Compte personnel de formation : 15 décembre 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/05743

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Compte personnel de formation : 15 décembre 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/05743
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ARRET

[L]

C/

S.A.S. GOODYEAR FRANCE

copie exécutoire

le 15 décembre 2022

à

Me Boyer Chammard

Me Bacquet

CB/MR

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 15 DECEMBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/05743 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IJKZ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 29 NOVEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F 19/00171)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [S] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS substitué par Me Alexis DAVID, avocat au barreau D’AMIENS, postulant

concluant et plaidant par Me Juliette BOYER CHAMMARD, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau D’AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.S. GOODYEAR FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 5]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Florence BACQUET de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Meryem CHAFAI EL ALAOUI, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l’audience publique du 03 novembre 2022, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l’arrêt sera prononcé le 12 janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Les conseils des parties ont été avisés que la date du délibéré initialement fixé au 12 janvier 2023 était avancée au 15 décembre 2022.

Le 15 décembre 2022, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [L] a été embauché en contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 1991 par la société Goodyear, en qualité de monteur.

Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait la fonction de coordinateur FOS c’est à dire du service de l’outil informatique de la gestion du parc de pneumatiques.

Son contrat est régi par la convention collective du caoutchouc.

La société emploie 955 salariés au 1er janvier 2020.

Le 3 octobre 2018, le salarié a été placé en arrêt maladie renouvelé à plusieurs reprises.

La société a organisé une visite de reprise prévue le 23 juillet 2020. A l’issue de cette visite, le médecin du travail a déclaré M. [L] inapte à tout poste dans l’entreprise.

Le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 20 août 2020.

Par courrier en date du 24 août 2020, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, M. [L] a saisi une première fois le conseil de prud’hommes de Beauvais par requête du 2 juillet 2019.

Le 8 février 2021, le salarié a saisi le même conseil d’une seconde requête en contestation de son licenciement pour inaptitude.

Par jugement du 29 novembre 2021, le conseil de prud’hommes de Beauvais a :

– prononcé la jonction des dossiers 19/00171 et 21/00021 ;

– dit que les demandes de M. [L] étaient recevables et partiellement fondées ;

-débouté M. [L] de ses demandes au titre de la résiliation judiciaire et du harcèlement ;

– rejeté les demandes afférentes à savoir :

– 87 575,52 euros au titre d’indemnité pour licenciement nul ;

– 9 991,02 euros brut au titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 999,12 euros brut au titre des congés payés afférents ;

– 50 000 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

– 69 398,35 euros au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– dit n’y avoir lieux à exécution provisoire ;

– ordonné à la société à abonder le compte personnel de formation de M. [L] à hauteur de 100 heures ;

– condamné la société à payer à M. [L] la somme de 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté la société de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société eaux entiers dépens dans le respect de l’article 699 du code de procédure civile

Ce jugement a été notifié le 3 décembre 2021 à M. [L] qui en a relevé appel le 16 décembre 2021.

La société Goodyear France a constitué avocat le 21 décembre 2021.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 octobre 2022, M. [L] prie la cour de :

– réformer le jugement du conseil de prud’hommes du 29 novembre 2021 en ce qu’il :

– l’a débouté de ses demandes au titre de la résolution judiciaire et du harcèlement;

– a rejeté les demandes afférentes à savoir :

– 87 575,52 euros au titre d’indemnité pour licenciement nul ;

– 9 991,02 euros brut au titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 999,12 euros brut au titre des congés payés afférents ;

– 50 000 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

– 69 398,35 euros au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau des chefs de jugement infirmés,

– fixer la moyenne de salaire mensuel des 12 derniers mois à 3 648,98 euros ;

A titre principal,

– prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de la société Goodyear France SAS, pour manquement à ses obligations légales, contractuelles et conventionnelles, harcèlement moral et violation des obligations d’exécution de bonne foi et de sécurité de résultat ;

– fixer la date de résiliation du contrat au 24 août 2020, date de notification du licenciement pour inaptitude produisant les effets d’un licenciement nul en raison du harcèlement moral et subsidiairement les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

A titre subsidiaire,

– juger le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement nul en raison du harcèlement et de l’atteinte à la santé consécutive à sa rétrogradation et à titre subsidiaire dénué de cause réelle et sérieuse pour violation des obligations d’exécution de bonne foi et de sécurité de résultat ;

En conséquence,

– condamner solidairement la société Goodyear France SAS à lui payer les sommes suivantes :

– indemnité compensatrice de préavis : 9 991,02 euros brut ;

– congés payés afférents : 999,12 euros brut ;

– dommages et intérêts pour licenciement nul : 87 575,52 euros (24 mois de salaire)

– A titre subsidiaire, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 69 398,35 euros (20 mois pour 29 ans d’ancienneté)

– dommages et intérêts pour préjudice moral en raison de la déloyauté dans l’exécution du contrat et atteinte à la santé : 50 000 euros

– condamner la société à abonder 100 heures à son compte personnel de formation; tu mets en fin d’arrêt que pas d’appel dessus, est-ce à dire que pas dans la DA’ Si tel est le cas, pour moi il faut indiquer que cour pas saisie du coup, non’

– aux intérêts au taux légal et capitalisation ;

– sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros ;

– aux dépens.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 25 octobre 2022, la société Goodyear France prie la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Beauvais le 29 novembre 2021;

A titre principal,

– dire et juger que M. [L] ne justifie pas d’un manquement suffisamment grave empêchant la poursuite de son contrat de travail ou à défaut, que son licenciement a une cause réelle et sérieuse ;

– dire et juger que les arguments avancés par M. [L] pour faire valoir qu’elle aurait manqué à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail et porté atteinte à sa santé sont inopérants ;

– dire et juger qu’aucun harcèlement moral ou aucune violation de l’obligation de sécurité par la société n’est avéré ;

En conséquence de,

– débouter M. [L] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ou de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamner M. [L] à lui régler la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance ;

A titre subsidiaire,

– limiter les condamnations au titre de la rupture du contrat de travail aux montants suivants :

– 9 991,02 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 999,10 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

– en cas de rupture nulle ou produisant les effets d’un licenciement nul, 19 688 euros brut à titre de dommages et intérêts ;

– en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse ou produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, 9 991,02 euros brut à titre de dommages-intérêts ;

– réduire la condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions ;

En tout état de cause,

– constater que M. [L] est infondé à faire valoir l’existence d’un manquement par la société à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail ou à l’atteinte de sa santé et en conséquence,

– débouter M. [L] de ses demandes indemnitaires à cet égard ;

– faire courir les intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 octobre 2022 et l’affaire a été fixée pour être plaidée le 3 novembre2022.

MOTIFS

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur la demande relative à la modification du contrat de travail

M. [L] soutient qu’il a été victime d’un déclassement professionnel de la part de l’employeur qui a modifié le contrat de travail en portant atteinte à son statut d’agent de maîtrise auquel il avait été promu par avenant n°5 du 11 mars 2004, puis au statut de technicien supérieur, statut assimilé cadre par un autre avenant n°6 du 29 août 2005, que ces termes reflètent la catégorie socio-professionnelle d’agent de maîtrise, que ses fonctions de coordinateur FOS impliquent notamment des fonctions de management de collaborateurs relevant incontestablement de cette catégorie et que l’attestation pôle emploi le prouve.

Il ajoute que l’avenant n°6 ne stipule pas de renonciation expresse à la qualification d’agent de maîtrise qu’il ne pouvait donc pas la perdre, que la modification de ses fonctions est intervenue à la suite de la réorganisation de l’essentiel de ses fonctions sur le site de Roumanie, qu’il s’est retrouvé à exercer des fonctions de saisie informatique d’ouverture de tickets abrutissantes et répétitives sans lien avec ses compétences, ce changement ayant même amené son collègue à démissionner, que cette rétrogradation d’agent de maîtrise à technicien est patente, la comparaison des évaluations annuelles suffisant à prouver la modification du contenu et de la qualité des fonctions et pas seulement des conditions de travail.

Il rapporte que la comparaison entre ses tâches décrites dans les évaluations annuelles avant et après le transfert en Roumanie prouve que son activité de FOS qui constituait l’essentiel de son activité a été transférée en novembre 2017 et caractérisait la qualification d’agent de maîtrise.

La société Good Year s’oppose à cette demande faisant valoir que le poste de FOS du salarié entre dans la catégorie de personnel sans fonction d’encadrement, que si en 2013 l’intitulé de son poste est devenu « technicien supérieur» cette dénomination ne comporte aucune dimension managériale, que les fonctions de M. [L] de 2013 à 2016 consistaient en l’exécution de tâches d’ordre technique et administrative ou économique ; qu’à compter du transfert en Roumanie le descriptif de ses missions a toujours consisté à apporter un support technique et administratif aux clients et aux équipes commerciales ne se limitant pas à des activités répétitives sans intérêt.

Elle rétorque que la signature par le salarié de l’avenant n°6 prévoyant son passage d’une classification d’agent de maîtrise à technicien supérieur a emporté sa renonciation au précédent statut, que la fiche de poste de 2007 ne constitue pas un avenant et que les pièces datant de 8 à 12 ans avant le transfert ne reflètent pas les fonctions exercées avant celui-ci ; qu’il est constant que depuis 2010 M. [L] n’avait plus de fonction d’encadrement et n’a pas contesté cette situation dans le délai de prescription de deux ans de l’article L 1471-1 du code du travail alors que depuis 2013 l’intitulé de son poste est inchangé.

L’employeur ajoute que la dénomination technicien supérieur ne permet pas d’acquérir le statut d’agent de maîtrise, peu important le bénéfice d’un statut «  assimilé cadre » car la convention collective ne connaît pas cette dénomination ne distinguant que celles de « employés-techniciens » et celle «d’agent de maîtrise », que les évaluations annuelles ne font pas référence à un encadrement comme exigé pour les agents de maîtrise mais à celle de technicien, que le statut «  assimilé cadre » permet simplement au salarié de bénéficier d’avantages auxquels il ne pourrait normalement pas accéder.

La société souligne que M. [C] qui atteste en faveur du salarié et exerçait les mêmes fonctions indique qu’il n’a pas eu de changement fonctionnel depuis le transfert en Roumanie et que les fonctions de saisie pré-existaient à celui-ci ainsi que le prouve l’évaluation annuelle de 2016, qu’au contraire depuis lors les activités du salarié sont plus complexes plus en contact avec les prestataires, les tâches de saisie étant réalisées à l’étranger.

Sur ce

En l’absence de précision dans le code du travail, la jurisprudence a précisé la notion de modification du contrat en distinguant les modifications du contrat qui nécessitent l’accord du salarié des simples changements des conditions de travail qui s’imposent au salarié.

Le caractère contractuel d’une modification s’apprécie en fonction non seulement des stipulations contractuelles mais aussi en considération des éléments par nature essentiels à tout contrat de travail ; il s’agit principalement des fonctions du salarié, de sa qualification, de sa rémunération et de la durée du travail.

La qualification et la fonction du salarié sont considérées comme un élément essentiel du contrat de travail, nécessitant l’accord du salarié pour modification.

En l’espèce le contrat de travail initial avait classé le salarié à la fonction de monteur coefficient 215 échelon 31. Puis il a signé différents avenants dont celui du 11 mars 2004 par lequel il est classé agent de maîtrise 4eme échelon puis celui du 29 août 2005 qui lui attribue la fonction de coordinateur FOS à la classification technicien supérieur au niveau/échelon 5.2 au coefficient 335.

La convention collective applicable prévoit que l’échelon 52 (coefficient 335) se situe dans la classification employés-techniciens et non agent de maîtrise. Elle ne connaît pas la classification de technicien supérieur.

Le dernier avenant a été signé par le salarié qui de ce fait renonçait à la classification d’agent de maîtrise ; toutefois il percevait un salaire augmenté et bénéficiait d’un statut assimilé cadre lui ouvrant la possibilité d’avantages liés à ce statut sans pour autant qu’il puisse en revendiquer la classification.

En donnant son accord à ce changement le salarié ne pouvait plus revendiquer la classification d’agent de maîtrise et ses fiches de paie mentionnent celle de technicien supérieur, et non agent de maîtrise alors qu’un accord express de renoncement à l’ancienne classification n’était pas exigé.

La modification du contrat de travail étant intervenue en août 2005 il lui appartenait s’il la contestait de saisir la juridiction prud’hommale dans le délai de deux ans

Enfin l’attestation pôle emploi mentionne non la classification d’agent de maîtrise mais celle de technicien supérieur ; que si la première page précise au niveau de qualification statut cadre ou assimilé c’est en référence à l’avenant n°6 qui lui reconnaît ce bénéfice pour la retraite auprès de l’Agirc-Arrco.

L’employeur peut être amené à procéder à des aménagements de poste ou à modifier les tâches attribuées aux salariés. Il arrive qu’il veuille procéder :

·à l’attribution de nouvelles tâches ;

·à la réorganisation des responsabilités du salarié ;

·au changement de qualification du salarié.

Lorsque l’étendue des fonctions et le niveau de responsabilité du salarié sont fortement réduits, il y a modification du contrat nécessitant l’accord du salarié même si la rémunération ou la qualification ne sont pas affectées.

Il convient en conséquence de rechercher si les tâches confiées au salarié après le transfert d’une partie des activités de son service avaient eu pour effet de réduire son niveau de responsabilité.

En l’espèce les évaluations annuelles produites aux débats permettent de définir la nature des tâches auxquelles était affecté le salarié.

Celle de 2016 liste des tâches diverses parmi lesquelles M. [L] a indiqué que le 3eme objectif constituait une grosse partie de son travail, à savoir l’amélioration de l’organisation et l’efficacité des finances soit la facturation (qualité de celle-ci avec régularisation devant être inférieur à 3%), le monitoring (vérifier la qualité de saisies des prestataires, réduction du nombre de produits non facturés), la gestion du porte feuille clients (ouverture de comptes, statistiques, liste de réseaux et mise à jour mensuelle), la data (mise à jour des barèmes manufacturiers, analyse de la base des articles, participation au projet de refonte de la data).

En 2018 après le transfert d’une partie de l’activité en Roumanie ses tâches consistaient en 3 postes soit le «  mileage » ( transmission des demandes de clients, contrôles des déclarations kilométriques, des pneumatiques, traitement des factures des prestataires, maintien fichier de suivi), le « paygo »( transmission de demandes des prestataires et clients, facturation des clients non automatisés, répondre au téléphone, aide à l’équipe commerciale pour les nouveaux clients) et « retread » ( process de collectes, mise à jour des stocks et traitement des clients et prestataires via la boîte mail).

Il apparaît au vu de ces documents que l’activité essentielle du salarié consistait en 2016 en l’exécution de tâches de facturation avec un outil informatique FOS et relations avec les prestataires et les clients sans fonction d’encadrement ou d’organisation.

En 2018 ces fonctions n’ont pas intrinsèquement été modifiées s’agissant toujours de facturations et de lien avec la clientèle et les prestataires.

L’attestation de M. [C] indiquant que l’activité de M. [L] après le transfert d’une partie de l’activité en Roumanie consistait à approuver les factures des prestataires, loin de son expertise sur le système FOS truck qu’il avait mis en place au départ, ne contredit pas le fait que son activité porte sur la facturation. La cour observe que l’une des missions du salarié en 2018 consistait à aider l’équipe commerciale pour les nouveaux clients, qu’il continuait ainsi à faire bénéficier de ses connaissances de l’outil informatique à ses collègues.

Enfin le salarié avait été destinataire par courriel du 27 novembre 2017, au moment du transfert en Roumanie, du descriptif des missions front office qui reprend globalement les missions qui lui étaient auparavant confiées, en référence aux comptes rendus d’évaluation des années précédentes produites.

Ainsi il n’est pas établi que les fonctions exercées par M. [L] avaient eu pour effet de réduire son niveau de responsabilité.

La cour, par confirmation du jugement dit que le salarié n’a pas subi de modification de son contrat de travail et le déboutera de sa demande en réparation pour déloyauté dans l’exécution du contrat de travail.

Sur le harcèlement moral

M. [L] expose qu’il a été victime de harcèlement moral de son employeur qui l’a rétrogradé de son poste d’agent de maîtrise à celui de technicien sans son accord, qu’il a été contraint à effectuer des tâches subalternes consistant ainsi en une rétrogradation compromettant son avenir professionnel, que lorsqu’il a envoyé à la société sa lettre de protestation sur la nature de ses tâches, il lui a été répondu de façon attentatoire à sa dignité avec des propos dégradants et non prouvés qui l’ont affectés au point d’être placé en arrêt maladie puis avoir dû être suivi par un psychiatre et enfin faire l’objet d’un avis d’inaptitude.

Il conteste le témoignage de M. [Y] produit par l’employeur car il est le signataire de la lettre de licenciement et donc dénué de toute impartialité, qu’il n’a pas eu contact avec lui pendant son arrêt maladie, qu’à supposer que cela aurait été le cas l’existence d’un problème au genou n’est pas exclusif d’un syndrome dépressif lié aux conditions de travail.

La société Good Year nie tout harcèlement moral répliquant que le salarié doit produire des éléments laissant présumer l’existence de ce qu’il invoque alors que M. [L] ne produit que des certificats médicaux qui sont insuffisants à eux seuls à rapporter une telle preuve.

Sur ce

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1154-1du même code, le salarié a la charge de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte du premier de ces textes que les faits susceptibles de laisser présumer une situation de harcèlement moral au travail sont caractérisés, lorsqu’ils émanent de l’employeur, par des décisions, actes ou agissements répétés, révélateurs d’un abus d’autorité, ayant pour objet ou pour effet d’emporter une dégradation des conditions de travail du salarié dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

Le courrier du 19 janvier 2019 par lequel il se plaint auprès de l’employeur de son sentiment d’avoir été un pion sans considération à son égard du fait du changement de ses tâches depuis 2017 cette situation confinant au harcèlement et un certificat médical d’un psychiatre qui l’a suivi de juin 2019 à novembre 2020 indiquant qu’il souffre d’une dépression caractérisée par une forte diminution de l’élan vital, ruminations et perte d’envie et de motivation dont le salarié lui rapporte qu’elle est liée à sa situation professionnelle et le vécu négatif avec un sentiment de déclassement et de marginalisation depuis deux ans et qui a nécessité un traitement antidépresseur approprié.

Le salarié présente ainsi des éléments de fait qui sont de nature à laisser supposer l’existence d’une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l’employeur se doit d’établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs à tout harcèlement moral.

La société justifie avoir régularisé un avenant le 29 août 2005 qui a été signé par le salarié par lequel il renonçait à la classification d’agent de maîtrise, dont la cour a reconnu la validité.

Le courrier du 19 janvier 2019 est rédigé par le salarié qui jusqu’alors ne s’était pas plaint de ses conditions de travail et des tâches confiées auprès de son employeur.

Il apparaît aussi que le certificat médical du médecin psychiatre s’il établit la réalité d’un état dépressif n’en donne pas son origine indiquant simplement que le salarié en rend responsable ses conditions de travail.

En outre si les arrêts de travail ont été délivrés à compter 27 juin 2019 pour syndrome anxio-dépressif, d’autres les précédent et mentionnent d’autres pathologies, à savoir des douleurs neuropathiques des membres inférieurs alors que la société produit de la documentation médicale faisant état de la possibilité d’état dépressif en lien avec des douleurs neuropathiques.

L’employeur produit aux débats le témoignage de M.[Y] des ressources humaines de la société Good Year qui précise avoir eu contact avec M. [L] à plusieurs reprises par téléphone entre début octobre 2018 et fin janvier 2019 et qu’il lui avait dit que ses arrêts étaient en lien avec une pathologie de nerf du genou.

Le juge ne peut, par principe, dénier toute valeur probante à une attestation émanant d’un salarié soumis à un lien de subordination avec son employeur sans un examen préalable du contenu de l’attestation et des circonstances de l’espèce. La sincérité du témoignage d’un salarié au profit de son employeur peut être discutée compte tenu de son état de subordination et de dépendance économique mais il ne doit pas être considéré, en soi, comme servile ou mensonger, dès lors qu’aucun élément objectif ne permet de l’affirmer et que le salarié n’apporte pas d’élément permettant de considérer que ces témoignages ont été extorqués à leur auteur ou ont été suscités par la peur. En l’espèce, rien ne permet de mettre en doute la sincérité des témoignages produits par l’employeur, qu’il n’y a donc pas lieu d’écarter.

Enfin la cour relève que l’employeur a répondu au salarié suite à son courrier de plainte du 19 janvier 2019 contestant ses propos sur son appréciation de la dévalorisation des tâches qui lui sont confiées, expliquant que celles qui sont répétitives et sans intérêt ont été délocalisées en Roumanie et qu’il ne conserve que celles qui sont plus complexes pour soutenir la force de vente. Le fait que la société ait pu relever qu’il avait éprouvé des difficultés en cas d’évolution de ses fonctions et avait montré une certaine résistance ne constitue pas une attitude méprisante puisqu’elle lui précise qu’elle en a conscience et qu’une période d’adaptation est nécessaire.

Ainsi, la société Good Year contredit utilement les éléments du salarié et justifie que les agissements que ce dernier dénonce étaient justifiés objectivement et non constitutifs de harcèlement moral et en réparation pour atteinte à sa santé.

Pour ces motifs, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a débouté M. [L] de sa demande au titre du harcèlement moral.

Sur l’obligation de prévention et de sécurité

M. [L] prétend que l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité à son égard car il avait alerté l’employeur sur sa détresse suite à la réorganisation des tâches, que sa réponse a nié sa souffrance au mépris des risques psycho-sociaux, que les arrêts de travail ininterrompus jusqu’à l’avis d’inaptitude à tout poste aurait dû l’alerter sur le danger de sa santé.

La société Good Year nie tout manquement à cet égard rétorquant que le salarié avait bénéficié de 4 formations entre novembre 2016 et août 2018 relative à la prévention du harcèlement et à la protection de la santé et une formation dite speak up sur le système de signalement interne de comportements inappropriés, qu’elle avait en outre mis en place une hot line pour faire remonter les signalements de harcèlement au travail et organisé des ateliers portant sur la gestion de la vie professionnelle et la vie privée avec déconnexion.

Sur ce

L’article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient qu’il est constant que M. [L] a bénéficié de plusieurs formations en lien avec la prévention du harcèlement moral au sein de l’entreprise.

Par ailleurs, la cour a précédemment jugé d’une part que la réponse de la société au salarié suite à son courrier de plainte de janvier 2019 ne nie pas sa souffrance mais conteste la réalité d’un changement de tâches auxquelles il a été affecté qui seraient devenues dévalorisantes et qui n’a pas été retenu par la cour reconnaît qu’il a besoin d’une période d’adaptation, ce qui ne permet pas d’en déduire que l’employeur manque à son obligation de prévention et de sécurité.

En outre l’existence d’arrêts maladie successifs n’induit pas nécessairement l’existence d’une violation de l’obligation de sécurité de l’employeur, ce d’autant qu’en l’espèce le salarié n’avait jamais informé la société de ses difficultés avant son premier arrêt de travail le 3 octobre 2018.

La cour retient, par confirmation du jugement que la société Good Year n’a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur la demande de résiliation judiciaire

M. [L] sollicite de la cour qu’elle prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul pour cause de harcèlement moral ; subsidiairement produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse invoquant les trois manquements à savoir :

– la modification unilatérale du contrat de travail par atteinte au statut d’agent de maîtrise sans son accord ;

– un harcèlement moral de l’employeur

– un manquement à l’obligation de sécurité et de prévention.

La société Good Year s’y oppose répliquant que les manquements invoqués ne sont pas établis.

Sur ce

La voie de la résiliation judiciaire n’est ouverte qu’au salarié et à lui seul, elle produit, lorsqu’elle est accueillie, tous les effets attachés à un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse ou un licenciement nul en cas notamment de harcèlement moral.

Lorsque les manquements de l’employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtus une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie, avec effet à la date de la décision la prononçant, lorsqu’à cette date le contrat de travail est toujours en cours ou au jour de la rupture si elle est déjà intervenue.

La cour a précédemment jugé d’une part que le contrat de travail de M. [L] n’avait pas été modifié unilatéralement par l’employeur, d’autre part qu’il n’était pas harcelé moralement et enfin que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité et de prévention.

Dans ces conditions il n’est pas établi de manquement grave de l’employeur à l’égard du salarié pouvant fonder sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.

La cour, par confirmation du jugement, déboutera M. [L] de sa demande sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La cour infirme le jugement sur les dépens ; l’infirme sur la condamnation de l’employeur sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Succombant en partie, M. [L] est condamné aux dépens pour l’ensemble de la procédure.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu’elles ont exposé pour la présente procédure. Elles sont déboutées de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement et en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Beauvais le 29 novembre 2021 sauf sur la condamnation de la société Good Year sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et sur aux dépens

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

Condamne M. [L] aux dépens pour l’ensemble de la procédure.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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