Comptes courants d’associés : 10 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/02367

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Comptes courants d’associés : 10 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/02367

10 novembre 2022
Cour d’appel de Grenoble
RG
22/02367

Chambre Commerciale

N° RG 22/02367 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LNGJ

C4

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Pascale HAYS

la SELARL LEXAVOUE [Localité 4] – [Localité 7]

la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 10 NOVEMBRE 2022

Appel d’un jugement (N° RG 2022F00034)

rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 07 juin 2022

suivant déclaration d’appel du 17 juin 2022

APPELANTE :

S.A.S. KEYBAS, au capital de 80.000 euros, immatriculée au RCS de Grenoble, sous le numéro 843.234.428, représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège de la société

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Pascale HAYS, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉES :

S.E.L.A.R.L. BERTHELOT, au capital du 183.058 euros, immatriculée au RCS de Saint Etienne, sous le numéro 830.000.451., représentée par Maître [G] [D], en sa qualité de mandataire judiciaire de la société par actions simplifiée au capital de 80.000 euros, immatriculée au RCS de Grenoble, sous le numéro 843.234.428, dont le siège social est situé [Adresse 3], désignée à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de Grenoble du 12 janvier 2022 et de liquidateur judiciaire de la même société désignée à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de Grenoble du 7 juin 2022,

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE,

S.E.L.A.R.L. AJUP, au capital de 700.667 euros, immatriculée au RCS de Chambéry sous le numéro 820.120.657., représentée par Maître [O] [M], en sa qualité d’administrateur judiciaire de la société KEYBAS, société par actions simplifiée au capital de 80.000 euros, immatriculée au RCS de Grenoble, sous le numéro 843.234.428, dont le siège social est situé [Adresse 3], désignée à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de Grenoble du 12 janvier 2022,

[Adresse 6]

[Localité 4]

représentée par Me Delphine DUMOULIN de la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Me Julia VINCENT de la SELARL CARNOT AVOCATS, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

M. Frédéric DUMAS, Conseiller,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Alice RICHET, Greffière et en présence de Mme Clémence RUILLAT, Greffière stagiaire.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée à Madame Alice JURAMY, substitut général, qui a fait connaître son avis.

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 octobre 2022, M. BRUNO conseiller, a été entendu en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour,

Exposé du litige

FAITS ET PROCÉDURE :

1. La société Keybas a été immatriculée le 19 octobre 2018, et est spécialisée dans l’offre de services à destination des ateliers automobiles, des garages et des parkings. Elle a été placée en redressement judiciaire le 12 janvier 2022, et la Selarl Ajup a été désignée aux fonctions d’administrateur judiciaire. La Selarl Berthelot a été désignée mandataire judiciaire.

2. Le 18 mai 2022, l’administrateur judiciaire a demandé au tribunal de commerce de Grenoble de convertir la procédure de redressement en liquidation, en raison de l’absence de garanties de financement de la période d’observation et de l’absence d’offre de cession. Lors de l’audience tenue devant le tribunal, l’administrateur a rappelé que le passif découlant de la période d’observation est de 330.000 euros, qu’il n’y a pas de perspectives économiques et aucune garantie de financement de cette période. Le mandataire judiciaire s’est associé à cette requête, le passif déclaré étant de 3,5 millions d’euros.

3. Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal de commerce de Grenoble a en conséquence’:

– déclaré irrecevable la note en délibéré produite par maître [L]’;

– ordonné la liquidation judiciaire de la Sas Keybas et désigne la Selarl Berthelot prise en la personne de maître [D], aux fonctions de liquidateur’;

– fixé à 36 mois à compter du jugement le délai visé à l’article L.643-9 du code de commerce au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée’;

– dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure.

4. Le tribunal a motivé sa décision par le fait que compte tenu de l’importance du passif déclaré, de l’absence de rentabilité de la structure, de l’existence de dettes postérieures, dont des précomptes salariaux, une possibilité de redressement apparaît impossible.

5. La société Keybas a interjeté appel de cette décision le 17 juin 2022. L’instruction de cette procédure a été clôturée le 29 septembre 2022.

