Communication électronique : 29 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/07177

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Communication électronique : 29 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/07177
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 29 NOVEMBRE 2023

(n°2023/ , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07177 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGENE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/01325

APPELANT

Monsieur [U] [M]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Léa DOUKHAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1083

INTIMÉE

S.A.R.L. GROUPE CAYAMBE

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Aurélie KAMALI DOLATABADI, avocat au barreau de PARIS, toque : G695

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 octobre 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Groupe Cayambe est spécialisée dans le conseil stratégique, l’assistance technique et opérationnelle aux organismes publics du secteur de l’énergie, des mines et de l’environnement.

M. [M] est expert en solutions d’ingéniérie environnementale en particulier dans les domaines RSE (responsabilité sociale et environnementale) et HSE (hygiène, sécurité et environnement).

La société Groupe Cayambe a confié à M. [M] des missions de coordination de projets dans le cadre de deux conventions de prestation de services. La première convention a été conclue le 24 février 2015 avec pour terme le 23 mars 2015. La seconde convention a été conclue le 1er avril 2015 avec un terme fixé initialement au 30 septembre 2015 ayant donné lieu à une prorogation de six mois jusqu’au 30 mars 2016 par avenant du 1er octobre 2015 et à une nouvelle prorogation de quinze mois jusqu’au 30 juin 2017 par avenant du 1er avril 2016. Les relations contractuelles entre les parties ont cessé le 30 juin 2017.

Le 12 juillet 2018, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris aux fins de voir requalifier les conventions de prestation de services en un contrat de travail à durée indéterminée et de voir condamner la société Groupe Cayambe à lui payer différentes sommes notamment à titre d’indemnités de rupture et de rappel de commission.

Par jugement du 3 juillet 2019, auquel il est renvoyé pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Paris s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Brest.

M. [M] a relevé appel de ce jugement et la cour d’appel de Paris, par arrêt du 16 janvier 2020, a infirmé le jugement en ce qu’il avait décliné la compétence du conseil de prud’hommes de Paris au profit du tribunal de commerce de Brest et, statuant à nouveau, a déclaré la juridiction prud’homale compétente pour connaître des demandes de M. [M] et a renvoyé l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris.

La société Groupe Cayambe a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt de rejet non spécialement motivé du 16 juin 2021, la Cour de cassation a rejeté ce pourvoi (Soc. 16 juin 2021, pourvoi n° 20-14.489).

Par jugement du 9 juin 2022, auquel il est également renvoyé pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Paris a rendu la décision suivante:

« Déboute M. [M] [U] de l’ensemble de ses demandes, et le condamne au paiement des entiers dépens.

Déboute la société Groupe Cayambe de sa demande reconventionnelle et de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile. »

M. [M] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 22 juillet 2022.

La constitution d’intimée de la société Groupe Cayambe a été transmise par voie électronique le 3 août 2022.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 octobre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [M] demande à la cour de:

« CONFIRMER le jugement du 9 juin 2022 en ce qu’il a débouté la société GROUPE CAYAMBE de sa demande reconventionnelle de versement de dommages-intérêts pour procédure abusive,

INFIRMER le jugement du 9 juin 2022 en ce qu’il a débouté Monsieur [M] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné au paiement des entiers dépens.

Statuant à nouveau :

JUGER que la relation de travail entretenue entre la société GROUPE CAYAMBE et Monsieur [M] sous le statut d’auto-entrepreneur doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein,

JUGER qu’en conséquence, la rupture de la relation de travail doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu le 22 septembre 2017, date à laquelle Monsieur [M] a cessé de se tenir à la disposition de la société,

En conséquence,

CONDAMNER la société GROUPE CAYAMBE à verser à Monsieur [M] les sommes suivantes :

– 23.288,00 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– 1.164,40 € à titre d’indemnité légale de licenciement

– 2.911,00 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement

– 5.822,00 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 582,00 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

– 8.733,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

– 17.466,00 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé conformément à l’article L.8223-1 du Code du Travail,

– 5.094,25 € au titre du rappel de salaires,

– 509,42 € au titre des congés payés sur salaires,

– 15,30 € au titre du remboursement de frais professionnels,

ORDONNER la remise par la société GROUPE CAYAMBE à Monsieur [M] de documents de fin de contrat conformes sous astreinte journalière de 100 € par document,

CONDAMNER la société GROUPE CAYAMBE à verser à Monsieur [M] la somme de 20.943,50 € au titre des commissions non réglées outre les intérêts au taux légal,

