], postérieurement à l’envoi de son pré-rapport, cette dernière a adressé à l’expert un courrier et des pièces qui ont été annexés au rapport définitif en pièce 56.
En conséquence, le grief développé par les intimées sur ce point n’est pas non plus de nature à démontrer que l’expert aurait violé les obligations d’objectivité et d’impartialité auxquelles elle était soumise, ni qu’elle aurait exécuté sa mission en violation de l’article 276 du code de procédure civile.
Le jugement déféré sera dès lors confirmé en ce qu’il a débouté Mme [OB] et la SCI Poirier de leur demande d’annulation du rapport d’expertise judiciaire de Mme [L].
Sur les demandes formées à l’encontre de Mme [OB] au titre des fautes de gestion :
Aux termes de leurs conclusions, M. [F] [I], Mme [O] [I] et la SIB [I] sollicitent la condamnation de Mme [OB] à leur payer les sommes suivantes en réparation de fautes de gestion engageant sa responsabilité vis-à-vis de la SIB [I] :
– 250.000 euros au titre des prestations qu’elle a perçues sans contrat, en règlement de factures émises par son entreprise, [GO],
– 239.085 euros au titre de prêts soldés sans justification,
– 11.600 euros et 24.600 euros au titre de chèques émis par la SIB [I] à son profit et encaissés par elle alors qu’ils étaient fondés dans les écritures comptables sur de fausses factures dont le bénéficiaire était M. [F] [I].
Pour s’opposer à ces demandes, Mme [OB] soulève plusieurs causes d’irrecevabilité, qu’il conviendra d’examiner successivement, dans l’ordre où elle les présente :
– l’irrecevabilité de l’action sociale ut singuli engagée par M. [F] [I] et Mme [O] [I],
– la prescription de l’action,
– l’irrecevabilité de demandes formées au titre de fautes de gestion alors qu’elle n’avait pas la qualité de gérante,
– l’irrecevabilité de demandes formées à son encontre alors qu’elle n’était pas bénéficiaire des sommes versées par la SIB [I].
Sur l’irrecevabilité des demandes présentées par M. [F] [I] et Mme [O] [I] à l’encontre de Mme [OB] au titre des fautes de gestion :
L’article L.223-22 du code de commerce dispose que les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
Ce texte dispose qu’outre l’action en réparation du préjudice qu’ils ont subi personnellement, les associés peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.
Ainsi que le rappellent les intimées, l’action sociale ut singuli, exercée par les associés pour le compte de la société, est traditionnellement considérée comme une action subsidiaire par rapport à l’action sociale ut universi, exercée par la société elle-même en réparation de son préjudice.
Si des décisions récentes ont semblé assouplir ce caractère subsidiaire (notamment Crim. 16 déc. 2009, pourvoi n° 08-88.305 et Com. 7 septembre 2017, pourvoi n° 15-28.835), tel n’est le cas que lorsque l’action sociale ut singuli était antérieure à l’action sociale ut universi, ou lorsque l’action sociale ut singuli était destinée à obtenir l’indemnisation d’un préjudice qui n’était pas invoqué par la société dans le cadre de son action ut universi.
Or force est de constater que, dans le cas présent, M. [F] [I] et Mme [O] [I] ont agi pour le compte de la société en même temps que cette dernière, afin de solliciter l’indemnisation du même préjudice que celui qu’elle invoquait, puisque leur action et leurs conclusions étaient communes.
Dès lors, il est établi que les intimés ne disposaient d’aucun intérêt à agir en réparation d’un préjudice dont la société elle-même sollicitait déjà la réparation.
En conséquence, la cour ne peut que constater l’irrecevabilité de l’action sociale ut singuli qu’ils ont engagée parallèlement à l’action sociale ut universi diligentée par la SIB [I].
Sur l’irrecevabilité des demandes formées à l’encontre de Mme [OB] au titre des fautes de gestion pour cause de prescription :
Conformément aux dispositions de l’article L.223-23 du code de commerce, les actions en responsabilité pour faute de gestion engagées à l’encontre du gérant, prévues aux articles L.223-19 et L. 223-22, se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation.
En l’espèce, pour faire droit au moyen de Mme [OB] tiré de la prescription de l’action formée à son encontre, les premiers juges ont retenu que les faits qui lui étaient reprochés avaient eu lieu principalement entre 2010 et 2011 et qu’ils n’avaient pas été dissimulés.
Ils ont par ailleurs relevé que les héritiers de [X] [I] avaient eu vocation à exercer leurs droits dans la SIB [I] dès le décès de leur auteur, survenu le 23 février 2011, mais qu’ils n’avaient rien fait avant 2014.
Ils ont en conséquence retenu que le point de départ du délai triennal devait être fixé à la date de chaque fait, et non à la date du dépôt du rapport d’expertise de Mme [L], et que seules les demandes formées au titre de la rémunération perçue par Mme [OB] du 12 janvier 2014 au 30 juin 2015 n’étaient pas prescrites.
