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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/02588 – N° Portalis DBVH-V-B7E-H2JC
LR/EB
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NÎMES
10 septembre 2020 RG :F19/00293
[P]
C/
S.A.S. POPPIES-BERLIDON
Grosse délivrée
le
à
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 14 FEVRIER 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NÎMES en date du 10 Septembre 2020, N°F19/00293
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 01 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Février 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [Z] [P]
né le 12 Novembre 1981 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3] / France
Représenté par Me Serge DESMOTS de la SELEURL SERGE DESMOTS AVOCAT, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
S.A.S. POPPIES-BERLIDON représentée par son Président en exercice
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Barbara MICHEL, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 17 Novembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 14 Février 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [Z] [P] a été engagé à compter du 2 janvier 2002, suivant contrat à durée déterminée puis suivant contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2002 en qualité de technicien de maintenance par la SAS Poppies-Berlidon.
La convention collective applicable est celle de la boulangerie industrielle.
En février 2018, M. [Z] [P] a été placé en arrêt de travail pour anxiété généralisée.
Le 29 mai 2018, après plusieurs échanges avec son employeur, M. [Z] [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail au torts de son employeur.
Par requête du 27 mai 2019, M. [Z] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes aux fins de voir dire et juger qu’il a été victime d’harcèlement moral, dire et juger que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul ainsi que de condamner la SAS Poppies-berlidon au paiement de diverses sommes indemnitaires.
Par jugement du 10 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :
– condamné la SAS Poppies-berlidon à payer à M. [Z] [P] :
– au titre de l’indemnité de non-concurrence, la somme de 18.992, 06 euros,
– au titre des congés payés y afférents, la somme de 1.899, 20 euros,
– condamné M. [Z] [P] à payer à la SAS Poppies-berlidon :
– au titre du préavis : 6.407, 30 euros,
– au titre des congés payés sur préavis, la somme de 640, 73 euros,
– débouté M. [Z] [P] du surplus de ses demande,
– ordonné la compensation à due concurrence avec les sommes dues par la SAS Poppies-berlidon,
– débouté les deux parties sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
– partagé les dépens.
Par acte du 15 octobre 2020, M. [Z] [P] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 27 octobre 2022, M. [Z] [P] demande à la cour de :
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a :
– condamné la SAS Poppies-berlidon à payer à M. [Z] [P] :
– au titre de l’indemnité de non-concurrence, la somme de 18.992, 06 euros,
– au titre des congés payés y afférents, la somme de 1.899, 20 euros,
– condamné M. [Z] [P] à payer à la SAS Poppies-berlidon :
– au titre du préavis : 6.407, 30 euros,
– au titre des congés payés sur préavis, la somme de 640, 73 euros,
– débouté M. [Z] [P] du surplus de ses demande,
– ordonné la compensation à due concurrence avec les sommes dues par la SAS Poppies-berlidon,
– débouté les deux parties sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
– partagé les dépens.
Statuant à nouveau,
– condamner la SAS Poppies-berlidon à payer à M. [Z] [P] la somme de :
– 15.000 euros nets au titre des dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi,
– 3.000 euros au titre des dommages et intérêts pour non-respect des durées
maximales de travail et minimales de repos,
– 3.000 euros au titre de l’abondement du compte personnel de formation,
– 19.221,90 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 6.407,30 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 640,73 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y
afférente,
– 80.000 euros nets au titre de l’indemnité pour licenciement nul,
– 30.755,04 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de non concurrence,
– 3.075,50 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y
afférente,
– 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-des entiers dépens.
