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N° RG 21/04636 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I6KF
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 8 SEPTEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
2021005412
TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN du 03 Novembre 2021
APPELANTS :
Monsieur [B] [P]
[Adresse 1]
[Localité 4]
S.A.S.U. GROUPE SODIPRAL
[Adresse 2]
[Localité 3]
S.A.S. S.E.F. INVEST
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentés par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN et assistés par Me Franck GOMOND de la SELARL GOMOND AVOCATS D’AFFAIRES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Amélie DE COLNET, avocat au barreau de ROUEN, plaidant
INTIMEE :
S.A.S. SAFIA
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Lorenzo SANTANA, avocat au barreau de PARIS, plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 12 Avril 2022 sans opposition des avocats devant Madame FOUCHER-GROS, Présidente, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame FOUCHER-GROS, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Mme DEGUETTE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DEVELET, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 12 Avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 Juin 2022, prorogé au 23 juin 2022, prorogé au 8 septembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 8 septembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame FOUCHER-GROS, Présidente et par Mme DEVELET, Greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
La SAS Safia, spécialisée dans l’importation et le négoce des produits Halal et produits du monde vers la grande distribution a été créée par M. [S] [U]. Au travers de sa société holding MBC Invest, M. [U] est actionnaire majoritaire. Le reste du capital social, soit 49 %, est détenu depuis 2016 par M. [B] [P], au travers de sa société holding S.E.F Invest. M. [S] [U] est le Président de la SAS Safia. M. [B] [P] a été nommé, par l’assemblée générale du 11 juin 2016, Directeur Général de la société.
Le 26 novembre 2019, M. [B] [P] a adressé à la société un courrier de démission de son mandat social avant de revenir sur sa décision le 28 novembre 2019 ce qui a été accepté par les actionnaires de la société.
Le 18 mars 2021, M. [P] a fait constituer par sa holding SEF Invest, la société Groupe Sodipral, avec un objet social similaire à celui de la société Safia.
Le 30 avril 2021, M. [B] [P] a démissionné de son mandat social auprès de la société Safia.
Les tensions ayant précédé la démission de Monsieur [B] [P] et les conditions qui s’en sont suivies ont fait supposer par la SAS Safia l’existence de man’uvres déloyales alors que M. [P] était encore mandataire social et des man’uvres de concurrence déloyale postérieures à sa démission, soit directement, soit au travers de la SAS Groupe Sodipral détenue par la société S.E.F Invest.
Le 29 juin 2021, le Président du tribunal de commerce de Rouen a rendu, dans les termes suivants, une ordonnance sur requête de la SAS Safia autorisant une mesure d’instruction non contradictoire sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile :
-constatons que la SAS Safia justifie d’un motif légitime à solliciter une mesure d’instruction in futurum dans la perspective d’actions au fond à mener à l’égard de :
(i)M. [B] [P] (‘)
(ii)des sociétés SEF Invest (‘.) et Groupe Sodipral (‘.) pour des faits de déloyauté commis de manière directe ou indirecte par M. [B] [P] en sa qualité de mandataire social et après sa démission, ainsi que par un actionnaire de la SAS Safia, faits constitutifs, notamment, d’actes de concurrence déloyale et de désorganisation.
-constatons, au vu des justifications produites, que la SAS Safia est fondée à ne pas appeler M. [B] [P] et les sociétés SEF Invest et Groupe Sodipral à la mesure afin d’éviter un risque de déperdition des éléments probatoires et d’améliorer la qualité de l’exécution de la mesure, laquelle vise à appréhender des éléments de preuves relatifs :
(i)aux relations de M. [B] [P], alors qu’il était mandataire social de la SAS Safia, avec au moins un concurrent de la SAS Safia ;
(ii)aux conditions dans lesquelles il a conclu, pour la SAS Safia, la convention de partenariat de cette dernière avec le groupe Carrefour pour l’année 2021.
