Commerce électronique : 19 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 20/03960

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Commerce électronique : 19 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 20/03960
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 19 JANVIER 2023

N° 2023/

AL

Rôle N°20/03960

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFYFM

[D] [W]

C/

S.A. CONFORAMA

Copie exécutoire délivrée

le : 19/01/2023

à :

– Me Florence MASSA, avocat au barreau de GRASSE

– Me Jean-François JOURDAN, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE en date du 28 Février 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00022.

APPELANT

Monsieur [D] [W], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Florence MASSA, avocat au barreau de GRASSE,

et par Me Juliette HURLUS, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

S.A. CONFORAMA, sise [Adresse 2]

représentée par Me Magali BOUTIN, avocat au barreau de NICE substituée par Me Juliette MOSSER, avocat au barreau de NICE

et par Me Jean-François JOURDAN, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Pascale ROCK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCEDURE

Par contrat à durée indéterminée du 2 janvier 2001, M. [D] [W] a été embauché par la société anonyme Conforama en qualité de vendeur. Sa rémunération était fixée par deux avenants des 1er avril et 30 septembre 2006, et composée d’une part fixe et d’une part variable, dite guelte.

Au mois de février 2016, le magasin Conforama de Nice auquel M. [W] était affecté, a été transféré dans de nouveaux locaux, plus vastes, permettant d’intégrer le petit mobilier au rayon des meubles. La direction du magasin a alors proposé aux salariés d’étendre l’assiette de la part variable de leur rémunération au chiffre d’affaires du petit mobilier. Cette proposition a été rejetée par l’ensemble des salariés du rayon meubles.

Le 30 juin 2018, M. [W] a reçu un avertissement, pour avoir refusé de se dédier exclusivement à la vente de literie, le 17 mars précédent.

Le 17 janvier 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Nice d’une demande d’annulation de cette sanction. Il sollicitait en outre diverses indemnités et rappels de salaire.

Par jugement du 28 février 2020, le conseil de prud’hommes de Nice a rejeté l’intégralité de ces demandes, et a condamné M. [W] aux dépens.

Ce dernier a relevé appel de cette décision, par déclaration au greffe du 16 mars 2020.

L’instruction de l’affaire a été clôturée par ordonnance du 27 octobre 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées le 20 octobre 2022, l’appelant sollicite :

– l’infirmation du jugement entrepris,

– le paiement des sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, avec anatocisme :

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail,

– 4 880,60 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2016, outre 488,06 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 2 270,80 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2017, outre 227,08 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 2 047,37 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2018, outre 204,73 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 3 236,51 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2019, outre 323,65 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction injustifiée,

– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité,

– la transmission par l’employeur des chiffres d’affaires détaillés des années 2020, 2021, 2022, et postérieurs, tant que le contrat de travail demeure en cours,

– la condamnation de l’employeur à calculer les gueltes dues, en séparant les primes liées à la vente de meuble ou à la vente de meubles de cuisine, en intégrant au chiffre d’affaires du rayon meubles le chiffre d’affaires des ventes réalisées par les salariés de ce rayon, ainsi que le chiffre d’affaires réalisé au moyen de la vente en ligne de ces produits, et en prenant en compte l’interdiction d’embauche de nouveaux salariés sans nécessité pour l’attractivité économique du rayon,

– le paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,

– la remise d’un bulletin de salaire récapitulatif, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai de quinze jours à compter du présent arrêt.

A l’appui de ces prétentions, M. [D] [W] expose :

– sur la part variable de sa rémunération,

– que les avenants à son contrat de travail stipulent que son salaire se compose d’une partie fixe ‘et de commissions calculées comme suit :

– une guelte de 4,80 % sur la marge sortie de stock pour les produits meubles,

– une guelte de 4 % sur la marge sortie de stock pour les produits cuisine (…),

– une guelte de 5,30 % sur la marge sortie de stock pour l’encastrable EMRTV (…),

– une guelte de 6,00 % sur le chiffre d’affaires TTC des garanties effectuées’,

– que, toutefois, les marchandises vendues en ligne n’étaient pas incluses dans les sorties de stocks ouvrant droit à commission,

– que le fait qu’une prime ait été instituée sur les ventes en ligne ne devait pas conduire à les isoler des autres produits vendus,

– qu’en outre, les calculs des gueltes n’étaient pas explicites,

– que les bases de calcul ont ainsi été modifiées d’un mois sur l’autre,

– que la guelte meubles et cuisine du mois d’août 2015 aurait dû être de 8 764,41 euros, et non de 7 667,35 euros,

– que l’employeur ne prend en compte que les ventes effectuées par des salariés éligibles à la guelte, en violation des stipulations du contrat de travail,

– que lesdites stipulations ne permettent pas d’exclure les produits vendus en ligne de l’assiette de calcul de la guelte sur sortie de stock,

– sur la modification unilatérale de son contrat de travail,

– qu’à compter du mois de janvier 2016, l’employeur a pris en compte le chiffre d’affaires du petit mobilier dans l’assiette de calcul de la marge brute du rayon,

– que ce mode de calcul avantageait le salarié du rayon du petit meuble, qui était seul, au détriment de ceux du rayon meubles,

– qu’ainsi, le chiffre d’affaires de l’année 2015 était de 5 663 730 euros pour 3,97 salariés, lorsque celui de l’année 2016 était de 6 305 317 euros pour 5,44 salariés, de sorte que le chiffre d’affaires moyen par salarié a baissé de 267 567 euros,

– qu’en outre, à compter du mois d’août 2016, l’employeur a inclus les salariés intérimaires dans le calcul des commissions, alors même que ceux-ci n’en perçoivent pas, et ne sont pas affectés à un seul rayon,

– que le nombre de salariés affectés au rayon meubles, qui était de cinq au mois de janvier 2016, est passé à dix au mois de janvier 2018, ce qui a également engendré une baisse des commissions, sans lien avec le chiffre d’affaires du rayon, qui n’a pas augmenté proportionnellement au nombre des salariés,

– que, lorsque la baisse des commissions dues à un salarié trouve son origine dans la redistribution des portefeuilles des délégués commerciaux, ayant une incidence sur la part variable de leur rémunération, l’accord préalable du salarié est requis,

– qu’en modifiant unilatéralement son contrat de travail, la société Conforama a méconnu son obligation d’exécution loyale dudit contrat,

– que celle-ci ne justifie pas de son calcul des commissions dues,

– sur l’avertissement du 30 juin 2018,

– en droit, que l’employeur ne peut notifier une sanction à un salarié, lorsque celle-ci n’est pas prévue par le règlement intérieur,

– qu’il résulte des articles L 1321-2 et L 1321-4 du code du travail que le règlement intérieur doit être communiqué à l’inspection du travail, accompagné d’un avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel,

– en fait, que la société intimée ne prouve pas l’existence et la régularité de son règlement intérieur,

– qu’en outre, les griefs énoncés dans l’avertissement litigieux ne sont pas établis,

– qu’il n’a pas refusé de travailler sur le rayon literie, mais a servi les clients qui se trouvaient dans ce rayon avant de retourner à son rayon d’affectation,

– qu’en le limitant au rayon literie, l’employeur cherchait à réduire son volume de ventes,

– que la sanction du 30 juin 2018 est donc nulle,

– qu’elle traduit une discrimination syndicale,

– que le préjudice subi de ce chef sera justement indemnisé par la somme de 3 000 euros,

– sur le harcèlement moral,

– que des pressions ont été exercées à son égard, lors des réunions du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail,

– qu’il a alerté le service de santé au travail de la dégradation de sa situation professionnelle,

– que, si l’employeur a mené une enquête interne relative au bien-être des salariés, il s’est principalement intéressé aux nouveaux arrivants, et s’est donc refusé à prendre les mesures adaptées pour faire cesser le harcèlement moral dont il était victime,

– que, dans ce contexte de tensions, la direction de l’entreprise l’a mis en demeure, par lettre du 14 avril 2017, de donner ses dates de congé,

– que l’avertissement injustifié qui lui a été infligé et la modification unilatérale de son contrat de travail caractérisent également le harcèlement moral,

– que plusieurs salariés attestent des difficultés rencontrées,

– que la somme de 10 000 euros doit lui être allouée en réparation du préjudice subi du fait de ce harcèlement,

– qu’en outre, la société Conforama a manqué à son obligation de sécurité.

En réponse, la société intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris, et sollicite la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de défense.

La société Conforama fait valoir :

– sur la prétendue modification du contrat de travail de M. [W],

– sur l’absorption du rayon petit meuble par le rayon meuble,

– que la guelte du rayon meubles est calculée sur les sorties de stock des meubles et des meubles de cuisine, résultant des ventes réalisées par les vendeurs de meubles, des ventes réalisées par les vendeurs éligibles à la guelte, hors vendeurs de cuisine, des ventes en libre-service, et des achats rapides,

– qu’un logiciel interne est utilisé pour ce calcul, qui reprend les ventes réalisées par chaque vendeur de la société,

– que le rayon du petit meuble a été intégré au rayon meuble, en vertu du pouvoir de direction de l’employeur,

– qu’un salarié a ainsi rejoint le rayon meubles,

– que, toutefois, le mode de calcul de la guelte n’a pas changé,

– sur la prise en compte des emplois intérimaires,

– qu’en outre, la prise en compte des contrats d’intérim dans le calcul de la part variable de rémunération des vendeurs est conforme à leurs contrats de travail, dès lors qu’ils stipulent que la guelte est répartie ‘proportionnellement entre le nombre de vendeurs présents’,

– qu’il suit donc des stipulations contractuelles que le chiffre d’affaires produit par les salariés intérimaires doit être inclus dans le chiffre d’affaires du rayon, qui doit ensuite être divisé par le nombre total de vendeurs, en ce compris les salariés intérimaires,

– que, si ce mode de calcul n’était pas en vigueur avant le mois d’août 2016, il a été modifié à la demande des salariés du rayon meubles,

– que la guelte revenant aux intérimaires est versée à la société de travail temporaire,

– sur l’augmentation du nombre de vendeurs,

– que, si M. [W] dénonce cette augmentation, qu’il prétend sans lien avec celle de l’activité du rayon meuble, le nombre moyen de vendeurs présents dans ce rayon était de 6,28 et non de 9 au mois de janvier 2018, compte tenu des absences,

– que le chiffre d’affaires de ce rayon a constamment augmenté depuis 2015,

– que l’intégration du vendeur du rayon petit meuble n’a pas entraîné une réduction des gueltes versées aux vendeurs du rayon meuble,

– que la rémunération brute de l’appelant a progressé après l’année 2015,

– que cette rémunération n’a donc pas été modifiée, contrairement aux allégations de M. [W],

– que, dès lors, le salarié ne saurait valablement invoquer le manquement de l’employeur à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail,

– sur la prise en compte des ventes en ligne,

– que ces ventes donnent lieu à une prime spécifique sur le chiffre d’affaires réalisé en ligne, mise en place en 2013,

– qu’en outre, les salariés du rayon meuble bénéficient d’une prime sur les ventes réalisées à l’aide de la tablette sur les produits exclusivement disponibles en ligne,

– que les sommes réclamées par M. [W] à titre de rappel de la part variable de sa rémunération sont composées de la somme des gueltes calculées sur le chiffre d’affaires de l’intégralité du rayon meuble, en ce compris les ventes en ligne, et des gueltes calculées sur l’intégralité du chiffre d’affaires du rayon cuisine,

– que ce calcul est erroné, en ce qu’il prend deux fois en compte les ventes en ligne,

– que les demandes de rappel de salaires doivent donc être rejetées,

– sur l’interdiction d’embauche de nouveaux salariés,

– qu’il ne saurait lui être demandé de ne pas embaucher de nouveaux salariés, cette prérogative relevant de son pouvoir de gestion,

– sur l’avertissement,

– que les vendeurs du rayon meuble ont également pour mission de vendre les produits ressortissant à la catégorie ‘petit meuble’, et à la catégorie ‘literie’,

– que M. [W], comme plusieurs de ses collègues, a refusé, le 17 mars 2018, son affectation à la vente de literie,

– que cette insubordination justifiait une sanction,

– qu’au surplus, M. [W] a employé un ton inapproprié à l’égard de son supérieur hiérarchique,

– que le règlement intérieur de la société a été affiché dans le magasin,

– que les faits reprochés sont dénués de lien avec le mandat syndical de l’appelant,

– sur le harcèlement,

– que le salarié ne démontre pas l’existence d’agissements répétés de harcèlement moral,

– que la société a répondu aux demandes des salariés, et ne leur a pas imposé de signer les avenants aux contrats de travail modifiant la structure de leur rémunération,

– qu’en revanche, ceux-ci ont refusé de vendre le petit mobilier,

– que M. [W] n’a pas subi de pression,

– que le préjudice allégué n’est pas établi,

– qu’au contraire, le salarié a été déclaré apte à ses fonctions, sous réserve de l’absence de manutention lourde,

– que le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité n’est également pas caractérisé.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

Sur la demande de rappel de salaires

En premier lieu, M. [D] [W] réclame divers rappels de salaires, arguant que la part variable de sa rémunération a été calculée de façon erronée par son employeur.

Selon les avenants des 1er avril et 30 septembre 2006 à son contrat de travail (pièces c et d du salarié), la part variable de sa rémunération se compose des commissions suivantes :

‘- une guelte de 4,80 % sur la marge sortie de stock pour les produits meubles,

– une guelte de 4 % sur la marge sortie de stock pour les produits cuisine dont vous effectuerez la vente,

– une guelte de 5,30 % sur la marge sortie de stock pour l’encastrable EMRTV dont vous effectuerez la vente,

– une guelte de 6,00 % sur le chiffre d’affaires TTC des garanties effectuées’.

Les avenants ajoutent que ‘la répartition de la guelte se fera proportionnellement entre le nombre de vendeurs présents et au nombre d’heures travaillées sur la période d’incidence de présence de paie (dit pot commun)’.

M. [W] critique le calcul des commissions qui lui ont été versées à compter de l’année 2016, aux motifs, premièrement, que les marchandises vendues en ligne n’étaient pas incluses dans les sorties de stocks ouvrant droit à commission, deuxièmement, qu’à compter du mois de janvier 2016, l’employeur a pris en compte le chiffre d’affaires du petit mobilier dans l’assiette de calcul de la marge brute du rayon, troisièmement, qu’il a inclus les salariés intérimaires dans le calcul des commissions, alors même que ceux-ci n’en perçoivent pas, et ne sont pas affectés à un seul rayon, à compter du mois d’août 2016, quatrièmement, qu’il a augmenté le nombre de salariés affectés au rayon meubles, celui-ci étant passé de cinq au mois de janvier 2016, à dix au mois de janvier 2018.

Sur le premier moyen, l’avenant susvisé au contrat de travail ne prévoit pas d’exclure les produits vendus en ligne de l’assiette de calcul de la guelte. Au contraire, celle-ci étant calculée sur les sorties de stock, toute vente, quelle que soit sa forme, ouvre droit à commission. A cet égard, l’employeur ne peut valablement soutenir qu’une vente effectuée en ligne ne s’analyse pas en une sortie de stock. En outre, le fait qu’une prime spécifique ait été instituée le 25 juillet 2013 sur les ventes par internet ne saurait justifier que ces ventes soient retirées de l’assiette de calcul de la guelte contractuelle, en l’absence de stipulation en ce sens. Du tout, il suit que le premier moyen soulevé par le salarié doit être accueilli.

Sur le deuxième moyen, la réorganisation d’un service de vente relève du pouvoir de gestion et de direction de l’employeur. En revanche, cette réorganisation ne peut porter atteinte à une stipulation contractuelle. Ainsi, dès lors que l’assiette de calcul de la guelte litigieuse a été contractualisée, l’employeur ne pouvait intégrer à cette assiette la vente de produits qui n’y étaient pas compris antérieurement. Le deuxième moyen soulevé par le salarié doit donc également être accueilli.

Le troisième moyen doit en revanche être rejeté, dès lors que l’avenant au contrat stipule expressément que la répartition de la guelte se fera proportionnellement entre le nombre de vendeurs présents, sans exclusion de certains vendeurs en fonction de leur statut. L’employeur était donc fondé à prendre en compte les intérimaires dans le calcul de la commission due.

De même, le quatrième moyen doit également être rejeté, l’augmentation du nombre de salariés comme leur affectation relevant du pouvoir de gestion de l’employeur.

En conséquence, les moyens soulevés par M. [W] doivent être partiellement accueillis. Ses premier et deuxième moyens justifient à eux seuls le calcul qu’il avance des rappels de salaires qui lui sont dus. Par suite, la société Conforama doit être condamnée à lui verser les sommes suivantes :

– 4 880,60 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2016, outre 488,06 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 2 270,80 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2017, outre 227,08 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 2 047,37 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2018, outre 204,73 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 3 236,51 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2019, outre 323,65 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante.

En outre, la société Conforama doit être condamnée à remettre au salarié un bulletin de paye récapitulatif mentionnant ces rappels de commissions. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point, mais confirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’astreinte.

Sur l’obligation de loyauté de l’employeur

En deuxième lieu, M. [W] réclame la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail. Il affirme que l’employeur a méconnu son obligation de loyauté en lui imposant une modification unilatérale de son contrat de travail, relative au calcul de sa guelte. Toutefois, il ne démontre pas avoir subi de ce chef un préjudice indépendant de celui qui sera réparé par le versement des sommes susdites, correspondant aux commissions qui lui sont dues. Par suite, sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail doit être rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur l’avertissement du 30 juin 2018

En troisième lieu, M. [W] sollicite la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction injustifiée.

L’avertissement qu’il critique, en date du 30 juin 2018, est formulé comme suit :

‘Monsieur,

(…)

Le samedi 17 mars 2018, votre responsable a pris la décision de vous affecter pour la journée à la vente de la literie au sein du rayon meuble.

Lorsque ce dernier vous en a donné la consigne, vous lui avez répondu ‘si tu veux que je vende de la literie, il faudra me l’écrire et je te répondrai par écrit’.

Le chiffre d’affaire que vous avez réalisé ce jour-là indique que vous vous êtes concentré non pas sur la famille literie comme vous le demandait votre responsable, mais sur la famille siège/salon.

Compte tenu de votre refus d’obéir, le responsable du rayon meuble a dû demander à un autre vendeur de vous remplacer à la literie.’

En droit, l’article L 1333-2 du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. Le motif d’une sanction doit être suffisamment explicité pour permettre au salarié d’apporter une contradiction utile aux allégations de son employeur, et au juge de vérifier la réalité des manquements reprochés.

En outre, une sanction disciplinaire autre que le licenciement ne pouvait être prononcée, à la date des faits, contre un salarié par un employeur employant habituellement au moins vingt salariés que si elle était prévue par le règlement intérieur prescrit par l’article L’1311-2 du code du travail, dans sa version applicable avant le 1er janvier 2020, et si ce règlement intérieur était opposable au salarié.

En fait, M. [W] ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés, en ce qu’il admet, d’une part, qu’il lui avait été donné pour consigne de se consacrer exclusivement à la vente de literie, d’autre part, qu’il n’a pas respecté cette consigne. En revanche, il soutient que l’avertissement n’était pas une sanction prévue par le règlement intérieur. La société Conforama, qui emploie habituellement plus de vingt salariés, ne produit pas son règlement intérieur, et ne rapporte donc pas la preuve de son existence ou de sa régularité. En conséquence, l’avertissement du 30 juin 2018 doit être annulé. Le préjudice subi du fait de cette sanction par le salarié sera justement indemnisé par la somme de 200 euros. Le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef.

Sur le harcèlement moral

En quatrième lieu, M. [W] déclare avoir été victime de harcèlement moral, et sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef.

En droit, aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’. L’article L 1154-1 charge le salarié d’établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement. Il appartient alors au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Le cas échéant, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le juge forme alors sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En fait, M. [W] produit les pièces suivantes, à l’appui de ses allégations de harcèlement moral :

– un procès-verbal de réunion du comité d’entreprise du 28 avril 2018 (pièce 21), qui rend compte de discussions relatives au mode de calcul de la guelte des vendeurs du rayon meuble, et mentionne qu’un questionnaire portant sur le bien-être au travail doit être distribué aux salariés, consécutivement à une demande en ce sens du service de santé au travail,

– un procès-verbal du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 16 mai 2018 (pièce 24), qui fait également état d’une enquête relatif au bien-être des vendeurs du rayon meuble,

– les pièces relatives à la procédure de sanction dont il a fait l’objet le 30 juin 2018 (pièces e et f), ainsi que sa lettre de contestation de cet avertissement (pièce g),

– ses bulletins de salaire, dont il ressort que son contrat a été parfois suspendu pour maladie (pièces l et m),

– un procès-verbal de réunion du comité d’entreprise du 21 octobre 2016 (pièce 16), dans lequel, en sa qualité de délégué syndical, il a évoqué un ‘climat social houleux’, et plusieurs procès-verbaux de réunions du comité d’entreprise dans lesquelles il dénonce une dégradation de l’ambiance de travail, des remarques injustifiées, et des pressions (pièces 17 et 25),

– un courriel du service de santé au travail du 3 juillet 2017 (pièce 26), et la réponse de l’employeur du 11 septembre 2017 (pièce 7),

– un courrier de l’inspection du travail du 29 juin 2018 (pièce 27),

– la lettre par laquelle la société Conforama lui a demandé de fixer ses dates de congé (pièce n),

– une lettre du 24 avril 2017 dans laquelle il dénonce l’agressivité de son employeur (pièce h),

– trois attestations de salariés du rayon meubles, se plaignant de pressions subies en vue de leur faire accepter une modification de leur rémunération (pièces 28 à 30),

– un courrier du 16 septembre 2018 (pièce g), dans lequel il dénonce le harcèlement dont il estime faire l’objet,

– un avis du médecin du travail du 22 janvier 2018, qui recommande un suivi psychologique (pièce i).

Ces pièces démontrent que M. [W] s’est plaint d’une dégradation de ses conditions de travail, en lien avec son refus de la modification de son contrat de travail, s’agissant des commissions précédemment évoquées. Il est également établi que M. [W] a subi un avertissement injustifié, en l’absence de règlement intérieur. Enfin, trois autres salariés du rayon meubles se sont plaints de pressions subies en vue de leur faire accepter la modification de leur rémunération. En conséquence, les pièces produites prouvent la matérialité de faits précis, allégués par le salarié à l’appui de sa demande de dommages et intérêts.

En revanche, ces éléments, pris ensemble, ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement, en ce qu’ils n’ont pas pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Par suite, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral présentée par M. [W].

Sur l’obligation de sécurité de l’employeur

En cinquième lieu, l’appelant réclame la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité. A l’appui de cette demande, il affirme que la société Conforama a méconnu l’obligation de prévention du harcèlement moral qu’elle tire de l’article L 1152-4 du code du travail, et produit les mêmes pièces que celles qui sont versées au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral. Ces pièces ne prouvent l’existence d’un manquement de la société Conforama à son obligation de sécurité, ni un manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral. Le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu’il a rejeté ce chef de demande.

Sur les intérêts

Les sommes de nature salariale produiront intérêts au taux légal à compter du 5 février 2019, date de convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes valant mise en demeure au sens de l’article 1231-6 du code civil. La somme de nature indemnitaire produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, conformément à l’article 1231-7 du même code. En outre, la capitalisation des intérêts, judiciairement demandée par M. [W], sera ordonnée, par application de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les demandes accessoires

En sixième lieu, M. [W] sollicite la transmission par l’employeur des chiffres d’affaires détaillés des années 2020, 2021, 2022, et postérieurs, tant que le contrat de travail demeure en cours, sa condamnation à calculer les gueltes dues, en séparant les primes liées à la vente de meuble ou à la vente de meubles de cuisine, en intégrant au chiffre d’affaires du rayon meubles le chiffre d’affaires des ventes réalisées par les salariés de ce rayon, ainsi que le chiffre d’affaires réalisé au moyen de la vente en ligne de ces produits, et en prenant en compte l’interdiction d’embauche de nouveaux salariés sans nécessité pour l’attractivité économique du rayon. Ces demandes doivent être rejetées, la première portant sur les chiffres d’affaires détaillés de l’entreprise, qui n’intéressent pas sa situation, dès lors qu’ils excédent l’assiette de calcul de ses commissions, et la seconde ne reposant sur aucun fondement juridique. Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.

Sur les frais du procès

La société Conforama, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et de la procédure d’appel. Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de M. [D] [W] les frais irrépétibles exposés en la cause. La somme de 3 000 euros lui sera allouée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a :

– rejeté la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale par l’employeur du contrat de travail, présentée par M. [D] [W],

– rejeté sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– rejeté sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

– rejeté sa demande d’astreinte,

– rejeté sa demande de transmission des chiffres d’affaires détaillés des années 2020, 2021, 2022, et postérieurs, tant que le contrat de travail demeure en cours,

– rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’employeur à calculer les gueltes dues, en séparant les primes liées à la vente de meuble ou à la vente de meubles de cuisine, en intégrant au chiffre d’affaires du rayon meubles le chiffre d’affaires des ventes réalisées par les salariés de ce rayon, ainsi que le chiffre d’affaires réalisé au moyen de la vente en ligne de ces produits, et en prenant en compte l’interdiction d’embauche de nouveaux salariés sans nécessité pour l’attractivité économique du rayon,

Et, statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,

Condamne la société Conforama à verser à M. [D] [W] les sommes suivantes

– 4 880,60 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2016, outre 488,06 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 2 270,80 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2017, outre 227,08 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 2 047,37 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2018, outre 204,73 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 3 236,51 euros bruts à titre de rappel de sa part variable de rémunération de l’année 2019, outre 323,65 euros bruts au titre de l’indemnité de congés payés correspondante,

– 200 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction injustifiée,

Dit que les sommes de nature salariale produiront intérêts au taux légal à compter du 5 février 2019 et que les sommes de nature indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

Condamne la société Conforama aux dépens de première instance et de la procédure d’appel,

Condamne la société Conforama à verser à M. [D] [W] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an susdits.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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