M. [Z] [P] fait valoir :
-qu’il a été victime de harcèlement moral, à la suite de la procédure prud’homale menée par son épouse à l’encontre de la société
-le non-respect des durées minimales de repos et maximales de travail
-le non-respect de l’obligation d’organiser des entretiens individuels
-compte tenu de tout cela et, surtout, des pressions et représailles constitutives de harcèlement moral et exercées sur lui pour le voir quitter l’entreprise, il n’a eu d’autre choix que de prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
-il est fondé à obtenir une indemnité légale de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité pour licenciement nul
-en tout état de cause, il ne devait aucun préavis compte tenu de la suspension du contrat de travail et le conseil ne pouvait le condamner à ce titre
-le contrat contient une clause de non-concurrence et l’indemnité doit être calculée en tenant compte des salaires précédant la suspension du contrat de travail
En l’état de ses dernières écritures en date du 21 octobre 2022, contenant appel incident, la SAS Poppies Bakeries anciennement dénommée Poppies-Berlidon a demandé de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nîmes du 27 mai 2019 sauf en ce qu’il a condamné la SAS Poppies-berlidon (devenue la
société Poppies bakeries) au paiement de la somme de 18 992.06 euros au titre de contrepartie de la clause de non-concurrence et 1899.20 € de congés payés correspondants,
– Par conséquent rejeter l’ensemble des demandes fins et conclusions de M. [Z] [P],
– Subsidiairement limiter le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour licenciement nul, non-respect des entretiens professionnels, non-respect des
temps de pause et durée maximale de travail à l euro symbolique,
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nîmes du 27 mai 2019 en
ce qu’il a condamné la SAS Poppies-berlidon (devenue la société Poppies bakeries) au paiement de la somme de 18 992.06 euros au titre de contrepartie de la clause de non-concurrence et 1899.20 euros de congés payés correspondants,
Et statuant à nouveau :
– rejeter la demande de M. [Z] [P] de condamnation au paiement de la
somme de 30 755.04 euros bruts et 3075.50 euros bruts,
– limiter la condamnation au paiement de la somme de 9820.10 euros bruts pour la période du 1er juin 2018 au 30 mai 2020 (soit 24 mois) et 982.10 euros bruts de congés payés
correspondants
– et y ajoutant :
– condamner M. [Z] [P] à payer à la société Poppies bakeries
(anciennement dénommée Poppies-berlidon), la somme de 4000 euros en application des dispositions de l’ article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens.
La SAS Poppies Bakeries fait valoir que :
-il n’y a aucun harcèlement moral et compte tenu du montant limité de la condamnation obtenue par l’épouse de M. [Z] [P], on voit difficilement comment l’employeur pouvait lui en vouloir
-sur le prétendu non-respect de l’obligation d’organiser des entretiens professionnels : le texte cité n’est pas applicable et M. [Z] [P] ayant quitté l’entreprise avant 2020, l’échéance du dispositif mis en place en 2014 n’était pas encore intervenue.
-sur la demande relative aux temps de repos et durée maximale de travail : il n’y a aucun élément concret permettant de l’étayer
-en l’absence de harcèlement moral et de manquements suffisamment graves, la prise d’acte s’analyse en une démission et M. [Z] [P] ne peut prétendre aux indemnisations sollicitées
-l’indemnité de préavis et compensatrice de congés payés est bien due par le salarié
-le calcul de l’indemnité compensatrice de non-concurrence doit être effectué par référence, non au salaire habituel mais à la moyenne mensuelle des trois derniers mois, conformément au contrat.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 8 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 17 novembre 2022 à 16 heures et fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 1er décembre 2022.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
Selon l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il sera rappelé qu’une situation de harcèlement se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs, d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.
