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21 FEVRIER 2023
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 20/01641 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FPTB
S.A. ORPEA
/
[W] [D]
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire de vichy, décision attaquée en date du 19 octobre 2020, enregistrée sous le n° f19/00053
Arrêt rendu ce VINGT ET UN FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Sophie NOIR, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
S.A. ORPEA
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Remy MASSET de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CUSSET/VICHY
APPELANTE
ET :
Mme [W] [D]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Marlene BAPTISTE, avocat au barreau de CUSSET/VICHY
INTIMEE
Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 05 Décembre 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Le groupe ORPEA-CLINEA est un acteur européen agissant dans le secteur de la prise en charge globale de la dépendance à travers l’exploitation d’un réseau d’établissements spécialisés composés de résidences de retraite médicalisées ou établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes, ainsi que de cliniques de soins de suite, de réadaptation et de soins psychiatriques.
Madame [W] [D], née le 1er mai 1970, a été embauchée par la SA ORPEA, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, à compter du 9 août 2010, en qualité d’infirmière diplômée d’Etat. Elle a été affectée à la résidence Bellerive située [Adresse 3] (03).
La relation contractuelle relève de la convention collective nationale de l’hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002.
Par courrier daté du 6 octobre 2018, remis en main propre, l’employeur a notifié à Madame [W] [D] une mise à pied à titre conservatoire et a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 22 octobre suivant.
Par courrier recommandé avec avis de réception expédié le 30 octobre 2018, Madame [W] [D] a été licenciée pour faute grave.
Selon l’attestation Pôle Emploi établie par la société ORPEA en date du 8 novembre 2018, Madame [W] [D] a été employée en qualité d’infirmière du 9 août 2010 au 31 octobre 2018. La salariée n’a perçu ni indemnité de licenciement ni indemnité compensatrice de préavis.
Le 20 mars 2019, Madame [W] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de VICHY aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, annuler la mise à pied à titre conservatoire dont elle a fait l’objet, outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire et de rappel de salaires.
L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 27 mai 2019 (convocation signée par l’employeur défendeur le 25 mars 2019) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement contradictoire rendu contradictoirement le 19 octobre 2020 (audience du 4 mai 2020), le conseil de prud’hommes de VICHY a :
– rejeté la demande de la SA ORPEA tendant à voir écarter les pièces 11 bis et 21 présentée par Madame [W] [D] ;
– dit que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée de Madame [W] [D] est abusive ;
En conséquence
– requalifié cette rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– dit qu’en application de l’article R. 1454-28 du code du travail le salaire de référence s’élève à la somme brute de 2.761,62 euros ;
– condamné la SA ORPEA, prise en la personne de son représentant légal, à porter et payer à Madame [W] [D] :
* la somme brute de 2.234,82 euros à titre de remboursement de la mise à pied conservatoire, avec intérêts de droit à compter de la saisine;
* la somme brute de 223,48 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents à la mise à pied conservatoire avec intérêts de droit à compter de la saisine ;
* la somme brute de 5.523,23 euros à titre d’indemnité de préavis, avec intérêts de droit à compter de la saisine ;
* la somme brute de 552,32 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents à l’indemnité de préavis, avec intérêts de droit à compter de la saisine ;
* la somme brute de 5.873,21 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement, avec intérêts de droit à compter de la saisine ;
* la somme nette de 19.300 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droit à compter de la présente décision ;
– dit que des sommes ci-dessus énoncées en brut devront éventuellement être déduites les charges sociales salariales précomptées et reversées aux organismes sociaux par l’employeur ;
– dit que les sommes nettes s’entendent nettes de toutes cotisations et contributions sociales ;
– ordonné le licenciement étant intervenu sans cause réelle et sérieuse dans une entreprise comptant plus de 10 salariés et à l’encontre d’une salariée ayant plus de deux ans d’ancienneté, le remboursement au Pôle Emploi Auvergne, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, des indemnités de chômage qui ont pu être versées à Madame [W] [D] pour une durée de six mois ;
– débouté Madame [W] [D] du surplus de ces demandes ;
– condamné la SA ORPEA, prise en la personne de son représentant légal, à porter et payer à Madame [W] [D] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– débouté la SA ORPEA de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SA ORPEA, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens.
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire sur l’ensemble de la décision, étant rappelé qu’elle est de droit pour le salaire et ses accessoires.
Le 16 novembre 2020, la SA ORPEA a interjeté appel de ce jugement notifié à sa personne morale le 21 octobre 2020.
Vu les dernières écritures notifiées le 4 novembre 2022 par la SA ORPEA,
Vu les dernières écritures notifiées le 28 novembre 2022 par Madame [W] [D],
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 5 décembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la SA ORPEA demande à la cour de :
– avant dire droit écarter les pièces adverses n°11bis et 21, ainsi que les conclusions adverses y faisant référence eu égard à leur non-conformité à l’article 202 du code de procédure civile et compte tenu des irrégularités constatées qui constituent l’inobservation d’une formalité substantielle d’ordre public et lui faisant grief ;
– dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en son argumentation.
