Monsieur [B] [E] et Madame [Z] [H] épouse [E] détiennent des comptes à la BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE. En décembre 2021, ils ont signé des contrats avec ALTA MONTPARNASSE SNC pour investir dans des biens immobiliers médicaux en Europe. Ils ont ordonné plusieurs virements depuis leurs comptes vers des comptes en Espagne à la BBVA. Après avoir dénoncé une escroquerie, ils ont porté plainte le 10 août 2022. En septembre 2022, ils ont mis en demeure la BANQUE POPULAIRE et la BBVA de restituer les fonds perdus. Les réponses des banques n’ayant pas satisfait les époux, ils les ont assignées en justice en juin 2023. BBVA conteste la compétence du tribunal de Versailles, demandant que l’affaire soit renvoyée à un tribunal en Espagne, tandis que les époux demandent le rejet des demandes de BBVA et la condamnation de cette dernière. La BANQUE POPULAIRE soutient la compétence des juridictions françaises. L’incident a été fixé pour audience en mai 2024, reportée à juin 2024, avec délibération prévue en septembre 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Deuxième Chambre
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 20 SEPTEMBRE 2024
N° RG 23/04152 – N° Portalis DB22-W-B7H-RPSY
JUGE DE LA MISE EN ETAT : Madame LUNVEN, Vice-Présidente
GREFFIER : Madame SOUMAHORO, Greffier,
DEMANDEURS au principal :
Monsieur [B] [E], né le [Date naissance 5] 1956 à [Localité 8] (28), de nationalite française, retraité, demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Frédérique THUILLEZ, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant, Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
Madame [Z] [H] épouse [E], née le [Date naissance 3] 1966 à[Localité 10] (22), de nationalité française, sans emploi, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Frédérique THUILLEZ, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant, Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DEFENDERESSES au principal :
La BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE, Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable, régie par les articles L. 512-2 et suivants du Code Monétaire et Financier et l’ensemble des textes relatifs aux Banques Populaires et aux établissements de crédit – inscrite au RCS de VERSAILLES sous le n°549 800 373, Société immatriculée au Registre des Intermédiaires en Assurances, sous le n°07022545, dont le siège social est [Adresse 6], agissant poursuites et diligences de son Directeur Général domicilié ès qualités audit siège,
représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant, Me Justin BEREST, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
La société BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA SOCIEDAD ANONIMA, société espagnole au capital social de 2 954 757 116,36 euros, immatriculée au Registre du Commerce de VIZCAYA sous le numéro 000008526, EUID : ES48001.000008526, Tomo 2.083, Folio 1, Hoja BI-17-A, dont le siège social est [Adresse 9] (Espagne), prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
représentée par Maître Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocats au barreau de VERSAILLES, avocats postulant, Maître Benjamin BALENSI de la SELAS DELOITTE SOCIÉTÉ D’AVOCATS, avocats au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocats plaidant
DEBATS : A l’audience publique d’incident tenue le 17 juin 2024, les avocats en la cause ont été entendus en leurs plaidoiries par Madame LUNVEN, Vice-Présidente, juge de la mise en état assistée de Madame SOUMAHORO, greffier, puis le Magistrat chargé de la mise en état a avisé les parties que l’ordonnance sera prononcée par sa mise à disposition au greffe à la date du 20 Septembre 2024.
Monsieur [B] [E] est titulaire d’un compte courant ouvert dans les livres de la société BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE (ci-après désignée BANQUE POPULAIRE) portant le n°[XXXXXXXXXX01] et Monsieur [B] [E] et Madame [Z] [H] épouse [E] (ci-après les époux [E]) d’un compte courant commun portant le n°[XXXXXXXXXX02].
Au mois de décembre 2021, Monsieur [B] [E] et Madame [Z] [H] épouse [E] (ci-après les époux [E]) ont signé plusieurs contrats avec différentes structures par l’intermédiaire d’une société se présentant comme ALTA MONTPARNASSE SNC dont ils indiquent qu’elle leur a proposé d’investir dans des biens immobiliers médicalisés pour seniors au sein de l’Union Européenne.
En exécution de ces contrats, les époux [E] ont ordonné à la BANQUE POPULAIRE d’effectuer plusieurs virements à partir du compte personnel de Monsieur [B] [E] mais également à partir du compte commun des époux [E] dont cinq d’entre eux à destination de comptes bancaires domiciliés en Espagne ouverts dans les livres de la SA BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA (ci-après BBVA).
Les époux dénonçant l’escroquerie dont ils ont été victimes ont porté plainte le 10 août 2022.
