Compétence territoriale et responsabilité bancaire : enjeux d’une connexion entre défendeurs

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Compétence territoriale et responsabilité bancaire : enjeux d’une connexion entre défendeurs

[W] [K] veuve [S] et [H] [S] détenaient un compte de dépôt à BNP Paribas. Après le décès de [H] [S] en 2018, [W] [K] a assigné BNP Paribas et Novo Banco S. A. en responsabilité. Elle a expliqué que son mari, contacté par Crypto France Capital, avait investi 157 971 euros sur un compte de Novo Banco entre février et juillet 2018. Les fonds ayant été dissipés, [H] [S] avait déposé une plainte pour escroquerie en août 2018. Novo Banco a contesté la compétence du tribunal de Paris. Le 14 décembre 2023, le juge de la mise en état a rendu une ordonnance contradictoire.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

9 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
23/19630
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 09 OCTOBRE 2024

ARRÊT SUR COMPÉTENCE

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/19630 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUNS

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Décembre 2023 – juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème section RG n° 22/14744

APPELANTE

Madame [W] [K] veuve [S]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0215

INTIMÉE

NOVO BANCO S.A. , société de droit portugais immatriculée au registre des sociétés au Portugal sous le numéro 818 381 204

[Adresse 3]

[Localité 5] (Portugal)

agissant en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Ayant pour avocat plaidant Me Rémi KLEIMAN du PARTNERSHIPS EVERSHEDS Sutherland (France) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J014

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 01 Juillet 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président chargé du rapport

Madame Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

FAITS, PORCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

[W] [K] veuve [S] et [H] [S] étaient titulaires d’un compte de dépôt dans les livres de la société anonyme BNP Paribas.

[H] [S] est décédé le [Date décès 4] 2018.

Par exploits en date du 29 novembre 2022, [W] [K] veuve [S] a assigné en responsabilité la société BNP Paribas et la société anonyme de droit portugais, la société Novo Banco S. A., devant le tribunal judiciaire de Paris.

Elle expose qu’après avoir été contacté, au cours de l’année 2018, par la société Crypto France Capital se présentant comme prestataire de services sur crypto-actifs, son mari, [H] [S], avait souhaité investir et avait ainsi procédé entre février et juillet 2018 à dix-sept virements pour un montant total de 157 971 euros sur un compte ouvert dans les livres de la banque de droit portugais Novo Banco S. A. Elle expose que ses fonds ayant été dissipés, son époux avait finalement déposé une plainte le 18 août 2018, en dénonçant des faits d’escroquerie.

La société Novo Banco S. A. a excipé de l’incompétence du tribunal judiciaire de Paris.

Par ordonnance contradictoire en date du 14 décembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

Déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des demandes formées contre la société de droit portugais Novo Banco S. A. ;

‘ Renvoyé [W] [K] veuve [S] à mieux se pourvoir s’agissant des demandes formées contre la société de droit portugais la société Novo Banco S. A. ;

‘ Renvoyé le surplus de l’affaire opposant [W] [K] veuve [S] à la société BNP Paribas à la mise en état électronique du 25 janvier 2024 à 13 heures 30 pour conclusions de [W] [K] veuve [S] ;

‘ Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Condamné [W] [K] veuve [S] aux dépens de l’instance s’agissant de la société de droit portugais Novo Banco S. A. ;

‘ Réservé le surplus des dépens.

Par déclaration du 21 décembre 2023, [W] [K] veuve [S] a interjeté appel de l’ordonnance contre la société Novo Banco. Par ordonnance du délégué du premier président de la cour d’appel de Paris en date du 10 janvier 2024, elle a été autorisée à assigner pour l’audience du 1er juillet 2024.

[W] [K] veuve [S] a, conformément au règlement no 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, transmis le 5 février 2024 une demande de signification destinée à la société Novo Banco.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 4 juin 2024, [W] [K] veuve [S] demande à la cour de :

‘ Infirmer l’Ordonnance rendue le 14 décembre 2023 par le Tribunal judiciaire de PARIS en toutes ses dispositions.

ET STATUANT A NOUVEAU :

‘ Juger le Tribunal judiciaire de PARIS compétent, sur un plan territorial, pour avoir à statuer sur le litige opposant Madame [S] à la société NOVO BANCO, au regard de la compétence des juridictions françaises à raison du lieu de la matérialisation du dommage (à titre principal) OU au regard de la compétence des juridictions françaises à raison de la pluralité de défendeurs (à titre subsidiaire).

‘ Renvoyer le dossier au Tribunal judiciaire de PARIS pour qu’il soit statué sur le fond du litige.