Par conséquent
A titre principal
– réformer I’entier jugement entrepris ;
– débouter Madame [W] [D] de I’intégralité de ses demandes tant de principe que pécuniaires ;
– débouter Madame [W] [D] de sa demande de la voir condamner à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;
– débouter Madame [W] [D] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
– condamner Madame [W] [D] aux entiers dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, en cas de confirmation du jugement entrepris :
– limiter le montant des condamnations au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 8.200 euros net faute pour Madame [W] [D] d’établir l’existence et l’étendue de son préjudice au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La SA ORPEA conclut tout t’abord, in limine litis, au rejet des pièces adverses 11 bis et 21 telles qu’elles sont mentionnées au bordereau des pièces communiqué en cause d’appel par Madame [W] [D]. Elle fait valoir que la salariée a versé, lors des débats de première instance, une pièce n°11 bis qui est un écrit de Monsieur [Z], lequel s’est présenté comme un interne de l’hôpital de [Localité 6]. Elle relève l’absence de signature et de communication de la pièce d’identité de l’auteur de cet écrit en contrariété avec les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile et indique que la régularisation intervenue postérieurement le 7 octobre 2019 (la salariée ayant alors produit en pièce 21 une nouvelle version sur laquelle était apposée la signature de son auteur accompagnée de la copie de la pièce d’identité de Monsieur [Z]) ne saurait avoir pour effet de rendre cette preuve recevable en tant qu’attestation, notamment en l’absence de rédaction de cette ‘attestation’ sur le document officiel CERFA et l’absence des mentions obligatoirement requises, à savoir :
* le lieu de résidence de l’auteur ;
* l’existence éventuel d’un lien avec Madame [D] ;
* rédaction ‘sur l’honneur’ ;
* la rédaction en vue, éventuellement, d’une production en justice ;
* connaissance par l’auteur des sanctions pénales encourues en cas de fausse attestation.
Sur le fond, concernant tout d’abord la rupture du contrat de travail, l’appelante expose que le groupe ORPEA oeuvre dans le strict respect de ses résidents, tant s’agissant de la qualité des soins que de l’accompagnement qui leur sont prodigués. Elle a, dans cette perspective, institué divers protocoles de soins destinés à encadrer le suivi médicamenteux de chaque résident et assurer ainsi à chacun d’entre eux le meilleur suivi de soins dans le respect de son intégrité physique. Elle soutient que Madame [W] [D] a administré à une résidente un médicament (composé d’opioides) sans avoir au préalable la prescription médicale requise. Elle souligne la dangerosité d’une telle faute pour la santé de la résidente et ses conséquences significatives pour la responsabilité personnelle de l’employeur. Elle considère de la sorte que Madame [W] [D] a contrevenu fautivement à ses obligations contractuelles telles qu’elles ressortent notamment de sa fiche de poste, étant précisé qu’en sa qualité d’infirmière il lui était impossible d’administrer seule des médicaments (en tout cas s’agissant d’opioïdes) sans en avoir au préalable référé à sa hiérarchie, soit à l’infirmière coordinatrice ou au médecin collaborateur, et ce peu important que la résidente soit personnellement à l’origine de la demande d’administration. Elle souligne en outre la contrariété de ce comportement avec les dispositions du règlement intérieur de la structure. Elle déduit de ces circonstances (dangerosité de cette pratique et perte de confiance envers la salariée/absence de recul nécessaire à l’exercice de la profession d’infirmier) l’existence d’une faute grave ayant rendu impossible le maintien du contrat de travail de la salariée. Elle conclut ainsi au débouté de la salariée s’agissant de l’ensemble des demandes qu’elle formule au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ainsi que de la mise à pied disciplinaire qu’elle estime subséquemment bien fondée.
Dans ses dernières écritures notifiées le 30 avril 2021, Madame [W] [D] demande à la cour de :
– déclarer recevable et bien fondé son appel incident ;
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de VICHY le 19 octobre 2020 sauf à, statuant à nouveau, condamner la SAS ORPEA à lui payer et porter les sommes suivantes :
* 2.301,35 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 230,14 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
* 22.092,96 euros nets à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi lié à la perte injustifiée de son emploi ;
Y ajoutant
– condamner la SAS ORPEA au paiement d’une somme de 2.500 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel ;
– condamner la SAS ORPEA en tous les dépens.
Madame [W] [D] relève tout d’abord, au visa de l’article 1315 du code civile, que la preuve en matière prud’homale est libre, rappelle qu’il est constant que la valeur et la portée des éléments de preuve versés aux débats par les parties relèvent du pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond, et indique avoir procédé à la régularisation de la production de la pièce critiquée par l’employeur en adressant le 7 octobre 2019 l’attestation dûment signée de Monsieur [Z] accompagnée d’une copie de sa pièce d’identité. Elle précise que celle-ci est le témoignage de l’interne de l’hôpital de [Localité 7] l’ayant autorisée à administrer le médicament litigieux. Elle soutient en tout état de cause que les règles prescrites par l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et conclut ainsi à la recevabilité des pièces litigieuses.
Sur le fond, elle excipe tout d’abord, au soutien de sa contestation du bien fondé de son licenciement, de l’existence d’un désaccord avec Monsieur [J], son responsable hiérarchique, contemporain à cette mesure et considère que la longueur de la procédure disciplinaire, qu’elle considère excessive, corrobore selon elle cette assertion.
Concernant ensuite la patiente ayant bénéficié de l’administration médicamenteuse critiquée, elle explique qu’elle souffre de différentes pathologies ayant conduit son médecin traitant à lui prescrire un traitement morphinique de longue date et à titre habituel, que celui-ci lui avait prescrit le médicament par ordonnance du 10 août 2018 (valable 28 jours s’agissant d’un traitement morphinique), puis renouvelée lors de son hospitalisation au sein du centre hospitalier de [Localité 7]. Elle indique qu’en tout état de cause l’arrêt d’un tel traitement ne pouvait intervenir brutalement à raison de la nécessité d’une période de sevrage et qu’elle a agi dans le strict respect des engagements du groupe ORPEA et de la résidente et son confort sous le contrôle et en accord avec le médecin. Elle considère ainsi n’avoir commis aucune faute dans l’exercice de ses fonctions et conclut ainsi à l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et, subséquemment, à l’annulation de la mise à pied à titre conservatoire qu’elle considère dénuée de tout fondement. Elle sollicite ainsi l’indemnisation afférente ainsi qu’un rappel de salaire sur mise à pied.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
L’ordonnance de clôture de l’instruction a été rendue initialement le 7 novembre 2022 par le magistrat de la mise en état. L’appelante a conclu peu avant la clôture fixée, ce qui a amené l’intimée à conclure en réplique après la clôture. À l’audience, les avocats des parties se sont associés pour demander la révocation de l’ordonnance de clôture afin de permettre l’admission de toutes leurs écritures et pièces notifiées jusqu’à l’audience du 5 décembre 2022.