Pour cela, ils ont rappelé que la prescription avait été suspendue du 22 janvier 2016, date de la première ordonnance de référé, au 18 juin 2018, date du dépôt du rapport d’expertise, conformément à l’article 2239 du code civil, qui dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
Les appelants contestent cette analyse en indiquant :
– qu’ils n’ont été en mesure d’exercer leurs droits d’associés que lorsque l’acte de notoriété après décès a été établi, les 4 et 5 octobre 2013,
-qu’avant cela, aucune assemblée générale ne pouvait être convoquée, faute de mandataire unique chargé de représenter les héritiers,
– qu’ils n’ont pris connaissance de la gestion douteuse de la société durant les exercices sociaux 2010 à 2013 que lors de l’assemblée générale qui s’est tenue le 1er octobre 2014,
– que l’assignation en référé du 08 avril 2015, qui a abouti à la désignation de l’expert judiciaire le 22 janvier 2016, a interrompu la prescription conformément à l’article 2241 du code civil,
– que Mme [OB] a voulu dissimuler sa gestion en s’opposant à l’expertise et en interjetant appel de l’ordonnance fixant la mission de l’expert,
– qu’elle avait déjà commencé à la dissimuler en refusant de répondre à la sommation qu’ils lui avaient délivrée le 02 octobre 2012 afin de convoquer une assemblée générale destinée à statuer sur les comptes de l’année 2011 et de leur remettre les bilans des exercices 2010 et 2011, ainsi que le procès-verbal de l’assemblée générale statuant sur les comptes de l’année 2010,
– que, compte tenu de la suspension du délai de prescription intervenue du 22 janvier 2016, date de l’ordonnance désignant l’expert, au 18 juin 2018, date de dépôt du rapport, la prescription n’était pas acquise à la date de délivrance de l’assignation au fond, le 12 juin 2019.
Ils s’opposent à l’argumentation de Mme [OB] qui soutient qu’en l’absence de dissimulation des actes contestés, le délai de prescription de trois ans a commencé à courir à compter de la date de chaque acte, considérant pour leur part qu’ils n’ont pu avoir connaissance des irrégularités que lors du dépôt du rapport d’expertise en juin 2018.
Par ailleurs, ils soutiennent que, conformément à l’article 2224 du code civil, le point de départ de la prescription des actions en responsabilité est fixé à la date à laquelle son titulaire connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, ce qui implique qu’il ait non seulement connaissance du fait générateur, mais également du préjudice en résultant, qui ne peut pas être simplement hypothétique. Or les demandeurs à l’action affirment qu’ils n’ont eu connaissance de tous les éléments nécessaires à l’exercice de l’action en responsabilité qu’à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire.
Enfin, ils indiquent que le délai de prescription est de cinq ans en présence d’une gérance de fait. Ils ne développent cependant pas ce moyen et n’en tirent aucune conséquence, de sorte que la cour, qui n’a relevé aucun élément permettant de penser que Mme [OB] aurait pu être gérante de fait de la SIB [I] avant sa nomination de gérante le 25 novembre 2010, ne pourra que l’écarter.
A titre liminaire, il convient de rappeler que suite au moyen précédemment développé par Mme [OB], M. [F] [I] et Mme [O] [I] ont été déclarés irrecevables à exercer l’action sociale ut singuli, pour défaut d’intérêt à agir. Il n’y a donc pas lieu de s’interroger sur la prescription de leur action à ce titre.
En ce qui concerne l’action sociale ut universi, il convient de rappeler qu’elle est exercée par Mme [NO], qui est devenue gérante suite à la révocation de Mme [OB] de ses fonctions le 30 juin 2015, mais qui était précédemment associée depuis 2004.
La recevabilité de cette action doit être appréciée au regard de chacune des fautes de gestion alléguées fondant les demandes de condamnation formées à l’encontre de Mme [OB], afin de déterminer le point de départ du délai de prescription en tenant compte d’une éventuelle dissimulation des faits.
En ce qui concerne les prestations perçues par Mme [OB] sans contrat, la SIB [I] sollicite la condamnation de Mme [OB] au paiement de la somme de 250.000 euros correspondant selon elle aux règlements perçus par cette dernière, via son entreprise [GO], sans contrat préalable, pour des montants de 2.000 euros par mois avant le décès de [X] [I], puis de 4.000 euros par mois.
Cette demande couvre la période du 1er janvier 2010 au 30 juin 2015, ainsi que cela ressort des écritures des appelants.
Il convient pourtant de rappeler que Mme [OB] n’est devenue co-gérante que le 25 novembre 2010 et qu’aucune faute de gestion ne peut donc lui être reprochée pour la période antérieure, étant précisé, ainsi que cela a été précédemment indiqué, qu’aucun élément ne permet de retenir qu’elle aurait été gérante de fait.
En tout état de cause, les règlements opérés au titre des prestations sans contrat n’ont jamais été dissimulés puisqu’ils figuraient dans les documents comptables établis de manière régulière pour les exercices 2010 à 2013 et examinés par l’expert judiciaire.
