Monsieur [D] [K] a été contacté en octobre 2020 par la société « ORPI INVESTISSEMENT » pour investir dans des placements financiers. Il a été victime d’escroquerie et a déposé plainte le 11 février 2021. Le 17 juillet 2023, son avocat a mis en demeure la SOCIETE GENERALE de restituer 43.778,35 €. La banque ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A. a refusé cette demande le 1er août 2023. Monsieur [K] a assigné les deux sociétés en février 2024. La société ABANCA a soulevé plusieurs exceptions, demandant la nullité de l’assignation, l’incompétence du tribunal, et l’irrecevabilité de l’action pour cause de prescription. Monsieur [K] a demandé l’application de la loi française et la condamnation de la banque. Le juge a examiné l’incident le 5 septembre 2024 et a rendu une ordonnance le 17 octobre 2024, rejetant les demandes de nullité et d’incompétence, condamnant Monsieur [K] aux dépens, et renvoyant l’affaire pour conclusions au fond de la SOCIETE GENERALE.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le :
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9ème chambre 3ème section
N° RG 24/03732
N° Portalis 352J-W-B7I-C3XRI
N° MINUTE : 2
Assignation du :
23 et 26 Février 2024
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 17 Octobre 2024
DEMANDEUR
Monsieur [D] [K]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Maître Audric DUPUIS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1162, et Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Rennes, avocat plaidant
DEFENDERESSES
SOCIETE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0077
Société ABANCA CORPORACTION BANCARIA
[Adresse 7]
[Localité 5] ( A Coruna) (ESPAGNE)
représentée par Maître Claire BASSALERT de la SELAS SCHERMANN MASSELIN ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0142, et Maître Antoine LARCENA de la SELAS DELOITTE SOCIETE D’AVOCATS, avocats au barreau de Lyon, avocat plaidant
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Béatrice CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente, juge de la mise en état, assistée de Chloé DOS SANTOS, Greffière.
A l’audience du 05 Septembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 17 Octobre 2024.
ORDONNANCE
Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Monsieur [D] [K] expose avoir été approché au cours du mois d’octobre 2020, par une société se présentant comme la société « ORPI INVESTISSEMENT », après avoir rempli un formulaire sur internet concernant l’investissement sur les places de parking.
Cette dernière lui aurait proposé d’investir dans des divers placements financiers « sûr[s] et connaissant une rentabilité forte à court terme ».
Monsieur [K] a été victime d’escroquerie et a déposé plainte le 11 février 2021 auprès des services de gendarmerie de [Localité 6].
Le 17 juillet 2023, le Conseil de Monsieur [K] a mis la SOCIETE GENERALE en demeure d’avoir à restituer à son client la somme de 43.778,35 €.
Par courrier en date du 1er aout 2023, la société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A. a refusé de donner une suite favorable à la demande de Monsieur [K].
Par actes en date des 23 et 26 fe vrier 2024, Monsieur [K] a assigné les SOCIETE GENERALE et la banque ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A.
Par conclusions d’incident en date du 29 aout 2024, la SA ABANCA CORPORACTION BANCARIA demande au juge de la mise en état de :
“A TITRE LIMINAIRE,
Sur la nullité de l’assignation pour vice de forme :
– RECEVOIR la société ABANCA Corporacion Bancaria en son exception de procédure, et l’y déclarant bien fondée ;
– PRONONCER la nullité de l’assignation à l’égard d’ABANCA Corporacion Bancaria pour défaut d’exposé des moyens en droit à l’appui de la demande formée par Monsieur [K] à son encontre ;
Sur l’exception d’incompétence :
– RECEVOIR la société ABANCA Corporacion Bancaria en son exception d’incompétence, et l’y déclarant bien fondée ;
– DECLARER le Tribunal judiciaire de Paris INCOMPETENT au profit des juridictions espagnoles pour connaître de l’action intentée par Monsieur [K] à l’encontre de la société ABANCA Corporacion Bancaria ;
Et en conséquence,
– RENVOYER Monsieur [K] à mieux se pourvoir ;
A titre subsidiaire, sur le sursis à statuer :
– RECEVOIR la société ABANCA Corporacion Bancaria en son exception de procédure, et l’y déclarant bien fondée ;
– ORDONNER le sursis à statuer dans l’attente de la clôture de l’enquête pénale et le cas échéant du jugement pénal à intervenir,
A TITRE SUBSIDIAIRE :
Sur l’irrecevabilité de l’action :
– RECEVOIR la société ABANCA Corporacion Bancaria en sa fin de non-recevoir, et l’y déclarant bien fondée ;
– DECLARER irrecevable l’action de Monsieur [K] à l’égard de la société ABANCA Corporacion Bancaria pour cause de prescription ;
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
– CONDAMNER Monsieur [K] à payer à la société ABANCA Corporacion Bancaria une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– DEBOUTER Monsieur [K] ainsi que toute autre partie des prétentions, demandes, fins et conclusions, qui seraient formées à l’encontre de la société ABANCA Corporacion Bancaria, notamment au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens ;
– CONDAMNER Monsieur [K] aux entiers dépens, dont distraction.”
Par conclusions en date du 3 juillet 2024, Monsieur [D] [K] demande au juge de la mise en état de :
“- Juger et retenir la loi française comme étant applicable au litige ;
– Débouter la société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner la société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A. à verser à Monsieur [K] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la même aux entiers dépens.”
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.
L’incident a été examiné à l’audience du 5 septembre 2024 et mis en délibéré au 17 octobre 2024.
I. Sur la nullité de l’assignation
La société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A. soutient que l’assignation introduite par Monsieur [K] est dépourvue de tout moyen de droit de nature à permettre à cette dernière d’organiser ses propres moyens de défense.
L’article 114 du code de procédure civile précise que : « Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public. »
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
L’article 56 du code de procédure civile prévoit que : «L’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54 : […] 2° Un exposé des moyens en fait et en droit ; »
A la lecture des pièces versées aux débats, il apparait que la banque a bien saisi les fondements juridiques sur lesquels elle est poursuivie par Monsieur [K], elle a, entre autre, d’ores et déjà organisé sa défense en soulevant la présente exception d’incompétence territoriale.
En conséquence, la demande de nullité sera rejetée.
II. Sur la compétence territoriale
Aux termes de l’article 46 du code de procédure civile : « Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
– en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service,
– en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi,
– en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble,
– en matière d’aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier. »
Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile, « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour statuer sur les exceptions de procédure. ».
Aux termes de l’article 75 du même code : « S’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction, elle demande que l’affaire soit portée ».
Aux termes de l’article 81 alinéa 1 du même code : » lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir. »
Enfin, aux termes de l’article 42 du même code: « La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
S’il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux.
Si le défendeur n’a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger ».
Aux termes des quinzième et seizième considérants du Règlement européen (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit « Bruxelles I Bis »concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale :
« Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur.
Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. »
« Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. »
Ces considérants énoncent ainsi, respectivement, que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, outre que le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.
Aux termes de l’article 4.1 de ce Règlement, » les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »
En son article 7.2, le Règlement Bruxelles I bis dispose que :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».
Ce Règlement prévoit une option de compétence immédiate en matière délictuelle ou quasi délictuelle d’interprétation restrictive, la personne domiciliée sur le territoire d’un État membre pouvant être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Toutefois, l’article 8.1 de ce même Règlement dispose qu’ « une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. »
Cette disposition répond au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Pour que des décisions soient considérées comme risquant d’être inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit. Par ailleurs, l’identité des fondements juridiques des actions introduites n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres, de sorte qu’une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.
Au cas présent, dans son assignation, Monsieur [K] recherche la responsabilité des deux banques au titre de leur devoir de vigilance.
Ainsi, la pluralité de défendeurs permet à Monsieur [K] d’assigner les deux banques devant la même juridiction.
La seule différence se situe au niveau du positionnement des banques : l’une a conclu un contrat de convention de compte, l’autre a réceptionné les virements frauduleux.
Cependant, la responsabilité repose sur les mêmes faits : l’exécution et la réception par deux établissements bancaires de virements anormaux au bénéfice d’une société frauduleuse ayant pour seule vocation le détournement de fonds de particuliers français.
Le manquement à l’obligation de vigilance est un manquement commun aux établissements bancaires de sorte qu’il y a lieu de les voir en répondre ensemble.
Les demandes se rapportent donc aux mêmes faits, tendent à des fins identiques, posent des questions communes appelant des réponses coordonnées, notamment sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage et la part de responsabilité de chaque coresponsable éventuel.
Il s’en déduit que les actions en responsabilité intentées par Monsieur [K] sont connexes en ce qu’elles s’inscrivent dans une même situation de fait et de droit et que, pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu importe que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes et que les rapports de droit entre les parties soient distincts.
Il convient par conséquent de rejeter l’exception d’incompétence soulevée.
III. Sur la prescription
L’article 4 du Règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II dispose que « sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ».
En application de l’article 122 du code de procédure civile :
« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher la teneur, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
Au cas présent, l’appropriation des fonds s’est produite en Espagne, de telle sorte que le lieu où le dommage est survenu est l’Espagne.
De ce fait, au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer qu’en application de l’article 4 du Règlement Rome II, le droit espagnol est applicable au présent litige, à l’exclusion du droit français.
La loi espagnole étant applicable au litige avec la société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A., la prescription est régie par l’article 1968 du code civil espagnol qui dispose :
« 1. L’action en revendication ou en recouvrement se prescrit par un an.
2. L’action en responsabilité civile pour blessures ou calomnies, ainsi que pour les obligations découlant de la faute ou de la négligence visée à l’article 1902, à partir
du moment où le créancier en a eu connaissance »
L’article 1902 du code civil espagnol, auquel il est renvoyé dans l’article 1968 précité, prévoit que : « Celui qui, par action ou omission, cause un préjudice à un tiers du fait d’une faute ou d’une négligence est tenu de réparer le dommage causé ».
Autrement dit, les actions en responsabilité extracontractuelle engagées à l’encontre d’une banque espagnole se prescrivent par un an.
En l’espèce, Monsieur [K] a déposé plainte auprès des services de gendarmerie de [Localité 6] (77) le 11 février 2021.
Or, Monsieur [K] a assigné la société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A. et la société SOCIETE GENERALE le 23 février 2024, soit plus de trois ans après le dépôt de plainte.
En conséquence, s’agissant de l’action engagée à l’encontre de la société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A., les demandes de Monsieur [K] seront déclarées irrecevables car prescrites.
Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la question du sursis à statuer.
IV. Sur les autres demandes
Monsieur [K] qui succombe, sera condamné aux dépens de l’incident.
Compte tenu de la nature de l’affaire, il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
REJETTE la demande de nullité de l’assignation ;
REJETTE l’exception d’incompétence soulevée par la société ABANCA CORPORACION BANCARIA S.A ;
CONDAMNE Monsieur [D] [K] aux dépens de l’incident ;
DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état électronique de la 9ème chambre 3ème section, du 28 novembre 2024 à 9h30, pour conclusions au fond de la SOCIETE GENERALE.
Faite et rendue à Paris le 28 Novembre 2024.
LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ÉTAT