(iii)aux conditions dans lesquelles il a procédé à des achats auprès de la société Coexo avant sa démission, puis procédé au destockage des articles correspondants ;
(iv)à l’appréhension illicite d’informations stratégiques appartenant à la société Safia,
(v)au démarchage de la clientèle de la SAS Safia et à son présumé détournement ;
(vi)à la désorganisation de la SAS Safia soit directement soit indirectement au travers des sociétés SEF Invest et Groupe Sodipral,
(vii)à la continuation de ces man’uvres après la démission de M. [B] [P] de son mandat social de la SAS Safia, soit directement soit indirectement au travers des sociétés SEF Invest et Groupe Sodipral, tous éléments de preuve dont la disparition est particulièrement aisée compte tenu de la nature de leurs supports informatiques rendant volatiles les éléments concernés.
Le président du tribunal de commerce a commis la société Carole Duparc et Olivier Flament. Il a précisé dans la mission que par une mission distincte, sollicitée par requête séparée, il avait ordonné une mission sur l’ordinateur de M. [P].
La SCP Carole Duparc & Olivier Flament a accompli sa mission selon Procès-verbal du 12 juillet 2021.
Par acte du 9 août 2021 M. [B] [P], les sociétés S.E.F Invest, et Groupe Sodipral ont assigné la société Safia devant le Président du tribunal de commerce de Rouen, aux fins de voir rétracter l’ordonnance rendue sur requête le 29 juin 2021.
Par ordonnance du 3 novembre 2021 ( N° 2021-005412), le tribunal de commerce de Rouen a:
-confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance sur requête rendue le 29 juin 2021,
-débouté M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral de la totalité de leurs demandes,
-condamné M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral au paiement, chacun, à la société Safia d’une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral aux entiers dépens dont les frais de greffe liquidés à la somme de 74,64 euros.
La SASU Groupe Sodipral, la SAS SEF Invest et M. [P] ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 8 décembre 2021. L’affaire a été enregistrée sous le n° RG 21/4636.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2022.
EXPOSE DES PRETENTIONS :
Vu les conclusions du 22 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et arguments de la SASU Groupe Sodipral, la SAS SEF Invest et M. [P] qui demandent à la cour de :
-infirmer l’ordonnance du Président du tribunal de commerce de Rouen en l’ensemble de ses dispositions ;
-dire M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral recevables et bien fondés en l’ensemble de leur appel,
In limine litis,
-dire que la juridiction de céans est incompétente matériellement au profit du tribunal judiciaire,
-annuler l’ordonnance du 29 juin 2021, non signifiée à la société Groupe Sodipral,
Sur le fond,
-annuler ou rétracter l’ordonnance du 29 juin 2021 rendue à l’encontre de M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral,
En tout état de cause,
-en conséquence ordonner l’annulation de l’ordonnance sur requête du 29 juin 2021, ainsi que de toutes les mesures accomplies en exécution de celles-ci et notamment des constats et mesures opérés par l’étude d’huissier, la SCP Carole Duparc & Olivier Flament,
-ordonner la restitution de l’entier séquestre actuellement entre les mains de la SCP Carole Duparc & Olivier Flament, Huissier de Justice, à M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral constitué de l’ensemble des données, pièces, fichiers, courriels, documents recueillis, ainsi que les supports informatiques et toute éventuelle empreinte informatique qui aurait pu en être faite, sur simple présentation de la décision à intervenir,
-ordonner à la SCP Carole Duparc & Olivier Flament, Huissier de Justice, et le cas échéant aux hommes de l’art et/ou expert diligentés par l’huissier, la destruction des copies sur tout support, qui ont pu être réalisées à l’occasion des opérations et leur interdire toute communication à des tiers.
A titre subsidiaire, modifier l’ordonnance du 29 juin 2021 rendue à l’encontre de M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral pour la circonscrire aux seuls faits critiqués dans la requête,
-modifier le montant alloué à la société Safia sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
En tout hypothèse,
-débouter la société Safia de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-condamner la société Safia à régler M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral la somme de 5.000 euros à chacun d’entre eux sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-la condamner aux entiers dépens.