La société était donc en mesure, dès chacun des versements, d’apprécier le préjudice qu’elle pouvait subir du fait de ces agissements et, contrairement à ce que soutiennent les appelants, elle n’avait pas à attendre le dépôt du rapport d’expertise pour constater l’existence des faits ou pour que son préjudice soit déterminable.
Dans ces conditions, le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité ut universi doit être fixé à la date de chaque versement.
La prescription a été interrompue par les conclusions prises par la SIB [I] le 16 octobre 2015 afin de s’associer à la demande d’expertise judiciaire formée en référé par [F] [I], [O] [I] et leur mère, ainsi qu’en atteste l’ordonnance de référé du 22 janvier 2016 ordonnant cette mesure. Par ailleurs, l’interruption a produit ses effets, en vertu de l’article 2242 du code civil, jusqu’à l’extinction de l’instance qui a abouti à la décision ordonnant l’expertise.
En outre, contrairement à ce que soutiennent les intimées, la prescription a également été suspendue, conformément à l’article 2239 précité, de la date de cette ordonnance jusqu’au 18 juin 2018, date du dépôt du rapport d’expertise.
En conséquence, l’action sociale ut universi engagée par Mme [NO] ès qualités de gérante de la SIB [I] par acte du 12 juin 2019 est prescrite pour la période antérieure au 16 octobre 2012 et recevable pour la période postérieure. Le jugement sera réformé en ce sens.
En ce qui concerne le remboursement des prêts soldés sans justification, les intimées rappellent, à juste titre, que ce remboursement est intervenu à la demande de [X] [I] qui, aux termes de deux courriers du 20 novembre 2010, avait demandé à l’expert-comptable de la SIB [I] de solder l’ensemble des comptes qui correspondaient à des prêts non soldés pour un total de 235.085 euros, en les compensant avec son propre compte courant créditeur.
Il ressort du courrier adressé par l’expert-comptable de la société SIB [I] à l’expert judiciaire le 26 mars 2018, joint en annexe de son rapport, que ce professionnel s’est assuré de la volonté de [X] [I] en le rencontrant et en lui faisant signer les documents afférents à cette opération. L’expert-comptable a d’ailleurs précisé que Mme [NO] était présente en qualité de témoin lorsque [X] [I] avait signé son compte courant, la balance et le compte de résultat arrêtés au 31 octobre 2010, et qu’elle n’a rien dit à ce moment-là.
En conséquence, outre le fait que cet acte de gestion a été fait par [X] [I], et non par Mme [OB], le point de départ de l’action en responsabilité ut universi consécutive à ce remboursement de prêts, qui n’a jamais été dissimulé, doit être fixé au 20 novembre 2010. Le délai de prescription de trois ans, qui a commencé à courir à cette date, était donc expiré lorsque la société SIB [I] s’est constituée dans le cadre de l’instance en référé destinée à obtenir la désignation d’un expert judiciaire et, a fortiori, lors de la délivrance de l’assignation au fond.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré l’action prescrite à ce titre.
En ce qui concerne les chèques émis du 21 février 2010 au 30 janvier 2011, l’expert judiciaire a relevé que plusieurs chèques avaient été émis par la SIB [I] en règlement de factures établies par Mme [GX] et par M. [F] [I], contestées par ces derniers, et encaissés par Mme [OB] pour un total de 11.600 euros. Elle a également constaté que plusieurs chèques émis en règlement de ces factures n’avaient pas été débités, pour un total de 24.600 euros.
Les appelants sollicitent la condamnation de Mme [OB] au paiement de la somme de 36.200 euros à ce titre en indiquant qu’elle a organisé une fraude en émettant de fausses factures et en bénéficiant de chèques émis à son profit.
En réponse, les appelants font valoir que l’existence de fausses factures qui remontaient aux exercices 2007 à 2009 était connue de M. [F] [I] et de Mme [NO] qui s’étaient rendus à deux reprises au cabinet de Mme [Y], expert-comptable, pour évoquer ce problème avec elle.
Cependant, ce moyen est inopérant dès lors que l’action en responsabilité dont est saisie la cour n’est pas une action ut singuli formée par M. [F] [I] ou par Mme [NO], mais une action ut universi formée par la société simplement représentée par Mme [NO].
A la lecture du rapport d’expertise, qui s’avère peu clair sur ce point, il n’est pas possible de soutenir sérieusement que la personne morale aurait pu avoir connaissance des faits constitutifs d’une éventuelle fraude avant le 18 juin 2018.
En conséquence, il convient d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré prescrite la demande formée au titre des chèques encaissés par Mme [OB].
Sur l’irrecevabilité des demandes formées à l’encontre de Mme [OB] au titre de fautes de gestion pour une période où elle n’était pas gérante:
Mme [OB] soutient que les demandes formées à son encontre sur le fondement de prétendes fautes de gestion sont irrecevables en ce qui concerne les faits antérieurs à sa nomination en qualité de gérante, le 25 novembre 2010.