En cas de litige, l’article L.1154-1 du même code prévoit que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [Z] [P] fait état d’un harcèlement moral, à compter de la procédure prud’homale initiée par son épouse, en invoquant les éléments suivants :
-À compter du 19 décembre 2017, le recrutement d’un remplaçant
-À compter du 15 janvier 2018, la diminution de la durée habituelle du travail
-Le 1er février 2018, la remise d’une convocation mensongère
-Le 2 février 2018, il a volontairement été écarté d’une réunion de service
-Le 6 février 2018, les menaces et représailles lors de l’entretien préalable
-À partir de février 2018, son retrait des plannings d’astreintes
-Le 27 février 2018, le chantage à la rupture conventionnelle
-Le 28 février 2018, son arrêt maladie
-L’atteinte aux droits et à la dignité, l’altération de la santé physique et mentale
Il produit pour en justifier :
-le jugement du conseil de prud’hommes de Nîmes du 19 décembre 2017 concernant son épouse
-un extrait du cahier du responsable technique du 19 décembre 2017
-un diaporama de la réunion du 19 février 2018
-un échange de courriels des 19 et 23 février 2018
-les plannings avec présence de nouveaux techniciens
-les bulletins de paie
-les comptes rendus d’entretiens des 6 et 27 février 2018
-les deux lettres du 1er février 2018 de convocation à entretien préalable
-une note interne de présence obligatoire aux réunions de service
-une fiche de poste
-la convocation du 2 février 2018 à la réunion de service
-la demande d’autorisation d’absence du 30 janvier pour le 2 février 2018
-les plannings d’astreinte 2017 et 2018
-les avis d’arrêts de travail du 28 février au 31 mai 2018 et les attestations de paiement indemnités journalières
-des certificats médicaux et les prescriptions de médicaments
Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.
Face à ces éléments, la SAS Poppies Bakeries fait valoir que :
-M. [Z] [P] n’a jamais fait état avant le 20 mars 2018 d’agissements de harcèlement moral et dans un premier temps, il a prétendu être harcelé depuis plusieurs années pour ensuite modifier sa stratégie et indiquer avoir été harcelé uniquement depuis le début du procès prud’homal initié par son épouse.
-Par jugement du 19 décembre 2017, Mme [P] a été déboutée de toutes ses demandes, notamment au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, n’obtenant qu’une indemnité de requalification de 1484,85 euros et un article 700 de 1000 euros, aucun appel n’étant interjeté.
-Sur le recrutement de son remplaçant à compter du 19 décembre 2017 : le cahier de notes personnelles qu’il produit et qu’il a obtenu de manière illicite ne prouve rien alors en outre que M. [Z] [P] avait déjà annoncé son intention de quitter l’entreprise depuis l’été 2017 et qu’il s’agissait d’un poste d’adjoint et non de chef d’équipe de maintenance; les recrutements en maintenance étant réguliers.
-Sur la diminution du temps de travail de M. [Z] [P] : il n’est pas prouvé que celle-ci a été annoncée lors d’entretiens et il n’avait aucun droit acquis aux heures supplémentaires, le recrutement de deux personnes ayant permis la redistribution des volumes horaires dans le cadre d’une réorganisation globale du service. Il ne s’agissait pas d’une intention tournée contre M. [Z] [P]. Les comptes rendus d’entretien ne sont pas validés par l’employeur qui en conteste les termes.
-Sur la convocation qualifiée de mensongère : la rupture conventionnelle correspondait bien aux souhaits de M. [Z] [P].
-Sur la réunion du 2 février 2018 : il n’y avait aucune mesure de rétorsion, M. [Z] [P] avait fait une demande d’absence trois jours auparavant et le courriel de confirmation ne prouve pas qu’elle a été fixée le matin pour l’après-midi.
-Quant aux astreintes, M. [Z] [P] a continué à percevoir sa prime d’astreinte et il ne s’agit pas d’un acte de harcèlement moral alors qu’il y avait de nouvelles embauches.
– Il n’y a eu aucun chantage à la rupture conventionnelle mais discussion.
– Les certificats médicaux ne font que retracer les dires de M. [Z] [P] et ne prouvent rien, sachant qu’il signera ensuite un autre contrat de travail.
-Sur le recrutement d’une remplaçant à compter du 19 décembre 2017
L’attestation de M. [I] [H], ingénieur, qui indique à tort n’avoir aucun lien de subordination avec les parties et qui atteste simplement que pendant l’été 2017, les collègues de travail de M. [Z] [P] lui ont rapporté qu’il était en recherche active d’emploi, ne présente aucune valeur probante, le témoin ne rapportant pas des faits dont il a eu personnellement connaissance au sens de l’article 199 du code de procédure civile.