Moyens

Prétentions et moyens de la société Keybas’:

6. Selon ses conclusions remises le 2 août 2022, elle demande à la cour, au visa des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 15, 16 et 444 du code de procédure civile, L640-1 et L626-2 du code de commerce :

– d’annuler le jugement dont appel pour violation des droits de la défense et du principe contradictoire’;

– subsidiairement, de le réformer en ce qu’il a ordonné la liquidation judiciaire et désigné la Selarl Berthelot prise en la personne de maître [D] aux fonctions de liquidateur’; en ce qu’il a fixé à 36 mois à compter du jugement le délai visé à l’article L643-9 au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée’; en ce qu’il a dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure’;

– statuant à nouveau, de juger que le redressement de la concluante n’est pas manifestement impossible’;

– de renvoyer devant le tribunal de commerce de Grenoble afin d’examiner le plan de redressement sur 10 ans de l’entreprise’;

– de condamner la Selarl Ajup à verser à la concluante la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel, avec distraction au profit de maître Haÿs conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

L’appelante soutient’:

7. – que la concluante est une startup, qui a ainsi besoin de temps pour se développer, puisqu’elle innove sur le marché et doit faire ses preuves’; qu’elle a réussi à conclure des contrats avec l’entreprise Renault, et a obtenu des financements de la société Yvrai’; que la saisine du tribunal de commerce a été effectuée par son président, face aux difficultés provoquées par la crise sanitaire’;

8. – concernant l’annulation du jugement, que les droits de la concluante n’ont pas été respectés, puisque dans son bilan économique, social et environnemental, l’administrateur a indiqué que la concluante compte sur le remboursement de l’activité partielle pour 107.000 euros en mars 2022, pour couvrir son besoin de trésorerie, ainsi sur le remboursement de 204.000 euros en avril 2022 au titre du crédit impôt recherche ; que le tribunal a rejeté la demande de réouverture des débats demandés par la concluante pour transmettre l’avis de versement de ce crédit d’impôt’;

9. – subsidiairement, que le prononcé de la liquidation judiciaire n’a été effectué qu’au vu du rapport de l’administrateur’; que cependant, un redressement est possible, puisque si le compte de résultat de l’administrateur indique une perte de 1.902.000 euros, l’expert-comptable de la concluante indique un résultat 2021 positif pour 44.342 euros’; que le taux de marge brute est monté de 32’% en 2020 à 57’% en 2020, avec un chiffre d’affaires de 1.566.000 euros pour 2021; que les dettes résultant de la poursuite de l’activité ne sont que de 40.428 euros, car l’administrateur a retenu les dettes à échoir après le bilan, et non les seules dettes échues’; qu’il n’a pas tenu compte des déduction de charges déclarées sur l’activité partielle, ni des sommes à percevoir dans le cadre du crédit d’impôt recherche’; que l’administrateur a reconnu dans son bilan qu’il existe une trésorerie positive, alors que les fournisseurs sont d’accord pour accepter des délais de paiement’; qu’il existe des clients dont les commandes n’ont pu être honorées’; que la concluante est en mesure de présenter un plan de redressement sur 10 ans.

Prétentions et moyens de la Selarl Ajup, ès-qualités d’administrateur judiciaire’

10. Selon ses conclusions remises le 26 août 2022, elle demande à la cour, au visa des articles 9, 16, 445 du code de procédure civile’; L.631-15 II, R.631-24 du code de commerce, 1353 du code civil’:

– de juger recevables et fondées ses demandes’;

– de débouter la société Keybas de sa demande de nullité du jugement déféré’;

– de confirmer l’irrecevabilité de la note en délibéré’;

– de débouter la société Keybas de son appel et de ses demandes’;

– de confirmer le jugement déféré’;

– d’employer les dépens en frais privilégiés de la procédure.

Elle soutient’:

11. – qu’au 31 décembre 2021, les capitaux propres de la société Keybas était de 92.102 euros, avec des dettes pour 4.029.044 euros, au regard d’un chiffre d’affaires de 1.565.693 euros, et un résultat net de 44.342 euros (dont 684.000 euros de résultat exceptionnel lié à un abandon de compte-courant d’associé de la société MPN, son actionnaires majoritaire)’; qu’en raison de l’absence d’obtention de financements des investissements, du retard pris dans le processus de levée de fonds, de l’importance des investissements réalisés et de la faiblesse du chiffre d’affaires réalisé, la société Keybas a sollicité du tribunal de commerce le bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire, début 2022′;

12. – que lors de l’ouverture de la procédure, elle ne disposait d’aucune trésorerie, alors que les salaires des 36 salariés ont été avancés par l’AGS’; que la société Keybas a communiqué des prévisions le 20 janvier 2022 mettant en évidence une trésorerie positive dès février 2022 et une trésorerie à fin mars 2022 de 276.000 euros grâce à l’encaissement du crédit d’impôt recherche à hauteur de 350.000 euros et à des flux d’exploitation de 300.000 euros’; que les salaires de janvier 2022 ont été réglés le 10 février 2022, et que les salaires de février ont été réglés partiellement le 14 mars 2022 grâce à un crédit de TVA; que lors de l’audience tenue devant le tribunal le 16 mars 2022, la concluante a constaté que les salaires de février restaient en partie impayés en raison d’une absence de trésorerie suffisante (13.440,77 euros seulement), alors qu’un passif avait été généré depuis l’ouverture de la période d’observation pour 156.552 euros pour des créances à recouvrer de 66.209,96 euros; que le tribunal a cependant maintenu la période d’observation et a renvoyé la procédure à l’audience du 27 avril 2022′;

13. – que pendant la poursuite de la période d’observation, 14 salariés ont quitté l’entreprise (dont un pour faute grave)’; qu’au 21 avril 2022, la trésorerie était de 47.000 euros, avant paiement des salaires de ce mois pour 50.000 euros’; que les dettes sociales échues postérieurement au redressement judiciaire étaient de l’ordre de 150.000 euros et les dettes fournisseurs échues postérieurement au redressement judiciaire étaient de 20.118 euros’; qu’en raison de l’annonce par l’appelante d’encaissements à venir pour 343.000 euros, le tribunal a maintenu la période d’observation et a renvoyé l’affaire au 1er juin 2022;

14. – que par requête du 18 mai 2022, la concluante a saisi le tribunal d’une requête en conversion de la procédure en liquidation judiciaire, en raison d’une trésorerie réduite à 3.642,03 euros, après paiement intégral des salaires du mois d’avril le 13 mai 2022 seulement, de l’absence de paiement des charges sociales dont salariales, de l’existence de dettes fiscales pour 128.904,75 euros selon la société Keybas, de dettes fournisseurs pour 62.000 euros ;

15. – que si le prévisionnel de l’appelante faisait d’état d’encaissements pour 765.000 euros sur le mois de mai 2022, il s’agissait de 100.000 euros au titre de la levée de fonds, dont l’administrateur n’était pas informé, de 200.000 euros de crédit d’impôt recherche mais fait non confirmé par l’administration fiscale consultée par la concluante, de 45.000 euros au titre d’un remboursement d’activité partielle, mais avec un aléa important en raison d’un contrôle sur cette activité alors en cours, de 420.000 euros au titre du poste client, alors que le carnet de commande du mois d’avril faisait ressortir 147.000 euros d’encaissements dont 87.000 euros d’ici fin mai 2022 ; qu’il s’est ainsi avéré que les prévisions de la société Keybas étaient très éloignées de la réalité, alors qu’elle n’avait pas transmis ses comptes d’exploitation sur la période d’observation et qu’elle n’avait transmis aucune offre de reprise, alors que la date limite fixée était le 20 mai 2022′; qu’il existait un passif provisoire antérieur de 3.583.000 euros’;

16. – que lors de l’audience du 1er juin 2022, aucune offre de reprise n’a été déposée’; que le concluant a soutenu sa demande de conversion de la procédure’; que le mandataire judiciaire, le juge-commissaire et le parquet ont émis un avis favorable pour une liquidation judiciaire’; que l’appelante a précisé que son dossier de crédit d’impôt recherche suivait son cours, et qu’une somme de 300.000 euros devait être encaissée à brève échéance’;

17. – concernant la demande d’annulation du jugement, que postérieurement à l’audience du 1er juin 2022, la société Keybas a sollicité une réouverture des débats au motif que le crédit impôt recherche avait été versé’; que cette note en délibéré a été déclarée irrecevable par le tribunal, au motif qu’elle n’avait pas été sollicitée par lui’; qu’il résulte de l’article 445 du code de procédure civile qu’après la clôture des débats, les parties ne peuvent plus déposer aucune note, si ce n’est pour répondre aux arguments développés par le ministère public ou à la demande du président’; que si l’appelante soutient que le tribunal a statué sans prendre en considération ses protestations, aucune note en délibéré n’a été sollicitée par le président du tribunal, alors que l’appelante n’a pas entendu répondre aux conclusions du ministère public, mais aux arguments de l’administrateur’; que c’est ainsi à bon droit que le tribunal a déclaré irrecevable cette note’;

18. – qu’il n’y a pas eu de violation des droits de la défense, ni de violation du principe du contradictoire, puisque la demande de conversion de la procédure a respecté les dispositions de l’article L631-15 II du code de commerce’; que l’appelante a été assistée de son avocat et de son expert-comptable lors de l’audience’;

19. – sur le fond, qu’un redressement judiciaire est manifestement impossible, soit par voie de plan de redressement, soit par voie de plan de cession, en raison d’un passif échu depuis l’ouverture de la procédure jusqu’au mois de juin 2022 pour 298.000 euros selon les déclarations de l’appelante et les salaires impayés du mois de mai 2022′; qu’au 9 août 2022, le passif né de la période d’observation est désormais de 619.615,63 euros’; que malgré le gel du passif antérieur à l’ouverture du redressement judiciaire, la société Keybas ne peut ainsi couvrir ses charges courantes, ce qui ressortait déjà des audiences antérieures’; que l’appelante ne génère aucune capacité de financement permettant un remboursement du passif antérieur de 3.583,534 euros sur 10 ans’; qu’une date limite pour la présentation d’une offre dans le cadre d’un plan de cession a été fixée au 20 mai 2022′; qu’aucune offre n’a cependant été présentée’;

20. – que l’appelante ne conteste pas la réalité de l’état de cessation des paiements’; qu’elle ne produit aucun document bancaire démontrant l’existence d’une trésorerie suffisante, ni de documents comptables démontrant des prévisions d’activité fiables, pas d’élément concernant une acceptation de délais par ses fournisseurs, aucune commande de client permettant de rendre crédible un plan d’affaires’; que si elle soutient que son exercice 2021 serait positif pour 44.432 euros, c’est en raison d’un abandon de créance de la holding MPN d’une créance de compte-courant de 684.000 euros’; que sans cet abandon, le résultat net est déficitaire de 639.568 euros’; que les charges à déduire résultant de l’activité partielle ont bien été prises en comptes, mais pas le crédit d’impôt recherche puisqu’il n’est ni justifie ni versé’; qu’en tout état de cause, ce crédit d’impôt ne serait que de 193.255 euros, montant insuffisant pour couvrir les dettes de poursuite d’activité.

Prétentions et moyens de la Selarl Berthelot, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Keybas’:

21. Selon ses conclusions remises le 8 août 2022, elle demande à la cour’:

– de débouter la société Keybas de son appel’;

– de confirmer le jugement déféré’;

– de condamner l’appelante à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens distraits au profit de maître Alexis Grimaud, avocat associé de la Selarl Lexavoué.

Elle indique’:

22. – concernant la prétendue nullité du jugement, que le tribunal n’a pas statué en se fondant sur les seuls éléments fournis par les organes de la procédure’; que l’avocat de la société Keybas n’a pas eu l’autorisation de déposer une note en délibéré, ni de produire de nouvelles pièces pendant le délibéré’; que le tribunal n’avait pas ainsi l’obligation d’ordonner une réouverture des débats’;

23. – sur le fond, que les résultats avancés par l’appelante ne sont pas représentatifs, en raison d’abandon de créance de la société MPN’; qu’il existe sur l’année 2021 une insuffisance brute d’exploitation de 471.579 euros, traduisant une exploitation structurellement déficitaire, confirmée lors de la période d’observation, puisque de nouvelles dettes ont été créées pour un total de 619.615,63 euros notamment auprès des organismes sociaux; que même en intégrant le crédit impôt recherche pour 193.000 euros, qui constitue un produit exceptionnel, le passif créé depuis l’ouverture de la procédure reste à 426.615 euros’; que si suite au versement du crédit d’impôt, il existe une trésorerie positive pour 208.315 euros, cette somme sera immédiatement absorbée par les dettes de poursuite d’activité, de sorte qu’il n’existera plus de fonds pour reprendre et financer l’activité ;

24. – qu’en raison de cette activité structurellement déficitaire, aucun plan de redressement n’est possible, alors que le passif antérieur déclaré est de 3.587.053,22 euros et ne pourra faire l’objet d’un plan d’apurement’; qu’aucune offre de cession n’a été déposée’;

25. – que suite au prononcé du jugement déféré, alors que l’appelante n’a pas sollicité la suspension de l’exécution provisoire au premier président, la concluante a été contrainte de licencier l’intégralité des salariés afin qu’ils puissent bénéficier du paiement d’une partie de leurs salaires par l’AGS’; que la société Keybas ne dispose donc plus de personnel permettant une reprise d’activité.

Conclusions du ministère public’:

26. Selon ses conclusions remises le 5 octobre 2022 , il conclut à la confirmation du jugement déféré, la procédure suivie devant le tribunal de commerce étant régulière, alors que sur le fond, l’appelante invoque des éléments d’ordre général, ne pouvant combattre les constats chiffrés effectués sur l’absence de rentabilité, l’endettement très important et l’accumulation des dettes pendant la période d’observation.

*****

27. Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

Motivation

MOTIFS’:

1) Concernant la procédure suivie devant le tribunal de commerce’:

28. Concernant la demande d’annulation du jugement, ce n’est que postérieurement à l’audience du 1er juin 2022 que la société Keybas a sollicité une réouverture des débats au motif que le crédit impôt recherche allait être versé, selon courrier de l’administration fiscale.

29. Selon l’article 444 du code de procédure civile, le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés.Selon l’article 445 du code de procédure civile, après la clôture des débats, les parties ne peuvent plus déposer aucune note, si ce n’est pour répondre aux arguments développés par le ministère public ou à la demande du président.

30. En l’espèce, cette note en délibéré, avec demande de rappel de l’affaire, n’a pas tendu à répondre à des conclusions développées par le ministère public, et n’a pas été sollicitée par le tribunal. Il ne s’est agi que de solliciter une réouverture des débats, en raison d’un fait nouveau. Il en résulte que le tribunal n’avait pas à prendre en compte cette note en délibéré, qu’il n’était pas plus tenu d’y répondre, les débats étant clos. Il n’avait pas plus à ordonner la réouverture des débats, la société Keybas ayant pu s’expliquer contradictoirement, ayant été représentée par son avocat lors de l’audience.

31. Le fait qu’il ait déclaré, à bon droit, cette note irrecevable, n’est pas ainsi de nature à entraîner la nullité du jugement entrepris, et il n’en est pas résulté une atteinte aux droits de la défense, la voie de l’appel restant ouverte à la société Keybas, afin qu’il soit statué à nouveau, en fait et en droit, avec l’incidence du versement de ce crédit d’impôt, fait survenu postérieurement à la clôture des débats. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’ensuit que cette demande ne peut qu’être rejetée.

2) Sur le fond’:

32. Selon l’attestation de l’expert-comptable de la société Keybas du 21 février 2022, les résultats réalisés par cette société, en terme de chiffres d’affaires, ont été, sur les années 2020 et 2021, très en dessous des prévisions figurant dans son business plan. Ainsi, pour l’année 2021, si le chiffre d’affaires prévisionnel avait été fixé à 7.970.530 euros, la société Keybas n’a réalisé qu’un chiffre de 1.276.728 euros. Si le bilan arrêté au 31 décembre 2021 fait ressortir un exercice bénéficiaire pour 44.342 euros, c’est en raison d’un produit exceptionnel de 684.000 euros, dont il n’est pas contesté qu’il s’agit de l’abandon d’un compte courant du principal actionnaire et président, la société MPN. En dehors de la prise en compte de ce produit exceptionnel, le résultant courant avant impôt est négatif pour 591.835 euros, ce qui représente plus de 30’% du chiffre d’affaires. Celui de l’année précédente était négatif pour 1.018.256 euros. Les mêmes valeurs négatives se retrouvent au titre du résultat d’exploitation de ces deux années.

33. L’analyse de ce bilan 2021 fait également ressortir des dettes fournisseurs passant de 336.218 euros en 2020, à 1.934.336 euros au 31/12/2021, et des dettes fiscales et sociales passant de 336.218 euros à 625.003 euros. Il en résulte que d’une année à l’autre, l’endettement a été multiplié par deux, et qu’il s’est révélé important au regard du chiffre d’affaire réalisé, expliquant la saisine du tribunal de commerce afin qu’une procédure de redressement judiciaire soit ouverte.

34. A l’appui de son appel, la société Keybas ne produit aucun document comptable concernant la période d’observation. Le bilan économique, social et environnemental établi par l’administrateur judiciaire démontre que l’endettement de la société a été multiplié par quatre entre 2019 et 2021, alors que le chiffre d’affaire s’est contracté, passant de 1.842.000 euros en 2019 à 1.277.000 euros en 2021. L’endettement total de la société est de 4.209.000 euros au 31/12/2021. L’origine des difficultés provient du volume des investissements, représentés par des charges de frais de développement, figurant au titre des immobilisations, financées par de la dette bancaire, la société s’ur Sedimat également sous le coup d’une procédure collective, et l’absence de concours suffisants d’investisseurs. L’investissement de 1,6 millions d’euros par le groupe Yvrai, moyennant une prise de participation dans le capital de la société MPN, et un apport en compte courant de 600.000 euros, ont été les seuls apports, et n’ont pas suffit à reconstituer une trésorerie suffisante. Il en résulte que lors de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, le sort de la société Keybas était pratiquement scellé, en raison d’une activité structurellement déficitaire, sauf des apports très conséquents de la part d’investisseurs.

35. Pendant la période d’observation, le passif antérieur a été figé. Cela n’a cependant pas permis à l’appelante de retrouver une situation financière stable. Ainsi, le rapport de l’administrateur indique qu’au 14 mars 2022, le solde de trésorerie était de 13.440,77 euros, alors que les dettes nées de la période d’observation s’élevaient à 155.552 euros, pour des créances recouvrables sur les clients de 66.209,96 euros. Cependant, à cette date, il restait un solde de salaires à verser pour 17.000 euros, vidant ainsi totalement la trésorerie existante. En outre, les cotisations sociales n’étaient plus payées depuis le début de l’année. Il est précisé que la société comptait sur le remboursement de l’activité partielle et le paiement du crédit impôt recherche pour combler son besoin de trésorerie. L’administrateur a indiqué que l’absence de trésorerie ne permet de réaliser qu’un approvisionnement très limité, ce qui rend contestable les perspectives de réalisation d’un chiffre d’affaires avancées par la société Keybas. L’administrateur a ainsi souhaité engagé un plan de cession rapide, en raison de l’absence de garantie sur le financement de la période d’observation, sauf versement sous huitaine du crédit impôt recherche.

36. Le rapport établi par l’administrateur le 22 avril 2022 indique que depuis l’ouverture de la procédure, 14 salariés ont quitté l’entreprise sur un total de 36, dont trois pour faute grave, 6 pour démission, 3 pour rupture conventionnelle, et deux en raison de la fin de leur contrat à durée déterminée ou à l’expiration de leur période d’essai. En raison de trois embauches, l’effectif est de 25 salariés. Les salaires des mois de janvier à mars ont été réglés grâce à un crédit de TVA et à un remboursement d’activité partielle, mais avec la précision qu’un contrôle a posteriori a été engagé par l’administration.

37. Il résulte de la requête de l’administrateur judiciaire du 18 mai 2022, afin de convertir la procédure en liquidation judiciaire, que pendant la période d’observation, la société Keybas a été dans l’incapacité de régler les charges sociales, pour près de 186.000 euros en intégrant celles d’avril et mai 2022. Les dettes fournisseurs crées pendant la période d’observation sont de 62.380,98 euros. Les encaissements prévus par l’appelante, notamment au titre de commandes en cours, n’ont pas été réalisés. La trésorerie ne permet pas la poursuite de l’activité, alors qu’aucune offre de reprise n’a été déposée, et que le passif déclaré auprès du mandataire est de 3.583.534 euros.

38. L’administrateur a retiré de ces éléments que pendant la période d’observation, la société Keybas n’a pas été en mesure de se financer, alors que les dettes de la poursuite de l’activité doivent être payées à leur échéance, et qu’elle ne peut faire face à ses charges courantes, avec une incertitude sur l’encaissement du crédit impôt recherche au mois de mai 2022. Aucune offre de cession n’ayant été déposée, il a ainsi conclu au prononcé de la liquidation judiciaire.

39. Dans son rapport du 30 mai 2022, le mandataire judiciaire a constaté les mêmes éléments concernant l’impossibilité de financer la période d’observation, avec la création d’un nouveau passif, et l’absence de possibilité de cession de l’entreprise faute d’un candidat.

40. La cour constate que devant elle, il n’est pas justifié par l’appelante d’éléments comptables permettant de remettre en cause les éléments détaillés dans les rapports des organes de la procédure. Si le crédit impôt recherche a finalement été versé par l’administration fiscale, son montant inférieur à 200.000 euros, ainsi qu’il résulte de l’extrait du compte bancaire de la société Keybas, ne permet pas le paiement des dettes résultant de la période d’observation.

41. En outre, il ne peut qu’être relevé que les objectifs de l’appelante n’ont pas été tenus en terme de chiffre d’affaires, qu’elle ne produit aucun carnet de commande, alors que l’administrateur judiciaire a pointé que les encaissements résultant de commandes en cours n’ont pas été réalisés, et qu’il existe un manque constant de trésorerie, préjudiciable à l’approvisionnement de la société pour honorer des commandes en cours.

42. Il ne peut qu’être retenu que les difficultés de l’entreprise remontent au début de sa création, avec un manque d’apports significatifs, au regard d’immobilisations très importantes, résultant de sa qualité de startup, supposant l’élaboration de procédés de fabrication et de produits innovants, dans l’attente de commandes permettant de les rentabiliser sur une période d’une durée variable. La société Keybas a été consciente de ce problème, puisqu’il a été notamment dit qu’elle a recherché des investisseurs avant la saisine du tribunal de commerce pour l’ouverture d’un redressement judiciaire, mais sans effet, en dehors d’une prise de participation du groupe Yvrai. Pour le reste, son financement a été réalisé par le recours à de l’endettement, à la création d’un passif important, y compris lors de la période d’observation, et l’abandon du compte courant de la société MPN. Les aides publiques n’ont pas été de nature à remédier à ces difficultés.

43. Si l’appelante soutient qu’elle est en mesure de présenter un plan de redressement, elle ne fournit cependant à la cour aucune précision sur ses modalités, au regard d’un passif représentant plusieurs années de chiffre d’affaires. Aucune offre de reprise n’a été présentée. Il n’est pas plus fourni d’élément concret concernant la possibilité de maintenir la période d’activité. La cour rappelle que la cause des difficultés rencontrées est structurelle, tenant à la nature de l’activité exercée et à l’absence de possibilités de financement suffisantes.

44. Il en résulte que la situation de la société Keybas n’est manifestement pas susceptible d’un redressement, tant par l’adoption d’un plan d’apurement de son passif que dans le cadre d’une cession. Le jugement déféré ne peut ainsi qu’être confirmé en ce qu’il a ordonné la liquidation judiciaire.

45. Succombant en son appel, la société Keybas sera condamnée à payer à la Selarl Berthelot ès-qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile. Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 15, 16, 444 et 445 du code de procédure civile, 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L640-1 du code de commerce’;

Déboute la société Keybas de sa demande d’annulation du jugement déféré’;

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour ;

y ajoutant’;

Condamne la société Keybas à payer à la Selarl Berthelot ès-qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile’;

Condamne la société Keybas aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire, avec distraction au profit de maître Alexis Grimaud, avocat associé de la Selarl Leavoué;

Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 

 


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