En conséquence, vu l’accord des parties sur ce point, la cour a ordonné, à l’audience du 5 décembre 2022 et avant la clôture des débats, la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2022. La clôture de l’instruction a été fixée au jour de l’audience, soit le 5 décembre 2022. Les conclusions et pièces notifiées contradictoirement avant ou jusqu’à cette date sont donc recevables.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions recevables des parties et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion contenue dans ces écritures.
– Sur les pièces versées aux débats –
Il n’existe pas de disposition spécifique dans le Code du travail régissant la recevabilité de la preuve prud’homale. Il est donc fait application des principes généraux édictés par le Code de procédure civile
Selon l’article 6 du code de procédure civile, à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder.
Selon l’article 7 du code de procédure civile, le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. Parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions.
Selon l’article 8 du code de procédure civile, le juge peut inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.
Selon l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il en résulte que la preuve en matière prud’homale est libre, ce qui signifie que la loi n’impose pas aux parties de présenter un mode de preuve spécifique et qu’elle laisse les juges apprécier souverainement les éléments de preuve présentés, sans leur commander la conséquence qu’ils doivent en tirer. Des limites à cette liberté de la preuve ont néanmoins été posées par la jurisprudence, laquelle a notamment édicté un principe général de loyauté de la preuve en droit privé. En application de ce principe, dès lors qu’un moyen de preuve est considéré comme illicite, il doit être rejeté des débats.
Toutefois, la Cour de cassation applique désormais un contrôle de proportionnalité faisant prévaloir le droit à la preuve sur d’autres droits et libertés fondamentaux. Il est possible de démontrer que la production de la preuve illicite est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.
Aux termes de l’article 202 du code de procédure civile : ‘L’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés. Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles. Elle indique en outre qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales. L’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.’.
Les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité. Il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement la valeur probante d’une attestation non conforme à l’article 202 du code de procédure civile. Le juge ne peut rejeter une attestation non conforme à l’article 202 du code de procédure civile sans préciser en quoi l’irrégularité constatée constituait l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public faisant grief à la partie qui l’attaque.
En l’espèce, la pièce 11bis de l’intimée est une attestation sous forme de courrier simple de Monsieur [O] [Z], interne au centre hospitalier de [Localité 7] en septembre 2018. Ce document, intitulé en objet ‘attestation de prescription morphinique’, daté du 5 novembre 2018 mais non signé, indique que cet interne a autorisé Madame [W] [D] à administrer de la morphine oral 5mg à la patiente Madame [U] à partir du 22 septembre 2018 en attendant que le dossier, notamment l’ordonnance de Madame [U], soit transféré vers le service de [Localité 5]. Il précise que cette patiente, qui venait d’être transférée du service de chirurgie du centre hospitalier de [Localité 7] vers le service de soins de suite de [Localité 5], possédait déjà son traitement habituel de l’OXYNORME 5 mg à chaque réfection de ses pansements d’escarres, qu’il s’agissait donc de la continuité de son traitement quotidien. Il ajoute que l’ordonnance de morphinique a été faxée en retard, à savoir le 24 septembre 2018.
La pièce 21 de l’intimée est la même attestation de Monsieur [O] [Z] mais signée, accompagnée d’une copie de la carte nationale d’identité de l’attestant.
La pièce 11 de l’intimée, un échange de mails, permet de constater que dès novembre 2018 Madame [W] [D] a sollicité de Monsieur [O] [Z] un témoignage écrit concernant la prescription autorisée de l’OXYNORME 5 mg à Madame [U] Monsieur [O] [Z] indiquait alors souhaiter répondre favorablement à cette demande.
La pièce 23 de l’intimée, un mail, permet de constater que le 1er octobre 2019 Madame [W] [D] a sollicité de Monsieur [O] [Z] qu’il veuille bien signer l’attestation qu’il avait rédigée afin qu’elle puisse la produire devant le conseil de prud’hommes.
La pièce 9 de l’intimée permet de constater qu’un médecin du centre hospitalier de [Localité 7] (Docteur [F]) a bien délivré le 24 septembre 2018 une ordonnance prescrivant pour Madame [U], sur une période de 28 jours, les médicaments OXYNORME ORO 5 mg (un comprimé le soir et toutes les 6 heures si douleurs intenses) et OXYCODONE LP 10mg (un comprimé matin et soir). Cette ordonnance a été faxée le 24 septembre 2018 à 11 heures 23 minutes.
Si l’attestation de Monsieur [O] [Z] ne répond pas à toutes les prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile, elle constitue un témoignage circonstancié conforme aux dires de Madame [W] [D] et à l’ordonnance délivrée par le Docteur [F]. Madame [W] [D] n’apparaît nullement avoir obtenu le témoignage de Monsieur [O] [Z] de façon illicite.
La société ORPEA se plaint du non-respect de l’intégralité des dispositions de l’article 202 du code de procédure civile mais ne conteste pas sérieusement le fond du témoignage de Monsieur [O] [Z], en tout cas n’a pas fait diligence pour vérifier ou s’assurer que l’auteur a bien témoigné en connaissance de cause (sommation) ni n’a engagé de procédure pénale pour contester ce témoignage.
Vu les principes et éléments d’appréciation susvisés, la société ORPEA sera déboutée de sa demande afin de voir écarter les pièces adverses n°11bis et 21, ainsi que les conclusions adverses y faisant référence.
– Sur le licenciement –
Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :
‘Madame,
Nous faisons suite à notre entretien du 22 octobre 2018, pour lequel vous étiez assistée et au cours duquel nous vous avons exposé les griefs retenus à votre encontre nous contraignants à envisager votre licenciement, et avons recueilli vos explications.
Nous avons constaté de graves dysfonctionnements dans l’exercice de vos fonctions d’infirmière diplômée d’Etat au sein de la Résidence ‘Bellerive sur Allier.’
Mme C., Infirmière Coordonnatrice, a constaté lors du contrôle hebdomadaire des toxiques que le 23 septembre , vous aviez administré à une résidente de l’OXYNORME ORO 5 mg sans prescription médicale.
En effet, aucune ordonnance valide ne justifiait la délivrance de ce toxique, la dernière en date ayant pris fin le 8 septembre 2018.
La Fiche Individuelle d’Administration et Surveillance des Toxiques que vous avez annotée et signée atteste, en ce sens, de la délivrance de l’0XYNORME ORO 5 mg sans prescription le 23 octobre.
Vous avez par ailleurs inscrit la quantité administrée en chiffre et non en toute lettre conformément aux dispositions en vigueur relatives à la gestion des toxiques.
De plus, vous aviez connaissance du retour d’hospitalisation de la résidente, celui-ci avait été tracé dans NETSOINS par votre collègue Mme F., et ne mentionnait pas l’administration de POXYNORME OR0 5 mg,
Suite à ce constat et eu égard des faits reprochés, nous vous avons signifié une mise à pied conservatoire le 6 octobre 2018 et nous vous avons demandé de quitter l’établissement.
Lors de votre entretien préalable en date du 22 octobre 2018, vous avez reconnu l’ensemble de ces faits.
Vous nous avez également indiqué que la résidente se plaignait de douleurs et que suite à cela, vous aviez appelé le Centre Hospitalier de [Localité 7].
L’interne de garde vous aurait, selon vos dires, autorisée à administrer de l’OXYNORME ORO 5 mg à la résidente.
Néanmoins, aucune ordonnance n’a été réceptionnée par la Résidence.
Par ailleurs, vous avez déclaré avoir utilisé de l’OXYNORME ORO, car il se trouvait dans le coffre à toxique.
Or, quand bien même le produit était disponible dans le coffre à toxique, aucun médicament ne doit être administré sans la délivrance d’une prescription médicale.
Le 29 octobre 2018, vous nous avez transmis par courrier une copie de l’ordonnance envoyée par un interne du Centre Hospitalier de [Localité 7] datant du 24 septembre 2018, prescrivant l’OXYNORME ORO, ainsi qu`une copie du journal de fax de l’hôpital.
Par conséquent, en date du 23 septembre 2018, aucune ordonnance n’autorisait l’administration de ce toxique. Vous avez donc administré à la résidente de l’OXYNORME ORO sans prescription médicale.
Un tel comportement est inadmissible et constitue une importante faute professionnelle.
Au regard de vos fonctions d’infirmière diplômée d ‘Etat, il vous appartient de respecter et de suivre scrupuleusement les prescriptions médicales et les procédures applicables. Vous ne pouvez en effet ignorer, en votre qualité d’infirmière diplômée d’Etat, l’importance de respecter les prescriptions médicales.
Par vos actes, vous avez également gravement méconnu les dispositions de l’article 12.6
du Règlement intérieur applicables au sein de notre établissement prévoyant que : ‘En aucun cas, le personnel ne peut de son propre chef modifier les instructions des praticiens ou pratiquer l ‘automédication’.
Vous avez donc outrepassé les limites de vos fonctions et manqué aux obligations professionnelles qui sont les vôtres, mais plus grave encore, vous avez mis en danger la santé et la sécurité de la résidente et porté atteinte à sa prise en charge de qualité.
En outre, vous avez entaché la confiance que nous vous avions accordée dans la prise en charge des résidents.
Aussi, les explications recueillies lors de votre entretien ne nous ont pas permis de
modifier noire appréciation des faits.
Par conséquent compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous vous
notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave.
A ce titre, vous ne percevrez aucune indemnité de licenciement ni aucune indemnité de
préavis.
Vous cesserez définitivement de faire partie du personnel de notre entreprise à la date de première présentation à votre domicile du présent courrier.
Nous vous rappelons que vos heures acquises au titre du DIF jusqu’au 31 décembre 2014 et non utilisées au 1er janvier 2015, sont portées au crédit de votre compte personnel de formation, conformément aux dispositions de la Loi 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Ainsi, les heures de DIF acquises jusqu’au 31 décembre 2014 peuvent être mobilisées entre le 1 er janvier 2015 et le 1er janvier 2021 dans les conditions applicables au CPF.
Dans le cadre des dispositions de l’article 14 de l’ANI (Accord National interprofessionnel) du 11 janvier 2008 et de l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi qui en découle, vous avez la possibilité de voir vos garanties Prévoyance maintenues pendant la durée maximale prévue par ces textes. Pour ce faire, vous devez ouvrir droit à une indemnisation au titre de l’assurance chômage. Votre couverture Frais de santé est maintenue pendant une durée maximale de 12 mois (selon la durée de votre contrat de travail et sous condition d’indemnisation par Pôle emploi), sans contrepartie de paiement de cotisation. Votre couverture Prévoyance est maintenue pendant une durée maximale de 12 mois (selon la durée de votre contrat de travail et sous condition d’indemnisation par Pôle emploi), sans contrepartie de paiement de cotisation. Pour bénéficier de la portabilité en Prévoyance et Frais de santé, vous devez…
Les documents liés à la rupture de votre contrat vous seront adressés à votre domicile dans les meilleurs délais.
Nous vous invitons par ailleurs à prendre contact avec la Direction pour organiser la restitution du matériel mis à votre disposition dans l’exercice de vos fonctions et récupérer vos éventuels effets personnels laissés au sein de l’établissement.
Nous vous informons que pour la forme ce courrier vous est également adressé sous pli
recommandé.
Nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de nos salutations distinguées.
Monsieur [R] [K]
Directeur Exploitation.’
Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux ou d’autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.
Pour que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c’est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l’existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c’est-à-dire que les faits invoqués par l’employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c’est-à-dire en raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.
Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit s’agir d’un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d’autres personnes, même proches.
En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité de licenciement, du préavis ou de l’indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents). Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l’employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu’il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l’indemnité compensatrice de congés payés reste due.
La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d’une faute n’est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d’un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à avertissement préalable.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l’employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l’employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n’aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l’indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l’employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l’employeur, en revanche, d’établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.
En l’espèce, vu les termes de la lettre de licenciement, la société ORPEA reproche à Madame [W] [D] d’avoir, le 23 septembre 2018, administré à une résidente de l’OXYNORME ORO 5 mg sans prescription médicale, alors que la dernière ordonnance valide justifiant la délivrance de ce ‘toxique’ avait pris fin le 8 septembre 2018, et, par ailleurs, d’avoir inscrit la quantité administrée en chiffre et non en toute lettre conformément aux dispositions en vigueur relatives à la gestion des toxiques. L’employeur considère que la salariée a manqué à ses obligations professionnelles, mis en danger la santé et la sécurité de la résidente et porté atteinte à sa prise en charge de qualité, entaché la confiance accordée dans la prise en charge des résidents.
Le médicament OXYNORME ORO est un analgésique opioïde (destiné à soulager la douleur), avec une action antalgique similaire qualitativement à celle de la morphine (médicament dit ‘morphinique’). L’effet thérapeutique est principalement analgésique, anxiolytique, antitussif et sédatif. Il n’est pas contesté que ce médicament est soumis à la réglementation des stupéfiants et qu’il ne peut être administré qu’en application d’une ordonnance sécurisée délivrée par un médecin, avec une durée de prescription ne pouvant excéder 28 jours à compter de la date de l’ordonnance.
Madame [A] [U], née en 1933, résidait en 2018 au sein de l’établissement Bellerive de la société ORPEA. Sa date de début de séjour n’est pas précisée.
S’agissant du suivi médical de Madame [A] [U] au sein de la résidence Bellerive, la société ORPEA ne produit qu’une ‘fiche individuelle d’administration et surveillance des toxiques’ pour la période du 16 août 2018 au 26 septembre 2018, alors que l’employeur disposait apparemment de documents de suivi sur une période plus longue.
Vu les documents du centre hospitalier de [Localité 7] versés aux débats, il apparaît que Madame [U] a quitté temporairement la résidence [4] pour être hospitalisée du 10 au 21 septembre 2018 au sein du service de chirurgie vasculaire.
À la lecture de la seule fiche individuelle d’administration et surveillance des toxiques pour la période du 16 août 2018 au 26 septembre 2018, il apparaît que Madame [U] recevait tous les deux jours en moyenne, depuis au moins le 16 août 2018, au moins un comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg à l’occasion des soins. Différentes soignants ont signé la fiche mentionnant l’administration de ce médicament, dont Madame [W] [D] le 23 septembre 2018 à 10 heures 30 ainsi que le 24 septembre 2018 à 10 heures 30. Il échet de relever qu’après son hospitalisation, Madame [U] a bénéficié à nouveau de l’administration d’un (voire deux à la fois) comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg les 23, 24 et 26 septembre 2018, et le 24 septembre 2018 à 6 heures par une autre infirmière que Madame [W] [D]. Le 26 septembre 2018, il est noté, par un(e) autre soignant(e) que Madame [W] [D] : ‘reprise ce jour de 130 gélules d’OXYNORME 5 mg n° registre : 81 911″.
Vu la législation applicable au médicament OXYNORME ORO 5 mg, la dernière ordonnance délivrée en date du 10 août 2018 par le Docteur [C] expirait le 7 septembre 2018 au soir (délai de 28 jours).
Le Docteur [C], médecin traitant de Madame [U], atteste que sa patiente était sous morphiniques depuis un certain temps lorsqu’elle a été hospitalisée pour opérer une artérite du membre inférieur. Il indique qu’à son retour d’hospitalisation il a été de nouveau institué un traitement antalgique avec des morphiniques dont Madame [U] avait besoin.
Lors de l’hospitalisation du 10 au 21 septembre 2018, le centre hospitalier de [Localité 7] a noté que Madame [U] prenait régulièrement au moins deux à six comprimés d’OXYNORME ORO 5 mg ou OXYCODONE LP 10mg par jour pour atténuer ses douleurs, sans problème particulier ni addiction, et que la patiente connaissait parfaitement son traitement. Aucun problème de santé ou autre n’est relevé concernant l’administration du médicament OXYNORME ou OXYCODONE avant l’hospitalisation du 10 septembre 2018. Pendant la période d’hospitalisation, différents médicaments ont été administrés à Madame [U] dont OXYCODONE LP 10mg, ALPRAZOLAM, PARACETAMOL etc.
Un médecin du centre hospitalier de [Localité 7] a délivré le 20 septembre 2018 une ordonnance prescrivant pour Madame [U] différents médicaments, dont du paracétamol et du topalgic pour les douleurs, mais pas d’OXYNORME ORO 5 mg ou OXYCODONE LP 10mg. Cette ordonnance comporte toutefois la mention ‘reprise du traitement habituel’.
Un médecin du centre hospitalier de [Localité 7] (Docteur [F]) a délivré le 24 septembre 2018 une ordonnance prescrivant pour Madame [U], sur une période de 28 jours, les médicaments OXYNORME ORO 5 mg (un comprimé le soir et toutes les 6 heures si douleurs intenses) et OXYCODONE LP 10mg (un comprimé matin et soir). Cette ordonnance a été faxée le 24 septembre 2018 à 11 heures 23 minutes.
Monsieur [O] [Z], interne au centre hospitalier de [Localité 7] en septembre 2018, atteste qu’il a autorisé Madame [W] [D] à administrer de la morphine oral 5mg à la patiente Madame [U] à partir du 22 septembre 2018 en attendant que le dossier notamment l’ordonnance de magistrat de Madame [U], soit transféré vers le service de [Localité 5]. Il précise que cette patiente, qui venait d’être transférée du service de chirurgie du centre hospitalier de [Localité 7] vers le service de soins de suite de [Localité 5], possédait déjà son traitement habituel de l’OXYNORME 5 mg à chaque réfection de ses pansements d’escarres, qu’il s’agissait donc de la continuité de son traitement quotidien. Il ajoute que l’ordonnance de morphinique a été faxée en retard, à savoir le 24 septembre 2018.