Rien ne permet en outre de confirmer que l’extrait du cahier de M. [N] n’était pas à la disposition de M. [Z] [P] sur son bureau, de sorte qu’il ne peut lui être reproché d’en avoir fait une copie. Au demeurant, il n’est pas sollicité le rejet de cette pièce.
Il ressort bien du document produit qui mentionne « 19/12/17 – Réunion RH (…) * 1 adjoint resp maintenance (départ [Z][P]) », étant relevé qu’il n’est pas contesté que « [Z][P] » correspond à [Z] [P], qu’il était envisagé de remplacer ce dernier. Dans le même temps, une convention de recrutement était signée avec Manpower pour le recrutement d’un technicien de maintenance en contrat de travail à durée indéterminée.
-Sur la diminution du temps de travail
M. [Z] [P] fait valoir que, lors d’un nouvel entretien, le responsable technique lui a indiqué que désormais ses horaires allaient être modifiés pour effectuer strictement sept heures par jour sans aucune heure supplémentaire, ce qui ressort effectivement des bulletins de paie de janvier et février 2018, alors qu’auparavant il accomplissait habituellement des journées allant jusqu’à 9,50 heures et que sur toute l’année 2017, il n’a effectué que cinq journées de travail de 7 heures.
En outre, il ressort clairement du compte rendu d’entretien du 6 février 2018 rédigé par le secrétaire de l’Union locale FO que le directeur de la société a reconnu avoir intentionnellement réduit le volant d’heures supplémentaires octroyées à M. [Z] [P] en raison du procès prud’homal intenté par son épouse.
Dans ces conditions, la SAS Poppies Bakeries ne peut sérieusement invoquer une réorganisation du service, qui au demeurant étrangement n’impacte que M. [Z] [P].
– Sur la remise d’une convocation mensongère
M. [Z] [P] fait valoir que, le 19 janvier 2018, un nouvel entretien a eu lieu avec le directeur général, la responsable des ressources humaines et les deux responsables technique et maintenance au cours duquel le premier l’a informé que, d’ici trois mois, il ne ferait plus partie de la société, soit par une rupture conventionnelle, soit en lui faisant vivre un véritable enfer au quotidien. Il ajoute que, le 1er février 2018, l’employeur l’a convoqué à un entretien préalable en vue d’une rupture conventionnelle dont le contenu indiquait faussement qu’il était l’origine de cette demande, de sorte qu’une seconde lettre a été rédigée.
La cour constate, à tout le moins, que suite à la remarque de M. [Z] [P], une nouvelle convocation a été remise sans la mention de ce qu’il aurait été à l’origine de la demande de rupture conventionnelle.
– Sur la mise à l’écart d’une réunion de service le 2 février 2018
Il convient effectivement de relever que M. [Z] [P] a sollicité une autorisation d’absence le 30 janvier 2018 pour le vendredi 2 février après-midi, au cours de laquelle a été organisée une réunion de service.
La SAS Poppies Bakeries fait valoir qu’elle ne pouvait déprogrammer une réunion de service au motif que l’un des participants était absent.
Or, il ressort bien du courriel produit que la réunion a été fixée le 2 au matin pour le 2 après-midi, donc qu’elle n’était pas programmée.
– Sur les menaces et représailles lors de l’entretien préalable du 6 février 2018
Le 1er février 2018, M. [Z] [P] a été convoqué à un entretien préalable à une rupture conventionnelle.
Il ressort de la lecture de ce compte rendu qu’il s’agissait bien de sanctionner M. [Z] [P], à tel point que le représentant syndical l’a intitulé « Entretien avec employeur pour sanction ».
Il est d’ailleurs mentionné d’emblée « le directeur indique que l’objet du litige est le procès que l’épouse de M. [P] a intenté contre la société ».
La SAS Poppies Bakeries se contente de contester les termes employés sans s’expliquer réellement sur le contenu du compte rendu qui montre clairement que l’employeur exigeait que M. [Z] [P] quitte l’entreprise pour avoir pris le parti de son épouse.
– Sur le retrait de M. [Z] [P] des plannings d’astreintes à partir de février 2018
Il ressort d’un courriel du 23 février 2018 que M. [Z] [P] ne se voyait plus confier des astreintes, deux nouvelles personnes apparaissant au planning des astreintes.
Si M. [Z] [P] a continué à percevoir la prime d’astreinte, il a bien disparu des roulements d’astreinte à partir de février 2018.
Certes, le salarié n’a pas de droits acquis à l’exécution d’astreintes, pour autant, il ressort des comptes rendus des réunions des 6 et 27 février 2018, la volonté de l’employeur de réduire le temps de travail par représailles, ce qui constitue un abus de son pouvoir de direction.
– Sur le chantage à la rupture conventionnelle
Il ressort du compte rendu du second entretien relatif à la « proposition de rupture conventionnelle », qui s’est déroulé le 27 février 2018, que le directeur général a déclaré : « Lorsqu’on s’attaque à une entreprise, il faut s’attendre à des réactions ». La directrice des ressources humaines ajoutant que la rupture proposée est une sanction morale.
Il est également rapporté que l’employeur a reconnu que des mesures de restrictions étaient appliquées pour le « pousser au départ », « on réduit les heures supplémentaires et compagnie afin que la société devienne moins attractive pour que M. [P] trouve mieux ailleurs; on pourrait s’en tenir là mais on propose quand même une rupture conventionnelle ».
Il est également mentionné au titre des propos tenus par le directeur général « on a décider de réduire au minimum du contrat de travail de M. [P]. Si on est en dessous du contrat on doit corriger pour s’en tenir au minimum de la loi. La réduction de 40 à 35h peut se justifier par le recrutement de 2 personnes en journées supplémentaires qui ne nécessite plus que M. [P] fasse 40h (…). Si M. [P] refuse la proposition de rupture il peut rester avec nous aux conditions actuelles ».
L’intimée se contente ici de contester le compte rendu sans préciser quelles auraient été en réalité les déclarations des dirigeants.
Enfin, le fait que M. [Z] [P] a considéré que la proposition de paiement d’une indemnité de 15 000 euros n’était pas acceptable et qu’il pourrait accepter, moyennant une indemnité de 1,8 mois de salaire par année d’ancienneté, ne permet pas à l’intimée de justifier d’un motif étranger à tout harcèlement, étant relevé qu’il ressort clairement des éléments précédents que l’employeur a entendu réduire l’horaire de M. [Z] [P] et faire pression financièrement sur lui pour que, soit il accepte la rupture conventionnelle aux conditions imposées, soit il quitte de lui-même l’entreprise.
– Sur l’arrêt maladie de M. [Z] [P] ainsi que l’atteinte aux droits et à la dignité, l’altération de la santé physique et mentale
M. [Z] [P] produit des avis d’arrêt de travail du 28 février au 31 mai 2018, l’avis initial mentionnant une « anxiété généralisée ».
Il produit le certificat médical de son médecin généraliste du 30 avril 2018 mentionnant qu’il est « en arrêt maladie pour syndrome anxio dépressif suite à des soucis professionnels en rapport avec son travail d’après ses dires ».
Le médecin psychiatre confirme le diagnostic en attestant que M. [Z] [P] souffre d’un « état dépressif majeur ». Il évoque une possible aggravation de la dépression en cas de reprise « dans des conditions qui paraissent aux dires du patient hostiles ».
L’intimée fait valoir que ces deux certificats ne font que retracer les dires de M. [Z] [P].