Vu les conclusions du 24 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et arguments de la SAS Safia qui demande à la cour de :
-recevoir M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral en leur appel mais les dire mal fondés,
En conséquence,
-confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 3 novembre 2021 par M. le président du tribunal de commerce de Rouen (RG : 2021 005412),
-débouter M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral de toutes leurs demandes,
-condamner M. [P], la société S.E.F Invest et la société Groupe Sodipral au paiement, chacun, d’une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la SAS Safia ainsi qu’en tous les dépens, dont distraction au profit de la SELARL Gray & Scolan, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
MOTIVATION DE LA DECISION :
Au préalable, en ‘déboutant M. [P], la société SEF Invest et la société Groupe Sodipral de la totalité de leurs demandes’ l’ordonnance entreprise a rejeté les exceptions d’incompétence et de nullité soulevées par M. [P], la société SEF Invest et la société Groupe Sodipral.
Sur la compétence du Président du tribunal de commerce de Rouen :
Monsieur [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral soutiennent que :
*le président du tribunal de commerce était incompétent dès lors que la requête ne visait pas M. [P] en qualité de dirigeant des sociétés SEF Invest et Groupe Sodipral mais en son nom personnel ;
*le président du tribunal de commerce était incompétent pour ordonner des mesures d’instruction dans un litige relatif à des actes de contrefaçon de marque.
La société Safia soutient que :
*la requête visait M. [P] en ses qualités de directeur-général passé de la société Safia ou de président des sociétés attraites à la procédure ; l’ordonnance du 29 juin 2021 a ordonné des mesures d’instruction dans la perspective d’actions au fond à l’encontre de M. [P] en sa qualité de mandataire social de la SAS Safia et des sociétés SEF Invest et Groupe Sodipral ;
*la requête ne visait pas des faits de contrefaçon de marque.
Réponse de la cour :
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
La juridiction compétente pour ordonner des mesures d’instruction avant procès est celle qui sera compétente pour connaître du fond du litige que la mesure d’instruction a pour but de préparer.
Aux termes de l’article L721-3 du code de commerce dans sa version applicable du 1er mars 2016 au 1er janvier 2022: « Les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes. »
La requête du 29 juin 2021 vise des faits de concurrence déloyale en considération desquels peut être mise en ‘uvre la responsabilité de M. [B] [P], en sa qualité de Directeur général de la SAS Safia jusqu’au 30 avril 2021,
-M. [B] [P], en sa qualité de Président et d’unique actionnaire de la société SEF Invest, elle-même actionnaire à 49% de la SAS Safia, depuis la constitution, le 18 mars 2021, de la SAS Groupe Sodipral,
-la société SEF Invest, actionnaire à 49% de la SAS Safia, depuis le 18 mars 2021,
-la SAS Groupe Sodipral, depuis le 18 mars 2021.
Etaient ainsi visées des sociétés commerciales et M. [P] en ses qualités de dirigeant de droit des sociétés Safia et SEF Invest, pour une action qui ressortit de la compétence du tribunal de commerce à raison de ses acteurs.
L’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence.
Sur le défaut de signification de la requête et de l’ordonnance du 29 juin 2021 à la société Groupe Sodipral :
Exposé des moyens :
M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral soutiennent que la société Sodipral n’a pas reçu de copie de la requête et de l’ordonnance du 29 juin 2021, elle n’en a eu connaissance que postérieurement à l’exécution des mesures d’instruction.
La SAS Safia répond que le moyen manque en fait, la copie ayant été remise à M. [P], es qualités.
Réponse de la cour :
Aux termes de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile : « Copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. »
La méconnaissance de cette formalité, qui ne relève pas de l’exécution de la mesure mais d’un préalable indispensable, n’entraîne pas la nullité de l’ordonnance sur requête mais doit entraîner sa rétractation. Ainsi, l’exception de nullité ne peut qu’être rejetée et l’ordonnance du 3 novembre 2021 sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance du 29 juin 2021.
Toutefois, M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral ajoutent qu’à tout le moins, l’ordonnance doit être rétractée.
La personne visée par l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile est celle qui supporte l’exécution de la mesure.