Compte tenu des prescriptions précédemment retenues, ce moyen est devenu sans objet en ce qui concerne les prestations sans contrat antérieures au 25 novembre 2010 et le remboursement des prêts.
En ce qui concerne les chèques émis par la société SIB [I] et prétendument encaissés par Mme [OB], une analyse au fond s’impose dans la mesure où l’expert indique, d’une part, que certains chèques ont été émis postérieurement à sa désignation en qualité de gérante et, d’autre part, que certains chèques annulés en règlement de fausses factures remontant à une période antérieure à sa nomination de gérante ont été repassés début 2011, à une période où elle était devenue gérante.
Ce moyen d’irrecevabilité sera donc écarté.
Sur l’irrecevabilité des demandes formées à l’encontre de Mme [OB] au titre de fautes de gestion, à défaut pour elle d’avoir été bénéficiaire des règlements :
Mme [OB] soutient à ce titre qu’elle n’a pas été bénéficiaire de la somme de 239.085 euros au titre du remboursement des prêts soldés sans justification.
Cependant, pour les motifs précédemment indiqués, ce moyen est devenu sans objet.
Sur le bien fondé des demandes formées à l’encontre de Mme [OB] :
En ce qui concerne les versements perçus par Mme [OB] sans contrat :
L’expert judiciaire était chargé d’examiner les relations et les règlements entre la SIB [I] et l’entreprise en nom personnel [GO] de Mme [OB], la raison, le contrat éventuel, les missions et les règlements.
Au terme de ses opérations d’expertise, Mme [L] a indiqué :
– qu’il n’y avait pas eu de convention conclue entre la SIB [I] et l’entreprise [GO], mais des paiements réguliers de 2.000 euros par mois avant le décès de [X] [I] et de 4.000 euros par mois postérieurement,
– que le total des prestations servies à Mme [OB], sans qu’elle ait pu vérifier la réalité des prestations réalisées, en l’absence de contrat, s’élevait à 174.000 euros.
Compte tenu de la prescription précédemment retenue, la cour n’est tenue d’examiner l’existence d’une éventuelle faute de gestion qu’à compter du 16 octobre 2012, jusqu’au 30 juin 2015.
Au soutien de sa demande de condamnation de Mme [OB] au remboursement des sommes perçues à ce titre, la SIB [I] fait valoir que Mme [OB] a enfreint la règle des conventions réglementées et qu’aucun contrat ne lui permettait de se faire rémunérer personnellement à travers son entreprise individuelle. Elle soutient qu’en percevant la somme de 4.000 euros par mois à compter du décès de [X] [I], Mme [OB] a commis un abus de biens sociaux caractérisé.
Conformément aux dispositions de l’article L.223-19 du code de commerce, le gérant ou, s’il en existe un, le commissaire aux comptes, présente à l’assemblée ou joint aux documents communiqués aux associés en cas de consultation écrite, un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l’un de ses gérants ou associés. Toutefois, s’il n’existe pas de commissaire aux comptes, les conventions conclues par un gérant non associé sont soumises à l’approbation préalable de l’assemblée.
Cependant, ce texte précise que les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s’il y a lieu, pour l’associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.
En l’espèce, il est établi que l’activité de l’entreprise [GO], créée en 2003, était la réalisation de travaux administratifs.
Il est également établi que l’entreprise [GO] a facturé des prestations à la SIB [I] chaque mois bien avant que Mme [OB] ne soit nommée gérante. Cette pratique avait donc été instaurée par [X] [I] et approuvée lors des assemblées générales annuelles qui lui ont donné quitus de sa gérance jusqu’au 30 juin 2010.
Ainsi, la pratique antérieure s’étant simplement poursuivie à compter de la nomination de Mme [OB] en qualité de gérante, il n’y a pas lieu de lui reprocher de ne pas avoir fait approuver ces relations commerciales par l’assemblée générale puisque seule la conclusion de conventions par un gérant non associé est soumise à cette approbation préalable.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les appelants, il est établi que Mme [OB] a réalisé des prestations effectives au profit de la société SIB [I] et que les règlements dont elle a bénéficié n’étaient donc pas dépourvus de cause.
Les factures émises par Mme [OB] postérieurement à sa nomination de gérante, produites notamment en pièces 57 et 57 a de son dossier, indiquent que la facturation concernait des prestations de service forfaitaire dans le cadre de la maîtrise d’oeuvre confiée à la SIB [I], ce forfait comprenant, notamment, l’établissement des appels d’offres, l’établissement des pièces administratives des DCE, le suivi administratif des chantiers, le suivi des situations des entreprises, la rédaction de documents et la participation aux réunions, au suivi des opérations et l’assistance du maître d’ouvrage.
Il ressort des attestations versées aux débats par Mme [OB] qu’elle a assuré de manière effective les missions facturées par la [GO] à la SIB [I].