L’appelant produit cependant la preuve d’une prise d’anxiolytiques et d’antidépresseurs.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, constituent des faits de harcèlement moral, la réduction des heures de travail, la suppression du planning des astreintes, la mise à l’écart du salarié et le chantage visant à le faire accepter une proposition de rupture conventionnelle, griefs non objectivement justifiés par l’employeur et suffisamment graves et répétés, ayant généré un état dépressif médicalement constaté et nécessitant des arrêts de travail.
Il convient donc d’infirmer le jugement déféré et d’accorder à M. [Z] [P] la somme de 5000 euros au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Sur le non respect des durées minimales de repos et maximales de travail
S’agissant des astreintes, M. [Z] [P] soutient que l’employeur, d’une part, a fait une mauvaise application des dispositions légales internes en ne décomptant pas les temps d’intervention dans le calcul du respect des durées minimales de repos et maximales de travail et, d’autre part, a manqué à ses obligations découlant de la Charte sociale européenne en l’affectant à des astreintes sur des semaines complètes du lundi au dimanche, en plus du temps de travail effectif.
L’employeur fait valoir que M. [Z] [P] n’apporte aucun élément concret permettant d’étayer cette affirmation. Il invoque ensuite les dispositions de l’article L. 3121-10 du code du travail et indique que M. [Z] [P] ne peut se prévaloir directement des dispositions de la Charte sociale européenne. Enfin, selon lui, le salarié ne prouve aucun préjudice alors qu’il a perçu tous les mois une prime d’astreinte et qu’il se plaint, tout à la fois d’une prétendue illicéité des astreintes et de ne plus figurer au planning de celles-ci.
La période d’astreinte n’est effectivement pas une période de travail effectif. Elle est décomptée dans les durées minimales de repos quotidien et de repos hebdomadaire. En revanche, la durée de l’intervention, lorsqu’elle a lieu, est considérée comme un temps de travail effectif.
Par ailleurs, il appartient bien à l’employeur de faire la preuve du respect des durées minimales de repos et maximales de travail, ce que la SAS Poppies Bakeries ne fait pas en l’espèce.
S’il convient de faire droit à la demande d’indemnisation du préjudice, M. [Z] [P] n’apporte pas les justificatifs permettant de lui octroyer la somme de 3000 euros. Il lui sera accordé celle de 500 euros seulement.
Sur le non respect de l’obligation d’organiser des entretiens professionnels
M. [Z] [P] fait valoir que, n’ayant pas bénéficié tous les deux ans d’un entretien professionnel comme le prévoit l’article L. 6315-1 du code du travail, ce que ne constituent pas les entretiens d’évaluation, l’employeur aurait dû abondé son compte personnel de formation à hauteur de 3000 euros en application des articles L. 6323-13 et R. 6323-3, dans leur rédaction en vigueur du 1er janvier 2015 au 1er janvier 2019.
Toutefois, l’article L. 6323-13 du code du travail, reproduit dans son intégralité dans la version applicable, dispose que :
« Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le salarié n’a pas bénéficié, durant les six ans précédant l’entretien mentionné au II de l’article L. 6315-1, des entretiens prévus au I du même article et d’au moins deux des trois mesures mentionnées aux 1°, 2° et 3° du II dudit article, cent heures de formation supplémentaires sont inscrites à son compte ou cent trente heures pour un salarié à temps partiel, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, et l’entreprise verse à l’organisme paritaire agréé pour collecter sa contribution due au titre de l’article L. 6331-9 une somme forfaitaire, dont le montant est fixé par décret en Conseil d’Etat, correspondant à ces heures. »
La SAS Poppies Bakeries fait justement valoir que les articles L. 6315-1 et L. 6323-13 du code du travail résultent de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 et qu’ils prévoient une sanction lorsque l’employeur n’a pas réalisé, au bout de six ans, les entretiens professionnels. Dès lors, compte tenu de la date de mise en place de ce dispositif, soit en 2014, la première échéance de six ans est en 2020 et a, au demeurant été repoussée au 30 juin 2021 par les ordonnances prises dans le cadre de la crise sanitaire.
M. [Z] [P] ne peut donc solliciter l’application d’une sanction dont l’échéance n’est pas encore intervenue puisqu’il a quitté l’entreprise avant 2020.
Il convient donc, par ces motifs substitués, de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [Z] [P] de sa demande au titre de l’abondement du compte personnel de formation.
Sur la prise d’acte de la rupture
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il impute à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.
La cour a retenu l’existence d’actes constitutifs de harcèlement moral.
Dès lors, la prise d’acte de la rupture intervenue le 29 mai 2018, dans un contexte de harcèlement moral, produit les effets d’un licenciement nul.
Le fait que M. [Z] [P] a pu rechercher un nouvel emploi et retrouver du travail à compter du 2 juillet 2018 est sans incidence, cela ne démontrant pas l’absence de harcèlement moral.
Sur les conséquences indemnitaires de la prise d’acte
Ce sont celles d’un licenciement nul.
– Sur l’indemnité légale de licenciement
Le calcul de cette indemnité n’est pas contesté au subsidiaire.
M. [Z] [P] avait une ancienneté de 16,5 années à la date d’envoi de la lettre de rupture. Sa rémunération mensuelle brute était de 3203,65 euros.
Il a donc droit à :
(3.203,65 x 10 x 1/4) + (3.203,65 x 6,5 x 1/3) = 14 950,36 euros, somme qui doit s’entendre en brut.
– Sur l’indemnité compensatrice de préavis
M. [P] ayant été en arrêt de travail du fait des agissements de l’employeur, l’inexécution du préavis est imputable à ce dernier, de sorte que M. [Z] [P] est en droit de réclamer la somme de 6407,30 euros brut correspondant à deux mois de préavis, outre 640,73 euros brut au titre des congés payés.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a, à tort, condamné le salarié au paiement de cette indemnité et des congés payés afférents.
– Sur l’indemnité de licenciement nul
En application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, en cas de licenciement nul pour harcèlement, le juge octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Il convient, au vu des justificatifs produits et de la situation de M. [Z] [P], de lui accorder la somme de 20 000 euros, somme qui doit s’entendre en brut.
Sur l’indemnité compensatrice de non-concurrence
La SAS Poppies Bakeries ne conteste pas que M. [Z] [P] a respecté la clause de non-concurrence.
Il est constant que le contrat de travail du 1er juillet 2002 prévoit une « indemnité mensuelle égale à 4/10 de la moyenne mensuelle du traitement des trois derniers mois ».
Les parties ne s’opposent que sur le salaire de référence.
Les salaires à prendre en considération correspondent à ceux des mois pleinement travaillés et non ceux au court desquels M. [Z] [P] a été arrêt maladie et a perçu des indemnités journalières.
Il sera donc retenu la moyenne mensuelle de 3203,65 euros.
M. [Z] [P] a donc droit à :
(3203,65 X 4/10) X 24 = 30 755,04 euros
Il convient donc d’infirmer le jugement déféré.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de l’entreprise.
L’équité justifie d’accorder à M. [Z] [P] la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt, rendu publiquement en dernier ressort
-Infirme le jugement rendu le 10 septembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Nîmes en toutes ses dispositions,
– Et statuant à nouveau,
– Condamne la SAS Poppies Bakeries, anciennement Poppies-Berlidon, à payer à M. [Z] [P] :
– 5000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral
– 500 euros de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail et minimales de repos
– 14 950,36 euros brut au titre de l’indemnité légale de licenciement
– 6407,30 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 640,73 euros brut de congés payés afférents
– 20 000 euros brut au titre du licenciement nul
– 30 755,04 euros brut d’indemnité compensatrice de non-concurrence
– 3075,50 euros brut de congés payés afférents
– Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s’agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu’ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus,
– Rejette le surplus des demandes,
– Condamne la SAS Poppies Bakeries à payer à M. [Z] [P] la somme de 4000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne la SAS Poppies Bakeries aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par le président et par le greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,