Le président du tribunal de commerce a rendu le même jour deux ordonnances à la requête de la société Safia. Ces deux ordonnances ont fait l’objet d’une demande de rétractation. Le président du tribunal de commerce a rendu deux ordonnances qui ont toutes les deux fait l’objet d’un appel plaidé le même jour devant la cour. La société Safia a remis un seul dossier avec deux pièces 44, correspondant, pour chacune des ordonnances aux procès verbaux des huissiers mandatés et aux modalités de remise d’une copie de la requête et de l’ordonnance.
L’ordonnance du 29 juin 2021 qui a fait l’objet d’une demande en rétractation enregistrée au tribunal de commerce sous le n° 2021 005412 a mandaté la SCP Carole Duparc & Olivier Flament avec mission de :
-se faire remettre par la SELARL Lainé et [F] une copie des données que M. [P] a fait extraire de l’ordinateur en sa possession afin de les analyser et les comparer avec l’ordinateur qui était alors en sa possession, en exécution d’une mission distincte sollicitée par voie de requête séparée.
-accèder par la SCP Duparc et Flament à la boîte mail ‘[Courriel 7]’ Afin d’y rechercher et prendre copie de tout éléments en relation avec des actes de concurrence déloyale.
Le procès-verbal de constat du 12 juillet 2021 de la SCP Carole Duparc & Olivier Flament dont il ressort qu’une de copie de la requête et de l’ordonnance a été remise à M. [P], en sa qualité de Président de la société Groupe Sodipral à 7h26, concerne une autre ordonnance, rendue le même jour, par le président du tribunal de commerce de Rouen autorisant la société Safia à faire procéder à des investigation au domicile de M. [P].
L’ordonnance du 29 juin 2021 qui a fait l’objet d’une demande en rétractation enregistrée sous le n° 2021 005412 n’a fait l’objet que d’une signification à l’étude de l’huissier instrumentaire, l’huissier précisant que la signification à personne s’est avérée impossible.
Mais dès lors que la société Sodipral n’est pas la personne qui supporte la mesure, l’ordonnance du 3 novembre 2021 n’encourt pas de rétractation du fait de l’absence de remise à cette société d’une copie de la requête et de l’ordonnance du 29 juin 2021.
Sur le défaut de motivation :
M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral soutiennent que le Président du tribunal de commerce de Rouen n’a pas motivé son ordonnance portant mesure d’instruction à l’encontre de M. [P] à titre personnel.
Réponse de la cour :
Ainsi qu’il a été exposé plus haut, c’est en sa qualité de mandataire social que la mesure d’instruction est dirigée à l’encontre de M. [P]. Il en résulte que le moyen manque en fait.
Sur le défaut de motif légitime :
M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral soutiennent que :
*M. [P] n’était pas tenu par une clause de non-concurrence et pouvait créer une société concurrente à la société Safia ;
*la société Safia se borne à affirmer que M. [P] aurait détourné une partie de sa clientèle mais ne démontre aucun acte de concurrence déloyale ;
*M. [P] a toujours des intérêts pécuniaires au sein de la société Safia dont il est associé ;
*il n’est pas démontré que la baisse du chiffre d’affaires est liée à un départ de clientèle ;
La société Safia répond que :
*le devoir de loyauté du dirigeant fait peser sur lui une obligation de non-concurrence de plein droit. Après sa démission, il doit s’abstenir d’acte déloyaux de concurrence ; pendant son mandat social, M. [P] a eu des contacts répétés avec M. [O], dirigeant de la société Coexo, fournisseur et concurrent de la société Safia, ces contacts ont été dissimulés ; M. [P] a procédé à la copie de la boîte Mail « [Courriel 7] » avant d’en demander sa désinstallation et a également accédé à celle de M. [U] ;
*l’actionnaire doit s’abstenir d’acte déloyaux de concurrence et informer la société de son activité concurrentielle ; c’est par l’effet d’actes déloyaux de la société SEF Invest, elle-même actionnaire de la société Safia que le Groupe Sodipral fournit désormais à Carrefour des produits précédemment commercialisés par Safia avec des gencodes lui appartenant, notamment les produits « Sauce Colona » et « Dattes de Biskra » ;
*si la concurrence est libre, tout acteur doit s’abstenir d’actes déloyaux de concurrence ;
*si elle dispose déjà d’un certain nombre d’éléments de nature à justifier de la réalité des griefs qu’elle invoque, la mesure permettra de connaître l’étendue exacte de son préjudice.