M. [WJ] [V], responsable du service technique à la mairie de [Localité 11] a ainsi attesté qu’il avait eu Mme [OB] comme interlocutrice à la SIB [I] après le décès de M. [I] pour la gestion et le suivi administratif des affaires pour lesquelles cette société avait été retenue comme maître d’oeuvre (pièce 2a jointe au dire de Mme [OB] du 23 février 2017 produit en pièce 67 de son dossier).
M. [U] [J], chef de projet d’aménagement au Grand Port [9] a attesté également dans ce sens, tout comme M. [C] [S], président de l’OGEC AEP Notre Dame de Grâce, M. [N] [T], chargé d’opération de maintenance patrimoine au Grand Port [9], Mme [R] [B], gérante de la SARL Jean-Yves [B] BTP et Mme [E] [M], propriétaire d’une villa à [Localité 10] dont la gestion et le suivi administratif du dossier avaient été confiés à la SIB [I] (pièces 2b à 2f jointes au dire précité).
La réalité de ces prestations est confirmée par le fait que l’activité de la SIB [I] s’est poursuivie malgré le décès de [X] [I], alors notamment que le fils de ce dernier avait fait le choix de ne pas s’investir dans cette société.
Si, dans son rapport de gérance sur les opérations de l’exercice clos le 31 décembre 2013, Mme [OB] a pu préconiser une dissolution amiable de la société en l’absence de signature de contrats susceptibles de générer un chiffre d’affaires récurrent sur l’année 2014, les chiffres de l’exercice 2013 montraient encore des produits d’exploitation à hauteur de 201.000 euros et un déficit d’exploitation limité à 23.424 euros.
En conséquence, les appelants échouent à démontrer que l’entreprise de Mme [OB] aurait perçu des prestations indues et qu’elle aurait commis la moindre faute en poursuivant la relation commerciale qui unissait son entreprise personnelle à la SIB [I] et qui avait été instaurée par l’ancien gérant.
Par ailleurs, la SIB [I] ne peut se prévaloir d’aucun préjudice, d’une part car les prestations réglées avaient bien pour contrepartie la réalisation d’un travail effectif, et d’autre part car ce mode de relations évitait à la société d’avoir à s’acquitter des charges qu’elle aurait dû régler si Mme [OB] avait été salariée, alors qu’à l’évidence, le fait qu’elle travaillait pour un donneur d’ordre unique aurait pu justifier une telle requalification de la relation entre les parties.
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la SIB [I] de son action à l’encontre de Mme [OB] au titre de ces prestations.
En ce qui concerne la demande formée au titre des chèques émis par la SIB [I] :
L’expert judiciaire était chargé de vérifier la nature et l’objet des chèques BRED émis du 21 février 2010 au 30 janvier 2011.
En réponse à ce chef de mission, Mme [L] a listé dans son rapport 10 chèques émis entre le 21 février 2010 et le 29 décembre 2010 pour un montant total de 34.650 euros, au sujet desquels elle a indiqué : ‘Ces chèques sont des règlements de factures à M. [F] [I] ou à Mme [GX], qui contestent avoir bénéficié de ces remises de chèques. Après analyse des pièces présentées, il est établi que les règlements sont faits au profit de Mme [OB]’.
Pourtant, elle a dans le même temps listé plusieurs chèques pour un montant total de 24.600 euros, dont certains figurant dans la liste des dix chèques susvisés, qui avaient certes été émis entre le 21 février 2010 et le 30 janvier 2011 mais qui n’avaient jamais été débités sur la période de contrôle, de 2010 à 2013.
L’expert a poursuivi en indiquant qu’au cours de l’exercice 2010 six chèques, dont elle a précisé les numéros et les montants, avaient été libellés au bénéfice de M. [F] [I] mais qu’ils n’avaient pas été débités ou qu’ils avaient été annulés. Elle a précisé que ces mêmes montants avaient été repassés en janvier 2011 et débités des comptes en tant que charges exceptionnelles. Elle a indiqué que ces chèques avaient tous été libellés au nom de [F] [I].
En conclusion, elle a déclaré que du 21 février 2010 au 30 janvier 2011, le total des fonds en provenance de la SIB [I] qui avaient été encaissés au moyen des chèques libellés à l’ordre de Mme [OB] s’élevait à 11.600 euros, et que le juge devrait apprécier s’il convenait ou non de retenir la somme totale de 24.600 euros correspondant à des chèques émis sur cette période.
Au regard de ces conclusions, les appelants soutiennent que Mme [OB] aurait organisé une fraude dans son intérêt personnel en émettant de fausses factures et des chèques à son profit.
Ils indiquent notamment que les chèques pour un montant de 24.600 euros doivent être retenus comme étant des faux et usage de faux puisque les factures et les écritures comptables établissent que le bénéficiaire était M. [F] [I] alors que le règlement était fait par chèques à l’ordre de Mme [OB].
