10 janvier 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
21/02035
2ème Chambre
ARRET N°11
JPF/KP
N° RG 21/02035 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GJ5E
S.C.E.A. [T]
C/
[T]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02035 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GJ5E
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 01 juin 2021 rendu(e) par le Président du TJ de SAINTES.
APPELANTE :
S.C.E.A. [T], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Gérald FROIDEFOND de la SCP B2FAVOCATS, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Julien PRAMIL MARRONCLE , avocat au barreau de BORDEAUX .
INTIME :
Monsieur [L] [T]
né le [Date naissance 1] 1933 à [Localité 2]
Chez Arnut
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Jérôme BOUSQUET, avocar au barreau de ANGOULEME.
Ayant pour avocat plaidant Me Ludivine SCHAUSS, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 02 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
EXPOSÉ DU LITIGE:
Le 13 février 1956, Mme [Z] [N] et M. [L] [T] se sont mariés sous le régime de la communauté légale et de leur union sont nés M. [C] [T] et Mme [P] [T].
Le 1er mars 1980 a été créé le GFA Chez Arnut, pour objet la propriété, l’administration, la jouissance par dation à bail uniquement de tous les immeubles ruraux apportés au groupement, avec comme associés:
-M. [L] [T],
-sa mère, Mme [X] [G],
-Mme [Z] [T],
– [C] [T],
-[P] [T].
Le 3 mars 1980, les époux [T] ainsi que leurs deux enfants ont créé la SCEA [T] qui a pour objet social l’exploitation par voie de fermage de toutes propriétés agricoles, et donc le capital social est réparti comme suit:
Mme [Z] [T] détient 400 parts sociales ;
M. [L] [T] détient 400 parts sociales ;
Mme [P] [T] détient 100 parts sociales ;
M. [C] [T] détient 100 parts sociales.
M. [L] [T] a été désigné en tant que gérant de la SCEA [T] depuis l’origine jusqu’au 31 décembre 1999.
À compter de cette date, Mme [P] [T] a repris la gestion de la société.
Par ordonnance en date du 11 avril 2017, la présidente du tribunal de grande instance de Saintes a désigné M. [V] [E], expert judiciaire agricole, en qualité de mandataire ad hoc de la SCEA [T].
Par acte d’huissier délivré le 23 janvier 2019, M. [L] [T] a fait assigner en référé la SCEA [T] aux fins de désignation d’un expert judiciaire et versement d’une provision au titre du remboursement de son compte courant d’associé.
Par ordonnance en date du 30 avril 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saintes a ordonné l’expertise judiciaire aux fins d’examiner les comptes de la SCEA [T] et notamment de vérifier les revenus effectivement distribués à chacun des époux, titulaires d’un compte courant d’associé commun.
Il a cependant débouté M. [L] [T] de sa demande de remboursement partiel de compte courant d’associé.
Par courrier en date du 16 septembre 2020, M. [L] [T] a demandé en vain à la gérante de la SCEA [T] le versement d’une provision d’un montant de 10 000 euros correspondant au remboursement partiel de son compte courant d’associé.
Par acte d’huissier en date du 4 janvier 2021, M. [L] [T] a fait assigner la SCEA [T] en remboursement partiel de son compte courant d’associé, pour un montant provisionnel de 20 000 euros.
Par ordonnance en date du 9 mars 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saintes déboutait M. [L] [T] de sa demande de provision et a rejeté la demande formée par la société [T] en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
L’expert judiciaire désigné a déposé son rapport le 12 mars 2021.
Par acte d’huissier délivré le 14 avril 2021, M. [L] [T] a assigné de nouveau la SCEA [T] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Saintes pour obtenir sa condamnation à lui verser par provision un remboursement partiel de son compte courant d’associé d’un montant de 50 000 euros dans le délai de 8 jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par ordonnance date du 1er juin 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saintes a:
Renvoyé les parties à se pourvoir au principal, mais dès à présent,
Condamné la SCEA [T] à payer à M. [L] [T] une provision de 50 000 euros à valoir sur sa créance de remboursement de compte courant d’associé, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte de 30 euros par jour de retard pendant quatre mois passé ce délai,
Débouté la SCEA [T] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamné la SCEA [T] aux dépens,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 1er juillet 2021, la SCEA [T] a fait appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués de l’ordonnance, en intimant M. [L] [T].
Moyens
Par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 13 décembre 2021, la SCEA [T], demande à la cour :
Vu les articles 808 et 809 du code de procédure civile,
Vu l’article 32-1 du code de procédure civile,
-de réformer partiellement l’ordonnance du 1er juin 2021 en ce qu’elle a :
Condamné la SCEA [T] à payer à M. [L] [T] une provision de 50 000 euros à valoir sur sa créance de remboursement de compte courant d’associé, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte de 30 euros par jour de retard pendant 4 mois passé ce délai ;
Débouté la SCEA [T] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamné la SCEA [T] aux dépens.
Statuant à nouveau de ces chefs :
-de débouter M. [L] [T] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la SCEA [T] aux fins de versement d’une provision sur compte courant d’associé de 50 000 euros et sous astreinte de 30 euros par jour de retard pendant 4 mois passé ce délai ;
-de prononcer l’existence d’une contestation sérieuse et d’un réel différend ;
-de prononcer l’incompétence du juge des référés du tribunal judiciaire de Saintes ;
-de prononcer la compétence du juge du fond du tribunal judiciaire de Saintes ;
-de condamner M. [L] [T] à verser à la SCEA [T] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
En tout état de cause :
-de condamner M. [L] [T] au paiement d’une indemnité pour frais irrépétibles de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 2 décembre 2021, M. [L] [T] demande à la cour:
Vu l’article 835 du code de procédure civile,
Vu le rapport de l’Expert judiciaire M. [Y],
Vu la jurisprudence applicable,
-de rejeter les demandes de la SCEA [T] ;
-de confirmer l’ordonnance en date du 1er juin 2021 rendue par le Juge des référés du Tribunal judiciaire de Saintes en ce qu’elle a :
Condamné la SCEA [T] à payer à M. [L] [T] une provision de 50 000 euros à valoir sur sa créance de remboursement de compte courant d’associé, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte de 30 euros par jour de retard pendant 4 mois passé ce délai ;
Débouté la SCEA [T] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamné la SCEA [T] aux dépens.
-de condamner la SCEA [T] à payer à M. [L] [T] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
La mesure de médiation qui avait été ordonnée le 8 décembre 2021 n’a pas abouti.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
L’ordonnance de clôture est intervenue à l’audience, le 2 novembre 2022.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION:
A titre liminaire, il sera relevé que l’appelante se fonde à tort ses prétentions sur les anciens articles 808 et 809 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2020.
Compte tenu de la date de l’assignation (14 avril 2021), les dispositions applicables à la présente instance sont celles des articles 834 et 835 du code de procédure civile.
1- L’appelante soutient en premier lieu que M. [T] ne justifie nullement de l’existence d’une urgence, d’un péril ou d’un dommage imminent, au visa de l’article 808 du code de procédure civile (devenu 834 du code de procédure civile).
2- Toutefois, ce moyen est inopérant, puisque M. [T] fonde sa demande de provision sur l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, au visa de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile.
3- La société [T] soutient en second lieu que la demande de provision se heurterait à une contestation sérieuse, car le montant exact revenant à M. [T] serait totalement incertain, s’agissant d’un compte courant d’associés commun aux deux époux, avec une confusion sur l’affectation des résultats de la société et des retraits des époux, sans qu’il soit possible de déterminer la créance acquise par chacun, de sorte que M. [T] aurait dû engager une procédure au fond.
Elle ajoute qu’elle ne peut dilapider sa trésorerie pour servir les intérêts personnels de M. [T], alors même que sa situation financière demeure fragile, et qu’elle envisage de réaliser des travaux onéreux (1 777 046 euros), pour les stricts besoins de son activité, en limitant le recours aux emprunts, de sorte que la libération de la somme de 50000 euros lui serait préjudiciable.
Elle souligne enfin que M. [T] n’a pas démontré qu’il avait consenti une avance à la SCEA, sous quelque forme que ce soit, de sorte que l’existence d’une créance sur compte courant ne serait pas établie; et qu’en toutes hypothèses, en l’absence de demande en ce sens de la part de l’intimé, l’assemblée générale des associés n’a pas délibéré conformément à l’article 22 des statuts sur le paiement du résultat distribuable.
4- Mais, ainsi que l’intimé le fait valoir à bon droit, le compte courant d’associé constitue une dette de la société à l’égard des associés concernés, et il importe peu à cet égard que les fonds inscrits sur compte courant proviennent d’une avance sous forme de prêt, ou d’une renonciation temporaire de l’un des associés à percevoir des revenus distribués.
En outre, il est constant, en droit, qu’à défaut de clause statutaire (antérieure au dépôt des fonds) ou de stipulation conventionnelle contraire, un associé peut demander le remboursement des sommes avancées à tout moment, en dehors de toute procédure de retrait sans que la société puisse lui opposer les nécessités ou contraintes de sa trésorerie, ou ses besoins de fonds propres pour des investissements à venir.
Conformément au droit commun des obligations, en l’absence de terme spécifié, l’avance consentie par l’associé constitue un prêt à durée indéterminée, de sorte que chacune des parties dispose de la faculté de rompre unilatéralement le contrat à tout moment.
5- En l’espèce, la société appelante ne peut utilement invoquer les stipulations de l’article 22 des statuts comme de nature à caractériser une contestation sérieuse.
Il est en effet prévu à cet article que ‘le bénéfice distribuable de la période de référence est constitué par le bénéfice net de l’exercice, diminuée des pertes antérieures et augmentées des reports bénéficiaires.
Sont distribuables également toutes sommes portées en réserve.
Après approbation du rapport d’ensemble des gérants, les associés décident de porter tout ou partie du bénéfice distribuable à un ou plusieurs comptes de réserves, générales ou spéciales, dont ils déterminent l’emploi et la destination ou de les reporter à nouveau.
Les sommes dont la distribution est décidée sont réparties entre les associés à proportion pour chacun de sa part dans le capital social.’
Les sommes portées en réserves font partie des actifs de la société, contrairement à celles inscrites à un compte courant d’associé.
Ile ne résulte donc nullement de ces stipulations qu’une limitation statutaire quelconque soit apportée au droit, pour les époux associés de réclamer, à tout moment, en tout ou partie, et sans forme particulière, restitution du solde créditeur de leur compte-courant d’associés, qui s’élève à 520 474.27 euros à la date du 31 mars 2020 (pièce 3 de M. [T]); ce solde comptable constituant une créance liquide et exigible à première demande.
6- Le fait que M. [T] n’ait pas disposé d’un compte courant personnel est pareillement indifférent, puisqu’en sa qualité d’époux commun en biens, il a qualité pour demander à la société remboursement de l’avance en compte courant, qui constitue une créance commune des époux, en application des dispositions de l’article 1421 du code civil.
7- Il en résulte qu’aucune contestation sérieuse n’est opposée par la société à la demande en remboursement du compte-courant.
L’ordonnance entreprise doit donc être confirmée en ce qu’elle a condamné par provision la société à payer à M. [T] la somme de 50 000 euros; et ceci sous astreinte.
Sur la demande de dommages-intérêts :
8- L’exercice d’une action en justice ne dégénère en faute susceptible d’entraîner une condamnation à des dommages intérêts que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi
En l’espèce, l’ordonnance sera pareillement confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande conventionnelle en paiement de dommages et intérêts formée par la SCEA, dès lors que le bien-fondé de l’action de M. [T] est reconnu, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir, à trois reprises, agi en justice pour obtenir paiement d’une provision d’un montant au demeurant limité au regard de l’avoir sur compte courant.
Sur les demandes accessoires:
9- Il est équitable d’allouer à M. [T] une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Echouant en ses prétentions devant la cour, la SCEA supportera les dépens d’appel ainsi que ses frais irrépétibles.
Dispositif
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SCEA [T] à payer à M. [L] [T] la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la SCEA [T] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,