Réponse de la cour :
En ce qui concerne le bien-fondé de la décision rendue en application de l’article 145 du code de procédure civile, le juge de la rétractation doit apprécier l’existence d’un motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale. S’il peut être produit des éléments de preuves ultérieurs à cette requête, seuls les faits dénoncés dans la requête doivent être pris en considération.
La société Safia a fait état dans sa requête de faits constitutifs de concurrence déloyale, et a dénoncé les faits suivants :
-la désinstallation de la boîte mail « [Courriel 7] » et le refus de restitution de matériels informatiques :
-dépôt par M. [P] d’une marque dans les mêmes classes de produits que les marques de la SAS Safia ;
-falsification de factures, pour couvrir des dépenses personnelles, pour dissimuler des contacts avec un concurrent, pour dissimuler l’achat de matériels informatiques à des fins personnelles ;
-commandes injustifiées de produits auprès d’un concurrent ;
-destockage en conséquence du non-référencement de produits auprès du groupe Carrefour.
Elle a ajouté que les manoeuvres auxquelles M. [P] s’est livré alors qu’il était le dirigeant de la SAS Safia et son refus de restituer son ordinateur professionnel font subodorer la mise en oeuvre de nouvelles manoeuvres de concurrence déloyale par la SAS Groupe Sodipral et la SEF Invest qui l’a constituée.
La falsification alléguée d’une facture aux fins d’impression d’un album de photos de famille est sans rapport avec les faits allégués. Par ailleurs, la société Safia avait connaissance du matériel informatique acquis et utilisé par M. [P] puisqu’elle en a demandé et obtenu la restitution. Les faits de falsification ainsi dénoncés ne peuvent être retenus au soutien d’une demande d’instruction in futurum.
Par ailleurs, M. [P] n’avait pas encore démissionné de son mandat social, lorsqu’il a fait constituer par sa holding une société concurrente et a fait déposer une marque dans les mêmes classes de produits que celles vendues par la société Safia. Ces éléments étant déjà en possession de la société Safia, ils ne justifient pas à eux seuls une mesure d’instruction in futurum. En revanche, ils contribuent à démontrer une suspicion légitime de l’emploi de procédés déloyaux, tant par M. [P] que par les sociétés SEF invest et Sodipral.
Sur les relations dissimulées de M [P] avec un concurrent :
La société Safia exploite plusieurs marques dont elle est propriétaire, parmi lesquelles ‘Les jardins des Zibans’, et ceci depuis 2015. Son principal client est le groupe Carrefour. Sous la marque ‘Les jardins des Zibans’, elle commercialise des ‘Dattes de Biskra’, produites par la société algérienne Agrodat.
La société Coexo, dirigée par la société Maison [O], elle même gérée par M. [O] était durant le mandat de M. [P] un fournisseur de la société Safia. Elle a pour activité principale le négoce de tous produits alimentaires, ce qui en faisait également un concurrent. Le 1er octobre 2021, la société Coexo a informé la société Safia de la fin de leurs relations commerciales à l’issue d’un préavis de trois mois. La société Coexo a expliqué son choix par son rapprochement avec la société Haudecoeur.
Après la démission de M. [P], la société Safia a découvert que :
M. [P] avait rencontré M. [O] et avait fait supporter par la société Safia le coût du séjour de ce dernier à l’hôtel Mercure de Rouen dans la nuit du 25 au 26 août 2020. M. [P] a ensuite, aux frais de la société Safia, loué pour lui-même et M. [O], une nuit d’hôtel le 27 août à l’hôtel Holding Andi à proximité de [Localité 8]. Se trouve à [Localité 8], un hypermarché dirigé par M. [X], frère de M. [P].
