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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRET DU 16 MARS 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02929 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB2ER
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Novembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de CRETEIL – RG n° 14/00093
APPELANTE
URSSAF ILE DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
INTIMEE
Madame [C] [P]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Vincent LECOURT, avocat au barreau de VAL D’OISE, toque : 218
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Septembre 2022, en audience publique et double rapporteur, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, et Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Joanna FABBY
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 26 janvier 2023 et prorogée au 16 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre et Philippine QUIL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 2 avril 1990, Mme [C] [P] a été engagée en qualité d’agent contrat d’adaptation, puis, à compter du 8 juillet 1992 en qualité d’agent technique hautement qualifié législation avant d’intégrer en 1993 la formation d’élève inspecteur du recouvrement au sein de l’Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiale d’Ile de France (ci-après l’URSSAF).
La convention collective applicable est celle du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957.
Ayant réussi l’examen final de formation des inspecteurs du recouvrement, Mme [P] a été nommée en cette qualité, poste classé niveau 6, coefficient 270 à compter du 8 juillet 1994.
A compter du 1er juillet 2011 elle a été promue au niveau 7 de la classification conventionnelle.
S’estimant victime notamment d’une inégalité de traitement, Mme [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil le 9 janvier 2014 aux fins d’obtenir le paiement d’un rappel de salaires et de primes.
Par jugement en date du 14 novembre 2019, le conseil de prud’hommes a partiellement fait droit aux prétentions de la salariée.
Il a :
– déclaré irrecevables les demandes formées par la salariée au titre de l’article 23 de la convention collective et au titre des indemnités forfaitaires de déplacement,
– déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes tendant à l’attribution de points de compétence pour la période antérieure au 10 janvier 2009,
– débouté Mme [P] de ses demandes relatives à l’attribution de points de compétence,
– constaté l’existence d’une atteinte à l’égalité de traitement avec les inspecteurs du recouvrement LCTI,
– enjoint à l’URSSAF Ile de France, avant dire droit sur les autres demandes, de produire les décisions par lesquelles elle a procédé à des attributions de points de compétence à certains inspecteurs LCTI lors de leur recrutement ;
– ordonné la réouverture des débats et le renvoi de l’affaire à l’audience du 23 avril 2020 à 9 heures,
– réservé les dépens.
Le 26 mars 2020, l’URSSAF Ile de France a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il a constaté l’existence d’une atteinte à l’égalité de traitement avec les inspecteurs du recouvrement LCTI.
Selon ses écritures notifiées le 15 janvier 2021, l’URSSAF Ile de France demande à la cour de:
– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables, comme prescrites, les demandes tendant à l’attribution de points de compétence pour la période antérieure au 10 janvier 2009, déclaré irrecevables les demandes de Mme [P] au titre de l’article 23 de la convention collective et au titre des indemnités forfaitaires de déplacement et débouté Mme [P] de ses demandes au titre de l’attribution de points de compétences;
– infirmer le jugement en ce qu’il a constaté l’existence d’une atteinte à l’égalité de traitement avec les inspecteurs du recouvrement LCTI et enjoint l’URSSAF Ile de France de produire les décisions d’attributions de points de compétence à certains inspecteurs LCTI;
Statuant à nouveau :
– juger qu’il n’existe aucune inégalité de traitement avec les inspecteurs LCTI ;
– débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
Dans l’hypothèse où la cour devait reconnaître l’existence d’une perte de chance d’évolution professionnelle au bénéfice de Mme [P] :
– réduire l’indemnisation allouée à Mme [P] sur ce fondement à de plus justes proportions;
En tout état de cause :