CONDAMNER la société GROUPE CAYAMBE à verser à Monsieur [M] la somme de 5.500€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,

ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir et la capitalisation des intérêts. »

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 décembre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Groupe Cayambe demande à la cour de:

« CONFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 9 juin 2022, en ce qu’il a débouté Monsieur [M] de l’ensemble de ses demandes et condamné au paiement des entiers dépens ;

INFIRMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 9 juin 2022, en ce qu’il a débouté la société Groupe Cayambe de sa demandes reconventionnelle et de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence :

CONDAMNER Monsieur [U] [M] au paiement à la société Groupe Cayambe de la somme de 5.000€ pour procédure abusive ;

CONDAMNER Monsieur [U] [M] au paiement à la société Groupe Cayambe de la somme de 5.500€ au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER Monsieur [U] [M] aux entiers dépens. »

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 2023.

MOTIFS

Sur la demande en requalification des conventions de prestation de services en un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein

Il est de jurisprudence constante que l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à une éventuelle convention, mais des conditions de fait dans lesquelles s’est exercée l’activité professionnelle.

Trois critères doivent être remplis pour que l’existence d’un contrat de travail soit établie, à savoir la fourniture d’un travail, en contrepartie d’une rémunération, et dans le cadre d’un lien de subordination. Le critère prépondérant est celui du lien de subordination, lequel est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

En l’absence de contrat de travail apparent, c’est à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence et notamment de rapporter la preuve d’un lien de subordination.

Par ailleurs, l’article L.8221-6 du code du travail dispose en son paragraphe I que:

« I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;

2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’article L. 213-11 du code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;

3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;

4° Les personnes physiques relevant de l’article L. 123-1-1 du code de commerce ou du V de l’article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat. »

Le paragraphe II du même texte précise cependant que:

« II.- L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. »

L’article L.8221-6 du code du travail instaure donc, dans son paragraphe I, une présomption simple de non-salariat qui peut être renversée dans les conditions prévues à son paragraphe II.

En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [M] était déclaré comme auto-entrepreneur auprès de l’URSSAF durant la totalité de la période pour laquelle il sollicite la requalification de ses conventions de prestation de services en contrat de travail à durée indéterminée. En conséquence, M. [M] est soumis à la présomption de non-salariat et c’est à lui qu’il incombe de la combattre.

Il résulte de ces conventions que M. [M] a bien exercé une activité pour la société Groupe Cayambe et qu’il a perçu en contrepartie une rémunération, de sorte que c’est l’existence d’un lien de subordination juridique permanente qu’il doit démontrer.

M. [M] expose tout d’abord qu’il ne s’est inscrit à l’URSSAF que pour les besoins de la relation contractuelle avec la société Groupe Cayambe et que celle-ci a été son unique donneur d’ordres.

En l’occurrence, il ressort des pièces versées aux débats que M. [M] s’est inscrit comme auto-entrepreneur le 24 juin 2015 (pièce n°51 du salarié) et qu’il a demandé sa radiation le 19 décembre 2017 (pièce n°46). M. [M] a adressé des factures (pièce n°28) à la société Groupe Cayambe mentionnant qu’à la date de la première facture, le 10 avril 2015, laquelle portait sur la période d’activité du 24 février au 23 mars 2015, sa demande de numéro de SIREN (Système d’identification du répertoire des entreprises) était toujours en cours et c’est seulement à compter de la facture n°5, datée du 31 juillet 2015, que le numéro SIREN est précisé. Dès lors que la première convention de prestation de services entre les parties a été conclue le 24 février 2015 et que la seconde convention s’est achevée, après prorogations, le 30 juin 2017, il en résulte donc que M. [M] n’exerçait pas comme travailleur indépendant depuis longtemps avant le début des relations contractuelles avec la société Groupe Cayambe mais qu’au contraire sa période d’inscription comme auto-entrepreneur auprès de l’URSSAF correspond à peu près à sa période d’activité pour l’intimée. En outre, les pièces communiquées n’établissent pas qu’un contrat de travail avait été proposé par la société Groupe Cayambe à M. [M] et refusé par celui-ci.

En ce qui concerne l’ampleur de son activité au bénéfice de la société Groupe Cayambe durant la période d’application des conventions de prestation de services, M. [M] fait valoir à juste titre que la première convention signée prévoit, en ses articles 2 et 3, que le volume des prestations confiés à l’intéressé correspond à des mois de travail « complets » et que celui-ci doit garantir l’exclusivité de ses missions au bénéfice de la société Groupe Cayambe. Les autres avenants et la seconde convention ne modifient pas ces modalités de relations entre les parties.

Par conséquent, il est établi que M. [M] ne s’est inscrit sous le régime d’auto-entrepreneur que pour les besoins de l’exécution de l’activité qui lui était demandée par la société Groupe Cayambe et qu’il a assuré, sous ce régime, une activité au service exclusif de ladite société, étant à temps plein à la disposition de celle-ci. A cet égard, il est également pertinent de constater que M. [M] verse aux débats différentes attestations (pièces n°42, 43 et 44) dont il ressort, selon leurs rédacteurs qui ont chacun travaillé pour la société Groupe Cayambe, que celle-ci leur avait demandé, alors qu’ils sollicitaient une embauche sous contrat de travail puisque la société souhaitait travailler avec eux, de s’inscrire comme auto-entrepreneurs dans un premier temps afin de faire leurs preuves avec la promesse, dans un second temps, d’une embauche en contrat de travail à durée indéterminée. Ces attestations, alors même que la société Groupe Cayambe déclare dans ses conclusions d’appel n’avoir que 10 salariés permanents et avoir recours en plus de ceux-ci à des consultants et experts ayant des compétences très spécifiques, sont ainsi de nature à démontrer un mode de fonctionnement de l’entreprise tendant à privilégier fortement le recours au régime d’auto-entrepreneur plutôt qu’à celui du salariat. D’ailleurs, les courriels de Mme [G], assistante de direction, adressés au fondateur, gérant et manager général de la société, M. [T], sont éclairants à ce sujet, par exemple quand elle lui écrit le 10 septembre 2015 « j’ai bien peur qu’un inspecteur à peine tatillon requalifie le contrat d’autoentrepreneur de [U] en salariat déguisé et ne nous assomme avec un paiement rétroactif de charges sociales + amende etc… […] sachant qu’il n’est pas en plus le seul autoentrepreneur de la société… » (pièce n°11 du salarié). Enfin, la lettre du 3 septembre 2018 de l’URSSAF qui est produite (pièce n°18 de la société) ne fait état que d’un contrôle à venir de la société Groupe Cayambe sans qu’il ne soit justifié des suites qui y ont été données.

En ce qui concerne la rémunération de M. [M], il est utile de noter que si les conventions de prestation de services litigieuses font bien mention d’honoraires qui seront versés à l’intéressé, elles précisent que ces « honoraires » sont « d’un montant forfaitaire », lequel montant est fixé expressément dans les conventions, de sorte que la rémunération est donc déterminée à l’avance sans possibilité pour l’auto-entrepreneur de pouvoir facturer son travail en fonction du temps qu’il a effectivement consacré à la réalisation des missions imparties. Les variations de montant de la rémunération mensuelle effective payée à M. [M] durant la relation contractuelle s’expliquent essentiellement par les modifications successives du montant forfaitaire prévu et par le montant, variant selon les mois, des frais professionnels remboursés sur justificatif à M. [M]. Les conventions de prestation de services fixant tant le nombre de jours de travail par mois (« entre 20 et 22 jours ouvrés de travail ») qu’une rémunération forfaitaire basée sur ce nombre de jours de travail, M. [M] ne disposait donc pas d’autonomie à ces égards, la proratisation de la rémunération mensuelle prévue contractuellement (article 6.1) selon la justification par M. [M] à la société Groupe Cayambe du nombre des « jours de travail effectif de l’expert » entérinant ce pouvoir de contrôle de la société.

Concernant le lieu d’exercice de l’activité, si M. [M] travaillait à son domicile parisien au début de la relation contractuelle avec la société Groupe Cayambe qui est située en Bretagne, celle-ci a ensuite pris en charge les frais de location d’un bureau à [Localité 5] au nom de la société, laquelle était désignée contractuellement, auprès du loueur, comme l’occupante du bureau à [Localité 5] dans lequel travaillait M. [M] (pièce n°26 du salarié), en sorte que celui-ci travaillait bien alors dans un local de la société Groupe Cayambe loué directement par cette dernière à [Localité 5].

En ce qui concerne les outils de travail mis à la disposition de M. [M], celui-ci justifie par la production de pièces avoir non seulement eu accès aux logiciels et applicatifs utilisés en interne par la société Groupe Cayambe, par exemple le logiciel de gestion Asana, mais s’être vu attribuer aussi une adresse électronique au nom de la société ([Courriel 6]) identique à celle des salariés de celle-ci et qu’il utilisait pour ses communications électroniques.

Ce degré important d’intégration de M. [M] dans la société Groupe Cayambe est corroboré par le fait que celle-ci lui avait attribué un matériel informatique pour travailler (pièce n°8), des cartes de visite à l’entête de la société mentionnant l’adresse de celle-ci, le nom de M. [M] et l’adresse électronique interne de ce dernier (pièce n°16). De même, une plaquette promotionnelle éditée par la société Groupe Cayambe, destinée à la clientèle, et présentant l’activité de l’entreprise, incluait les photos de diverses personnes scindées en deux catégories « our team » et « our associate experts ». Or, la photo de M. [M] figurait, au même titre d’ailleurs que les salariés, dans la catégorie « our team » et non dans celle des « experts », contredisant ainsi l’affirmation dans les conclusions d’appel de la société Groupe Cayambe que c’est en qualité d’expert que M. [M] avait été recruté sous le régime d’auto-entrepreneur. Par conséquent, M. [M] était présenté à la clientèle de la société Groupe Cayambe, par celle-ci, comme un membre permanent de l’entreprise et non comme un simple consultant ou expert.

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent la démonstration que le travail de M. [M] s’effectuait, à l’initiative de la société Groupe Cayambe, au sein d’un service organisé de l’entreprise.

En outre, les pièces versées aux débats démontrent que M. [M] devait faire à M. [T] un « reporting » par courriel tous les matins sur son activité (pièce n°13), que celui-ci lui adressait de très nombreux courriels lui demandant entre autres de traiter en urgence un mail ou un dossier (par exemple courriels des 6 et 7 février 2017, pièce n°13), lui demandait de le mettre en copie des relances commerciales que M. [M] faisait par courriel (par exemple courriel du 8 janvier 2016, pièce n°13), lui donnait des directives précises sur des tâches que M. [M] devait effectuer (par exemple courriels des 5 et 15 décembre 2016, pièce n°13). Il en ressort que M. [M], qui était ainsi soumis aux directives quotidiennes et au contrôle permanent de la société Groupe Cayambe, ne disposait pas d’autonomie dans l’exercice de son activité au-delà de celle d’un personnel salarié.

De surcroît, les échanges de courriels versés aux débats (pièce n°14) démontrent que M. [M] ne pouvait librement décider de ses dates de congés mais devait déposer des demandes de congés auprès de l’assistante de direction de M. [T] et soumises à l’approbation finale de ce dernier. A titre d’exemple, l’assistante de direction de M. [F] [T] ([F][T]) écrivait à M. [M] par courriel du 3 novembre 2016 à 11h33 que « concernant tes demandes de congés ci-dessous, pour suivre la procédure habituellement on en parle à [F][T] d’abord et ensuite on rédige une demande écrite qu’on lui demande de signer avant de me transmettre pour la compta. Pour cela tu trouveras dans : Opérationnel – 006 Modèles – 00 Modèles divers – Modèle – Demandes de congés. Pour cette fois, je t’ai préparé tes feuilles (selon les infos de ton mail), merci de vérifier que ça correspond bien à ta requête. Si oui, tu imprimes, signes me les scans (sic) en retour et je les ferais signer par [F][T] ». L’affirmation de la société Groupe Cayambe selon laquelle M. [M] ne devait que signaler ses absences pour les seules nécessités d’organisation de la société est donc contredite.

La circonstance, invoquée par la société Groupe Cayambe, que les conventions de prestations de service prévoyaient que « le prestataire pourra se faire représenter par un expert qui sera chargé de la mise en oeuvre de la mission » est purement formelle, les circonstances concrètes d’exécution de l’activité qui ont été examinées précédemment démontrant que M. [T] attendait de M. [M] qu’il s’investisse personnellement et lui rende compte personnellement au quotidien de ses missions.

De plus, la circonstance que la société Groupe Cayambe n’ait pas à eu à notifier de sanction disciplinaire à M. [M] n’établit pas que la société était dépourvue d’un pouvoir de sanction, le moyen relatif à celui-ci étant inopérant au regard des autres constatations venant d’être faites.

En effet, il résulte de tous les éléments qui précèdent, et invoqués par les parties, correspondant à une analyse globale de la relation contractuelle ayant existé entre celles-ci, un faisceau d’indices suffisant pour démontrer que M. [M] travaillait au service de la société Groupe Cayambe, qui disposait sur lui d’un pouvoir de contrôle et de direction de l’exécution de sa prestation de travail, dans le cadre d’un lien de subordination permanente, juridique et factuelle, à l’égard de cette société.

Par conséquent, et par infirmation du jugement, il convient de requalifier en contrat de travail à durée indéterminée la relation contractuelle ayant existé entre M. [M] et la société Groupe Cayambe du 24 février 2015 au 30 juin 2017. La société Groupe Cayambe n’ayant pas voulu poursuivre ladite relation contractuelle après cette date, il doit être constaté une rupture de fait le 30 juin 2017, par l’employeur, du contrat de travail qui s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

a) En application de l’article L.1234-1 du code du travail, le salarié ayant une ancienneté d’au moins deux ans au moment de la rupture du contrat de travail a droit à un préavis de deux mois.

Le salaire mensuel moyen retenu pour M. [M] s’élève à la somme de 2 911 euros.

Par conséquent, la société Groupe Cayambe est condamnée, par infirmation du jugement, à payer à M. [M] la somme de 5 822 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme demandée de 582 euros au titre des congés payés afférents.

b) Aux termes de l’article L.1234-9 du contrat de travail, « Le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement ».

L’article R.1234-2 du même code dispose que:

« L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;

2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans. »

Par conséquent, eu égard à l’ancienneté de M. [M] à la date de rupture du contrat de travail, il convient de condamner, par infirmation du jugement, la société Groupe Cayambe à payer à M. [M] la somme demandée de 1 164,40 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.

c) Les dispositions de l’article L.1253-3 du contrat de travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, ne sont pas applicables au litige dès lors que la rupture du contrat de travail est intervenue le 30 juin 2017.

L’article L.1235-5 du code du travail est donc applicable, la société Groupe Cayambe ayant moins de 11 salariés. Ce texte dispose que le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

En considération des circonstances de la rupture ainsi que de la situation particulière du salarié tenant notamment à son âge et à sa capacité à retrouver un emploi, il convient, par infirmation du jugement, de condamner la société Groupe Cayambe à payer à M. [M] la somme de 10 188 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif.

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement

Il est de jurisprudence constante que l’indemnité pour licenciement abusif prévue par l’article L.1235-5 du code du travail se cumule avec l’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement.

En l’espèce, la rupture du contrat de travail étant survenue sans l’accomplissement des formalités légales de licenciement, M. [M] n’ayant notamment pas été convoqué à un entretien préalable au licenciement, il convient de condamner la société Groupe Cayambe à lui payer la somme de 2 911 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement.

Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral distinct

Il est de jurisprudence constante que le salarié justifiant, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture de son contrat de travail, d’un préjudice distinct du licenciement lui-même, peut obtenir des dommages et intérêts en réparation de ce préjudice. Il peut prétendre à cette indemnité que son licenciement ait été jugé sans cause réelle et sérieuse ou fondé sur une cause réelle et sérieuse ou une faute grave.

En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que la société Groupe Cayambe avait, avant de se rétracter, envisagé de poursuivre la relation contractuelle, sous le même régime d’auto-entrepreneur, et l’avait fait savoir à M. [M]. Les discussions entre les parties se sont déroulées plusieurs semaines encore après le 30 juin 2017. Le comportement de la société Groupe Cayambe, faisant croire à M. [M], avant la rupture, la possibilité d’une poursuite de la relation de travail avant de se rétracter, caractérise des circonstances vexatoires de la rupture justifiant, par infirmation du jugement, la condamnation de la société Groupe Cayambe à payer à M. [M] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur l’indemnité pour travail dissimulé

Il résulte des articles L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en se soustrayant intentionnellement à l’accomplissement de la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance d’un bulletin de paie ou en mentionnant sur celui-ci un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, ou en se soustrayant intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, il a déjà été examiné les attestations produites par M. [M] et les courriels émanant de la direction de la société Groupe Cayambe et notamment celui adressé le 10 septembre 2015 par Mme [G], assistante de direction, au fondateur, gérant et manager général de la société, M. [T], tous éléments dont il résulte la démonstration du choix conscient fait par la société Groupe Cayambe de se soustraire le plus possible au travail salarié dans son recrutement de personnels et en particulier de M. [M] au profit du recours, de façon intensive et extensive, au régime de l’auto-entrepreneuriat sans que les conditions d’application de ce régime, comme en l’espèce, ne soient pourtant respectées.

L’élément intentionnel dans la soustraction de la société Groupe Cayambe à l’accomplissement de la déclaration préalable à l’embauche de M. [M] en contrat de travail étant caractérisé, il y a lieu de condamner, par infirmation du jugement, la société à payer au salarié la somme de 17 466 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Sur la demande de rappel de salaires

M. [M] sollicite à ce titre le paiement de salaires pour la période du 1er août 2017 au 22 septembre 2017, expliquant avoir continué à travailler durant cette période pour le compte de la société Groupe Cayambe.

Toutefois, en l’absence de communication d’éléments suffisants sur l’exécution d’une prestation de travail jusqu’au 22 septembre 2017, la demande est rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur le rappel de commissions

Contrairement à ce qui est soutenu par la société Groupe Cayambe, la requalification des conventions de prestation de services litigieuses en un contrat de travail à durée indéterminée ne porte que sur la nature et le terme de la relation contractuelle et a laissé inchangées les autres stipulations inclues dans les conventions, à l’exception de la clause attributive de compétence au tribunal de commerce de Brest.

Par conséquent, M. [M] est fondé à se prévaloir des dispositions de l’article 6.2 de sa convention initiale modifié par l’avenant du 1er avril 2016, article instaurant, au bénéfice de M. [M], une « prime d’intéressement aux résultats des nouveaux contrats apportés dans le cadre des prestations, pour l’obtention desquels sa contribution aura été déterminante. Celle-ci sera égale à un pourcentage du montant de la marge brute des honoraires perçue par la partie B et effectivement payés à cette dernière et ce pourcentage sera fixé relativement au tableau suivant ». Le tableau en question, définissant des taux sur marge brute et des planchers et plafonds différents de commissionnement selon la tranche de chiffre d’affaires, a été modifié dans l’avenant du 1er avril 2016.

Dans ses conclusions d’appel, la société Groupe Cayambe, qui se borne à contester le principe du droit de M. [M] à percevoir la prime d’intéressement prévue dans les conventions, ne donne aucune explication sur les modalités de calcul de ladite prime et n’émet aucune contestation circonstanciée sur les calculs établis par M. [M] dans ses conclusions d’appel.

En considération des pièces qui ont été versées aux débats, la cour retient que les sommes suivantes sont dues à M. [M]: 1 192,50 euros (mission Beicip Franlab), 3 500 euros (mission SMI), 1 563 euros (mission PADSEM), 13 125 euros (mission PRACC), 1 563 euros (mission SNIM).

Par conséquent, la société Groupe Cayambe est condamnée à payer au total à M. [M] la somme de 20 943,50 euros à titre de rappel de commissions.

Sur la demande de remboursement de frais professionnels

Pour cette demande d’un montant de 15,30 euros, M. [M] renvoie dans ses conclusions d’appel à la pièce n°8, sans plus de détails ni d’explications. Cette pièce est composée de très nombreuses pages comportant chacune plusieurs courriels. Il n’en ressort pas que la demande soit justifiée. Celle-ci est donc rejetée, par confirmation du jugement.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive

Cette demande est rejetée dès lors qu’il est fait droit à des demandes formées par l’appelant.

Sur la délivrance de documents

M. [M] sollicite la remise de documents de fin de contrat conformes à la présente décision.

Il est fait droit à cette demande.

En revanche, aucun élément ne permettant de présumer que la société Groupe Cayambe va résister à la présente décision, il n’y a pas lieu d’ajouter une astreinte à cette obligation de remise. La demande d’astreinte est donc rejetée.

Sur les autres demandes

Les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement. Les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués. En outre, il est précisé que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

La société Groupe Cayambe succombant, elle est condamnée aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d’appel en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Il paraît équitable de condamner la société Groupe Cayambe à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [M] de ses demandes de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, de rappel de salaires et de remboursement de frais professionnels, et en ce qu’il a débouté la société Groupe Cayambe de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que les conventions de prestations de services conclues entre la société Groupe Cayambe et M. [M] sont requalifiées en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 24 février 2015.

Dit que la rupture par la société Groupe Cayambe de ce contrat de travail le 30 juin 2017 constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [M].

Condamne la société Groupe Cayambe à payer à M. [M] les sommes de:

– 5 822 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis;

– 582 euros au titre des congés payés afférents;

– 1 164,40 euros à titre d’indemnité légale de licenciement;

– 10 188 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif;

– 2 911 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement;

– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct;

– 17 466 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;

– 20 943,50 euros à titre de rappel de commissions.

Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement.

Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués.

Dit que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Ordonne à la société Groupe Cayambe de remettre à M. [M] des documents de fin de contrat conformes à la présente décision.

Rejette la demande d’astreinte.

Condamne la société Groupe Cayambe à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Groupe Cayambe aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d’appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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