Cependant, il convient de relever que les chèques pour un montant total de 24.600 euros ont certes été émis, mais qu’ils n’ont pas été encaissés. En conséquence, sans qu’il y ait lieu de se prononcer plus avant sur leur régularité, la SIB [I] ne peut se prévaloir d’aucun préjudice susceptible d’être indemnisé dans le cadre d’une action en responsabilité à l’encontre de sa gérante nommée le 25 novembre 2010.
Pour le surplus, l’examen du rapport d’expertise et des annexes 20 à 23 auxquelles il se réfère, ne permet pas de comprendre comment l’expert a pu affirmer que les dix chèques qui selon elle auraient bénéficié à Mme [OB] auraient été émis en règlement de factures à M. [F] [I].
Par ailleurs, si les factures établies par M. [F] [I] et par l’agence Anne [GX] figurent bien en annexes 20 et 21, aucun élément ne permet de démontrer qu’il s’agirait de faux, ce point ne ressortant que des affirmations des consorts [I]. En tout état de cause, ces factures étant toutes datées de 2009 et ayant été comptabilisées en 2009, alors que Mme [OB] n’était pas gérante, aucun élément ne permet de retenir qu’elle serait à l’origine de ces fausses factures.
Les appelants ne sauraient donc être suivis lorsqu’ils soutiennent que Mme [OB] aurait commis une fraude.
En tout état de cause, il est parfaitement démontré que les chèques repassés en janvier 2011, prétendument en règlement des factures émises par M. [F] [I], ont en réalité été émis à l’ordre de [X] [I] et encaissés sur son compte personnel en janvier 2011, ainsi qu’en attestent les bordereaux de remises de chèques produits en annexe 10g du dire récapitulatif de Mme [OB] en date du 23 février 2018, produit en pièce 71 de son dossier. A défaut de toute preuve contraire, cette dernière est donc parfaitement étrangère à ces encaissements de chèques et ne saurait être accusée d’usage de faux.
Par ailleurs, l’examen des dix chèques qui, selon l’expert, correspondraient à des règlements faits au profit de Mme [OB] permet de constater :
– que les chèques 8036253, 8031409 et 8031433 ont été émis à l’ordre du Trésor Public, et non de Mme [OB], les pièces du dossier permettant en outre de prouver que le chèque n°8031433 a été émis pour régler les impôts personnels de [X] [I],
– que les chèques numérotés 8126112, 8126098 et 8126099 ont été annulés en comptabilité alors qu’ils avaient été émis pour le règlement d’impôts,
– que les chèques numérotés 8073879, 8456771 et 8036257 ont été certes émis mais n’ont jamais été débités,
– que seul le chèque n°8126094 d’un montant de 4.500 euros pourrait avoir finalement bénéficié à Mme [OB].
Cependant, outre le fait que la copie de ce chèque ne figure pas dans l’expertise, ce qui ne permet pas de vérifier son bénéficiaire, force est de constater qu’il a été émis le 30 octobre 2010, alors que non seulement Mme [OB] n’était pas gérante, mais qu’elle n’avait pas non plus la signature sur le compte de la BRED, puisqu’elle prouve par la production d’une attestation de cette banque qu’elle ne l’a eue que le 23 février 2011.
Dans ces conditions, si une faute de gestion a pu être commise, elle n’a pu l’être que par [X] [I], mais pas par Mme [OB].
En ce qui concerne les autres chèques, outre l’absence de préjudice lié à l’annulation ou à l’absence d’encaissement de la majorité d’entre eux, les seuls chèques encaissés ont été émis à l’ordre du Trésor Public par [X] [I] le 21 mai 2010, le 30 juillet 2010 et le 20 octobre 2010, alors que Mme [OB] n’était pas gérante.
Par ailleurs, aucun élément ne permet de démontrer que les chèques numérotés 8036253 et 8031409 auraient servi au paiement d’impôts dus par Mme [OB].
En conséquence, la SIB [I] échouant à rapporter la preuve tant d’une faute de gestion imputable à Mme [OB] que d’un préjudice indemnisable au titre des chèques précités, il convient de la débouter de sa demande indemnitaire à ce titre.
Sur les demandes formées à l’encontre de la SCI Poirier :
La société SIB [I] et Mme [OB] ont constitué ensemble en 2008 une société civile immobilière Poirier, la première détenant 10 parts et la seconde 190. Il n’est pas contesté que cette société ait acquis un bien immobilier et que l’opération ait été financée par le recours à un emprunt.
Il est établi, et non contesté, que la SIB [I], à compter de 2008, a réglé les échéances du prêt souscrit par la SCI Poirier.
Le 20 décembre 2010, la SIB [I] a cédé ses parts dans la SCI Poirier à Mme [P].
Dans le cadre de ses opérations, Mme [L] a indiqué que lors de la cession des parts sociales, la somme de 148.242,17 euros aurait dû être réglée à la SIB [I] en remboursement de son compte courant, ce qui n’avait pas été fait.
Les versements opérés postérieurement à cette cession pour un montant total de 25.320,51 euros n’ont pas été pris en compte puisqu’ils ont donné lieu à un remboursement intervenu le 19 décembre 2011 (pièce 3a jointe au dire de Mme [OB] du 23 février 2017 produit en pièce 67 de son dossier).
L’expertise a également mis en évidence que [X] [I] avait nanti un contrat d’assurance-vie en garantie du prêt de 350.000 euros souscrit par la SCI Poirier.
Suite au décès de [X] [I], la banque LCL a réglé à ce titre la somme de 128.691,33 euros ‘correspondant au montant de la créance restant due par M. [X] [I] au moment de son décès’ (annexe 27 bis).
Dans son rapport, Mme [L] a estimé que cette garantie aurait dû être levée au moment de la cession de parts sociales, ‘M. [I] n’étant plus associé dans la SCI’ et que le montant de la prévoyance aurait dû être versé au profit des héritiers de ce dernier et non de la SCI Poirier.
Aux termes de leurs conclusions, les appelants demandent donc à la cour de condamner la SCI Poirier, à payer les sommes suivantes :
– 148.242,17 euros à la SIB [I] en remboursement de son compte courant,
– 128.759,82 euros’aux héritiers de M. [X] [I]’ au titre du remboursement du contrat de prévoyance.
Pour s’opposer à ces demandes, la SCI Poirier soutient :
– que la demande de la SIB [I] au titre du remboursement de son compte courant est prescrite au regard de l’article 2224 du code civil, et en tout cas mal fondée,
– que la demande des consorts [I] est irrecevable puisqu’ils n’ont pas qualité pour agir en remboursement d’une somme dont ils n’étaient pas créanciers.
Sur la prescription de la demande formée par la SIB [I] à l’encontre de la SCI Poirier au titre du remboursement de son compte courant :
Pour conclure à la prescription de l’action en remboursement de la somme de 148.242,17 euros, la SCI Poirier indique, sans être contredite, que [X] [I] avait demandé par courrier du 20 novembre 2010 à son expert-comptable de solder tous les comptes débiteurs de la société SIB [I] par compensation avec son compte courant d’associé, y compris donc la créance détenue à l’égard de la SCI Poirier au titre du règlement du prêt de 2008.
En conséquence, elle soutient que le délai de prescription quinquennale prévu par l’article 2224 a commencé à courir dès cette date et avait expiré à la date d’introduction de l’instance, le 12 juin 2019.
En réponse, la SCI [I] indique que ce délai de prescription n’a pu courir qu’à compter du dépôt du rapport d’expertise et des conclusions de l’expert qui avait recueilli les observations de Mme [Y], expert-comptable, le 26 mars 2018. Elle poursuit en indiquant que Mme [NO] n’était pas gérante de la SIB [I] à la date du 20 novembre 2010.
Néanmoins, le règlement des échéances du prêt de la SCI Poirier ayant été décidé dès 2008 par le gérant de la SIB [I], qui ne l’a pas dissimulé, la société a toujours été parfaitement en mesure de connaître le montant de sa créance à ce titre. Sans tenir compte à ce stade d’un éventuel remboursement de la créance dès le 20 novembre 2010, la SIB [I] était donc en mesure d’agir en remboursement de son compte courant dans la SCI Poirier au plus tard à la date de la cession des parts sociales intervenue le 20 décembre 2010.
Le point de départ du délai de prescription doit donc être fixé à cette date, et non à la date du dépôt du rapport d’expertise. Ce délai de prescription de l’action en paiement n’a par ailleurs pas été interrompu par les conclusions prises par la SIB [I] le 16 octobre 2015 puisque la SCI Poirier n’avait pas été appelée en cause dans l’instance de référé ayant abouti à la désignation de l’expert judiciaire, ainsi qu’en atteste l’ordonnance de référé du 22 janvier 2016 ordonnant cette mesure.
Dans ces conditions, la prescription était acquise dès le 20 décembre 2015 et l’action en remboursement était prescrite à la date de l’assignation délivrée à la SCI Poirier le 12 juin 2019.
Sur l’irrecevabilité de la demande des consorts [I] formée au titre du remboursement du contrat de prévoyance :
Pour conclure à l’irrecevabilité de la demande des consorts [I] à ce titre, la SCI Poirier soutient qu’ils n’ont pas qualité pour agir puisqu’ils n’étaient pas créanciers de la somme de 128.759,82 euros.
Les consorts [I] ne répondent pas à ce moyen mais simplement à l’exception d’incompétence qui avait été soulevée en première instance par la SCI Poirier et qui, après avoir été rejetée, n’a pas été déférée à la cour en l’absence d’appel sur ce point.