Suivant courriers recommandés avec accusé de réception en date du 8 septembre 2022, la BANQUE POPULAIRE et BBVA, tenues pour responsables des pertes subies en raison de manquements à leur obligation de vigilance, ont été mises en demeure d’avoir à restituer le montant total de l’investissement pour ce qui concerne la BANQUE POPULAIRE et les fonds transférés sur les comptes ouverts dans ses livres pour ce qui qui concerne BBVA.
La réponse de la BANQUE POPULAIRE et de BBVA, suivant courriers des 23 et 28 septembre 2023, n’ayant pas donné satisfaction aux époux [E], ces derniers les ont fait assigner, suivant actes de commissaire de justice des 6 et 8 juin 2023, devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de les voir condamner à réparer les préjudices subis par eux.
Par conclusions d’incident n°3 notifiées par RPVA le 12 juin 2024, BBVA demande au juge de la mise en état de :
Vu le Règlement Bruxelles 1 Bis n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
Vu les articles 42, 56, 74, 75, 114, 700, 789 et 791 du Code de procédure civile,
Vu l’article 1902 du code civil espagnol,
Vu la jurisprudence française et européenne citée et les pièces versées au débat,
In limine litis :
– CONSTATER que la loi espagnole est applicable à l’action en responsabilité intentée par les Demandeurs à l’encontre de BBVA ;
En conséquence :
– DÉBOUTER les Demandeurs de l’ensemble de leurs demandes en ce inclus leur demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
In limine litis :
– DECLARER le Tribunal judiciaire de Versailles territorialement incompétent pour connaître du présent litige opposant les Demandeurs à BBVA, lequel relève du tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de Bilbao (Espagne) ;
En conséquence :
– RENVOYER les Demandeurs à mieux se pourvoir devant le tribunal matériellement compétent en première instance du ressort de Bilbao (Espagne).
En tout état de cause :
– CONDAMNER les Demandeurs à payer à BBVA la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’au remboursement intégral des frais de traduction ;
– CONDAMNER les Demandeurs aux entiers dépens de la présente instance ;
– PRONONCER l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par conclusions en réponse sur incident n°1 notifiées par RPVA le 17 mai 2024, les époux [E] demandent au juge de la mise en état de :
Débouter la société BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA SA de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Condamner la société BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA SA à verser à Monsieur et Madame [E] la somme de 1.000 € au titre des disposition de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la même aux entiers dépens.
Par conclusions sur incident notifiées par RPVA me 12 janvier 2024, la BANQUE POPULAIRE demande au juge de la mise en état de :
Vu les articles 7.2) et 8.1) du règlement européen n°1215/2012 du 12 décembre 2012
concernant la compétence judiciaire,
DEBOUTER la SA BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA (BBVA) de ses demandes au titre de l’incompétence des juridictions françaises au profit des juridictions espagnoles.
CONDAMNER la Banque BBVA au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du CPC, outre les dépens liés à l’incident.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l’exposé détaillé des faits, moyens et prétentions.
L’incident a été fixée à l’audience du 27 mai 2024 reportée au 17 juin 2024 et mis en délibéré par mise à disposition au greffe au 20 septembre 2024.
A titre préliminaire, il est rappelé qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes tendant à voir « constater », « donner acte » ou « dire et juger », lorsqu’elles développent en réalité des moyens dès lors qu’elles ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas le juge.
Sur l’exception d’incompétence
BBVA invoque tout d’abord l’applicabilité du droit espagnol au litige faisant valoir qu’en matière de préjudice financier, le lieu de survenance du dommage est celui où l’appropriation des fonds s’est produite, s’agissant en l’occurrence de l’Espagne puisque les fonds litigieux versés par les demandeurs ont été transférés sur un compte ouvert auprès de BBVA. Elle ajoute que les directives n’étant pas d’application directes, elles ont fait l’objet de transposition tant dans les systèmes normatifs français qu’espagnols, les dispositions réglementaires françaises étant dès lors inapplicables à une banque espagnole soumise à ses propres règles nationales.
BBVA expose qu’au regard des textes de droit français et européen, et en particulier du Règlement Bruxelles 1 bis, la règle générale de détermination de la juridiction compétente est celle du domicile du défendeur, le présent litige ne rentrant pas dans les exceptions à ce principe limitativement énumérées ; que son siège social étant en Espagne, seules les juridictions espagnoles du ressort de Bilbao sont compétentes pour trancher le litige.
En réponse aux moyens développés par les époux [E], BBVA fait valoir que l’article 7.2 du Règlement de Bruxelles 1 bis ne peut fonder la compétence du tribunal judiciaire de Versailles ;qu’en matière délictuelle, les demandeurs peuvent saisir le tribunal où le fait dommageable s’est produit et que, dans des cas similaires à l’espèce, les juridictions françaises considèrent que le fait dommageable se trouve au lieu du compte de réception où l’appropriation des fonds alléguée s’est déroulée ; que le fait dommageable ne se confond pas avec le lieu où le préjudice est ressenti, le fait que les demandeurs soient français ou que ces derniers aient viré les fonds depuis leur compte ne devant pas être pris en compte ; que le fait dommageable étant constitué par le détournement allégué des fonds, il s’est produit dans ses livres et non pas sur le compte français des demandeurs ouvert à la BANQUE POPULAIRE ; qu’en l’absence de tout démarchage de BBVA ou de tout élément indiquant que la banque aurait été informée du démarchage par les société espagnoles des demandeurs, la localisation du compte des demandeurs en France ne peut être considérée comme un point de rattachement pertinent.
BBVA conteste ensuite qu’il puisse fait application de l’article 8.1 du Règlement de Bruxelles 1 bis posant des règles de compétence dérivée en cas de pluralité de défendeurs, qui est d’interprétation stricte, en l’absence de tout risque d’inconciliabilité de décisions.
Elle fait valoir que les défenderesses ne sont pas dans une même situation de fait laquelle suppose une implication de tous les défendeurs dans la survenance des faits litigieux et que les défendeurs aient agi de manière identique ; qu’en l’espèce, les défenderesses sont des personnes légales distinctes qui ont agi de manière indépendante et non concertée, la BANQUE POPULAIRE étant la banque émettrice des sept virements litigieux sur les huit décrits par les demandeurs qui lui reprochent le non-respect de ses obligations de vigilance et de surveillance en matière d’exécution de mouvements de fonds, BBVA étant la banque réceptrice de cinq des virements à qui il est reproché le non-respect de son obligation de vigilance issue de la réglementation anti-blanchiment espagnole.
BBVA fait ensuite valoir que les défenderesses ne sont pas dans une même situation de droit ; qu’en tant que banque espagnole, elle est soumise aux règles prudentielles espagnoles tandis que la BANQUE POPULAIRE est soumise aux règles prudentielles françaises ; que les responsabilités de chaque défenderesse ne sont pas de même nature, la responsabilité de la BANQUE POPULAIRE étant de nature contractuelle et celle de BBVA de nature délictuelle ; que quel que soit le droit applicable, les obligations diffèrent selon que la banque intervienne en qualité d’émettrice ou réceptrice des fonds.
BBVA souligne que les demandes formulées par les demandeurs peuvent être tranchées l’une indépendamment de l’autre, en l’absence de tout connexité, excluant tout risque de contradiction entre les différentes décisions qui pourraient être rendues.
Enfin BBVA invoque l’absence de haut degré de prévisibilité pour elle d’être attraite devant les juridiction française alors qu’il s’agit d’un critère fondamental consacré par le Règlement Bruxelles 1 bis.
Les époux [E] invoquent la compétence des juridictions françaises à raison tout d’abord du lieu de la matérialisation du dommage.
Ils rappellent qu’en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes, au titre de la matérialisation du dommage, pour connaître de l’action lorsque le dommage se réalise directement sur un compte bancaire du demandeur auprès de la banque établie dans le ressort de ces juridictions.
Ils soulignent qu’une telle attribution de compétence est justifiée dans la mesure où le préjudice est constitué sur le compte bancaire de la victime de l’escroquerie, le compte bancaire étranger réceptionnaire des fonds n’étant qu’un outil secondaire en vue d’un transfert des fonds, l’appropriation réelle des fonds n’intervenant pas au sein de l’Union européenne mais après sur des comptes offshores. Ils soutiennent que le lieu de domiciliation du compte bancaire de réception n’est donc qu’un critère de rattachement secondaire.
Ils en concluent que le demandeur a donc la possibilité d’assigner les dépositaires de fonds en France et dans un pays de l’Union européenne en ce qu’ils ont tous deux facilité leur détournement ainsi que la réalisation du préjudice sur le compte bancaire dont il est titulaire en France, cette interprétation étant en cohérence avec la protection accordée aux consommateurs sur le terrain contractuel par la section 4 du règlement Bruxelles 1 bis.
Ils font valoir que la résidence habituelle du consommateur victime peut également être retenue ; qu’il en est ainsi en matière de cyber-délits d’atteinte aux droits de la personnalité où il est décidé d’une localisation fictive du dommage au siège de la victime ou sa résidence habituelle ; que dans le présent contexte d’escroquerie, les victimes sont démarchées en ligne et invitées à créer un compte sur internet, les manœuvres frauduleuses étant destinées à tromper l’utilisateur dans le but de se faire remettre des fonds.
Les époux [E] invoquent ensuite la compétence des juridictions françaises à raison de la pluralité de défendeurs en application des dispositions françaises et européennes, relevant que la position soutenue par BBVA s’appuie sur des décisions non actualisées qui contredisent le droit européen et la jurisprudence la plus récente en la matière.
Ils exposent que, par principe, un litige concernant plusieurs défendeurs implique pour le demandeur de formuler un choix de juridiction et que pour cette raison, certains tribunaux accueillent leur compétence par principe. Ils font valoir qu’il importe peu que le fondement juridique des demandes, contractuel ou délictuel, soit différent.
Ils soulignent que, juridiquement, les fondements visés sont identiques pour les deux banques, les règles applicables aux deux banques relevant des directives européennes dites « anti-blanchiment » transposées par les Etats européens, dont la France et l’Espagne ; que, factuellement, ils mettent en cause les deux banques sur la base de virements qui partent d’une banque A vers une banque B, les deux banques ayant concouru à la réalisation de leur préjudice, la seule différence étant que l’une a conclu une convention de compte avec eux et l’autre a réceptionné les virements frauduleux. Ils précisent que, dans les deux cas, aucun contrôle ni aucune vigilance n’ont été mis en œuvre.
Les époux [E] en déduisent que les éléments de fait et de droit sont liés, que leurs demandes se rapportent aux mêmes faits et tendent à des fins identiques ; que les demandes posent des questions communes appelant des réponses coordonnées notamment quant à la réparation intégrale de leur préjudice et qu’il y a lieu pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions de juger les actions en responsabilité ensemble.
Ils ajoutent que la désignation des juridictions espagnoles aurait pour conséquence directe d’atteindre l’accès au juge des victimes françaises.
La BANQUE POPULAIRE conteste l’argumentation soutenue par BBVA. Elle relève tout d’abord que le critère de la loi applicable n’a pas d’effet sur la compétence matérielle et territoriale.
Elle fait valoir que les articles 7 et 8 du règlement européen permettent de retenir la compétence des juridictions françaises au regard du litige en question ; qu’en matière délictuelle, une personne domiciliée sur un Etat membre peut attraire devant la juridiction de cet Etat une personne domiciliée dans un autre Etat membre, les demandeurs ayant visé les dispositions de l’article 1240 du code civil ; qu’il existe par ailleurs un intérêt à instruire les demandes ensemble, les consorts [E] soutenant avoir intérêt à faire juger leurs demandes en présence des deux banques et la BANQUE POPULAIRE n’excluant pas de demander la garantie de BBVA dans l’hypothèse où les demandes des époux [E] seraient accueillies.
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A titre liminaire, il convient de rappeler qu’en droit international privé, l’applicabilité au fond du litige de la loi étrangère n’est pas un critère de détermination de la juridiction compétente.
Ainsi l’applicabilité éventuelle de la loi espagnole est sans incidence sur la question de la compétence territoriale des juridictions françaises dont le juge de la mise en état est saisi.
L’article 4 du règlement UE 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable aux actions intentées à compter du 10 janvier 2015 et partant à la présente instance, énonce un principe général de compétence selon lequel «Les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites, quelle soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre » sous réserve des compétences spéciales prévues notamment à ses articles 7 et 8.
Il résulte ainsi de l’article 7 2) qu’« en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre: devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».
Ce lieu où le fait dommageable s’est produit s’entend tant de celui où il est survenu que de celui de l’événement causal à l’origine du dommage.
En tant que la compétence des juridictions du lieu de survenance du fait dommageable en matière délictuelle est une exception à celle, de principe, du lieu du domicile du défendeur, elle doit être interprétée de manière autonome et stricte et ne saurait résulter du lieu où les demandeurs ont fixé le centre de leurs intérêts patrimoniaux.
En l’espèce, il est constant que BBVA a son siège social à [Localité 7] en Espagne.
Il y a par ailleurs lieu de relever d’une part que le lieu de l’événement causal à l’origine du dommage subi par les époux [E] est celui du manquement allégué de BBVA à ses obligations de vigilance, commis en Espagne ; d’autre part, que le lieu du dommage n’est pas celui à partir duquel les virements ont été opérés, c’est à dire à partir des comptes des époux [E] ouverts dans les livres de la BANQUE POPULAIRE à destination de comptes ouverts dans les livres de BBVA, mais bien ceux où l’appropriation indue alléguée des fonds s’est déroulée, soit par le débit de ces comptes, ouverts et gérés en Espagne.
La compétence des juridictions françaises pour connaître de l’action entreprise par les époux [E] ne peut donc être retenue sur le fondement de l’article 7 2) du règlement.
L’article 8 1) du règlement, qui s’interprète de manière autonome, dispose qu’« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».
L’exception prévue à l’article 8 1) suppose d’apprécier la connexité des demandes à la lumière du risque de conflit des décisions qui doit s’inscrire dans le cadre d’une même situation de fait et de droit.
Il incombe à la juridiction nationale saisie d’apprécier l’existence d’un tel risque en tenant compte de tous les éléments pertinents du dossier (CJUE, 12 juillet 2012, Solvay SA, aff.C-616/10).
L’objectif de cette règle de compétence spéciale est, selon l’arrêt Painer du 1er décembre 2011 (CJUE, Painer, aff.C- 145/10) de répondre « au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter ainsi des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ».
L’identité de fait suppose une implication de tous les codéfendeurs dans la survenance des faits litigieux, tandis que l’identité de droit peut être définie comme le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les actions.
Au cas d’espèce, les époux [E] ont fait assigner en responsabilité les deux banques défenderesses en ce qu’elles ont concouru à la réalisation d’un même dommage, soit la perte des fonds qu’ils croyaient investir par le biais de virements depuis les comptes bancaires dont ils sont titulaires dans les livres de la BANQUE POPULAIRE vers des comptes ouverts chez BBVA en Espagne.
Les époux [E] mettent en cause la responsabilité des deux banques invoquant des manquements à leur obligation de vigilance telle qu’issues des directives européennes successives relatives à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, dont il importe peu qu’elles nécessitent en effet d’être transposées en droit interne par chacun des droits nationaux, étant souligné qu’il appartiendra en tout état de cause au juge de rechercher la règle de droit applicable.
Ainsi les demandeurs cherchent à obtenir réparation d’un même préjudice auprès de deux défendeurs dont les responsabilités peuvent être liées.
Il importe peu que les actions en responsabilité soient de nature différente, contractuelle ou délictuelle et qu’elles soient éventuellement fondées sur des lois différentes puisque l’identité de fondement juridique entre les demandes formées contre les défendeurs n’est pas requise pour caractériser la connexité au sens du règlement européen susvisé.
Les demandes qui se rapportent aux mêmes faits et qui tendent à des fins identiques posent en l’espèce des questions communes qui appellent des réponses coordonnées, notamment sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage et la part de responsabilité de chaque coresponsable éventuel.
Enfin, BBVA, qui avait ouvert dans ses livres des comptes à des clients recevant des virements en provenance de France susceptibles d’avoir un caractère frauduleux, ne peut valablement soutenir qu’il n’était pas prévisible qu’elle soit attraite devant les juridictions françaises.
Il s’en déduit que les actions en responsabilité intentées par les époux [E] sont connexes en ce qu’elles s’inscrivent dans une même situation de fait et de droit et que, pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes ou des régimes juridiques distincts (arrêts cour de cassation des 26 septembre 2012, n°11-26.022 et 17 février 2021, n° 19-17.345).
Il convient donc de rejeter l’exception d’incompétence soulevée par BBVA.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
BBVA succombant à l’incident, elle sera condamnée aux dépens relatifs audit incident en application de l’article 696 du code de procédure civile et sera déboutée de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il convient de réserver le sort des frais de traduction relevant des dépens de l’instance jusqu’à l’issue de la procédure.
L’équité commande de faire droit à la demande des époux [E] présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. BBVA sera condamnée à leur payer à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.
En revanche, la demande de la BANQUE POPULAIRE au titre des frais irrépétibles est rejetée.
Le juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire susceptible de recours suivant les dispositions de l’article 795 du code de procédure civile, mise à disposition au greffe,
REJETTE l’exception d’incompétence soulevée par la SA BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA,
RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état du 18 novembre 2024 pour conclusions des défenderesses,
CONDAMNE la SA BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA aux dépens de l’incident,
RESERVE le sort des frais de traduction,
CONDAMNE la SA BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA à payer à Monsieur [B] [E] et Madame [Z] [H] épouse [E] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE la société BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE et la SA BANCO BILBAO VIZCAYA ARGENTARIA de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 SEPTEMBRE 2024 par Madame LUNVEN, Vice-Présidente, assistée de Madame SOUMAHORO, Greffier.
Le GREFFIER Le JUGE de la MISE en ETAT