– condamner Mme [P] au paiement de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon ses écritures notifiées le 21 juin 2022, Mme [P] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que l’URSSAF a commis une atteinte au principe d’égalité de traitement entre les inspecteurs du recouvrement anciens militaires affectés à la seule LCTI et a sursis à statuer dans l’attente de la production des éléments permettant de l’apprécier;
Au cas où la cour entendrait évoquer les conséquences, de condamner l’URSSAF Ile de France à lui verser :
– la somme de 69.187,24 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de l’atteinte portée à l’égalité de traitement et subsidiairement, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique découlant de l’atteinte à l’égalité de traitement constatée ;
– la somme de 15.000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices distincts liés à la violation du principe d’égalité de traitement ;
– ordonner à l’URSSAF Ile de France de lui attribuer 82 points de compétences supplémentaires et ce, à compter du 1er juillet 2020 et condamner l’URSSAF à lui payer ses salaires, à compter de cette date, en tenant compte du coefficient ainsi majoré, et ce sous astreinte de 500 euros par mois de retard, passé un délai d’un mois à compter de la notification de la décision à intervenir;
– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté ses autres demandes et statuant à nouveau,
– condamner l’URSSAF Ile de France à lui verser la somme de 10.275,97 euros à titre de rappels de salaire, outre celle de 1.027,59 euros à titre de congés payés y afférents au titre de l’indemnité de guichet et subsidiairement à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier découlant de l’atteinte au principe d’égalité de traitement avec M. [E] et avec les agents d’accueil ;
– condamner l’URSSAF Ile de France à lui verser à titre de rappels de salaires la somme de 38.534,90 euros au titre de l’indemnité d’itinérance, outre celle de 3.853,49 euros à titre de congés payés y afférents et, subsidiairement, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier découlant de l’atteinte au principe d’égalité de traitement avec les agents enquêteurs ;
– surseoir à statuer sur sa reconstitution de carrière de ce chef ;
– condamner l’URSSAF Ile de France à lui verser la somme de 30.000 euros nets à titre de provision à valoir sur le montant des salaires non prescrits et des dommages et intérêts résultant de la violation de l’égalité de traitement et du protocole d’accord du 30 novembre 2004 dans l’allocation des pas de compétences ;
À titre subsidiaire, en cas de refus de production des éléments utiles à la détermination des points de compétence alloués par l’URSSAF aux inspecteurs de 2005 à 2020,
– juger que l’URSSAF devra lui attribuer un pas de compétence chaque année non pourvue depuis 2005 et lui ordonner de reconstituer sa carrière en ce sens, à charge pour les parties de saisir, en cas de difficulté, le juge de l’exécution ;
– condamner l’URSSAF Ile de France à lui verser la somme de 2.500 euros en réparation du préjudice lié à la mauvaise application des accords collectifs ;
– dire que les rappels de salaire produiront intérêts à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour ceux échus à cette date et à compter de chaque échéance postérieure, et dire que les intérêts échus depuis plus d’une année produiront eux-mêmes intérêts ;
– condamner l’URSSAF à remettre un bulletin de salaire de régularisation reprenant les condamnations et la régularisation de la carrière ordonnée ;
En toute hypothèse,
– condamner l’URSSAF Ile de France à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de bénéficier du parcours professionnel prévu par les dispositions de l’article 33 du protocole d’accord relatif aux personnels chargés d’une activité de contrôle au sein de la branche recouvrement en date du 27 février 2009 ;
– condamner l’URSSAF Ile de France à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions notifiées par RPVA.
Le 24 septembre 2020, le conseil de prud’hommes a ordonné un sursis à statuer dans l’attente du prononcé d’une décision définitive de la cour.
L’instruction a été déclarée close le 22 juin 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’irrecevabilité de certaines demandes
Le conseil de prud’hommes a déclaré irrecevables les demandes formées par la salariée au titre de l’article 23 de la convention collective (primes de guichet et d’itinérance) et au titre des indemnités forfaitaires de déplacement, en application du principe de l’unicité de l’instance.