L’examen du contrat de nantissement de l’assurance-vie Lionvie Rouge Corinthe souscrit auprès de la banque LCL permet de constater que [X] [I] s’était engagé à modifier les clauses bénéficiaires de la façon suivante :
– en cas de vie, le bénéficiaire devait être la Banque française commerciale Antilles- Guyane à hauteur de 120.000 euros pour toutes les sommes susceptibles de lui être dues au titre de ce prêt,
– en cas de décès, le bénéficiaire devait être la même banque dans les mêmes conditions et, pour le solde éventuel, Mme [OB], Mme [O] [I] et M. [F] [I] (annexe 27 du rapport d’expertise).
Par courrier du 9 mars 2012 adressé à la Banque française commerciale Antilles- Guyane, la banque LCL a indiqué : ‘Suite au décès de M. [X] [I] survenu le 23 février 2011, nous procédons, conformément à la clause bénéficiaire, au règlement relatif à son contrat Lionvie Rouge Corinthe Série 2 […] Ce contrat ayant fait l’objet d’un apport en garantie à votre profit, nous vous réglons dans la limite du capital décès la somme de 128.691,33 euros correspondant au montant de la créance restant due par M. [X] [I] au moment de son décès’ (annexe 27 bis du rapport d’expertise).
Par courrier du 18 septembre 2012, la Banque française commerciale Antilles- Guyane a écrit au notaire chargé de la succession de [X] [I] : ‘Nous vous confirmons avoir reçu en date du 02 août 2012 un virement de Predica en faveur de la SCI Poirier d’un montant de 128.759,82 euros’.
Contrairement à ce qu’a retenu de manière totalement erronée l’expert judiciaire, le nantissement consenti par [X] [I] n’avait aucune raison d’être levé à la date de la cession des parts de la SCI Poirier par la SIB [I] à Mme [P], puisque cette garantie avait été donnée par M. [I] à titre personnel.
Par ailleurs, le contrat précisait bien qu’en cas de décès le bénéficiaire de l’assurance-vie serait la Banque française commerciale Antilles- Guyane et, seulement en cas de solde éventuel, ses héritiers.
Au décès de [X] [I], la banque LCL (Predica) a donc versé le capital-décès à la Banque française commerciale Antilles- Guyane à hauteur de 128.759,82 euros, conformément au contrat de nantissement, afin de procéder au remboursement du prêt souscrit par la SCI Poirier.
Dès lors, il est parfaitement établi que M. [F] [I] et Mme [O] [I] n’ont aucune qualité pour agir à l’encontre de la SCI Poirier afin de solliciter le remboursement d’une somme dont ils n’ont jamais été créanciers.
Leur action à ce titre sera donc déclarée irrecevable et le jugement déféré sera réformé en ce sens.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I], qui succombent à l’instance d’appel, seront condamnés in solidum aux entiers dépens de cette instance.
Ils seront également condamnés in solidum à payer la somme de 5.000 euros à Mme [OB] et celle de 5.000 euros à la SCI Poirier sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel par ces dernières, et déboutés de leurs propres demandes à ce titre.
Enfin, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il les a condamnés aux entiers dépens de première instance, comprenant le coût de l’expertise judiciaire de Mme [L].
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l’appel interjeté par la SARL SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I],
Dans les limites de l’appel principal et de l’appel incident :
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– débouté Mme [Z] [OB] et la SCI Poirier de leur demande d’annulation du rapport d’expertise,
– déclaré irrecevable l’action formée à l’encontre de Mme [Z] [OB] en remboursement de la somme de 239.085 euros au titre des prêts soldés sans justification,
– condamné la SARL SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] aux entiers dépens de l’instance comprenant le coût de l’expertise,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau :
Déclare M. [F] [I] et Mme [O] [I] irrecevables en leurs demandes de condamnation formées à l’encontre de Mme [Z] [OB] pour le compte de la SARL SIB [I] dans le cadre de l’action sociale ut singuli,
Déclare irrecevable l’action de la s SARL SIB [I] à l’encontre de Mme [Z] [OB] au titre des prestations perçues sans contrat pour la période antérieure au 16 octobre 2012,
Déclare irrecevable l’action de la SARL SIB [I] à l’encontre de la SCI Poirier en remboursement de la somme de 148.242,17 euros au titre de son compte courant,
Déclare irrecevable l’action de M. [F] [I] et de Mme [O] [I] à l’encontre de la SCI Poirier en remboursement de la somme de 128.759,82 euros au titre du contrat de prévoyance,
Déboute Mme [Z] [OB] et la SCI Poirier du surplus de leurs fins de non recevoir,
Déboute la SARL SIB [I] de sa demande de remboursement des prestations perçues sans contrat par Mme [Z] [OB] pour la période postérieure au 16 octobre 2012,
Déboute la SARL SIB [I] de sa demande à l’encontre de Mme [Z] [OB] au titre des chèques pour un montant total de 36.200 euros,
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SARL SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] à payer à Mme [Z] [OB] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la SARL SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] à payer à la SCI Poirier la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SARL SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] de leur propre demande à ce titre,
Condamne in solidum la SARL SIB [I], M. [F] [I] et Mme [O] [I] aux entiers dépens de l’instance d’appel.
Et ont signé,
La greffière Le président