13 juin 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/02923
3ème Chambre Commerciale
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°.
N° RG 21/02923 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RT4C
S.A.R.L. ARDEL
C/
S.A.R.L. CAPELIS
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Gwendal BIHAN
Me Arnaud PERICARD
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Morgane LIZEE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Avril 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.R.L. ARDEL, immatriculée au RCS de SAINT-MALO sous le n°444 447 858, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Gwendal BIHAN de la SELARL ARVOR AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES
INTIMEES :
S.A.R.L. CAPELIS, immatriculée au RCS de NANTES sous le n°797 447 919, représentée par son Gérant domicilié audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Arnaud PERICARD de la SELARL PECH DE LACLAUSE, BATHMANABANE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Maximilien MATTEOLI, avocat au barreau de PARIS
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, immatriculée au RCS du MANS sous le n°775 652 126, représentée par son Directeur général domicilié audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Arnaud PERICARD de la SELARL PECH DE LACLAUSE, BATHMANABANE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Maximilien MATTEOLI, avocat au barreau de PARIS
Exposé du litige
FAITS ET PROCEDURE :
La société Capelis, exerce les activités de conseiller en investissements financiers (CIF), d’intermédiaire en assurance et de courtier en opérations de banque et services de paiement.
Elle est assurée pour cette activité par la société MMA IARD Assurances Mutuelles, (la société MMA).
Courant octobre 2015, la société Capelis a proposé un investissement à la société Ardel, dont M. [G] est le gérant.
Il s’agissait d’une offre de placement à court terme proposé par le groupe Maranatha 3, pour un placement avec remboursement de 104,5 % du nominal investi au bout de six mois, soit un rendement de 4,5 % sur 6 mois (9% l’an).
Le 2 novembre 2015, la société Ardel a signé un bulletin de souscription, une convention de compte courant, un mandat de recherche et une notice d’information intitulée ‘Promesse’.
Le montant du placement était de 1.000.000 euros réparti :
– pour 200.000 euros au titre de l’achat de 200.000 actions de la société Hôtelière CAPIS Paris PtR par la signature d’un document intitulé « Promesse» et contenant une Promesse unilatérale d’achat par la société Maranatha et de vente par la société Ardel,
– pour 800.000 euros au titre d’une « convention de compte courant » au sein de la société Hôtelière CAPIS Paris PtR , représentée par sa gérante, la société Maranatha, équivalent à une avance en compte d’associé bloqué pour la période contractuelle de 6 mois.
Le 29 février 2016, la société Ardel a signé un avenant à la convention de compte courant prévoyant un blocage de 12 mois au lieu des 6 initialement prévus, le remboursement devant intervenir le 10 novembre 2016.
Fin novembre 2016, la société Ardel a signé un nouvel avenant modificatif pour un règlement en trois échéances. Seul un virement de 100.000 euros a été effectué le 30 novembre 2016.
La société Maranatha a été placée en redressement judiciaire le 27 septembre 2017.
Le 10 janvier 2018, la société CAPI Paris PTR a été placée en redressement judiciaire.
Le 11 janvier 2018, la société Ardel a déclaré sa créance à la procédure collective de la société CAPI Paris PTR pour la somme de 787.500 euros au titre du principal du compte courant d’associé outre 87.500 au titre des intérêts courus entre le 30 avril 2017 et le 30 avril 2018.
Le 17 octobre 2018, un plan de cession d’activité a été validé au profit de la société Colony Capital.
Le 27 mars 2019, la société Maranatha a été placée en liquidation judiciaire.
Par ordonnance du 1er avril 2019, la créance de la société Ardel a été admise au passif de la société Hotelerie CAPI Paris PtR.
La société Hôtelerie CAPI Paris Ptr a été placée en liquidation judiciarisation le 19 juin 2019.
Dans le cadre de la procédure de liquidation de la société CAPI Paris PtR, la société a accepté un rachat immédiat de ses titres et créances à concurrence de 26% de leur valeur nominale.
Par actes des 19 et 20 mai 2020, estimant que la société Capelis avait commis une faute, la société Ardel l’a assignée, ainsi que la société MMA, en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 3 mai 2021, le tribunal de commerce de Nantes a :
– Jugé l’action de la société Ardel irrecevable,
– Condamné la société Ardel a payer à la société Capelis la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société Ardel aux dépens.
La société Ardel a interjeté appel le 11 mai 2021.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 mars 2023.
Par conclusions de procédure du 20 mars 2023, la société Ardel a demandé à la cour de révoquer l’ordonnance de clôture pour lui permettre de répondre aux dernières conclusions des sociétés Capelis et MMA en date du 14 mars 2023 et à défaut de les déclarer irrecevables comme tardives.
Aucun fait grave survenu après la clôture n’est invoqué par les parties. Il n’y a pas lieu de révoquer l’ordonnance de clôture.
Les sociétés Capelis et MMA ont de nouveau conclu au fond le 20 mars 2023. La société Ardel a de nouveau conclu au fond le 29 mars 2023.
Les conclusions des sociétés Capelis et MMA en date du 14 mars 2023 ont été déposées à 16h03. L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 mars 2023 à 9h30, comme annoncé aux parties par avis de fixation en date du 8 mars 2023.
Ces conclusions comportent 53 pages. Des nouveaux éléments de motivations, détaillés, représentent près de 9 de ces 53 pages. Ces nouvelles argumentations nécessitaient que la société Ardel puisse les examiner et, le cas échéant, y répondre.
Le principe de la contradiction n’a pas été respecté et il y a lieu de déclarer les conclusions des sociétés Capelis et MMA en date du 14 mars 2023 irrecevables.
Les dernières conclusions à prendre en compte sont celles de la société Ardel en date du 28 janvier 2022 et celles des sociétés Ardis et MMA en date du 28 octobre 2021.
Moyens
PRETENTIONS ET MOYENS :
La société Ardel demande à la cour de :
– Réformer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable et donc, par conséquent, rejeté l’intégralité des demandes de la société Ardel de l’ensemble de ses demandes et en ce qu’il a condamné cette dernière à payer une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Statuant à nouveau en appel :
– Condamner in solidum la société Capelis et la société MMAà payer à la société Ardel une somme de 1.424.450 euros à titre de dommages et intérêts suivant décompte arrêté au 27 juillet 2021 (à parfaire) pour perte éprouvée et gain manqué ou subsidiairement 1.023.285 euros sous l’angle de la perte de chance,
– Ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil,
– Débouter la société Capelis et la société MMA de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– Condamner in solidum la société Capelis et la société MMA à payer à la société Ardel une somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner in solidum la société Capelis et la société MMA à payer à la société Ardel aux entiers dépens de première instance, comme d’appel qui seront recouvrés en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Les sociétés Capelis et MMA demandent à la cour de :
– Confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action de la société Ardel,
– Débouter en conséquence la société Ardel de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre des sociétés Capelis et MMA,
A titre subsidiaire :
– Juger que la société Capelis n’a pas commis de faute,
– Juger que la société Ardel ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice indemnisable, ni du lien de causalité entre les préjudices et les fautes allégués,
– Débouter en conséquence la société Ardel de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre des sociétés Capelis et MMA,
A titre très subsidiaire :
– Limiter le montant de la garantie de MMA à 1.000.000 euros,
– Ordonner la prise en charge de la franchise de 3.000 euros par la société Capelis,
En tout état de cause :
– Condamner la société Ardel à verser à la société Capelis et à la société MMA la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens de 1’instance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
Motivation
DISCUSSION :
Sur l’intérêt a agir :
La société Capelis fait valoir que la société Ardel serait un client professionnel et qu’elle ne pourrait donc lui reprocher un éventuel défaut d’information ou de conseil.
Il apparaît que la société Capelis a fourni une prestation à la société Ardel. Cette dernière a un intérêt à agir en justice contre son co-contractant au titre de ses éventuels manquements à ses obligations. Son action n’est pas irrecevable à ce titre et la demande tendant à ce qu’elle soit déclarée irrecevable sera rejetée.
Sur la contradiction au détriment d’autrui :
La société Capelis fait valoir que la société Ardel se serait contredite à son détriment en invoquant tout d’abord en première instance la qualité de prestataire de services d’investissements de la société Capelis avant d’invoquer une qualité de conseil en investissement financiers.
Il apparaît qu’en première instance la société Ardel a tout d’abord invoqué le fait que la société Capelis serait un prestataire d’investissements financiers. Elle a ensuite abandonné ce moyen tout en maintenant ses demandes.
Il apparaît que la société Capelis n’est pas un prestataire d’investissements financiers. Elle est un conseillers en investissements financiers et conseil en gestion de patrimoine. Le fait que la société Ardel ait tout d’abord invoqué, à tort, la qualité de prestataire de services d’investissements avant de se raviser ne constitue pas une contradiction au détriment d’autrui.
Il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société Capelis. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les fautes de la société Capelis lors de la souscription des investissements :
La société Ardel reproche à la société Capelis de ne pas avoir elle même analysé le produit d’investissement proposé, que ce soit sur le plan juridique, financier ou fiscal, mais également de ne pas avoir analysé la structure financière et économique du groupe Maranatha au sein duquel il était proposé d’investir.
Elle fait valoir notamment en ce sens que le commissaire aux comptes du groupe Maranatha avait relevé, au titre de l’exercice clos au 30 septembre 2015, une incertitude sur la capacité de la société à honorer ses dettes financières à court terme et qu’il avait refusé de certifier les comptes des 101 sociétés du groupe.
Sur l’obligation d’information :
L’obligation d’information du conseiller en investissements financiers consiste à porter à la connaissance du client des faits objectifs afin que celui-ci puisse se faire une idée suffisamment précise du bien ou du service qu’on lui propose d’acquérir ou de souscrire et qu’il s’engage en toute connaissance de cause.
Le conseiller en investissement financier doit établir, d’une part, qu’il a procédé à l’évaluation de la situation financière de son client, de son expérience en matière d’investissement et de ses objectifs concernant les services demandés et, d’autre part, qu’il lui a fourni une information adaptée en fonction de cette évaluation.
La société Capelis, conseiller en investissements financiers, est en effet tenue à certaines obligations fixées par le code monétaire et financier et le règlement général de l’Autorité des marchés financiers. Le texte de l’article L541-8 du code monétaire et financier cité par la socéité Ardel dans ses conclusions n’était pas en vigueur à la date de la souscription des engagements. Il convient de se référer à la rédaction applicable :
Article L541-8-1 (Rédaction en vigueur du 24 octobre 2010 au 3 janvier 2018) :
Les conseillers en investissements financiers doivent :
1° Se comporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts de leurs clients ;
2° Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent au mieux des intérêts de leurs clients, afin de leur proposer une offre de services adaptée et proportionnée à leurs besoins et à leurs objectifs ;
3° Etre dotés des ressources et procédures nécessaires pour mener à bien leurs activités et mettre en ‘uvre ces ressources et procédures avec un souci d’efficacité ;
4° S’enquérir auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels, avant de formuler un conseil mentionné au I de l’article L. 541-1, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d’investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments et services adaptés à leur situation. Lorsque les clients ou les clients potentiels ne communiquent pas les informations requises, les conseillers en investissements financiers s’abstiennent de leur recommander les opérations, instruments et services en question ;
5° Communiquer aux clients d’une manière appropriée, la nature juridique et l’étendue des éventuelles relations entretenues avec les établissements promoteurs de produits mentionnés au 1° de l’article L. 341-3, les informations utiles à la prise de décision par ces clients ainsi que celles concernant les modalités de leur rémunération, notamment la tarification de leurs prestations.
Ces règles de bonne conduite sont précisées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers.
Les codes de bonne conduite mentionnés à l’article L. 541-4 doivent respecter ces prescriptions qu’ils peuvent préciser et compléter.
Il ne peut donc utilement être reproché à la société Ardel, en se fondant sur les dispositions de l’article L-641-8-1du code monétaire et financier, d’avoir méconnu une obligation de fournir une information exacte, claire et non trompeuse que ce texte ne mentionnait pas.
Le conseiller en investissement financiers doit respecter les règles de bonne conduite prescrite par le règlement général de l’Autorité des marchés financier, ici dans sa rédaction applicable du 9 octobre 2015 au 4 décembre 2015. Ces dispositions, applicables en l’espèce par renvoi de l’article L. 548-1-1 cité supra, comportaient cette obligation de délivrer des informations exactes, claires et non trompeuses :
Section 2 – Règles de bonne conduite (Articles 325-3 à 325-9)
[…]
Article 325-5
Toutes les informations, y compris à caractère promotionnel, adressées par un conseiller en investissements financiers, présentent un caractère exact, clair et non trompeur.
Article 325-5-1
Toute correspondance ou communication à caractère promotionnel, quel qu’en soit le support, émanant d’un conseiller en investissements financiers agissant en cette qualité indique :
Son nom ou, lorsqu’il exerce sous la forme d’une personne morale, sa dénomination sociale ;
Son adresse professionnelle ou, lorsqu’il exerce sous la forme d’une personne morale, celle de son siège social ;
Son statut de conseiller en investissements financiers et l’identité de l’association professionnelle à laquelle il adhère ; et
Son numéro d’immatriculation au registre mentionné au I de l’article L. 546-1 du code monétaire et financier.
Article 325-6
Le conseiller en investissements financiers est considéré comme agissant d’une manière honnête, loyale et professionnelle qui sert au mieux les intérêts d’un client lorsque, en liaison avec la prestation de conseil à ce client, il verse ou perçoit une rémunération ou une commission ou fournit ou reçoit un avantage non monétaire suivant :
Une rémunération, une commission ou un avantage non monétaire versé ou fourni au client ou par celui-ci, ou à une personne au nom du client ou par celle-ci ;
Une rémunération, une commission ou un avantage non monétaire versé ou fourni à un tiers ou par celui-ci, ou à une personne agissant au nom de ce tiers ou par celle-ci, lorsque les conditions suivantes sont réunies :
Le client est clairement informé de l’existence, de la nature et du montant de la rémunération, de la commission ou de l’avantage, ou lorsque ce montant ne peut être établi, de son mode de calcul. Cette information est fournie de manière complète, exacte et compréhensible avant que la prestation de conseil ne soit fournie. Le conseiller en investissements financiers peut divulguer les conditions principales des accords en matière de rémunérations, de commissions et d’avantages non monétaires sous une forme résumée, sous réserve qu’il s’engage à fournir des précisions supplémentaires à la demande du client et qu’il respecte cet engagement ;
Le paiement de la rémunération ou de la commission, ou l’octroi de l’avantage non monétaire, a pour objet d’améliorer la qualité de la prestation de conseil fournie au client et ne doit pas nuire au respect de l’obligation du conseiller en investissements financiers d’agir au mieux des intérêts du client ;
Des rémunérations appropriées qui permettent la prestation de conseil ou sont nécessaires à cette prestation et qui, de par leur nature, ne peuvent occasionner de conflit avec l’obligation qui incombe au conseiller en investissements financiers d’agir envers ses clients d’une manière honnête, loyale et professionnelle qui serve au mieux leurs intérêts.
Article 325-7
Le conseil au client est formalisé dans un rapport écrit justifiant les différentes propositions, leurs avantages et les risques qu’elles comportent.
Ces propositions se fondent sur :
L’appréciation de la situation financière du client et de son expérience en matière financière ;
Les objectifs du client en matière d’investissements.
Ces deux éléments sont exposés, dans le rapport, de façon détaillée et adaptée à la qualité de personne physique ou morale du client.
Article 325-8
Le conseiller en investissements financiers doit se doter des moyens et des procédures écrites lui permettant de prévenir, gérer et traiter tous conflits d’intérêts pouvant porter atteinte aux intérêts de son client.
Sauf accord exprès du client, le conseiller en investissements financiers s’abstient de communiquer et d’exploiter, en dehors de sa mission, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, les informations relatives au client qu’il détient du fait de ses fonctions.
Le 16 octobre 2015, les sociétés Capelis et Ardel ont signé un document d’entrée en relation et un questionnaire relatif au receuil d’informations client personne morale.
La société Ardel y a indiqué avoir plus de 30 millions d’euros de capitaux propres, des placements financiers pour plus de 20 millions et des titres de participation pour plus de 5 millions. Son premier objectif était de gérer la trésorerie et les placements financiers. Elle a indiqué qu’elle visait une performance annuelle de 7%. Pour ce qui concerne sa connaissance des instruments financiers et son profil de risque, elle a indiqué notamment être prête à prendre un risque en capital sur ses placements et plus ponctuellement, pour obtenir la rentabilité souhaitée, être prête à prendre un risque en capital sur un de ses investissements.
Elle a précisé être prête à prendre aucun risque sur 50% de ses placements, un risque allant jusqu’à 10% du capital sur 20% de ses placements, un risque allant jusqu’à 30% du capital pour 15% de ses placements et un risque sur la totalité du capital placé pour 15%.
En synthèse, elle s’est définie comme investisseur à profil de risque équilibré, c’est à dire prêt à prendre un risque allant jusqu’à 30% du capital placé.
Le 20 octobre 2015, la société Ardel a signé une lettre de mission au profit de la société Capelis. Il y est indiqué que le montant global des actifs gérés est de l’ordre de 40 millions d’euros, que l’objectif d’une partie des investissements est de générer des revenus récurrents à long terme sur des produits différents de l’offre bancaire traditionnelle (dépôts à terme ‘ compte rémunéré) et que vous ce faire la société Ardel se verra proposer des supports très diversifiés de type OPCVM, EMTN structurés, titres en direct, placements obligataires privés, supports immobiliers etc…
Le 27 octobre 2021 la société Capelis a adressé à la société Ardel un rapport de mission n°1. Au titre des préconisations propositions, la société Capelis a présenté deux supports immobiliers, dont le Maranatha Capi Dynamique, investissements dans l’hôtellerie de luxe. Il y était précisé que pour permettre à la société Aredel de prendre une décision en toute connaissance de cause, l’ensemble des supports juridiques et commerciaux (supports avec avantages et inconvénients, DICI, fiche produit, term-sheets etc…) étaient remis à cette occasion.
Il n’est pas justifié quels sont les supports qui ont pu alors être remis.
Par courriel du 28 octobre 2015, la société Capelis a fait suivre à la société Ardel une offre court terme Maranath avec remboursement à 104,5% du nominal investi au bout de 6 mois.
Par courriel du 29 octobre 2015, la société Ardel a indiqué qu’elle confirmait son intérêt pour l’offre court terme 6 mois de Maranatha avec un montant de 1 million d’euros.
Le 31 octobre 2015, la société Ardel a signé un bon de souscription pour 200.000 euros d’actions de la SCA Hotelière Capi Paris Ptr. Dans le même temps, une promesse de cession a été consentie par la SAS Maranatha pour assurer la liquidité de l’investissement. La société Maranatha s’engageait ainsi à racheter les titres pour 100% du prix en cas d’option exercée entre le 3ème et l2ème mois, de 107% en cas d’option exercée après la première année et jusqu’à 171,8186% en cas d’option exercée après la 8ème année.
Le même jour, la société Ardel a signé une convention de compte courant au profit de la SCA Hotelière Capi Paris PtR pour un montant de 800.000 euros avec une rémunération de 2,5% en cas de blocage 3 mois, 5,625% en cas de blocage 6 mois et 12,5% en cas de blocage 12 mois. Il était prévu que l’associé pouvait à tout moment modifier la durée par avenant dont un modèle était annexé à la convention.
La notice d’information accompagnant les investissements du 31 octobre 2015, signée le même jour par la société Ardel, précisait notamment que le souscripteur souhaitait recevoir une rémunération significative sur le court terme et également un liquidité de son investissement avec un objectif de rendement de 7% par an capitalisé.
La société Ardel fait valoir qu’à la date de la souscription des investissements, la situation financière de la société Maranatha aurait déjà été compromise.
Il apparait cependant qu’à cette date, les comptes pour l’année 2015, clôturés au 30 septembre 2015, n’avaient pas encore été refusés par le commissaire aux comptes et les analyses dont se prévaut la société Ardel sur ce point n’étaient pas réalisées et encore moins connues.
Le message du site Le Blog Patrimoine en date du 28 août 2015 s’interroge sur le caractère raisonnable de la communication d’un placement Finotel2 Maranatha. Le prospectus en question le présentait en effet comme sécurisé et rémunérateur et d’une durée de 7 ans. L’auteur de ce blog précisait qu’il était incapable de dire s’il s’agissait d’un bon ou d’un mauvais placement mais qu’il était mensonger d’affirmer qu’il était sans risque.
Le blog en question ne comportait pas d’analyse précise sur un risque avéré pesant sur l’avenir du groupe Maranatha.
Il n’est pas établi que la société Capelis se soit prévalu de ce prospectus dont elle n’est pas l’auteur. La documentation présentée par la société Capelis n’a au contraire pas fait mention du caractère sécurisé du placement proposé à la société Ardel. Ce dernier était un placement à court terme et non pas à moyen terme.
Les informations transmises à la société Ardel pour l’aider à prendre sa décision étaient claires et précises quant au montage financier, aux modalités d’investissements, aux rendements escomptés et aux modalités mises en place pour assurer la liquidité des investissements.
A la date à laquelle elles ont été transmises, elles n’étaient ni inexactes ni trompeuses.
La société Ardel, qui avait elle même fait par dans les documents contractuels d’une grande connaissance des produits financiers, ne pouvait que comprendre la nature et la porté de ses engagements.
Il apparait cependant que la décision de la commission des sanctions de l’AMF en date du 24 janvier 2019 mentionne qu’un autre conseiller en investissement financier avait eu conscience en juillet 2015 de manquer d’information concernant les produits Maranatha. Il avait précisé qu’il avait disposé des chiffres opérationnels par structure, permettant de calculer les Ebitda, mais qu’il ne disposait pas des chiffres consolidés pour raison de secret des affaires.
En sa qualité de conseiller en investisssements financiers, la société Capelis devait se faire communiquer les documents financiers des sociétés dans lesquelles il proposait à son client d’investir. A défaut, elle se devait pour le moins d’informer son client sur le fait qu’elle ne disposait pas de ces documents financiers.
En l’espèce, il n’est pas justifié que la société Capelis ait disposé, ou même demandé, les documents financiers, et notamment les chiffres opérationnels par structure et les chiffres consolidés. Il n’est pas justifié qu’elle ait informé son client de ce qu’elle n’avait pas examiné, ou pas pu examiner ces documents financiers.
Elle a ainsi manqué, sur ce point, à son devoir d’information de la société Ardel.
Sur l’obligation de conseil :
Le conseiller en investissement financier doit notamment s’enquérir auprès de ses clients, avant de formuler un conseil mentionné au I de l’article L. 541-1, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d’investissement.
Lorsque qu’un conseiller en investissement financier recommande un service ou un produit et prodigue un conseil à son client, il est tenu de le faire avec pertinence, prudence et loyauté, en s’enquérant de ses connaissances, de son expérience en matière d’investissement, ainsi que de sa situation financière et de ses objectifs, afin que l’instrument financier conseillé soit adapté.
Comme il a été vu supra, les dispositions de l’article L 541-8-1 du code monétaire et financier invoquées par la société Ardel ne sont pas celles applicables au litige. Il en est de même des dispositions du point IX de l’article 325-8 du réglement de l’AMF qui n’ont pas été en vigueur avant le 8 juin 2018.
Il résulte des documents contractuels analysés supra que la société Capelis s’est fondée sur une appréciation de la situation financière de la société Ardel et son expérience en matière financière. Elle a également tenu compte des objectifs de ce client en matière de risque et de rémunération.
On pourra souligner que la société Ardel avait ainsi indiqué accepter un risque de perte total en capital pour 15% de ses investissements. A supposer que l’investissement proposé ait présenté un risque de perte totale en capital, au vu du montant investi et de l’ensemble des capitaux donnés en gestion, ce ratio était respecté.
Cette analyse a été suffisamment présentée dans les documents contractuels soumis à la société Ardel pour l’aider à prendre sa décision.
Au vu de son expérience en la matière, elle ne pouvait manquer de remarquer l’étendue du risque s’agissant d’achat de parts sociales et de dépôts en numéraire dans le compte courant d’une société. La société Ardel ne pouvait ignorer que le risque principal pour elle résultait des difficultés financières que les sociétés Hotelière Capi Paris Ptr et Maranatha pourraient rencontrer.
Il n’est pas établi qu’à la date des investissements litigieux ces difficultés pouvaient déjà être connues ou d’un prévisibilité dépassant celle des difficultés auxquelles toute entreprise peut être exposée.
On peut remarquer en ce sens que la décision de la commission des sanctions de l’AMF du 1er juillet 2009 vise des investissements réalisés entre le 15 décembre 2016 et le 19 mai 2017, soit bien après celui en litige en l’espèce.
Aucun manquement de la société Capelis à son obligation de conseil n’est établi pour ce qui concerne les investissements litigieux.
Sur les fautes de la société Capelis lors des reconductions des investissements :
La société Ardel fait valoir que la société Capelis aurait commis des manquements à ses obligations lors des trois prolongations des investissements.
Le 18 février 2016, la société Capelis a adressé à la société Ardel un courriel lui indiquant que pour ce qui concernait l’investissement de 1 million d’euros chez Maranatha, deux possibilités s’offraient : une prolongation de 6 mois supplémentaire ou le remboursement comme prévu en mai 2016. Ce courriel présentait le détail des deux possibilités ainsi que de leur mise en place. Ce courriel était accompagné des documents pré-remplis pour obtenir un remboursement et rappelait que pour la prolongation il suffisait de renvoyer l’avenant à la convention de compte courrant.
Ce courriel ne faisant donc que rappeler la teneur des conventions passées le 31 octobre 2015.
Il ne s’agissait pas d’un nouvel investissement mais de la mise en oeuvre des stipulations contractuelles de l’investissement d’octobre 2015. La société Capelis n’avait pas à reprendre la procédure d’investissement ou a rédiger un rapport écrit spécifique et complet.
Il n’est pas justifié qu’à la date du 18 février 2016 les difficultés des sociétés financées aient pu être connues. Aucune information ou conseil supplémentaire n’avait à être délivré au vu de ceux déjà délivrés à l’occation de la signature des contrats d’investissement.
Par courriel du 25 février 2016, la société Ardel a indiqué qu’elle optait pour la prolongation de 6 mois.
C’est dans ces circonstances que le 29 février 2016 la société Ardel a signé un avenant à la convention de compte courant.
Par courriel du 22 juin 2016, la société Capelis a informé la société Ardel que la semaine précédente était paru dans le journal Challenges un article alarmant sur le groupe Maranatha faisant référence à la nommination de deux administrateurs judiciaires en réponse à une situation financière délicate. La société Capelis a indiqué avoir obtenu une réponse du groupe sur cet article et l’avoir transmis à la société Ardel. La société Capelis a conclu son message à la société Ardel en lui indiquant qu’elle resterait évidemment vigilent quant à la santé économique et financière du groupe Maranatha et qu’elle veillerait à demander le remboursement des investissements réalisés par ses clients.
Par courriel du 24 juin 2016, la société Capelis a ajouté que le groupe Maranatha devrait être en position de régler ses échéances comme prévu mais qu’il fallait rester extrêmement vigilant, ce qu’elle faisait.
Par courriel du 26 juillet 2016, la société Capelis a indiqué à la société Ardel qu’elle lui transmettait les documents relatifs au remboursement de son investissement chez Maranatha, précisant qu’elle anticipait de plus d’un mois la demande classique de remboursement sans avoir la certitude qu’elle serait acceptée. Elle a ajouté qu’il lui paraissait important d’acter cette demande dans les plus brefs délais au vu des informations relativement inquiétantes qui lui parvenaient sur le groupe quant à sa difficulté actuelle de faire face à un vague massive de rachat de positions.
La société Capelis a précisé dans ce courriel que tel un chateau de cartes, elle craignait, dans le pire des cas, l’effondrement du modèle, ajoutant qu’il semblait, même si ce n’était qu’un hypothèse, qu’une mise sous sauvegarde du groupe soit d’actualité dans les jours qui venaient.
Ce courriel était accompagné d’ordre de remboursement pré-remplis.
Ces explications, et les termes utilisés, ne pouvaient qu’alerter la société Ardel sur le retournement de situation survenu. Il est à noter que, compte tenu de la gravité de la situation, la société Capelis a pris soin d’informer son client dès avant la date normale et de lui proposer une solution pour gérer au mieux ses intérêts. Au vu de la décision de la commission des sanctions de l’AMF du 1er juillet 2019, qui mentionne des informations délivrées à compter de septembre 2016, cette alerte de la société Ardel, dès juin 2016, apparait avoir été émise en temps et en heure.
La société Ardel n’a pas donné suite à cette proposition de la société Capelis de demander le remboursement de ses investissements, ne serait ce que pour prendre date.
Il revenant à la société Capelis d’accompagner la société Ardel dans la gestion d’un tel choix de ne pas demander immédiatement le remboursement de son investissement.
Le 22 novembre 2016, la société Ardel a signé un avenant prévoyant des remboursements échelonnés, fin novembre 2016, le 31 décembre 2016 et le 31 janvier 2017. Cet avenant a été accompagné d’un engagement de caution du dirigeant de la société Maranatha au profit de la société Ardel.
A l’occasion de ces derniers engagements, la société Capelis n’a fait qu’accompagner les conséquences du choix de la société Ardel de ne pas réclamer un remboursement simple de ses investissements. Au vu de ce choix, il était en effet plus sécurisant de conserver l’intégralité des actions comme l’a expliqué la société Capelis dans un courriel du 24 novembre 2016.
Les échanges postérieurs entre les parties ne sont relatifs qu’aux modalités de remboursement des sommes restant dues et ne concernent pas des investissements réalisés postérieurement.
Sur le préjudice :
La société Ardel fait valoir que sa perte sèche, différence entre les sommes investies et les sommes remboursées, s’élève à la somme de 568.106 euros. Elle ajoute qu’elle a également subi une perte du gain qu’elle aurait obtenu si l’investissement litigieux était venu à son terme, soit 836.396 euros.
Comme il a été vu supra, la société Capelis a manqué à son devoir d’information de la société Ardel en ne portant pas à sa connaissance une analyse des documents financiers des sociétés dans lesquelles la société Ardel investissait directement, ou indirectement par le biais d’un engagement de rachat, ou à défaut en n’informant pas la société Ardel de ce qu’elle n’avait pas examiné, ou pas pu examiner, les documents financiers pertinents.
Cette omission a fait perdre à la société Ardel une chance de ne pas réaliser l’investissement litigieux.
Il apparait, comme il a été vu supra, que la société Ardel avait conscience du risque présenté par l’investissement financier auquel elle a souscrit et qu’elle avait accepté la possibilité de perdre son investissement, en tout ou partie.
Il apparait qu’informée en juin et juillet 2016 des difficultés du groupe Maranatha et de la nécessité de s’en dégager le plus rapidement possible, la société Ardel a néanmoins accepté une prolongation de l’investissement en novembre 2016.
Par la suite, elle a choisi de négocier des modalités de remboursement de ses créances selement partiellement en renonçant au surplus, plutôt que de maintenir une demande de remboursement intégral, avec les risques que cela imputait.
Elle ne justifie pas avoir mis en cause la garantie apportée par l’engagement de caution de M. [X].
La perte de chance d’un gain manqué n’est pas constitué par le gain manqué si l’investissement litigieux était venu à son terme mais par le gain manqué si un autre investissement avait été décidé.
La société Ardel précise que si elle n’avait pas souscrit l’investissement litigieux, elle aurait pu investir sur le support Sicav Keystone Real Estate Placement qui aurait pu lui procurer un gain de 455.180 euros sur la période.
Cette perte de chance de gain sera prise en considération, en tenant également compte du niveau de garantie offert par ce support de 2 sur 10.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparait que la perte de chance de ne pas souscrire à l’investissement litigieux et de réaliser un gain en souscrivant à un autre investissement résultant des manquements de la société Capelis a été minime.
Il y a lieu de fixer le préjudice résultant de cette perte de chance à la somme de 50.000 euros.
La société Capelis et la société MMA, son assureur, sont condamnés solidairement à payer cette somme à la société Ardel à titre de dommages-intérêts, la solidarité de la société MMA étant limitée à la somme de 47.000 euros au titre de la franchise contractuelle prévue entre ces parties.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la socité Capelis aux dépens de première instance et d’appel et de rejeter les demandes formées en première instance et en appel au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
La cour :
– Rejette la demande de révocation de l’ordonnance de clôture,
– Déclare irrecevables les conclusions des sociétés Ardis et MMA en date des 14 mars et 29 mars 2023,
– Déclare irrecevables les conclusions au fond de la société Ardel en date du 20 mars 2023,
– Infirme le jugement,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
– Condamne solidairement les sociétés Capelis et MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la société Ardel la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts, la solidarité de la société MMA IARD Assurances Mutuelles étant limitée à la somme de 47.000 euros,
– Rejette les autres demandes des parties,
– Condamne la société Capelis aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT