1 décembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/22425
Pôle 1 – Chambre 10
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 01 DÉCEMBRE 2022
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/22425 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE4GI
Décision déférée à la cour :
Jugement du 25 novembre 2021-Juge de l’exécution de PARIS-RG n° 21/81357
APPELANTE
Madame [D] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Katherine LOFFREDO-TREILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0782
INTIMÉE
S.C.I. F.S.K VALERY
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Plaidant par Me Louis-Marie ABSIL de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0030
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 3 novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller chargé du rapport, et Madame Catherine LEFORT, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, présidente et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier, présent lors de la mise à disposition.
Exposé du litige
Déclarant agir en vertu d’un jugement rendu par le Juge aux affaires familiales de Paris en date du 13 janvier 2021, Mme [J] a le 15 avril 2021 dressé un procès-verbal de saisie-attribution et de droits d’associés entre les mains de la SCI FSK Valery et à l’encontre de M. [V] [J], son époux, pour avoir paiement de la somme de 122 812,96 euros ; cette mesure a été dénoncée au débiteur le 19 avril 2021. Un certificat de non contestation sera signifié au tiers saisi le 11 juin 2021.
La SCI FSK Valery étant restée taisante quant à l’existence et l’étendue de ses obligations vis-à-vis de M. [J], Mme [J] a intenté une action à son encontre sur le fondement de l’article R 211-5 du code des procédures civiles d’exécution devant le juge de l’exécution de Paris, lequel a suivant jugement en date du 25 novembre 2021 :
– rejeté les demandes ;
– condamné la SCI FSK Valery au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SCI FSK Valery aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a relevé que des bénéfices n’avaient pas à être distribués à M. [J] faute d’approbation des comptes, si bien que la SCI FSK Valery ne saurait être considérée comme débitrice desdits dividendes, alors que le compte courant que détenait M. [J] n’était pas débiteur, de sorte que le tiers saisi ne lui devant aucune somme, la sanction édictée à l’article R 211-5 du code des procédures civiles d’exécution ne trouvait pas à s’appliquer.
Selon déclaration en date du 20 décembre 2021, Mme [J] a relevé appel de ce jugement.
Moyens
En ses conclusions notifiées le 11 octobre 2022, elle a exposé :
– que le conseil de la SCI FSK Valery, dans une lettre, avait annoncé que sa cliente était d’accord pour payer la dette de M. [J] tout en demandant un détail des sommes dues et si le débiteur avait versé des acomptes ;
– que M. [J] était bien titulaire d’une créance à l’encontre de la SCI FSK Valery, et que ce n’était que dans ses conclusions datées du 5 octobre 2021 que l’intéressée avait affirmé le contraire ;
– que M. [J] avait bénéficié, venant de la SCI FSK Valery, de revenus fonciers (64 732 euros en 2019 et 65 591 euros en 2020) ;
– qu’une assemblée générale de la SCI FSK Valery du 14 septembre 2020 avait prévu que le bénéfice de 285 334 euros serait affecté en report à nouveau, mais il s’agissait d’un faux ; qu’en réalité le bénéfice de l’année 2019 avait bien été distribué aux associés ;
– qu’une autre assemblée générale du 29 septembre 2021 avait prévu que le bénéfice de 292 309 euros serait affecté en report à nouveau ;
– que le gérant de la SCI FSK Valery, M. [O] [J], s’était adonné à la fraude fiscale, et une plainte pour faux avait été déposée contre lui ainsi que M. [V] [J] et la SCI FSK Valery ;
– que l’acte de saisie-attribution était régulier, et que s’agissant uniquement d’une saisie de créance, la question de savoir si les mentions de l’article R 232-5 du code des procédures civiles d’exécution relatives à la saisie de droits incorporels y figuraient ou non n’avait pas d’intérêt ;
– que par application de l’article L 211-3 du même code, la SCI FSK Valery était débitrice d’une obligation de renseignement et ne l’avait pas respectée.
Mme [J] a en conséquence demandé à la Cour de :
– infirmer le jugement ;
– condamner la SCI FSK Valery au paiement de la somme de 105 618,29 euros avec intérêts au taux légal majoré à dater du 21 février 2021 ;
– condamner la SCI FSK Valery au paiement de la même somme à titre de dommages et intérêts ;
– ordonner la capitalisation des intérêts ;
– condamner la SCI FSK Valery à lui régler la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées le 10 octobre 2022, la SCI FSK Valery a répliqué :
– que l’acte de saisie du 15 avril 2021 était nul, contrairement à ce qu’avait estimé le juge de l’exécution, car il n’était pas possible de dresser tout à la fois un acte de saisie-attribution et un acte de saisie de droits d’associés ; qu’il était nécessaire d’en dresser deux distincts, et ce d’autant plus qu’une saisie-attribution ne pouvait porter sur des parts sociales ;
– que l’acte en cause était irrégulier au visa de l’article R 232-5 du code des procédures civiles d’exécution, car il ne comportait pas la mention selon laquelle les droits pécuniaires attachés aux parts sociales étaient indisponibles ; qu’un grief en était résulté, car elle avait été induite en erreur quant aux effets de la saisie, et n’avait pas été informée correctement de la teneur des renseignements à donner à l’huissier de justice instrumentaire ;
– que le courrier du 26 mai 2021 dont l’appelante se prévalait émanait du conseil de M. [J] et non pas du sien ;
– que les plaintes déposées par la partie adverse étaient demeurées sans suite ;
– qu’une condamnation au causes de la saisie ne pouvait pas intervenir si le tiers saisi n’avait pas de dette à régler au débiteur, et que tel était bien le cas ici car aucun bénéfice n’était à distribuer ;
– qu’en effet, l’article 20 des statuts de la SCI prévoyait que les bénéfices distribuables devaient être répartis entre les associés ou, sur leur décision prise sur la proposition de la gérance, être affectés au report à nouveau ;
– que l’article 1382 du code civil n’édictait aucune obligation de distribuer lesdits bénéfices ;
– que par ailleurs, elle n’était nullement débitrice d’un compte courant d’associé envers M. [J] ;
– qu’il n’existait donc pas de créance saisissable, alors que l’appelante ne pouvait justifier d’aucun préjudice.
La SCI FSK Valery a demandé en conséquence à la Cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a refusé d’annuler l’acte de saisie du 15 avril 2021 ; l’annuler et en ordonner la mainlevée ;
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à Mme [J] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Mme [J] à lui rembourser la somme de 5 000 euros
qu’elle lui a ainsi versée le 22 décembre 2021 ;
– subsidiairement, confirmer le jugement ;
– condamner Mme [J] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– prononcer à son encontre une amende civile ;
– condamner Mme [J] au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Motivation
MOTIFS
S’agissant de la régularité de l’acte de saisie régularisé entre les mains de la SCI FSK Valery et à l’encontre de M. [J], cet acte était dénommé ‘ procès-verbal de saisie-attribution de comptes courants d’associés et de parts sociales de SCI’. Aucun texte n’interdit de régulariser ces deux saisies en un seul et même acte.
Selon les dispositions de l’article R 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, le procès-verbal de saisie-attribution doit comporter, à peine de nullité, un certain nombre de mentions obligatoires, notamment le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, majorées d’une provision pour les intérêts à échoir dans le délai d’un mois prévu pour élever une contestation.
L’article R 232-5 du même code énonce que l’acte de saisie de droits d’associés et de valeurs mobilières contient à peine de nullité :
1° Les nom et domicile du débiteur ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
2° L’indication du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée ;
3° Le décompte des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus ainsi que l’indication du taux des intérêts ;
4° L’indication que la saisie rend indisponibles les droits pécuniaires attachés à l’intégralité des parts ou valeurs mobilières dont le débiteur est titulaire ;
5° La sommation de faire connaître l’existence d’éventuels nantissements ou saisies.
Le procès-verbal litigieux ne comporte que les mentions d’un acte de saisie-attribution à l’exclusion de celles d’un acte de saisie de droits d’associé. La nullité ne saurait toutefois être prononcée, conformément à l’article 114 du code de procédure civile, que si un grief est mis en évidence, s’agissant d’une irrégularité de forme. Tel n’est pas le cas en l’espèce car la créancière, Mme [J], dans le cadre de la présente instance, fonde sa demande en paiement à l’encontre de la SCI FSK Valery exclusivement sur les obligations d’un tiers saisi en matière de saisie-attribution. D’ailleurs, elle n’a pas poursuivi la vente des parts sociales selon la procédure prévue aux articles R 233-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a refusé d’annuler l’acte querellé.
Par application de l’article R 211-4 du même code, le tiers saisi est tenu de fournir sur le champ à l’huissier de justice les renseignements prévus à l’article L 211-3 et de lui communiquer les pièces justificatives ; l’article R 211-5 dispose que le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus est condamné, à la demande du créancier, à payer les sommes dues à ce dernier sans préjudice de son recours contre le débiteur.
Lors de la délivrance du procès verbal de saisie-attribution et de droits d’associé du 15 avril 2021, l’intimée est restée taisante et n’a founi aucun des renseignements demandés.
Il est de jurisprudence constante que le tiers saisi n’encourt aucune sanction lorsqu’il n’est débiteur d’aucune somme envers le débiteur. En l’espèce, Mme [J] avance que des bénéfices étaient dus à M. [J]. Or ces dividendes n’ont pas d’existence juridique avant que leur distribution ne soit décidée par l’organe social compétent et que la somme à régler à chaque associé soit déterminée. Une assemblée générale de la SCI FSK Valery du 14 septembre 2020 a décidé que le bénéfice de l’exercice (285 334 euros) serait affecté en report à nouveau ; si l’appelante soutient qu’il s’agit d’un faux, la Cour qui exerce les pouvoirs du juge de l’exécution ne peut trancher cette question, et ce d’autant plus que les autres associés ne sont pas dans la cause. Même à supposer qu’en réalité, le bénéfice de l’année 2019 aurait bien été distribué aux associés, il n’est pas démontré que tel a été le cas postérieurement à l’acte de saisie en question. Une autre assemblée générale du 29 septembre 2021 a prévu que le bénéfice de 292 309 euros serait affecté en report à nouveau, et là encore la Cour ne peut revenir sur sa régularité. Il en résulte qu’au jour de la saisie-attribution litigieuse, la SCI FSK Valery n’était débitrice d’aucune somme envers M. [J], au titre de dividendes.
S’agissant du compte courant, les pièces comptables qui ont été produites font état d’un compte débiteur de 216 949 euros vis à vis de M. [J] en 2019 et d’une absence de compte en 2020. La saisie litigieuse ayant été opérée le 15 avril 2021, il n’est donc nullement démontré qu’à cette époque l’intéressé était de nouveau créditeur d’un compte courant.
Dans ces conditions, il apparaît que M. [J] n’avait pas la qualité de créancier, à quelque titre que ce soit, vis-à-vis de la SCI FSK Valery, au jour de la saisie, et bien que l’intéressée ait failli à son obligation de renseignement, elle n’encourt aucune sanction. Le jugement est confirmé.
La SCI FSK Valery réclame la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Le droit d’action ou de défense en justice ne dégénère en abus qu’en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière, équipollente au dol, de sorte que la condamnation à des dommages-intérêts doit se fonder sur la démonstration de l’intention malicieuse et de la conscience d’un acharnement procédural voué à l’échec, sans autre but que de tenter d’obtenir le paiement de sommes indues. Le principe du droit d’agir implique que la décision judiciaire de retenir le caractère non fondé des prétentions ne suffit pas à caractériser l’abus de l’exercice du droit. En l’espèce, si Mme [J] s’est méprise sur les effets du procès-verbal de saisie-attribution et de droits d’associés vis à vis du tiers saisi, n’est pas établi pour autant le caractère abusif de la présente action en justice, si bien que la SCI FSK Valery sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’intimée à payer à Mme [J] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, car la SCI FSK Valery n’ayant pas répondu à l’huissier de justice ayant régularisé la saisie, la créancière a cru de bonne foi qu’une action en paiement fondée sur l’article R 211-5 du code des procédures civiles d’exécution prospèrerait.
La SCI FSK Valery a demandé à la Cour de condamner Mme [J] à lui rembourser la somme de 5 000 euros qu’elle lui a versée le 22 décembre 2021 au titre de l’article 700 du code de procédure civile, mais dès lors que le chef du jugement ayant prononcé la condamnation à payer cette somme est confirmé, cette demande se heurte à l’autorité de chose jugée attachée audit jugement et sera déclarée irrecevable.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SCI FSK Valery.
La demande de la SCI FSK Valery à fin de condamnation de Mme [J] au paiement d’une amende civile se heurte à la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir puisque celle-ci serait, en toute hypothèse, recouvrée par le Trésor Public, si bien que ladite demande est irrecevable.
Mme [J], qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d’appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
– CONFIRME le jugement en date du 25 novembre 2021 ;
– DEBOUTE la SCI FSK Valery de sa demande de dommages et intérêts ;
– DECLARE irrecevable sa demande à fin de condamnation de Mme [D] [J] au paiement d’une amende civile, ainsi que sa demande en restitution de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– REJETTE la demande de la SCI FSK Valery en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE Mme [D] [J] aux dépens d’appel.
Le greffier, Le président,