Madame [V] [S], médecin coordinateur de la résidence [4], atteste qu’elle a bien été informée le 24 septembre 2018 par Madame [W] [D] du fait que l’ordonnance de sortie délivrée par le centre hospitalier de [Localité 7] le 20 septembre 2018 n’était pas conforme à la feuille d’information de sortie de ce même hôpital s’agissant du traitement médicamenteux de la résidente (Madame [U]). Elle précise que Madame [W] [D] a tout mis en oeuvre pour récupérer une ordonnance conforme notamment au traitement antalgique mentionné sur la feuille d’information. Ce médecin conclut que le traitement antalgique a été correctement administré et noté sur la feuille de surveillance interne.
L’entretien préalable au licenciement a eu lieu le 22 octobre 2018 en présence de Monsieur [H] (représentant syndical) qui assistait la salariée et de Madame [E], infirmière coordinatrice.
Monsieur [H] a établi un compte rendu concernant cet entretien, document qu’il a signé seul. Il relate notamment que :
– Monsieur [K] (directeur exploitation), représentant de l’employeur, a reproché à Madame [W] [D] d’avoir, le 23 septembre 2018, administré à une résidente, Madame [U], de l’OXYNORME ORO 5 mg, sans ordonnance valable, alors qu’à la sortie du centre hospitalier de [Localité 7], ce traitement médicamenteux spécifique n’était pas reconduit ;
– Madame [W] [D] expose qu’à son retour d’hospitalisation, Madame [U] s’est plainte de douleurs l’empêchant de dormir, qu’elle a alors consulté le dossier médical de la résidente et constater une prescription habituelle d’OXYNORME ORO 5 mg, qu’elle a appelé le centre hospitalier de [Localité 7], qu’une infirmière lui a confirmé que ce médicament avait été administré à Madame [U] pendant l’hospitalisation, qu’elle n’a pu obtenir un médecin mais qu’un interne du centre hospitalier de [Localité 7] lui a confirmé qu’on pouvait traiter les douleurs de Madame [U] avec l’OXYNORME ORO 5 mg et qu’il allait envoyer une ordonnance en ce sens. Ne recevant pas rapidement l’ordonnance promise, mais vu l’accord oral du centre hospitalier de [Localité 7], Madame [W] [D] indique avoir donné, le dimanche 23 septembre 2018, à l’occasion du changement des pansements souillés, un comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg à Madame [U], et en avoir laissé un comprimé à la résidente pour la nuit comme pratiqué au centre hospitalier de [Localité 7]. Elle ajoute avoir constaté que le coffre des morphiniques contenait un stock important de d’OXYNORME ORO 5 mg, ce qui confirmait que ce traitement médicamenteux n’était pas interrompu brutalement. Madame [W] [D] expose avoir rendu compte de cette situation le lundi 24 septembre 2018 au médecin coordinateur et avoir contacté téléphoniquement le médecin traitant qui l’a renvoyé vers le centre hospitalier de [Localité 7] ;
– Il a interrogé Monsieur [K] et Madame [E] pour savoir pourquoi autant de comprimés d’OXYNORME ORO 5 mg restaient accessibles dans le coffre des morphiniques plusieurs jours après l’expiration de la dernière ordonnance. Madame [E] répond qu’il garde un stock de morphiniques dans l’attente d’ordonnances à venir.
Il apparaît qu’en 2018, durant son séjour au sein de la résidence Bellerive de la société ORPEA, Madame [A] [U] devait faire l’objet, environ tous les deux jours, de soins avec pansement concernant ses ulcères artériels des jambes. Cette opération étant très douloureuse pour la personne âgée, son médecin traitant a prescrit l’administration d’un médicament morphinique pour la soulager, à savoir au moins un comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg lors des soins avec pansement. Une infirmière de la société ORPEA administrait ainsi à Madame [A] [U] au moins un comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg à l’occasion des soins réguliers avec pansement.
Il a été rappelé que la dernière ordonnance délivrée en date du 10 août 2018 par le Docteur [C], médecin traitant de Madame [A] [U], expirait le 7 septembre 2018 au soir.
Madame [W] [D] reconnaît avoir donné un comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg à Madame [A] [U] le 23 septembre 2018 à 10 heures 30, lorsqu’elle a changé le pansement concernant les ulcères de la résidente, alors qu’elle savait, ou aurait dû savoir, que l’ordonnance du 10 août 2018 avait expiré.
Reste que le dimanche 23 septembre 2018, jour de la semaine où il n’était pas apparemment aisé de contacter rapidement le médecin coordinateur ou l’infirmière coordinatrice de l’établissement, Madame [W] [D] s’est retrouvée confrontée à une situation complexe en ce que, suite à sa sortie d’hospitalisation, Madame [A] [U] réclamait, pour pouvoir dormir et supporter le changement de pansement, son traitement morphinique habituel, soit l’OXYNORME ORO 5 mg ou l’OXYCODONE LP 10mg, alors que la dernière ordonnance du Docteur [C] avait expiré et que l’ordonnance délivrée le 20 septembre 2018 par le centre hospitalier de [Localité 7] mentionnait ‘reprise du traitement habituel’ mais sans prescrire expressément l’OXYNORME ORO 5 mg ou l’OXYCODONE LP 10mg.