‘ Débouter la société NOVO BANCO S.A. de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

‘ Condamner la société NOVO BANCO S.A. à verser à Madame [S] la somme de 2.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

‘ Condamner la même aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 5 juin 2024, la société anonyme de droit portugais Novo Banco S. A. demande à la cour de :

– CONFIRMER l’Ordonnance rendue le 14 décembre 2023 par le Tribunal judiciaire de PARIS en toutes ses dispositions, notamment :

‘ en ce qu’elle a jugé l’exception d’incompétence soulevée in limine litis par la société NOVO BANCO SA recevable ;

‘ en ce qu’elle a jugé qu’en vertu de l’article 7§2 du règlement UE n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, en matière de perte financière, le lieu où le fait dommageable s’est produit est situé dans les livres de la société NOVO BANCO SA, soit, au Portugal ;

‘ en ce qu’elle a jugé que les conditions prévues par l’article 8§1 du règlement UE n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ne sont pas réunies pour qu’il soit dérogé à la compétence des tribunaux du lieu du dommage ou du domicile du défendeur au titre de la pluralité des défendeurs, dès lors :

‘ Qu’il n’existe aucune identité de situation de fait et de droit entre Madame [W] [S], la société BNP PARIBAS et la société NOVO BANCO SA ;

‘ Qu’il n’existe aucun risque de décisions inconciliables si les demandes formées par Madame [W] [S] venaient à être examinées par les juridictions françaises d’une part et les juridictions portugaises d’autre part en ce qui concerne la société NOVO BANCO SA,

‘ Qu’il n’était pas prévisible pour la société NOVO BANCO SA qu’elle serait susceptible d’être attraite devant les juridictions françaises.

En conséquence :

– CONFIRMER l’Ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Paris en ce que ce dernier se déclare incompétent pour statuer sur les demandes formées par Madame [W] [S] à l’encontre de la société NOVO BANCO SA, au profit des juridictions portugaises, et la renvoie en conséquence à mieux se pourvoir.

– DEBOUTER Madame [W] [S] de l’ensemble de ses demandes.

En tout état de cause :

– CONDAMNER Madame [W] [S] au paiement de la somme de 3.000 euros à la société NOVO BANCO SA au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H AVOCATS, en la personne de Maître Audrey SCHWAB, en application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé à l’ordonnance déférée et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

CELA EXPOSÉ,

Sur la compétence :

L’ordonnance frappée d’appel n’est pas critiquée en ce qu’elle statue sur la compétence par application du règlement no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Aux termes de l’article 4, paragraphe premier, du chapitre II Compétence dudit règlement, sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

Aux termes de l’article 5, paragraphe premier, du chapitre II Compétence dudit règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.

[W] [K] veuve [S] se prévaut de la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître de ses demandes dirigées contre la société Novo Banco S. A., sur le fondement, notamment, de l’article 8, premièrement, de la section 2 Compétences spéciales du chapitre II du règlement susdit, aux termes duquel une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

La société Novo Banco S. A., qui a son siège à [Localité 5], au Portugal, conteste l’application de ce texte au motif que les conditions n’en sont pas remplies car :

‘ [W] [K] veuve [S] ne caractérise aucune identité ni de faits, ni de droit entre les demandes ;

‘ deux juridictions distinctes rendraient des décisions parfaitement conciliables si les demandes de l’appelante étaient amenées à être examinées par deux juridictions différentes ;

‘ il n’est pas démontré que le fait de recevoir des fonds transmis par la société BNP Paribas sur un compte bancaire ouvert au Portugal rende prévisible la recherche de responsabilité de la société Novo Banco S. A. devant les juridictions françaises.

En l’occurrence, [W] [K] veuve [S] a assigné en responsabilité les sociétés BNP Paribas et Novo Banco S. A., en ce qu’elles ont concouru à la réalisation d’un même dommage, soit la perte des fonds investis de février à juillet 2018, par dix-sept virements effectués sur le compte d’une société fraudeuse. Elle invoque contre elles des manquements à leurs obligations de surveillance et de vigilance issues notamment de la directive no 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, de sorte que les demandes, qui se rapportent aux mêmes faits et qui tendent à des fins identiques, posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées, notamment sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage et la part de responsabilité éventuelle de chaque société. Par ailleurs, la société Novo Banco S. A., qui avait ouvert dans ses livres un compte à une société Adequados Sentidos recevant des virements en provenance de France susceptibles d’avoir un caractère frauduleux, et un autre au nom d'[H] [S] lui-même, pouvait s’attendre à être attraite devant les juridictions françaises.

Il s’en déduit que les actions en responsabilité intentées par [W] [K] veuve [S] sont connexes en ce qu’elles s’inscrivent dans une même situation de fait et de droit et que, pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes (1re Civ., 26 sept. 2012, no 11-26.022 ; 17 fév. 2021, no 19-17.345). Sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen pris de l’article 7, deuxièmement, du règlement susdit, l’ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu’elle accueille l’exception d’incompétence.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. La société Novo Banco S. A. en supportera donc la charge.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.

Sur ce fondement, il n’y a pas lieu en équité à condamnation.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

INFIRME PARTIELLEMENT l’ordonnance en ce qu’elle :

‘ Déclare le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des demandes formées contre la société de droit portugais Novo Banco S. A. ;

‘ Renvoie [W] [K] veuve [S] à mieux se pourvoir s’agissant des demandes formées contre la société de droit portugais la société Novo Banco S. A. ;

‘ Condamne [W] [K] veuve [S] aux dépens de l’instance s’agissant de la société de droit portugais Novo Banco S. A. ;

Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant,

REJETTE l’exception d’incompétence soulevée par la société Novo Banco S. A. ;

DÉCLARE le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître des demandes de [W] [K] veuve [S] formées contre la société Novo Banco S. A. ;

CONDAMNE la société Novo Banco S. A. aux dépens de l’incident exposés par [W] [K] veuve [S] ;

CONFIRME toutes les autres dispositions non contraires ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.

*****

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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