Il a constaté que :
– Mme [P] avait déjà saisi le conseil de prud’hommes le 12 septembre 1997 d’une action portant sur l’application de la classification des emplois issue du protocole d’accord du 14 mai 1992, sur laquelle le conseil s’est prononcé sur le fond par jugement en date du 5 octobre 1998 puis la Cour d’appel selon un arrêt en date du 14 mars 2001,
– la salariée ayant saisi une seconde fois le conseil de prud’hommes antérieurement au décret 2016-660 du 20 mai 2016 qui a abrogé les dispositions afférentes à l’unicité de l’instance, l’article R. 1452-6 du code du travail, qui disposait que’toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, l’objet d’une seule instance. Cette règle n’est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes.’, trouve à s’appliquer ;
– s’agissant des demandes afférentes aux primes de guichet et d’itinérance et aux frais de repas, les dispositions invoquées étant déjà connues de la salariée lorsqu’elle a saisi une première fois le conseil de prud’hommes en 1997, elle aurait dû dès cette instance les présenter.
L’URSSAF n’a pas relevé appel du jugement sur ce point et la salariée, dans le dispositif de ses conclusions, ne demande ni l’infirmation de ce chef du jugement, ni que ses demandes susvisées soient déclarées recevables. Elle ne développe d’ailleurs aucun moyen en ce sens dans la partie motivation de ses écritures.
Ce chef du jugement portant sur l’irrecevabilité de certaines demandes est donc définitif.
Sur l’égalité de traitement avec les anciens militaires devenus inspecteurs du recouvrement affectés à des fonctions de Lutte Contre le Travail Ilégal (ci-après LCTI)
L’URSSAF conteste l’existence d’une inégalité de traitement entre la salariée et les inspecteurs ayant eu antérieurement une carrière militaire. Elle expose qu’à compter de 2011, elle a été chargée d’un projet pilote de mise en place d’un dispositif renforcé de contrôle en vue de lutter contre le travail illégal (LCTI) et a recherché des profils précis de personnes ayant notamment démontré au cours de leur précédente expérience professionnelle une capacité d’adaptation rapide et des aptitudes comportementales spécifiques, ce qui l’a amenée à intégrer d’anciens militaires.
Elle considère que les inspecteurs LCTI et les inspecteurs du recouvrement effectuant du contrôle comptable d’assiette (CCA) exercent des fonctions différentes mettant en oeuvre des compétences différentes, de sorte qu’ils ne sont pas placés dans une situation identique, ce qui a été retenu par plusieurs juridictions et qu’en application de l’article 4 du protocole d’accord du 30 novembre 2004, elle a pu attribuer aux anciens militaires des points de compétence lors de leur embauche pour valoriser leur expérience antérieure et leurs compétences spécifiques. Elle ajoute qu’en toute hypothèse, l’analyse de l’évolution des carrières révèle que globalement les inspecteurs du recouvrement ont bénéficié d’une rémunération plus élevée que celle des inspecteurs LCTI et que la différence de situation n’a pas causé de préjudice à la salariée, ce qui doit conduire au rejet de ses demandes.
La salariée soutient au contraire que l’attribution par l’URSSAF de 90 points de compétence aux seuls inspecteurs du recouvrement affectés à la LCTI ayant eu au préalable une expérience au sein de l’armée caractérise une inégalité de traitement sans qu’aucun élément objectif ne puisse justifier cette mesure. Elle fait valoir notamment que les deux emplois n’étaient pas différents puisqu’en 2012, il n’existait pas encore d’inspecteur LCTI, cet emploi n’ayant été créé qu’en 2015 et que si l’employeur favorise un salarié à l’embauche, le juge doit contrôler la réalité et la pertinence de l’expérience ou du diplôme ainsi valorisé au regard de l’exercice de la fonction occupée et de l’avantage en cause. Or, elle considère qu’il n’y a aucun critère objectif d’octroi de points de compétence aux anciens militaires par rapport à des contrôleurs du travail de la même promotion et affectés comme eux à la LCTI ou aux inspecteurs du recouvrement déjà en fonctions qui ont bénéficié d’une formation plus complète comprenant en sus le contrôle des comptes d’assiette et participant également à des opérations de LCTI.
***
En application du principe d’égalité de traitement, l’employeur doit assurer une même rémunération aux salariés qui effectuent un même travail ou un travail de valeur égale. Selon l’article L.3221-4 du code du travail sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.
Toutefois, l’employeur peut individualiser les salaires, dès lors qu’il est en mesure de justifier toute différence de traitement par des critères objectifs et matériellement vérifiables au regard de l’avantage en cause.
Aux termes de l’article 1353 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence.
Il n’est pas contesté que plusieurs anciens militaires ont été recrutés en 2012 pour occuper des postes d’inspecteurs du recouvrement exclusivement dédiés à la LCTI et ont, à cette occasion, bénéficié de 90 points de compétence, contrairement aux autres inspecteurs du recouvrement également affectés à ces missions.
Toutefois, en premier lieu, il ne ressort ni des pièces produites, ni des conclusions que Mme [P] était affectée uniquement à des fonctions de LCTI, contrairement aux anciens militaires engagés en juillet 2012 auxquels elle se compare.
En effet, si en 2012 n’avait pas été encore créé l’emploi spécifique d’inspecteur du recouvrement LCTI, il est établi que les six militaires ont été intégrés à la première promotion d’inspecteurs du recouvrement formée uniquement à la mission de lutte contre le travail illégal, la mention ‘LCTI’ apparaissant d’ailleurs sur leurs fiches de paie dès l’origine accolée à l’emploi d’inspecteur du recouvrement.
La note relative à ‘La LCTI’ rappelle que l’URSSAF de [Localité 4]-Région Parisienne a été chargée d’un projet pilote de mise en place d’une ‘task force’ de lutte contre le travail illégal, nécessitant de faire évoluer la formation initiale et le profil habituel de recrutement des inspecteurs de recouvrement (actuellement des jeunes diplômés droit/comptabilité Bac + 3). Elle indique également que la LCTI est un métier de terrain qui nécessite d’intervenir dans des situations complexes et sensibles, sur des créneaux horaires parfois inhabituels (nuit, week end notamment) en partenariat avec d’autres services de l’Etat. Elle mentionne au titre des compétences requises : la capacité de s’engager en mesurant les risques de son action et la capacité de gérer son stress et précise que cette lutte contre les fraudes met les inspecteurs face à des individus, des groupes ou des organisations nécessitant l’intervention conjointe d’équipes de lutte contre la fraude et la capacité à s’y intégrer.
Le référenciel de l’emploi d’inspecteur du recouvrement LCTI, même rédigé postérieurement à 2012, précise que celui-ci est affecté à la préparation et à la mise en oeuvre d’actions de lutte contre le travail dissimulé sur le terrain en relation avec les partenaires habilités et mentionne au titre des compétences nécessaires notamment : savoir mettre en oeuvre les procédures civiles et pénales (technicité), savoir gérer et entretenir des relations avec les partenaires, savoir mener une audition (dimension relationnelle), savoir organiser les interventions en corrélation avec les autres corps de contrôle habilités (autonomie), enfin savoir faire preuve de discernement et de sang froid, savoir faire face aux situations résultant d’un contrôle inopiné et se rendre disponible en fonction des besoins rencontrés (savoir-faire relationnel).
Il en découle que les missions des inspecteurs du recouvrement exclusivement affectés à la LCTI différent de celles des inspecteurs du recouvrement affectés au contrôle comptable d’assiette (CCA) et que la lutte contre le travail dissimulé constituant le coeur de l’activité des premiers, avec des sujétions spécifiques, ils ne sont pas dans la même situation que Mme [P], laquelle lorsqu’elle exerçait les fonctions d’inspecteur du recouvrement ne participait que ponctuellement à des opérations de ce type.
Il n’est donc pas établi que les salariés auxquels elle se compare occupaient des fonctions identiques ou similaires aux siennes.
Par ailleurs, l’expérience professionnelle antérieure au sein de l’armée pendant des années, même à des postes peu exposés comme ceux évoqués par le conseil, confère aux militaires engagés par l’URSSAF en juillet 2012, par la formation reçue et l’organisation spécifique de l’institution militaire, des capacités particulières, notamment de gestion de situations difficiles dans le cadre d’une intervention au sein d’une équipe, lesquelles sont particulièrement utiles pour exercer les missions des inspecteurs dédiés LCTI et précédemment rappelées.
Or, l’article 4 du protocole d’accord du 30 novembre 2004 applicable en 2012 prévoyait qu’au moment d’opérer un recrutement l’employeur avait la possibilité de tenir compte de l’expérience et des compétences acquises antérieurement par le candidat.
Ainsi, la décision de l’URSSAF Île-de-France d’attribuer aux anciens militaires engagés comme inspecteurs du recouvrement affectés à la LCTI un avantage particulier, à savoir des points de compétence lors de leur recrutement, est justifiée par un élément objectif tenant à leur expérience professionnelle antérieure.
Il découle de ces observations qu’aucune inégalité de traitement ne peut être retenue et le jugement sera infirmé sur ce point et en ce qu’il a ordonné la production de pièces par l’URSSAF.
Sur l’application du protocole d’accord du 30 novembre 2004 concernant les points de compétence
Sur la prescription
Le conseil de prud’hommes a déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes tendant à l’attribution de points de compétence pour la période antérieure au 10 janvier 2009, en application de l’article L. 3245-1 du code du travail.
L’URSSAF n’a pas relevé appel sur ce point et la salariée dans le dispositif de ses conclusions ne demande ni l’infirmation de ce chef du jugement, ni que ses demandes afférentes aux points de compétence soient déclarées recevables antérieurement au 10 janvier 2009, même si dans la partie motivation de ses écritures, elle soutient que celles-ci ayant été ‘révélées postérieurement à la date de l’entrée en vigueur du protocole’, elle ne saurait être soumise à prescription.
Ce chef du jugement portant irrecevabilité partielle pour cause de prescription est par conséquent définitif.
Sur le fond
La salariée soutient, d’une part, que l’URSSAF n’a pas respecté les dispositions du protocole d’accord sur l’attribution des pas de compétence et, d’autre part, que l’employeur a violé le principe d’égalité de traitement. Elle expose en substance que l’octroi de points de compétence par l’URSSAF est erratique et inexpliqué et alors qu’elle établit un accroissement de ses compétences et des résultats significatifs, elle ne s’est pas vu attribuer de points de compétences chaque année ; qu’en outre, elle établit que certains collègues inspecteurs du recouvrement ont obtenu, les années où elle n’en a pas reçu, des points de compétence et que l’URSSAF ne présente aucun élément objectif mesurable et vérifiable au sens du protocole d’accord qui permet de justifier cette atteinte à l’égalité de traitement pour ces années.
L’URSSAF considère qu’elle respecte les termes de ce protocole qui encadre la possibilité pour l’employeur d’octroyer des points de compétence et ne crée pas un droit systématique pour la salariée. Elle précise qu’elle doit identifier l’accroissement des compétences au regard d’un référenciel spécifique mis en place prévoyant six critères (technicité, autonomie notamment) et que l’atteinte des objectifs ou la manière de tenir ses fonctions ne sont pas pris en compte ; que la procédure d’attribution des points de compétence est rappelée chaque année dans une note de service qui organise son calendrier en trois étapes ; qu’elle doit également tenir compte de plusieurs contraintes, la première budgétaire puisque l’Etat lui alloue chaque année une enveloppe financière, et la seconde conventionnelle, puisque le nombre de points doit être réparti au moins sur 20% de l’effectif et sur deux catégories d’agents. Elle ajoute que le bilan de sa politique salariale est présenté annuellement en séance plénière aux représentants du personnel. Enfin, elle soutient que la salariée n’a subi aucune inégalité de traitement puisque sa carrière a régulièrement évolué.
***
Le protocole d’accord du 30 novembre 2004 entré en vigueur le 1er février 2005 relatif au dispositif de rémunération et à la classification des emplois a défini les principes selon lesquels il est attribué aux salariés de l’URSSAF des points de compétence. Ces derniers permettent de faire évoluer la carrière des salariés et de leur attribuer des augmentations de salaire individuelles.
L’article 4.2 du protocole dispose que :
‘Les salariés peuvent se voir attribuer par la direction des points de compétence destinés à rétribuer l’accroissement des compétences professionnelles mises en oeuvre dans l’emploi.