Confrontée à la souffrance d’une personne âgée résidente, de façon parfaitement logique et adaptée, Madame [W] [D] a appelé le centre hospitalier de [Localité 7]. Elle n’a pas obtenu de parler à un médecin titulaire mais a pu échanger avec une infirmière puis un interne qui lui ont indiqué qu’il convenait d’administrer l’OXYNORME ORO 5 mg ou l’OXYCODONE LP 10mg à Madame [A] [U] L’interne a promis de lui transmettre rapidement une ordonnance en ce sens. Cette ordonnance a été faxée finalement le 24 septembre 2018 à 11 heures 23 minutes.
Disposant de tous ces éléments d’appréciation, l’employeur n’a pas reproché à Madame [W] [D] l’administration à Madame [A] [U] d’un comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg le 24 septembre 2018 à 10 heures 30, mais a maintenu que la salariée avait commis une faute grave en administrant le même comprimé le 23 septembre 2018 à 10 heures 30 lorsqu’elle a changé le pansement concernant les ulcères de la résidente.
Madame [W] [D] expose, sans être contredite par l’employeur, que Madame [A] [U] prenait ce médicament à la même dose depuis assez longtemps à l’occasion des mêmes soins, sans aucun problème particulier relevé, et qu’il était impératif de changer le ou les pansements de la résidente le 23 septembre 2018. Elle relève qu’il n’était pas envisageable d’effectuer cette opération sans administration de morphinique, sous peine de grandes souffrances infligées de façon injustifiée à la personne âgée. Elle a trouvé dans le coffre ou armoire à ‘toxiques’ de la résidence [4] de nombreux comprimés d’OXYNORME ORO 5 mg destinés à Madame [A] [U]
Madame [W] [D] a informé dès le lundi 24 septembre 2018 le médecin coordinateur de la résidence de la situation et du fait qu’elle avait donné la veille un comprimé d’OXYNORME ORO 5 mg à Madame [A] [U]
Sur le plan médical, le comportement de Madame [W] [D] apparaît approuvé par les docteurs [D] et [S], ainsi que par l’interne [Z], et validé vu l’ordonnance délivrée le 24 septembre 2018 par le Docteur [F].
Madame [W] [D] a inscrit régulièrement l’administration de morphinique le 23 septembre 2018 sur la fiche ad hoc. Par la suite, le même médicament a été administré de façon régulière à Madame [A] [U], sans problème particulier, par d’autres infirmières de la société ORPEA.
Madame [W] [D] a mentionné ‘5mg’, au lieu de ‘cinq milligrammes’, sur la fiche individuelle d’administration et surveillance des toxiques, mais d’autres infirmières ont fait de même et il n’est pas établi que l’employeur aurait effectué un rappel à l’ordre en ce sens, encore moins notifié une sanction disciplinaire pour les autres salariés prétendument fautifs.
Vu les éléments d’appréciation susvisés, Madame [W] [D] n’a pas particulièrement mis en danger la santé de Madame [A] [U] Elle n’a pas cherché à dissimuler l’administration du médicament OXYNORME ORO 5 mg le 23 septembre 2018.
Vu le contexte précité, l’infirmière a agi de façon adaptée sur le plan professionnel pour assurer à Madame [A] [U] une continuité des soins et lui éviter une souffrance inutile, sans prise excessive de risque.
Hors la législation générale applicables aux médicaments de cette catégorie, l’employeur ne justifie d’aucun protocole particulier mis en place spécifiquement au sein de l’établissement ou de l’entreprise pour l’administration des médicaments morphiniques, ni d’une mise en garde préalable concernant ce type de situation (expiration de quelques jours de l’ordonnance prescrivant des morphiniques à une résidente en prenant régulièrement et attente de l’ordonnance de renouvellement). Le 8 septembre 2018, une autre infirmière avait administré le même médicament à Madame [A] [U], dans le même contexte, sans qu’il soit justifié d’une autorisation expresse ou d’un avis donné préalablement par le médecin coordinateur ou l’infirmière coordinatrice. Le 23 septembre 2018, l’accès au coffre ou à l’armoire aux morphiniques, comprenant de nombreux comprimés d’OXYNORME ORO 5 mg destinés à Madame [A] [U], restait libre pour les infirmières de l’établissement.
Madame [W] [D] n’avait aucun passé disciplinaire au sein de la société ORPEA.
Compte tenu de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur, la société ORPEA se devait d’enquêter sur l’administration d’un morphinique à une résidente alors que l’ordonnance prescrivant ce traitement avait légalement expiré. À l’issue, l’employeur pouvait légitimement rappeler les règles de santé publique aux salariés, notifier éventuellement un avertissement à Madame [W] [D], et surtout prendre des mesures adaptées pour éviter le renouvellement d’une telle situation et rassurer ainsi les résidents et familles sur les protocoles de soins de l’établissement Bellerive. Mais, vu le contexte susvisé, le comportement de Madame [W] [D] le 23 septembre 2018 ne constitue pas un cause réelle et sérieuse de licenciement. Le licenciement notifié par la société ORPEA constitue une sanction disciplinaire disproportionnée.
Le jugement déféré sera confirmé en ce que le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement de Madame [W] [D] sans cause réelle et sérieuse.
– Sur les conséquences du licenciement –
Son licenciement étant jugé sans cause réelle et sérieuse, Madame [W] [D] a droit à un rappel de salaire sur la rémunération indûment retenue par l’employeur au titre de la mise à pied à titre conservatoire.
Les bulletins de paie de la société ORPEA concernant Madame [W] [D] sont produits pour la période de février à novembre 2018. Il apparaît que l’employeur a pratiqué une retenue de 2.234,82 euros en octobre 2018 au titre de l’absence de la salariée pendant la période de mise à pied conservatoire du 6 au 31 octobre 2018.
Le jugement sera confirmé en ce que la SA ORPEA a été condamnée à payer à Madame [W] [D] la somme (brut) de 2.234,82 euros à titre de remboursement de la mise à pied conservatoire (rappel de salaire) ainsi que la somme (brut) de 223,48 euros au titre des congés payés y afférents.
Lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, sauf application de dispositions conventionnelles ou contractuelles plus favorables, le salarié a droit : 1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ; 2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ; 3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois. Lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice de préavis. L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-2 du code du travail (indemnité pour insuffisance de motivation de la lettre de licenciement).
Alors que la rémunération mensuelle brute de référence de la salariée, qui présentait une ancienneté d’au moins deux ans au sens de l’article L. 1234-1 du code du travail, est de 2.761,62 euros, le jugement sera confirmé en ce que la SA ORPEA a été condamnée à payer à Madame [W] [D] les sommes (brut) de 5.523,23 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, et de 552,32 euros au titre des congés payés y afférents.
Pour les licenciements notifiés depuis le 24 septembre 2017, l’indemnité légale de licenciement est attribuée au salarié titulaire d’un contrat à durée indéterminée justifiant de huit mois d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur. L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants : 1° un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ; 2° un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
L’indemnité de licenciement n’a pas le caractère d’un salaire. Elle est donc exonérée, dans certaines limites, des cotisations de sécurité sociale. Elle n’est pas soumise à la prescription applicable aux salaires mais à celle applicable en matière de rupture du contrat de travail. Il n’y a pas de condamnation à congés payés y afférents.
Au moment du licenciement, Madame [W] [D] avait une ancienneté dans l’entreprise de 8 ans et 3 mois. Le jugement sera confirmé en ce que la SA ORPEA a été condamnée à payer à Madame [W] [D] la somme de 5.873,21 euros au titre de l’indemnité de licenciement.
Il résulte d’une jurisprudence constante que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue. Cette évaluation dépend des éléments d’appréciation fournis par les parties.
Pour les licenciements notifiés à compter du 24 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail institue une ‘barémisation’ (désigné communément ‘barème Macron’) des dommages-intérêts que le juge prud’homal peut fixer en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l’absence de réintégration, le législateur ayant souhaité encadrer le pouvoir d’appréciation du juge en fixant un montant minimum et un montant maximum d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise.
À l’intérieur des fourchettes d’indemnisation prévues par l’article L. 1235-3 du code du travail, c’est au juge prud’homal qu’il appartient de fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée au salarié. Les dommages-intérêts sont évalués, conformément aux règles du droit commun, en fonction du préjudice subi. Ce préjudice subi par le salarié est apprécié au jour de la décision judiciaire, ce qui autorise le juge à tenir compte des difficultés rencontrées par le salarié pour retrouver un emploi. Dès lorsque l’indemnité fixée est au moins égale au plancher fixé par le barème Macron, l’appréciation du montant des dommages-intérêts par le juge est souveraine.
En cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, un salarié reste recevable à démontrer l’existence d’un préjudice distinct de la seule perte injustifiée d’emploi pour obtenir une indemnisation échappant aux dispositions de L. 1235-3 du code du travail. C’est le cas de l’indemnité réparant le préjudice subi par le salarié du fait des procédés vexatoires dans la mise en oeuvre ou les circonstances du licenciement, ou de l’indemnité réparant la détérioration de l’état de santé du salarié imputable à comportement fautif de l’employeur. Lorsque le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le cumul de dommages-intérêts est donc possible en cas de faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement dont il résulte pour le salarié un préjudice distinct de la seule perte d’emploi injustifiée déjà réparée par l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail. La perte d’emploi et la perte de chance d’en retrouver un à court terme ne constituent pas des préjudices distinct de celui réparé par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Madame [W] [D] , âgée de 48 ans au moment du licenciement, présente une ancienneté de 8 ans et 3 mois dans une entreprise employant habituellement plus de dix salariés. En application de l’article L. 1235-3 du code du travail et au regard de son ancienneté, Madame [W] [D] peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (dommages-intérêts) d’un montant compris entre 3 et 8 mois de salaire mensuel brut, soit entre 8.284,86 euros et 22.092,96 euros.
Madame [W] [D] s’est inscrite comme infirmière libérale (Infogreffe) en mars 2019. Elle indique avoir préalablement exécuté plusieurs contrats de travail à durée déterminée mais sans en justifier. Madame [W] [D] a déclaré fiscalement un revenu de 25.261 euros pour l’année 2018. Elle ne justifie pas de son activité professionnelle ni du montant de ses revenus depuis 2019.
Au regard des principes susvisés et des éléments d’appréciation dont la cour dispose, le premier juge a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause ainsi que des droits et obligations des parties en condamnant la SA ORPEA à payer à Madame [W] [D] la somme de 19.300 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi pour perte injustifiée d’emploi (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).
Le seul fait que la société ORPEA n’ait pas souhaité que Madame [W] [D] intervienne en 2019 en tant qu’infirmière libérale au sein de la résidence [4], vu le contexte d’un licenciement pour faute grave récent, ne caractérise pas l’existence d’un préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre de la perte injustifiée d’emploi.
– Sur les intérêts –
En application des dispositions des articles 1153 ancien du code civil (article 1231-6 nouveau) et R. 1452-5 du code du travail, les sommes allouées dont le principe et le montant résultent de la loi, d’un accord collectif ou du contrat de travail (rappel de salaire, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement) portent intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit en l’espèce le 25 mars 2019.
Les sommes fixées judiciairement (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) produisent intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du jugement déféré en cas de confirmation, ou de la date de prononcé du présent arrêt en cas de réformation, soit en l’espèce le 19 octobre 2020.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
La SA ORPEA sera condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’à verser à Madame [W] [D] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Confirme le jugement ;
– Dit que les sommes allouées à titre de rappel de salaire, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents portent intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de tentative de conciliation du conseil de prud’hommes valant mise en demeure, soit en l’espèce le 25 mars 2019 ;
– Dit que les sommes allouées à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse produisent intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du jugement déféré en cas de confirmation, ou de la date de prononcé du présent arrêt en cas de réformation, soit en l’espèce le 19 octobre 2020 ;
– Y ajoutant, condamne la société ORPEA à payer à Madame [W] [D] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– Condamne la société ORPEA aux dépens d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN