10 novembre 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
20/02382
21e chambre
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 10 NOVEMBRE 2022
N° RG 20/02382 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UDWV
AFFAIRE :
[O] [V]
C/
S.A.S. EUREA immatriculée au RCS DE ST ETIENNE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège.
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 01 Octobre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CERGY-PONTOISE
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : 18/00391
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la SELEURL ASVG AVOCAT
la SCP COURTAIGNE AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX, après prorogation du VINGT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX, les parties en ayant été avisées.
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [O] [V]
né le 01 Octobre 1970 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Présent assisté de Me Aude SERRES VAN GAVER de la SELEURL ASVG AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 697 – N° du dossier 180589 substituée par Me Marine FRECON-KAROUT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 83
APPELANT
****************
S.A.S. EUREA immatriculée au RCS DE ST ETIENNE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège.
N° SIRET : 352 754 287
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 021329 – substituée par Me François LEGER, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 53
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
Exposé du litige
FAITS ET PROCÉDURE
M. [V], né le 1er octobre 1970, a été engagé à compter du 3 novembre 2014 en qualité de Directeur délégué, par la société Mon Eden, selon contrat de travail à durée indéterminée.
La société Mon Eden, qui exerçait une activité de vente en ligne de végétaux, a été placée en redressement judiciaire le 20 juillet 2017.
Par jugement en date du 20 septembre 2017, le tribunal de commerce de Pontoise a arrêté la cession partielle de la société Mon Eden au profit de la société Jardiweb, représentée par la société SAS Eurea, dit que la cession sera faite dans les termes et conditions énumérées dans l’offre de la société Jardiweb, dit que le prix de cession interviendra pour le prix global de 734141, 96 euros, pris acte des engagements de la société Jardiweb de racheter les créances fournisseurs des sociétés Criteo, Exapaq, Google Adwords, Internatif, RM Palettes, Willaert, Mapp, GRN Logistics, dit que le cessionnaire reprendra 12 salariés sur les postes suivants : un poste de directeur commercial marketing, un poste de responsable webmarketing, un poste de responsable Marketplace, deux postes de trafic manager, un poste de chef de produit végétal, un poste de responsable relation client, un poste de webdesigner, un poste d’apprenti, un poste de préparateur de commande, en contrat à durée déterminée, deux postes d’agents logistiques en contrat à durée déterminée.
M. [V] occupait en dernier lieu les fonctions de Directeur Commercial Marketing et était en charge à ce titre de manager le pôle marketing et achats.
Le 5 avril 2018, la société Jardiweb a informé M. [V] qu’elle avait décidé de mettre un terme définitivement à son activité au 30 juin 2018, ce qui entrainait la suppression de l’ensemble des postes de travail et l’a convoqué à un entretien d’échange.
Le 3 mai 2018, la société Eurea a déposé un traité de fusion aux termes duquel elle absorbait la société Jardiweb, et procédé à la radiation de cette dernière le 28 août 2018.
Convoqué le 22 mai 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, fixé au 6 juin suivant, M. [V] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 24 juin 2018.
Le 25 juin 2018, la société a notifié à M. [V] son licenciement pour motif économique.
La rupture du contrat de travail a pris effet au 27 juin 2018.
Contestant son licenciement, M. [V] a saisi, le 5 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise aux fins d’entendre juger le licenciement nul et subsidiairement, dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 1er octobre 2020, notifié le 5 octobre 2020, le conseil a statué comme suit :
Dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse résultant d’un motif économique,
Déboute M. [V] de l’ensemble de ses demandes,
Déboute la société Eurea de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Met les éventuels dépens de l’instance à la charge de M. [V].
Le 23 octobre 2020, M. [V] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 6 juillet 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 5 septembre 2022.
Par ordonnance rendue le 4 août 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la révocation de la clôture du 6 juillet 2022 et a fixé une nouvelle clôture au lundi 5 septembre 2022 à 14 heures, avant l’ouverture des débats devant la cour.
Moyens
‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 5 juillet 2022, M. [V] demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement et statuant à nouveau, de :
À titre principal,
Dire et juger que le licenciement est nul ;
Condamner la société Eurea venant aux droits de la société Jardiweb à lui verser la somme de 134 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;
À titre subsidiaire,
Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamner la société Eurea à lui verser la somme de 67 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause,
Condamner la société Eurea à lui verser les sommes suivantes :
– indemnité compensatrice de préavis : 16 700 euros
– congés payés afférents : 1 670 euros
– indemnités au titre de la rupture brutale et vexatoire : 25 000 euros
– rappel de salaires : 1 320 euros
– congés payés afférents : 132 euros
Condamner la société à verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la débouter de sa demande reconventionnelle à ce titre ;
Condamner la société aux entiers dépens ;
Assortir l’ensemble des condamnations des intérêts légaux, avec capitalisation, à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.
‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 11 juillet 2022, la société Eurea demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris, par conséquent,
Dire et juger injustifiée la demande de nullité du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
Débouter M. [V] de l’intégralité de ses demandes y afférent,
Constater que la société a déjà procédé au paiement du montant de l’indemnité compensatrice de préavis,
En conséquence,
Le débouter de sa demande de ce chef.
Constater que M. [V] ne saurait prétendre à aucun rappel de salaire,
En conséquence,
Le débouter de sa demande de ce chef.
En tout état de cause, accueillant la demande reconventionnelle de l’employeur,
Condamner M. [V] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Motivation
MOTIFS
Le conseiller de la mise en état a ordonné le rabat de la clôture par décision en date du 4 août 2022. La demande présentée en ce sens dans les conclusions au fond de l’appelant/l’intimé est sans objet.
Sur la demande de rappel de salaires et congés payés afférents.
M. [V] rappelle qu’il bénéficiait d’un salaire mensuel net de 4198,38 euros au titre de son contrat de travail avec la société Mon Eden affirme avoir subi une diminution de salaire au mois de novembre 2017 au titre de son contrat de travail à la société Jardiweb pour ne plus percevoir que la somme de 4049,78 euros au titre de son salaire mensuel net, soit une différence de 150 euros bruts par mois.
Il ajoute que la société Jardiweb a procédé à compter du mois de novembre 2017 à une retenue de 150 euros bruts sur son salaire mensuel au titre de l’avantage en nature relatif au véhicule de fonction et n’a donc pas respecté son engagement de reprise du contrat de travail qui devait intervenir sans aucune modification.
La société conclut au débouté de cette demande en opposant que l’écart entre le salaire net perçu par le salarié, avant et après la reprise de la société Mon Eden s’explique par le fait que ce dernier bénéficiait d’un véhicule de fonction dont il pouvait user tant pour ses déplacements professionnels ainsi que pour ses déplacements personnels. La société précise qu’il s’agissait d’un avantage en nature qui aurait dû être déclaré comme tel par la société Mon Eden ce qu’elle n’a pas fait.
Elle ajoute que la société Jardiweb n’a pu que mettre un terme à de telles pratiques lesquelles constituent une fraude à la législation en matière d’assujettissement aux cotisations sociales.
Elle fait valoir que le contrat de travail du salarié ne comporte aucun engagement de la part de son employeur en termes de rémunération nette et que sa rémunération est au contraire fixée en brut.
L’article L. 1224-1 du code du travail prescrit au repreneur d’une activité de reprendre les emplois qui y sont attachés. Dès lors que les conditions de l’article L. 1224-1 du code du travail sont remplies, le contrat de travail du salarié se poursuit de plein droit et par le seul effet de la loi, avec le nouvel employeur.
Le salarié qui a conservé son salaire brut ainsi que l’avantage en nature dont il bénéficiait lequel devait être soumis à cotisation sociale, ne peut reprocher à l’employeur d’avoir régularisé la situation afin de se conformer à ses obligations sociales. Une telle régularisation ne l’autorise pas à revendiquer un rappel de salaires. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
II – Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
« Dans le cadre du projet de licenciement pour motif économique dont vous faites l’objet, vous avez la possibilité de bénéficier d’un Contrat de Sécurisation Professionnelle aux conditions définies dans le document d’information remis en même temps que la présente lettre.
Ce projet de Licenciement Économique repose sur les motifs suivants :
1 – La Société JARDIWEB évolue sur le marché de la vente sur internet, à titre principal de végétaux correspondant à 85% du chiffre d’affaires, et à titre secondaire de différents produits de jardin manufacturés, en exploitant le site web » www.moneden.fr « .
La Société JARDIWEB a été créée au mois de septembre 2017, aux fins de la reprise du fonds de commerce de la Société MON EDEN qui demeurait en situation de cessation de paiements.
Au titre de l’organigramme juridique, la Société JARDIWEB est détenue à 100% par la Société Eurea, elle-même détenue à 98% par la Société Eurea Coop qui est la Société mère du Groupe Eurea.
De surcroît, il convient de préciser que la Société JARDIWEB correspond à l’unique Société du Groupe Eurea relevant du secteur d’activité de la vente sur internet.
Dans le cadre de cette présente reprise d’activité de la Société MON EDEN en septembre 2017, la Direction de la Société JARDIWEB a défini un business plan prévisionnel intégrant une croissance des ventes associées à une progression de la marge générée et une optimisation conjointe des charges dans l’optique d’une restauration de la rentabilité, seul gage de la pérennité de l’entreprise.
2 – Or, la Direction se trouve à présent contrainte de constater que la Société JARDIWEB demeure encline à de très graves difficultés économiques et financières dans une mesure nettement plus dramatique que le business plan prévisionnel établi lors de la création de la Société qui projetait un niveau de pertes le premier exercice d’exploitation, avec une optique progressive de retour à l’équilibre correspondant à l’engagement maximal pouvant être financièrement assumé par le Groupe Euréa.
Ainsi, la Société JARDIWEB projette, en date du 30 juin 2018 qui correspond au terme du premier exercice comptable sur une période de 9 mois d’activité depuis la création, des résultats très fortement déficitaires inconciliables avec la pérennité de l’entreprise.
Il convient de noter, en premier lieu, que les différents niveaux d’appréciation de la marge générée par la Société JARDIWEB demeurent fortement dégradés et en très net retrait par rapport aux prévisions du business plan :
– Dégradation de la marge brute commerciale à hauteur de 35% par rapport au business plan;
– Dégradation de la marge brute globale à hauteur de 50% par rapport au business plan;
– Dégradation de la marge sur coûts variables à hauteur de 74% par rapport au business plan.
En synthèse, la Société JARDIWEB génère chaque mois un niveau de marge qui demeure très nettement insuffisant pour couvrir ses charges de fonctionnement fixes et variables (à savoir notamment les charges locatives, les coûts de transport, les charges informatiques et logistiques, les coûts d’acquisition internet et la masse salariale), engendrant par voie de conséquence un résultat inéluctablement déficitaire chaque mois d’exercice d’activité.
En conséquence, l’Excédent Brut d’Exploitation de la Société JARDIWEB, qui demeure un indicateur de gestion déterminant, se positionne à hauteur de -746 K » au 31 mars 2018 et se projette à hauteur de – 1 027 K » au 30 juin 2018, en dégradation de 36% par rapport au business plan.
En synthèse, le Résultat Net de la Société JARDIWEB se positionne à hauteur de – 798 K » au 31 mars 2018 et se projette à hauteur de – 1 447 K » au 30 juin 2018, en dégradation de 89% par rapport au business plan.
La Société JARDIWEB enregistre donc des pertes colossales en date du 31 mars 2018 qui vont inéluctablement poursuivre leur dégradation pour atteindre un seuil précisément projeté de – 1 447 K » au 30 juin 2018 qui demeure irrémédiablement inconciliable avec la poursuite de l’activité.
Par voie de conséquence, la Direction demeure contrainte de relever que le modèle économique de la société Jardiweb demeure structurellement et notoirement déficitaire, avec les incidences corrélatives en termes de survie de l’entreprise.
3 – Confrontée à ce constat d’une situation économique et financière nettement et irrémédiablement dégradée, la Direction a réalisé une analyse précise des différents leviers d’actions aux fins d’une part de l’optimisation des charges et d’autre part du développement de l’activité, dans l’optique de déployer toute action en vue de sauvegarder l’existence de la Société.
En premier lieu, la Direction s’est inscrite dans une logique d’optimisation de la masse salariale en privilégiant la modulation du temps de travail ainsi que le non remplacement de postes vacants par une réattribution interne des missions.
Ainsi, l’optimisation de la masse salariale de la Société JARDIWEB a été conduite avec une extrême rigueur budgétaire qui ne laisse objectivement aucune opportunité supplémentaire de réduction partielle des effectifs sous peine de ne pouvoir conduire les missions essentielles à réaliser pour la continuité de l’activité.
De surcroit, des négociations ont été conduites avec les transporteurs aux fins d’obtenir une amélioration des conditions tarifaires du transport qui s’inscrit comme un poste de charges prépondérant au sein d’une activité de vente sur internet à destination d’une clientèle nationale de produits encombrants tels que des végétaux.
Cependant, l’image dégradée de la Société JARDIWEB, consécutive aux dettes non honorées de la Société MON EDEN qui exploitait préalablement le site internet » www.moneden.fr « , ne permet pas objectivement d’obtenir l’optimisation requise des coûts de transport auprès des différents interlocuteurs de la profession.
Qui plus est, le système informatique de la Société JARDIWEB demeure obsolète et exige des investissements de développement conséquents afin de répondre aux enjeux impératifs d’un monde de l’internet en constante complexification et exposé aux évolutions du contexte normatif.
Or, les résultats irrémédiablement déficitaires de la Société JARDIWEB ne permettent pas d’envisager des investissements coûteux au titre de la mise à niveau du système informatique, sous peine d’accentuer les pertes déjà colossales de la Structure.
En conséquence, la situation informatique dégradée de la Société .IARDIWEB n’offre aucune perspective d’amélioration dans la mesure où la situation économique ne permet pas d’engager les investissements requis, alors même que le système existant demeure obsolète et non objectivement pérenne pour envisager la continuité et le développement de l’activité.
Dans le cadre d’une analyse comparable, l’optimisation impérieuse du fonctionnement logistique précaire de la société Jardiweb requiert également des investissements notoires au titre des outils de suivi et d’automatisation qui ne peuvent être engagés compte tenu de la situation économique fortement déficitaire de la société.
La Société JARDIWEB demeure donc exposée à une situation économique inextricable dans la mesure où sa pérennité impose des investissements informatiques et logistiques très conséquents que sa situation financière fortement déficitaire ne lui permet aucunement d’engager.
En synthèse des développements précités, la Société JARDIWEB non seulement ne dispose d’aucun levier futur de réduction de charges qui lui permettrait de favoriser sa rentabilité mais se trouverait de surcroît exposée à une augmentation de son poste de charges dans l’hypothèse d’un engagement des investissements informatiques et logistiques déterminants de la continuité de son activité.
4 – A défaut de pouvoir objectivement optimiser les charges de la Société JARDIWEB, la Direction a parallèlement étudié toute opportunité de développement du chiffre d’affaires associé à une progression de la marge afin de pouvoir couvrir les charges et ainsi envisager un résultat à l’équilibre, seul gage de la survie de la Société.
A ce titre, il convient de préciser que la Société JARDIWEB exerce son activité dans un environnement fortement concurrentiel au sein duquel les différents acteurs internet déploient des politiques tarifaires agressives.
De surcroît, la Société JARDIWEB dispose d’une clientèle volatile et se trouve, de ce fait, contrainte dans cet environnement de concurrence exacerbée, de déployer des actions promotionnelles pour développer ses ventes.
Or, la présente stratégie commerciale ne permet nullement d’envisager un retour à l’équilibre dans la mesure où elle engendre une diminution du taux de marge de la société.
Qui plus est, le développement du trafic sur un site internet aux fins d’une augmentation du chiffre d’affaires requiert inéluctablement l’engagement de coûts d’acquisition auprès de Sociétés tels que Google ou Criteo.
En synthèse, la Société JARDIWEB ne peut donc objectivement projeter une évolution significative de son chiffre d’affaires sans être exposée parallèlement à une dégradation de son taux de marge ou un engagement de charges supplémentaires.
Par voie de conséquence, la conclusion réaliste d’une impossibilité d’adjoindre au développement du chiffre d’affaires une progression de la marge et une stabilité des charges rend inéluctable le maintien d’un résultat considérablement déficitaire qui remet en cause la pérennité de l’Entreprise.
5 – De ce fait, exposée au constat irrémédiable de pertes structurelles de la Société JARDIWEB, sans perspective d’un retour à la rentabilité selon son modèle économique actuel, la Direction a dès lors étudié toute opportunité de diversification des activités.
A ce titre, des projets de développement sur des activités connexes (maarketplace paysagistes, marketplace alimentaire…) ont été méthodiquement analysés dans l’optique d’un développement de l’activité à périmètre de charge constant, aux fins d’envisager de restaurer la rentabilité de la Société.
Cependant, les différents projets précisément étudiés n’offrent objectivement aucune perspective d’amélioration de la rentabilité de la Société, dans la mesure où le développement des activités précitées impliquerait des investissements notoires en termes de développements informatiques et de recrutement de compétences dont le coût serait supérieur aux perspectives de génération de marge supplémentaire.
En synthèse, tous les projets analysés, loin de favoriser un retour à la rentabilité exigée, ne feraient a contrario qu’accentuer les pertes colossales de la Société JARDIWEB.
Qui plus est, la Direction a également engagé des recherches sérieuses d’un repreneur potentiel de l’entreprise, soucieuse de la pérennité des emplois.
Cependant, l’analyse du modèle économique structurellement déficitaire de la Société JARDIWEB générateur de pertes exponentielles sans perspective de retour à la rentabilité, a conduit tout repreneur potentiel à ne pas valider cette démarche eu égard aux risques économiques et financiers associés.
6 – En synthèse, la Société JARDIWEB demeure donc exposée à une situation économique et financière très fortement dégradée, sans aucune perspective d’un retour à l’équilibre compte tenu des différents arguments précités, qui demeure parfaitement inconciliable avec la sauvegarde l’entreprise.
Dans cette optique, les pertes démesurées enregistrées par la Société JARDIWEB dans ses conditions d’exploitation structurellement inadaptées, concluent au caractère impérieux d’une cessation d’activité.
Par voie de conséquence, la Direction a pris la décision inéluctable de procéder à la cessation d’activité pour motif économique de la société Jardiweb qui sera effective en date du 30 juin 2018.
La présente décision de cessation d’activité de la Société JARDIWEB à effet du 30 juin 2018 induite par des difficultés économiques et financières majeures, nous contraint à envisager la suppression de l’ensemble des postes de travail de la société, dont votre poste de Directeur Commercial Marketing.
En conséquence, compte tenu de l’impossibilité de procéder à votre reclassement malgré les recherches internes et externes très approfondies qui ont été effectuées, nous sommes contraints d’envisager votre licenciement pour motif économique ».
I- a) Sur la demande en nullité du licenciement économique.
M. [V] soutient que les difficultés financières de la société résultent du non- respect par le groupe Eurea de ses engagements financiers pris dans le cadre de la cession partielle de la société Mon Eden. Il soutient que son licenciement pour motif économique est nul, le comportement fautif de la société étant constitutif d’une fraude de la part de l’employeur.
La société Eurea conclut à la réalité du motif économique du licenciement de M. [V] et soutient que les pertes de la société se sont aggravées à partir du mois d’avril 2018. Elle conteste toute fraude.
L’article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er avril 2018, dispose que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L.233-1 aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article 213-16 du code de commerce.
Sur le respect des engagements financiers par la société Eurea.
M. [V] affirme que les apports en capital ou en compte courant d’associé prévus par le business plan n’ont pas été faits par la société Eurea et fait valoir que les investissements promis par le groupe Eurea ne faisaient pas partie du prix de cession. Il ajoute que la reprise de la société Mon Eden par la société Eurea a été faite en parfaite connaissance de la situation, un mémorandum d’information reprenant en détail l’historique de la société en ce compris ses ambitions et sa stratégie de développement pour y parvenir, lui ayant été préalablement communiqué.
La société Eurea réplique n’avoir eu lors du rachat qu’une vision très partielle de la santé et du potentiel de l’entreprise pour n’avoir qu’un regard extérieur sur celle-ci et qu’elle n’a pas eu connaissance du dernier compte de résultat de la société Mon Eden correspondant à l’exercice courant du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017.
La société Eurea soutient avoir fait de nombreux investissements afin de tenter d’assurer la pérennité de la société Jardiweb.
Il résulte de la motivation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Pontoise du 20 septembre 2017 que le groupe Eurea s’est engagé aux apports en capital de 1,8 milliards d’euros et en compte courant d’actionnaire de 1,690 milliards d’euros, sur une période de cinq ans et de faire bénéficier l’activité de la société Mon Eden de sa logistique permettant de garantir la sauvegarde de l’activité et les 12 emplois repris. De plus la société Jardiweb s’engageait à un rachat des créances dues par la société Mon Eden pour un montant de 484 141,96 euros.
La société établit avoir financé une étude à hauteur de 119 300 euros en vue de redéfinir l’identité visuelle du site internet Mon Eden afin de redynamiser le site Internet et d’en favoriser la pérennité et avoir investi la somme de 37 046,28 euros dans le référencement du site de la société afin d’améliorer sa visibilité dans les résultats des moteurs de recherche.
Elle a payé la somme de 734 141 euros au titre du prix de cession, dont 484 141,96 euros au titre de rachat de créances, 200 000 euros au titre des éléments incorporels et 50 000 euros au titre d’éléments corporels hors stock.
M. [V] reproche à la société de ne pas avoir effectué les apports en capital ou en compte courant d’associé tels que prévus par le business plan et retenus par le tribunal de commerce de Pontoise pour autoriser la cession.
Cependant, force est de relever que les engagements du groupe Eurea ne sont mentionnés que dans la motivation du jugement et non dans son dispositif, duquel il ne résulte pas d’engagement de la société de respecter les conditions prévues au business plan et notamment les apports en capital et en compte courant d’actionnaires.
Par ailleurs, il ressort d’un mail de M. [V] du 22 février 2018 (pièce n° 19 de la société) que les investissements informatiques nécessaires, mais non prévus au business plan, ni lors de la cession, représentaient la somme de 192 500 euros.
M. [V] objecte que ces investissements informatiques ne constituent pas des coûts exceptionnels et encore moins des investissements, mais des charges courantes s’agissant d’une société de vente de produits en ligne. Il ajoute que la société ne rapporte pas la preuve de ces investissements dont elle ne fournit aucun détail.
La société rétorque à juste titre qu’il résulte de l’évaluation effectuée par M. [V] lui-même, que l’ensemble des dépenses correspondaient à la seule exception de la dépense de maintenance opérationnelle fonctionnelle et technique pour un montant de 7 500 euros, à des dépenses correspondant à l’objectif de fiabilisation ou de développement de l’activité, et ne pouvaient de ce fait, être considérées comme des charges courantes.
Il ressort des pièces n° 18 et 19 de M. [V], que la société a pris certaines mesures propres à redresser la situation économique de la société notamment en :
Privilégiant la redistribution des missions en interne plutôt que le recours à du personnel intérimaire,
Optimisant la logistique par la négociation des prix de transport à la baisse auprès de la société Geodis,
Finançant une étude commandée avant la reprise de la société Mon Eden ayant pour objet d’étudier les possibilités de diversification de la société sur le marché de la distribution auprès des paysagistes,
Mettant en place le 30 janvier 2019 un groupe de travail quant au lancement d’une Market Place alimentaire.
M. [V] oppose à la société que les résultats étaient au 31 mars 2018 conformes à ceux prévus dans le Business plan, puisque la perte comptable était de 723 000 euros, alors que celle projetée par le business plan était au 30 juin 2018 de 750 400 euros.
Il estime la brutale aggravation des pertes de la société entre mars et juin 2018 de l’ordre de 200 000 euros par mois due au fait que la société a décidé de stopper l’activité commerciale de la société en mars 2018, soit juste avant la haute saison dans le secteur d’activité de la jardinerie. Il considère que l’arrêt de l’activité juste avant la haute saison témoigne de l’absence de la volonté de la société de voir la situation de la société Jardiweb se redresser.
La société conteste à juste titre l’arrêt total de l’activité alléguée par M. [V] à partir du 31 mars 2018, en faisant observer, tel qu’il ressort de la comparaison (pièces 25 et 28 de la société) de la balance flash des comptes généraux et du bilan de la société Jardiweb au 31 mars 2018 qu’un chiffre d’affaires de 321 000 euros a été réalisé sur la période d’avril à juin 2018 pour les seules marchandises, mais que les pertes se sont aggravées pour s’élever à la somme de 1 299 700 euros au 30 juin 2018.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que ni la légèreté blâmable de la société ni la fraude alléguées par le salarié ne sont établies. Il sera donc débouté de sa demande en nullité du licenciement par confirmation du jugement entrepris.
I-b) sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié affirme en premier lieu que les difficultés économiques dont se prévaut la société sont le résultat d’une légèreté blâmable de sa part par l’arrêt des commandes le refus des embauches tout comme le non-respect de ses engagements en termes d’investissements.
En second lieu, il reproche à la société de ne pas avoir diligenté d’efforts suffisants de reclassement.
Il conteste le seul envoi d’un lien lui proposant de candidater à des postes existants au sein des sociétés du groupe. Il fait valoir que des solutions internes existaient au sein du groupe et que la société aurait dû lui proposer des offres précises adaptées et individualisées sans se contenter de l’inviter à communiquer son CV et à faire part, lui-même de son intérêt pour un poste non identifié.
La société oppose que M. [V] ne s’est positionné sur aucun des postes disponibles au sein du groupe alors qu’il avait été invité à consulter la liste des postes à pourvoir.
La société précise avoir par ailleurs effectué des recherches de reclassement en dehors du groupe auquel appartient en sollicitant
– la Mairie de [Localité 6] dont relevait l’établissement de travail de M. [V],
– la Fédération de Vente à Distance,
-la CNEFP du Syndicat National Social des Entreprises de Vente à Distance,
-Des sociétés développant une activité comparable à l’activité de Jardiweb.
Elle ajoute avoir reçu un retour de la société Willemese France, laquelle avait demandé le CV de M. [V] et que ce dernier n’a toutefois visiblement pas été intéressé par cette opportunité, puisqu’il n’a pas communiqué la pièce sollicitée, renvoyant le potentiel recruteur à la consultation de son profil sur le site LinkedIn.
Aux termes de l’article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce. Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Par ailleurs, l’article D1233-2-1 du même code précise que :
I. – Pour l’application de l’article L. 1233-4, l’employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l’actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine.
II. – Ces offres écrites précisent :
a) L’intitulé du poste et son descriptif ;
b) Le nom de l’employeur ;
c) La nature du contrat de travail ;
d) La localisation du poste ;
e) Le niveau de rémunération ;
f) La classification du poste.
III. – En cas de diffusion d’une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l’entreprise et les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie.
La liste précise les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite.
Ce délai ne peut être inférieur à quinze jours francs à compter de la publication de la liste, sauf lorsque l’entreprise fait l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire.
Dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours francs à compter de la publication de la liste.
L’absence de candidature écrite du salarié à l’issue du délai mentionné au deuxième alinéa vaut refus des offres.
Ainsi, même justifié par une cause économique avérée, le licenciement du salarié ne peut être légitimement prononcé que si l’employeur a préalablement satisfait de bonne foi à son obligation générale de reclassement et sur des emplois équivalents de l’entreprise ou, s’il n’en existe pas, du groupe auquel appartient l’entreprise.
Il appartient alors à l’employeur de justifier par des éléments objectifs des recherches entreprises, éventuellement étendues aux sociétés du groupe, et, le cas échéant, de l’absence, à l’époque du licenciement, de poste disponible correspondant aux compétences du salarié.
En l’espèce, l’employeur à qui il appartient de démontrer qu’il a rempli loyalement et sérieusement son obligation de recherche de reclassement se borne à communiquer aux débats une lettre adressée au salarié le 17 avril 2018, (pièce n° 3) le priant de bien vouloir consulter la liste des postes à pourvoir au sein du groupe Eurea, sur le site internet du groupe. Aux termes de ce même courrier, l’employeur annonçait remettre au salarié la liste actualisée en date du 17 avril 2018 de « postes à pourvoir et définitions de fonction associées ». Cette liste de postes à pourvoir n’est pas produite aux débats, toutefois sa remise au salarié n’est pas contestée.
Contrairement à ce que soutient la société intimée, la recherche de reclassement au sein des sociétés du groupe auquel elle appartient ne relève pas d’un reclassement externe mais bien du reclassement interne qu’elle était tenue de mettre en ‘uvre.
L’employeur indiquait également dans cette correspondance du 17 avril 2018 avoir opéré des recherches de reclassement externes auprès de divers organismes et sociétés.
Certes l’employeur justifie avoir recherché une solution de reclassement externe dans les mêmes secteurs d’activité et que la société Willemese France a manifesté son intérêt pour le profil de M. [V], société auprès de laquelle celui-ci n’a pas souhaité faire de démarche.
Cette recherche de reclassement externe qui n’est pas prévue par les textes n’exonère pour autant pas l’employeur d’une démarche loyale et précise de reclassement auprès des sociétés du groupe auquel la société Eurea appartenait ; ce qu’il ne justifie pas avoir fait en invitant seulement le salarié à consulter une liste de postes disponibles sur Internet.
Il résulte de ces éléments que l’employeur ne démontre pas avoir rempli son obligation de recherche sérieuse et loyale de reclassement du salarié et le licenciement doit donc être déclaré sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Sur les conséquences financières du licenciement.
En application de l’article L 1235-3 du code du travail, M. [V] qui avait 3 ans et sept mois d’ancienneté employé dans une société de plus de 11 salariés peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 à 4 mois de salaire bruts mois précédant son licenciement.
Le salarié sollicite l’allocation de la somme de 67 000 euros à titre d’indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse en indiquant que le contexte économique mais aussi sanitaire et le marché auquel il était confronté ne lui a pas permis d’avoir des ressources équivalentes à celles dont il bénéficiait avant son licenciement. Il fait valoir son investissement personnel dans l’entreprise, son âge et le préjudice moral et professionnel subi du fait du licenciement.
En considération de l’âge du salarié au moment de son licenciement (48 ans), de son ancienneté, du montant de son salaire ( 5 416 euros) étant établi qu’il ressort du profil du salariée sur le site Linkedin que celui-ci se présente comme associé chez Bo Digital et de l’extrait K Bis de la société VEGETAL PLACE qu’il en est le Président ; il lui sera alloué la somme de 16 250 euros bruts.
En l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devient sans cause, et l’employeur, et alors tenu à l’obligation du préavis et les congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes qu’il a déjà versées directement au salarié à ce titre et en vertu du dit contrat.
La société objecte à cette demande qu’en adhérent au dispositif du CSP, le salarié renonçait au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis dont le montant serait intégralement versé par la société à Pôle emploi. Elle fait valoir qu’elle ne saurait dès lors être tenue pour responsable du choix effectué par le salarié et prendre en charge une seconde fois le paiement de l’indemnité de préavis.
Le salarié est en droit d’obtenir le règlement d’une indemnité compensatrice de préavis, correspondant, conformément à l’article L. 1934-5 du code du travail, à la rémunération brute qu’il aurait perçue s’il avait travaillé pendant la durée du délai de congé.
En l’espèce, au vu des bulletins de paye produits par le salarié, le montant de cette indemnité s’établit à 16 248 euros bruts.
Nonobstant le versement de cette somme à Pôle emploi, la société qui ne justifie pas avoir versé directement au salarié une quelconque somme en vertu du contrat de sécurisation professionnelle, sera condamnée au paiement de cette somme, outre au paiement de la somme de 1624 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages intérêts pour licenciement brutal et vexatoire.
Le salarié soutient qu’il lui a été demandé du jour au lendemain de ne plus revenir dans la société et avoir dû remettre les clés qu’il avait en sa possession sur le champ.
Il estime que ce procédé de départ immédiat avec remise du matériel de la société est habituel pour un licenciement pour faute grave et non dans le cas d’un licenciement pour motif économique. Il fait valoir que ce procédé était volontairement humiliant et ne répondait à aucun impératif pour la société Eurea.
La société s’oppose à cette demande et conteste tout rupture brutale et vexatoire. Elle affirme que la décision a été prise conjointement avec le salarié lors de son entretien préalable, d’une dispense d’activité.
Il est constant que le salarié licencié peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et cumuler une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, à la condition de justifier d’une faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement de nature brutale ou vexatoire.
Or en l’espèce, M. [V] ne justifie pas de circonstances entourant son licenciement qui soient de nature brutale ou vexatoire. Le déroulement de la procédure apparaît conforme aux dispositions légales.
M. [V] sera débouté de cette demande par confirmation du jugement entrepris.
Sur les intérêts moratoires.
Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne. La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.
L’entreprise employant habituellement au moins onze salariés et le salarié présentant une ancienneté de plus de deux ans, il sera fait application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, sous déduction toutefois de la contribution prévue à l’article L. 1233-69 du code du travail ; en effet, en l’absence de motif économique, la convention de sécurisation professionnelle devient elle-même sans cause.
Sur les autres demandes.
La société Eurea sera condamnée à payer à Monsieur [V] la somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera condamnée aux entiers dépens.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise le 1er octobre 2020 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté M. [V] de sa demande en nullité du licenciement, de sa demande de rappel de salaires, de sa demande de congés payés afférents et de sa demande d’indemnité pour rupture brutale et vexatoire,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit le licenciement de M. [V] par la société Eurea dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Eurea à payer à M. [V] les sommes suivantes :
16 250 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
16 248 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1 624 euros bruts au titre des congés payés afférents,
Y ajoutant,
Condamne la société Eurea à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonne le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, sous déduction de la contribution prévue à l’article L. 1233-69 du code du travail, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail,
Rappelle que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne,
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Condamne la société Eurea aux entiers dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Morgane BACHÉ, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,