Les compétences recouvrent des savoirs, c’est-à-dire des connaissances théoriques et professionnelles mises en oeuvre dans l’exercice du travail et des savoir-faire techniques et relationnels, observables dans la tenue de l’emploi.
L’identification de l’accroissement de compétences passe obligatoirement par l’élaboration de référentiels de compétences, dans les conditions définies à l’article 8 du présent texte.
Dans ce cadre, les compétences doivent être appréciées sur la base de faits précis, objectifs, observables et mesurables.
L’évaluation de la compétence est formalisée à l’occasion de l’entretien annuel, tel que prévu à l’article 7.
Le montant de chaque attribution est exprimé en points entiers.
Dans la limite de la plage d’évolution salariale (‘), ce montant correspond au minimum à 12 points pour les salariés occupant un emploi de niveau 5 A à 7 des employés et cadres (…).
Le nombre total de points de compétences attribué dans chaque organisme au cours de chaque année doit être réparti au moins sur 20% de l’effectif pour chacune des deux catégories définies ci-après :
-salariés occupant un emploi de niveau 1 à 4 des employés et cadres (…)
-salariés occupant un emploi de niveau 5A à 9 des employés et cadres (…)’.
L’article 7 de l’accord prévoit notamment que ‘chaque salarié bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique direct. Cet entretien a pour finalité, à partir du référentiel de compétences de l’emploi occupé, d’échanger et de faire le point sur les attentes en termes professionnels du salarié et de son responsable hiérarchique. L’entretien porte notamment sur les aspects suivants :
a) au titre de l’évaluation :
– la façon dont l’emploi a été tenu au cours de l’année écoulée et la fixation d’objectifs de progrès pour l’année à venir ;
– l’évaluation des compétences mises en ‘uvre par le salarié par rapport à l’emploi occupé et à ses évolutions ;
b) au titre de l’accompagnement :
– l’identification éventuelle des compétences professionnelles à développer, et leur formalisation écrite, notamment en précisant les modalités concrètes en termes de moyens à mettre en ‘uvre ;
– l’établissement éventuel d’un plan personnel de formation ou d’un projet de mobilité, en fonction des besoins de l’organisme et de ceux du salarié (…).
Tout salarié, éligible au développement professionnel et n’ayant pas bénéficié de points de compétence pendant trois ans consécutifs, peut demander à bénéficier d’un examen personnalisé de sa situation par la direction de l’organisme’.
Enfin, l’article 8 précise que l’élaboration des référentiels de compétences a pour finalité de distinguer les compétences nécessairement requises pour exercer l’ensemble des activités de l’emploi considéré dans des conditions normales d’activité, de l’accroissement de celles-ci, rémunéré par des points de compétence.
Sur le respect du protocole par l’URSSAF, force est de constater en premier lieu que celui-ci a consacré la ‘possibilité’ et non l’obligation pour l’employeur d’attribuer des points de compétence à un salarié donné, l’article 4.2 du protocole stipulant seulement que «les salariés peuvent» et non doivent «se voir attribuer par la direction des points de compétence destinés à rétribuer l’accroissement des compétences professionnelles mises en ‘uvre dans l’emploi».
En outre, l’URSSAF a évoqué, sans être contredite, deux types de contraintes dans l’attribution de ces points, à savoir, d’une part, le respect de l’enveloppe budgétaire dont elle est dotée chaque année par l’Etat et, d’autre part, le respect des règles conventionnelles de répartition, à savoir pour les inspecteurs du recouvrement un minimum de 12 points et une répartition des points ‘sur au moins 20% de l’effectif pour deux catégories précisément définies, à savoir : salariés occupant un emploi de niveau 1 à 4 des employés et cadres (…) et salariés occupant un emploi de niveau 5A à 9 des employés et cadres (…)’.
Il en découle que la constatation d’un accroissement des compétences d’un inspecteur du recouvrement ne peut entraîner de façon systématique l’attribution de points de compétence chaque année.
En second lieu, il ne ressort pas des termes de l’accord que l’employeur doit formaliser l’accroissement des compétences et décider de l’octroi des points de compétence lors de l’entretien annuel d’évaluation. L’URSSAF justifie par ailleurs de la mise en place d’un référentiel des compétences de l’emploi occupé par les inspecteurs du recouvrement, mentionnant plusieurs items, tels que la technicité, l’autonomie ou l’implication et plusieurs degrés d’appréciation, telles que initiation, application, maîtrise et expertise. Elle justifie également de l’organisation d’une procédure afin d’encadrer l’attribution des points de compétence, précisément décrite dans les notes de service annuelles versées aux débats et qui font état notamment d’un calendrier, d’une dotation allouée à chaque direction se traduisant par le pourcentage d’agents pouvant bénéficier de points de compétence et un rappel des règles conventionnelles d’attribution minimale et de répartition sur deux catégories de personnels susvisées. Enfin, il est établi par les bilans de politique salariale présentés chaque années aux représentants du personnel que l’URSSAF a bien attribué chaque année des points de compétence à ses agents avec la précision des pourcentages et répartitions.
S’agissant de la salariée, il ressort des pièces produites qu’elle a bénéficié à plusieurs reprises de l’allocation de points de compétences.
Or, l’attribution de points de compétences n’étant qu’une possibilité et non une obligation aux termes mêmes du protocole et l’employeur étant, par ailleurs, soumis à des contraintes budgétaires et conventionnelles qui limitent le volume de points pouvant être attribués chaque année, aucune conséquence ne peut être tirée de l’absence, pour une année donnée, d’attribution de points de compétences à la salariée, quand bien même un accroissement de ses compétences serait avéré, lequel ne se confond pas avec l’atteinte des objectifs fixés ou la réalisation de contrôles importants.
Ainsi, aucune violation du protocole à l’égard de la salariée n’est établie.
Sur l’égalité de traitement, comme précédemment rappelé, aux termes de l’article 1353 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement et il incombe alors à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence.
Ainsi, il appartient à la salariée qui allègue une inégalité de traitement d’établir qu’elle se trouvait dans une situation identique aux autres inspecteurs du recouvrement auxquels elle se compare et le seul fait que certains d’entre eux aient bénéficié de points de compétence certaines années au cours desquelles elle n’en a pas reçu est insuffisant à laisser supposer une inégalité de traitement.
En outre, si la salariée produit des tableaux mentionnant de nombreux agents avec l’indication de leur notation (M pour maîtrise ou E pour expertise par exemple) sur les différents items du référentiel des compétences, avec l’octroi de points de compétence certaines années, ceux-ci ne sont pas opérants puisque les lettres attribuées portent sur ‘l’évaluation de la tenue de l’emploi’ réalisée lors des entretiens annuels et non sur ‘l’évaluation de l’accroissement des compétences’.
Enfin, il ressort de ces tableaux qu’aucun des inspecteurs du recouvrement cité n’a perçu chaque année des points de compétence, comme le revendique la salariée pour son compte.
Ainsi, les éléments produits ne sont pas susceptibles de caractériser une inégalité de traitement entre la salariée et ses collègues inspecteurs de recouvrement dans l’attribution des points de compétence.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes à ce titre.
Sur la perte de chance de bénéficier d’un parcours professionnel
Mme [P] reproche à l’employeur de ne pas avoir pu bénéficier de chances d’évolution au-delà du niveau 7 de la classification en raison de l’absence de mise en oeuvre par l’URSSAF Île-de-France du dispositif d’accompagnement prévu par les stipulations de l’article 33 du protocole du 27 février 2009 conclu entre l’Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale (ci-après désignée l’UCANSS) et les organisations syndicales.
En défense, l’URSSAF Île-de-France soutient notamment qu’elle ne peut être tenue responsable de l’absence de mise en oeuvre du parcours d’accompagnement qui, aux termes des stipulations de l’article 33 précité, était à la charge de l’ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) ; en outre que chaque URSSAF constituant une entité juridique distincte, elle ne peut être tenue par les pratiques internes organisées au sein d’autres entités régionales ; enfin que l’absence de mise en place d’un accompagnement par l’ACOSS n’a pas compromis les chances de la salariée de bénéficier d’une évolution professionnelle à un poste de manager puisqu’elle propose plusieurs formations mobilisables notamment par le compte personnel de formation.
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L’article 33 du protocole d’accord relatif aux personnels chargés d’une activité de contrôle au sein de la branche recouvrement du 27 février 2009 stipule qu’ ‘un dispositif d’accompagnement destiné aux inspecteurs du recouvrement souhaitant accéder à des fonctions de manager sera mis en place à l’initiative de l’ACOSS en 2010’.
Il est constant que le dispositif d’accompagnement prévu par ce texte n’a pas été mis en place au sein de l’URSSAF Île-de-France.
Toutefois, il n’est pas justifié par la salariée dans ses écritures que ce protocole est d’effet direct à l’égard de l’URSSAF d’Île-de-France.
En effet, il résulte des mentions du protocole que l’URSSAF Île-de-France n’était ni partie à celui-ci, ni désignée par ledit protocole comme devant prendre l’initiative de la mise en oeuvre du dispositif litigieux, cette initiative étant exclusivement, aux termes du protocole, de la compétence de l’ACOSS.
De même, il ressort du code de la sécurité sociale et notamment de ses articles L. 213-1 et suivants et L.225-1 que l’UCANSS, l’URSSAF Île-de-France et l’ACOSS ont des personnalités juridiques distinctes, l’URSSAF étant par ailleurs administrée par un conseil d’administration dont la composition est fixée par l’article L. 213-2 du même code et non par l’ACOSS ou l’UCANSS.
De plus, si l’ACOSS est légalement chargée d’exercer un pouvoir de direction et de contrôle sur les URSSAF en matière de gestion de trésorerie, il ne résulte pas des normes précitées que l’agence centrale peut imposer à l’URSSAF Île-de-France la mise en oeuvre de mesures en matière de gestion de son personnel et, par voie de conséquence, celle du dispositif d’accompagnement prévu à l’article 33 du protocole.
Enfin, il n’est ni allégué, ni justifié que l’ACOSS ait mis à la charge de l’URSSAF Île-de-France la mise en oeuvre de ce dispositif d’accompagnement en son sein, peu important à cet égard que d’autres URSSAF régionales aient organisé un parcours professionnel en interne.
Il résulte de ce qui précède que les stipulations de l’article 33 du protocole n’étaient pas directement applicables à l’URSSAF Île-de-France.
Par suite, il ne peut lui être utilement reproché de ne pas avoir mis en oeuvre le dispositif litigieux, le manquement à l’origine de la perte de chance alléguée n’est pas établi et la salariée sera donc déboutée de sa demande indemnitaire.
Sur les demandes accessoires
Compte tenu du rejet des prétentions de Mme [P], la demande d’indemnisation fondée sur la mauvaise application des accords collectifs ne peut être que rejetée, comme la remise d’un bulletin de salaire de régularisation.
La salariée qui succombe supportera les dépens de première instance et d’appel. Il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, dans les limites de l’appel,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a rejeté la demande au titre des points de compétence,
INFIRME le jugement en ce qu’il a :
– constaté l’existence d’une atteinte à l’égalité de traitement avec les inspecteurs du recouvrement LCTI,
– enjoint à l’URSSAF Île-de-France, avant dire droit sur les autres demandes, de produire les décisions par lesquelles elle a procédé à des attributions de points de compétence à certains inspecteurs LCTI lors de leur recrutement ;
– ordonné la réouverture des débats et le renvoi de l’affaire à l’audience du 23 avril 2020 à 9 heures,
– réservé les dépens,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
REJETTE les demandes de Mme [P] au titre de l’inégalité de traitement avec les inspecteurs du recouvrement LCTI,
REJETTE la demande de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de bénéficier du parcours professionnel prévu par les dispositions de l’article 33 du protocole d’accord relatif aux personnels chargés d’une activité de contrôle au sein de la branche recouvrement en date du 27 février 2009 ;
DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [P] au paiement des dépens de première instance et d’appel.
La greffière, La présidente,