Monsieur [X] a rédigé une attestation produite par Monsieur [P]. Il y écrit avoir rencontré celui-ci avec M. [U] le 29 janvier 2020, puis le 27 août 2020, avoir rencontré M. [P] et ne fait aucune mention de M. [U]. M.[P] justifie également que la nuit a été annulée à l’hôtel Holding Andi, mais trop tardivement.
Même si les deux sociétés ont continué à entretenir des relations de partenariat jusqu’en octobre 2021 et que la nuit d’hôtel a finalement été annulée, Monsieur [P] ne justifie pas de la nécessité de rencontrer un fournisseur à [Localité 8], et c’est sans en justifier qu’il affirme que M. [U] était avisé de ces rendez-vous avec M. [O]. Par ailleurs, il ressort des pièces produites par les deux parties qu’en 2021, la société Carrefour n’a pas commercialisé le produit ‘Dattes de Biskra’ proposé par la société Safia mais a commercialisé ce produit proposé par la société Coexo.
Ces faits justifient que des investigations supplémentaires soient ordonnées aux fins de vérification de la loyauté envers la société Safia des procédés de M. [P]
Sur les commandes injustifiées auprès d’un concurrent:
Au cours de l’exercice 2020 six produits acquis auprès de la société Coexo n’avaient été vendus qu’à hauteur d’un peu plus de la moitié de la commande et se trouvaient encore en stock à hauteur de 40 444,20 €. L’un de ces produits ( mix brioche) acheté à hauteur de 1512 € n’avait fait l’objet d’aucune vente. Au début de l’année 2021, M. [P] a commandé auprès de la société Coexo ces mêmes produits pour un montant total de 142 731,24 € dont celui ‘mix brioche’ pour 10 407,60 €.
Monsieur [P] conteste une intention malveillante pour les produits restés en stock mais ces commandes, dans les jours précédant sa démission et alors qu’il faisait constituer une société concurrente, de produits qui s’étaient mal vendus durant l’exercice précédent rendent légitimes la suspicion de procédés déloyaux et la demande d’une mesure d’instruction aux fins de vérifier les échanges de M. [P] avec les fournisseurs de la société Safia.
Sur le destockage en conséquence du non-référencement de produits auprès du groupe Carrefour:
A la fin du mois de mai 2021, le chiffre d’affaires réalisé auprès du groupe Carrefour avait diminué de 27,25 % par rapport à celui obtenu pour les cinq premiers mois de l’exercice précédent.
Il ressort de la comparaison des conventions conclues avec le groupe Carrefour pour les deux exercices que la convention réalisée par M. [P] en 2021 pour la société Safia ne comprend que 32 références de produits au lieu de 90 l’année précédente.
Monsieur [P], pour répondre à ce moyen, a demandé à la société Carrefour de confirmer que la différence du nombre de références Safia entre 2020 et 2021 n’est pas de son fait. La société Carrefour lui a répondu, par la voix de Mme [V], négociatrice en produits du monde ‘(…) je vous confirme que seul CARREFOUR ou le distributeur concerné est maître des assortiments, et de la fixation de ses prix.
En aucun cas un fournisseur n’a un pouvoir de décision sur ce qui se passe au sein de nos magasins et de nos outils (…)’.
Monsieur [P] produit un historique réalisé par ses soins dont il ressort qu’à la fin de l’année 2021, ce sont 52 références de la société Safia qui étaient distribuées par le groupe Carrefour. Cette pièce entièrement réalisée par M. [P] n’est pas suffisante à écarter la possibilité, en amont de la convention, d’actes déloyaux de concurrence de nature à influer sur la décision du groupe Carrefour. Il produit par ailleurs quatre références supplémentaires livrées en avril 2021 à la société Carrefour par la société Safia, mais dont la commande avait été passée à la fin de l’année 2020. Ainsi, ces quatre références ne sont pas suffisantes pour écarter la légitimité de la suspicion, et la nécessité d’investigations supplémentaires.
Sur les documents informatiques et le téléphone:
Le 19 mai 2021, M. [P] a été mis en demeure de restituer le téléphone portable mis à sa disposition. Il soutient, sans en apporter la preuve, que ce téléphone a été restitué, la ligne téléphonique lui étant personnelle.
Le 29 avril 2021, veille du jour de sa démission, M. [P] a demandé à ce que son adresse mail « [Courriel 7] » soit désinstallée. Il produit le mail de ‘[Z] [K]’ qui confirme cette demande et la désinstallation. Il produit aux débats des courriels qui ont transité par cette adresse, ce qui démontre qu’il a effectué des copies, au moins partielles de son contenu. Le contenu de ces copies est indifférent au présent litige dès lors que, en procédant à la désinstallation de son adresse mail, il a privé la société Safia de l’historique de ses échanges avec les clients et fournisseurs.
Par ailleurs, M.[P] a été mis en demeure le 19 mai 2021 de restituer un ordinateur portable Dell, une souris et une Webcam. Il a attendu le 7 août 2021 pour procéder à cette restitution, après en avoir le 27 mai précédent, fait extraire et conserver les données par Me [F], huissier de justice .
Ce délai d’un mois entre la demande de restitution et l’extraction et la conservation des données par un huissier, et celui de trois mois entre le départ de M. [P] et la restitution de l’outil susceptible de donner des informations sur les opérations réalisées par lui avant le 30 avril 2021 ne font que renforcer la suspicion de procédés déloyaux de concurrence, tant par M. [P] que par les sociétés SEF Invest et Groupe Sodipral, constituée pour exercer une activité similaire à celle de Safia.
Sur la suspicion à l’égard des sociétés SEF Invest et Sodipral:
La société Safia verse aux débats un courriel que lui a adressé le 4 octobre 2021 la société Carrefour. Le client l’informe d’un salon au Bourget du 18 au 22 octobre 2021 et lui demande par pièce jointe, un certain nombre de produits avec les gencodes de la société Safia. Ce courriel a été envoyé en copie à M. [P] à son adresse mail ‘groupe-sodipral.com’ et le tableau qui y est joint est intitulé ‘[Localité 6]-SODIPRAL’.
Si ce courriel était bien adressé à la société Safia et que c’est par erreur qu’il porte M. [P] en copie, il atteste pour le moins d’une confusion de la part de la société Carrefour entre les sociétés Sodipral et Safia, ce qui rend légitime une mesure d’investigation supplémentaire de nature à mettre en lumière d’éventuelles actions malveillantes à l’origine de cette confusion.
La société Safia justifie par les éléments rapportés ci-dessus, de l’existence d’une action potentielle en concurrence déloyale et de ce qu’elle a besoin à ce titre, d’éléments de preuve qui lui font défaut.
Sur l’utilité de la mesure d’instruction:
Monsieur [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral soutiennent que :
*la pièce n°69 à partir de laquelle la société Safia prétend établir des actes de concurrence déloyale a été obtenue par des procédés illicites ;
*la désinstallation de la boîte aux lettres électronique ‘[Courriel 7]’ n’empêche pas la société Safia d’y accèder ;
*aucune donnée essentielle à la société Safia ne figure dans l’ordinateur portable Dell dont le contenu est conservé par la SELARL Lainé et [F].
La société Safia répond que:
*elle n’avait pas accès aux informations contenues sur l’ordinateur conservé par M. [P];
*la force probante des informations recueillies sur la boîte ‘[Courriel 7]’ en dehors d’une mesure autorisée par décision de justice et conservées sous séquestre aurait été remise en cause.
Réponse de la cour:
Les développements des parties appelantes sur la pièce versée aux débats de première instance par la société Safia sous le n°69 sont inopérants dès lors que cette pièce a été écartée par le premier juge et qu’elle n’est pas produite en cause d’appel.
Ainsi qu’il a été exposé plus haut, les mesures d’instruction ordonnées consistent à :
-faire remettre par la SELARL Lainé et [F] une copie des données que M. [P] a fait extraire de l’ordinateur en sa possession afin de les analyser et les comparer avec l’ordinateur qui était alors en sa possession, en exécution d’une mission distincte sollicitée par voie de requête séparée.
-faire accèder par la SCP Duparc et Flament à la boîte mail ‘[Courriel 7]’ afin d’y rechercher et prendre copie de tout élément en relation avec des actes de concurrence déloyale.
En premier lieu la remise des données conservées par la SELARL Lainé et [F] présentait une utilité au regard du risque de modification, après le 27 mai 2021, du contenu de l’ordinateur qui n’a été restitué que le 7 août 2021.
En second lieu, la société Safia pouvait, de son propre chef accéder à la boîte mail de son ancien mandataire social. Mais dès lors que cette boîte lui était personnelle, seule une autorisation du juge était de nature à prévenir le risque d’une contestation de la valeur probatoire des éléments recueillis, sur le fondement de la déloyauté du mode d’obtention des preuves.
Par voie de conséquence, l’ordonnance du 29 juin 2021 n’encourt pas la rétractation sur ce fondement.
Sur la nécessité de déroger au principe du contradictoire :
M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral soutiennent que :
*ni la requête ni l’ordonnance ne reprennent de motivation factuelle, il est simplement affirmé qu’il existe un risque de dépérissement des preuves ;
*le risque de dépérissement des preuves n’existe pas ;
La société Safia répond que la mesure d’instruction porte sur des documents informatiques que M. [P] aurait détruits s’il avait eu connaissance de la mesure sollicitée. De plus, une autre mesure avait été demandée au domicile de M [P], et en particulier sur l’ordinateur qu’il utilisait, propriété de la société Safia,
Réponse de la cour :
En premier lieu, c’est avec pertinence que la requête rappelle que la mesure d’instruction in futurum n’est pas limitée à la conservation des preuves mais peut tendre aussi à leur établissement.
Contrairement à ce qu’il est soutenu par la partie appelante, l’ordonnance précise que c’est en raison de la volatilité du support informatique des preuves recherchées qu’il est nécessaire de procéder de façon non contradictoire à la mesure d’instruction, afin d’éviter la déperdition des éléments probatoires.
La conservation chez un huissier de justice du contenu de l’ordinateur restitué par M. [P] n’est pas de nature à éviter ce déperissement dès lors que M. [P] avait toute possibilité de demander à la SELARL Lainé et [F] la restitution des informations qui leur avait confiées.
Par ailleurs, M. [P] s’étant opposé à restituer son ordinateur professionnel, la société Safia pouvait légitimement craindre que,dans l’hypothèse d’une mesure contradictoire, il tente d’accèder à nouveau à sa boîte mail professionnelle, même s’il l’avait fait désactiver.
Ainsi, eu égard au caractère volatile des preuves numériques la dérogation au principe du contradictoire est justifiée.
Sur le caractère proportionné des mesures d’instruction sollicitées :
M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral soutiennent que la société Safia a sollicité une mesure générale d’investigation qui porte atteinte au secret des affaires.
La société Safia répond que la mesure d’instruction est limitée quant à la période concernée et quant aux documents, échanges, contacts ou relations par l’usage de mots clés.
Réponse de la cour :
La rédaction de la mission d’investigation a pour effet, par l’emploi de l’adverbe ‘notamment’, que tous les documents auxquels la SCP Duparc et Flament doit accèder et prendre une copie ne sont pas limités à la période du 1er janvier 2020 au 30 avril 2021, et les mots clés comprennent des noms de sociétés qui ne sont pas visés dans la requête.
Mais dès lors qu’elle est circonscrite au contenu de l’ordinateur et de la boîte mail professionnels de M. [P] et ceci en relation avec les faits de concurrence déloyale visés dans la requête, la mission est circonscrite dans son objet et dans le temps. Elle ne constitue pas en conséquence une mesure générale d’investigation.
Compte tenu de la légitimité du motif invoqué par la société Safia ( suspicion de concurrence déloyale) , et de leur nécessité pour la protection de ses droits, elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au secret des affaires au regard de l’objectif poursuivi.
L’ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire ;
Confirme l’ordonnance sur requête rendue le 3 novembre 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral aux entiers dépens d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Condamne M. [P], la SAS SEF Invest et la SAS Groupe Sodipral à payer, chacun à la société Safia, la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles en cause d’appel.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE