Cobranding / Association de marques : 22 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/15104

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Cobranding / Association de marques : 22 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/15104
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 22 FEVRIER 2023

(n° 41 , 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/15104 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGJ76

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juin 2019 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2016071546

APPELANTE

SOCIETE SCHICK LIVING agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

Société de droit suisse

immatriculée au RCS de CANTON de VAUD sous le numéro 300 457 051

[Adresse 4]

[Localité 1] (SUISSE)

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, avocat postulant

Assistée de Me David LAURAND, de la SELARL CINETIC AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque 1041, avocat plaidant

INTIMEE

S.A.S. DESCAMPS agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 468 500 541

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant

Assistée de Me Anaïs COVIAUX de la SCP AUGUST DEBOUZY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre,

Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère

Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [U] [Z] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat du 22 octobre 2014, la SAS Descamps, spécialisée dans la commercialisation de linge de maison haut de gamme, a confié à la société de droit suisse Schick Living, qui offre en vente notamment des articles de maison, la distribution à titre exclusif, sur le territoire suisse pour une durée de 5 ans, de ses produits sous ses marques (« Descamps », « Jalla », « Jardin Secret » et « Santens » dont elle est titulaire, et « Tommy Hilfiger » dont elle est licenciée).

Invoquant des difficultés d’exécution survenues en 2015, la société Schick Living a, par courrier du 4 avril 2016, proposé à la SAS Descamps la conclusion d’un avenant au contrat de distribution comportant la « cession » de sa « relation commerciale » avec la société cliente Manor et, à défaut, la résiliation du contrat moyennant le paiement d’une indemnité de 825 000 francs suisses.

A l’issue d’une phase de négociation, la SAS Descamps a proposé le 27 juin 2016 la poursuite du contrat et, à défaut, sa résiliation avec une indemnité de rupture réduite à 500 000 francs suisses.

Insatisfaite, la société Schick Living a, par courrier de son conseil du 12 juillet 2016, notifié à la SAS Descamps la rupture du contrat de distribution à ses torts exclusifs en invoquant la violation, caractérisée par le rapprochement à son insu avec la société Manor, de l’obligation d’exclusivité qu’il stipulait et le climat de défiance qu’elle générait. La SAS Descamps prenait acte de cette rupture par courrier du 5 août 2016.

Par acte d’huissier signifié le 23 novembre 2016, la société Schick Living a assigné la SAS Descamps devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation des préjudices nés de la rupture du contrat de distribution.

Par jugement du 19 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris a, avec exécution provisoire sur l’ensemble de ses dispositions :

dit que la résiliation unilatérale et anticipée du contrat de distribution du 22 octobre 2014 par la société Schick Living le 12 juillet 2016 était fautive et injustifiée ;

débouté la société Schick Living de sa demande de paiement de la somme de 2 451 774 euros au titre du préjudice financier ;

débouté la société Schick Living de sa demande de paiement de la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral ;

débouté la SAS Descamps de sa demande de paiement :

à titre principal, de la somme de 2 381 425 euros correspondant au bénéfice espéré dont elle a été privée du fait de la résiliation anticipée par la société Schick Living du contrat de distribution à durée déterminée, sur la base des minima garantis prévu par le contrat jusqu’au 31 décembre 2019 ;

à titre subsidiaire, de la somme de 948 311,13 euros correspondant à une perte de chance de percevoir un bénéfice annuel équivalent à celui réalisé en 2015 et ce jusqu’au terme prévu par le contrat, soit jusqu’au 31 décembre 2019 ;

débouté la SAS Descamps de sa demande de paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des manquements contractuels répétés de la société Schick Living à ses obligations contractuelles ;

débouté la SAS Descamps de sa demande de paiement de la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du comportement déloyal de la société Schick Living postérieur à la résiliation du contrat ;

condamné la société Schick Living à payer à la SAS Descamps la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraire ;

condamné la société Schick Living aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 145,82 euros.

Par déclaration reçue au greffe le 3 octobre 2019, la société Schick Living a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 13 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a radié l’affaire du rôle faute d’exécution de la décision frappée d’appel et revêtue de l’exécution provisoire. Celle-ci était néanmoins réinscrite sur justification par la société Schick Living de l’exécution du jugement par courrier du 28 juin 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 novembre 2022, la société Schick Living, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 (ancien) du code civil, L 442-6 I 2° du code de commerce et 700 du code de procédure civile, de :

réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de condamnations indemnitaires dirigées à l’encontre de la société Schick Living à l’exception de l’article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau :

juger que la SAS Descamps a manqué à ses obligations contractuelles et à son devoir de loyauté et de bonne foi dans l’exécution du contrat de distribution en date du 21 octobre 2014 avec la société Schick Living ;

juger que les manquements de la SAS Descamps constituent une faute justifiant la résiliation du contrat de distribution du 21 octobre 2014 aux torts exclusifs de la SAS Descamps ;

juger que cette rupture a causé un préjudice grave à la société Schick Living qui doit en être indemnisée ;

en conséquence :

condamner la SAS Descamps à payer à la société Schick Living les sommes suivantes en réparation du préjudice subi consécutivement à la rupture du contrat de distribution du 21 octobre 2014 aux torts exclusifs de la SAS Descamps :

* préjudice financier : 2 635 000 CHF (2 451 774 €) décomposé comme suit :

perte investissement financier : 535 000 CHF

(497 577 €) ;

perte consécutive à la non-livraison en période de soldes : 200 000 CHF (186 009 €) ;

perte de gains futurs sur les 3 années du contrat restant à courir : 1 800 000 CHF (1 673 684 €) ;

perte de chance de conclure de nouveaux marchés : 100 000 CHF (93 014 €)

* préjudice moral : 100 000 CHF (93 143 €) ;

débouter la SAS Descamps de l’intégralité de ses demandes ;

condamner la SAS Descamps à la somme de 40 000 euros au titre de

l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

En réplique, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 26 mai 2020, la SAS Descamps demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1315 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 :

de confirmer le jugement rendu le 19 juin 2019 en ses dispositions déboutant la société Schick Living de l’ensemble de ses demandes et la condamnant au visa de l’article 700 du Code de procédure civile ;

d’infirmer le jugement rendu le 19 juin 2019 en ses dispositions déboutant la SAS Descamps de ses demandes reconventionnelles autres que celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau, de :

juger qu’outre la faute commise au titre de la résiliation unilatérale et anticipée du contrat de distribution, la société Schick Living a commis de nombreux manquements à ses obligations pendant l’exécution du contrat ;

juger que la société Schick Living s’est comportée de manière déloyale à l’issue de la résiliation du contrat en continuant à se faire passer pour le distributeur de la SAS Descamps auprès de tiers ;

condamner la société Schick Living à verser à la SAS Descamps un montant de 2 519 002,75 euros correspondant au bénéfice espéré dont elle a été privée du fait de la résiliation anticipée par la société Schick Living du contrat de distribution à durée déterminée, sur la base des minimums garantis prévus par le contrat jusqu’au 31 décembre 2019 ;

à titre subsidiaire, condamner la société Schick Living à verser à la SAS Descamps la somme de 948 311,13 euros correspondant à une perte de chance de percevoir un bénéfice annuel équivalent à celui réalisé en 2015 et ce jusqu’au terme prévu par le contrat, soit jusqu’au 31 décembre 2019 ;

en tout état de cause, de :

condamner la société Schick Living à verser à la SAS Descamps un montant de 50 000 euros en réparation du préjudice, notamment moral, subi du fait des manquements contractuels répétés de la société Schick Living à ses obligations contractuelles ;

condamner la société Schick Living à verser à la SAS Descamps la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du comportement déloyal de la société Schick Living postérieur à la résiliation du contrat ;

condamner la société Schick Living à verser la somme de 50 000 euros à la SAS Descamps en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Schick Living aux entiers dépens.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 janvier 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L’ARRET

1°) Sur l’appel principal : la résiliation unilatérale du contrat de distribution

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la société Schick Living, qui souligne sa bonne foi et l’exécution régulière de ses propres obligations, expose que la SAS Descamps a violé :

l’obligation d’approvisionnement stipulée à l’article 14d du contrat de distribution en tardant, en dépit de ses relances, à la livrer (commandes de bases AH-15 PE-16 TH ainsi que pour les soldes d’été et d’hiver) alors que le délai de deux mois de ses commandes était, comme les quantités concernées, raisonnable. Elle précise à ce titre que les clauses autorisant la SAS Descamps à refuser les commandes prises en considération de la disponibilité des produits et des conditions tarifaires sont « particulièrement déséquilibrées » et n’ont pas été mises en ‘uvre de bonne foi au regard de la répétition des dysfonctionnements dénoncés. Elle ajoute que les retards d’approvisionnement ne se limitaient pas aux périodes de soldes ;

l’exclusivité stipulée à l’article 2 du contrat en prenant attache, directement et à son insu, le 26 avril 2016 avec la société Manor, qu’elle avait personnellement démarchée, pour lui proposer un partenariat couvrant les marques visées dans le contrat de distribution et le territoire suisse. Elle précise que l’absence de contrat conclu avec la société Manor ou le contexte de discussions évoquant une rupture conventionnelle du contrat de distribution n’ôte pas au comportement de la SAS Descamps sa déloyauté.

Elle explique que chacune de ces fautes, reconnues par la SAS Descamps, est suffisamment grave pour fonder la résiliation unilatérale du contrat de distribution et engager sa responsabilité contractuelle, et que leur combinaison traduit la mauvaise foi de la SAS Descamps qui cherchait à pénétrer le marché suisse en s’épargnant le coût de la prospection et du démarchage qu’elle a pour sa part supporté tout en multipliant des griefs artificiels pour la conduire à rompre le contrat moyennant la perception d’une indemnité dérisoire.

En réplique, la SAS Descamps conteste les fautes qui lui sont imputées et leur reconnaissance alléguée en précisant que :

l’article 4d du contrat stipule à son profit une faculté de refus des commandes en considération de la disponibilité des produits et, selon l’article 9, des conditions tarifaires envisagées. Elle explique que le déséquilibre allégué n’est pas motivé et que les retards opposés ne concernaient que des offres promotionnelles en période de soldes, périodes durant lesquelles la disponibilité des produits est usuellement réduite ;

la clause d’exclusivité doit s’interpréter strictement comme ne lui interdisant pas de livrer directement à la clientèle, ce qu’elle souligne ne pas avoir fait. Elle indique à ce titre que la société Schick Living ne prouve aucune démarche active de sa part pour solliciter la société Manor et lui proposer la distribution des marques visées au contrat et que les négociations entreprises avec cette dernière étaient justifiées au regard de la dégradation des relations contractuelles imputables à la société Schick Living qui, d’une part, souhaitait rompre le contrat et, d’autre part, persistait à vouloir distribuer les produits au sein du réseau Coop City en dépit de son opposition et de celle de la société Manor, insistance fautive fondant une exception d’inexécution.

Exposant avoir exécuté loyalement et de bonne foi le contrat, elle en déduit que la résiliation unilatérale était fautive, les fautes alléguées n’étant quoi qu’il en soit pas suffisamment graves pour la fonder.

Réponse de la cour

Le contrat de distribution litigieux ayant été conclu le 22 octobre 2014, les textes applicables sont ceux antérieurs à l’ordonnance n° 20 16-131 du 10 février 2016 conformément à son article 9. L’article 1226 du code civil ne régit ainsi pas le litige, ce que les parties admettent.

Pour autant, en application de l’article 1184 du code civil dans sa version applicable au litige, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Et, conformément à l’article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige, Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Enfin, en vertu de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Bien qu’elle évoque l’article 20 du contrat de distribution, la société Schick Living, qui n’en détaille pas les conditions d’application et fonde la résiliation sur la seule faute grave de son cocontractant sans égard pour les conditions de forme stipulées a entendu faire application exclusive du principe, dérogeant à l’article 1184 et désormais consacré à l’article 1226 du code civil mais acquis antérieurement en droit positif et régulièrement rappelé par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com., 1er octobre 2013, n° 12-20.830, et 6 décembre 2016, n° 15-12981, le principe découlant de l’arrêt de la 1ère chambre civile du 13 octobre 1998, n° 96-21485), selon lequel la gravité du comportement d’une partie à un contrat à durée indéterminée ou déterminée peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important les modalités formelles de résiliation contractuelle (en ce sens, sur ce dernier point, 3ème Civ., 8 février 2018, n° 16-24.641). L’appréciation du bienfondé de la résiliation suppose ainsi celle de la gravité des manquements allégués qui est caractérisée intrinsèquement, au regard de la nature des obligations violées et de leur importance objective dans l’équilibre contractuel, et extrinsèquement, en considération du comportement du cocontractant et de l’atteinte subjective à l’exigence de bonne foi et de loyauté contractuelles, le manquement devant nécessairement rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle et l’urgence n’étant qu’un critère pertinent parmi d’autres.

Sur la réalité des fautes imputées à la SAS Descamps

Contrairement à ce que soutient la société Schick Living, le simple fait que la SAS Descamps ait proposé, dans le cadre de la négociation amiable initiée par la première le 4 avril 2016, une indemnité de rupture du contrat de distribution le 28 juin 2016 (pièces 3 et 10 de l’appelante) ne caractérise pas sa reconnaissance, au sens de l’article 1354 du code civil (devenu 1383), des fautes qui lui sont imputées. En effet, outre le fait que l’offre d’indemnisation dans un cadre amiable peut être fondée sur la seule volonté de pacifier une rupture s’annonçant conflictuelle et de s’épargner les désagréments d’une procédure susceptible de nuire à son image sans égard pour la réalité des manquements dénoncés, la reconnaissance ne peut porter sur la gravité du manquement, qualification et non fait juridique. En outre, la SAS Descamps a prioritairement exprimé son désir de poursuivre la relation contractuelle en estimant les « débats » sur les griefs « hors de propos dans un contexte amiable ». Cette position rendrait équivoque la reconnaissance, à la supposer établie. Il en est de même de l’absence de contestation des manquements dans le courrier du 5 août 2016 prenant acte de la rupture (pièces 11 et 12 de l’appelante) mais pour l’essentiel destiné à dénoncer la poursuite des interventions de la société Schick Living auprès de la société Manor.

C’est ainsi à raison que le tribunal de commerce a écarté ce moyen.

Sur la violation de l’obligation d’approvisionnement

Aux termes de l’article 14d du contrat de distribution du 22 octobre 2014, la SAS Descamps s’engageait à « approvisionner [la société Schick Living] en Produits, dans la mesure où les quantités commandées par [la société Schick Living] et la fréquence des commandes [étaient] raisonnables ».

Par ailleurs, en application de l’article 4g du contrat, « les commandes seront acceptées en fonction de la disponibilité des Produits et ne lieront [la SAS Descamps] qu’en ce qui concerne la nature, la quantité et le prix des Produits commandés ».

Bien qu’elle souligne le caractère « particulièrement déséquilibré » de cette clause, la société Schick Living, qui n’étaye ni en droit ni en fait son assertion, ne motive ni moyen ni prétention sur le fondement de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable qu’elle vise pourtant dans son dispositif et n’en tire aucune conséquence juridique sur la validité de la stipulation dont seule l’exécution, estimée déloyale, est critiquée. La cour constate par ailleurs que le moyen tiré de la potestativité de l’obligation soulevé devant le tribunal de commerce (page 9 du jugement) n’est pas développé dans ses dernières écritures saisissant la cour au sens de l’article 954 du code de procédure civile.

La société Schick Living invoque d’abord des retards de livraison dans le cadre d’offres promotionnelles en périodes de soldes ainsi que le confirment les courriels :

du 13 octobre 2015 (pièce 2-6 de l’appelante à laquelle fait écho son message du 2 mars 2016 en pièce 2-5) qui, tout en soulignant le dépassement des objectifs stipulés, regrette l’annonce en octobre 2015 de l’indisponibilité des produits pour les soldes qui « représentent 50 à 60 % des résultats annuels » ;

du 17 février 2016 (pièce 2-1 de l’appelante) qui évoque, comme celui du 25 février 2016 (pièce 2-7 de l’appelant) une demande d’offre faite un mois plus tôt qui correspond, à la lecture des courriels des 10 février et 8 et 11 mars 2016 (pièces 2-1 à 2-3 de l’appelante qui vise en outre une commande de produits Tommy PE-16 distincte), à une « demande de solde du 12.01.2016 ». A ce titre, si la réponse du 17 février 2016 de la SAS Descamps (pièce 2-4 de l’appelante) confirme la matérialité du défaut de livraison, elle n’induit en revanche aucune « reconnaissance de responsabilité », cette dernière soulignant ses difficultés à assurer la disponibilité des produits.

Ces éléments établissent trois approvisionnements inexistants ou tardifs en 2015 et en 2016 dans le cadre d’opérations promotionnelles en périodes de soldes. Or, ainsi que l’a justement relevé le tribunal de commerce (page 9 du jugement), la disponibilité des produits est couramment réduite en de telles périodes, constat qui justifie, sur le fondement de l’article 4g, l’inexécution de l’obligation stipulée à l’article 14d dont il constitue le cadre d’application et auquel il fixe une limite objectivement fondée, la société Schick Living ne prétendant à cet égard pas que des produits disponibles ne lui aient pas été livrés. Par ailleurs, ainsi que le soutient la SAS Descamps, l’éventualité d’une insuffisance des produits était prévisible au regard de leur positionnement haut de gamme dont les conséquences sur les prix sont déterminées par l’article 9a du contrat en ces termes : « « [la société Schick Living] s’engage à pratiquer un niveau de prix compatible avec la haute qualité des Produits et à s’abstenir de toute politique de prix susceptible de dégrader l’image de marque des Produits ». La nécessité de maintenir par les prix le niveau de gamme induit à elle seule l’absence d’accroissement significatif des stocks en périodes de soldes et, corrélativement, la possibilité de leur insuffisance. Aussi, l’indisponibilité n’étant pas contestée en sa réalité et trouvant sa cause dans la nature des opérations projetées, ni faute ni abus dans l’exécution de ses obligations ne peut être imputée à la SAS Descamps.

Pour prouver un retard hors périodes de soldes, la société Schick Living produit d’abord un échange de courriels des 27 et 28 janvier 2015 (pièce 38) évoquant une commande de produits à confectionner et à livrer le 25 février 2015 pour une commercialisation à compter du 2 mars, la SAS Descamps expliquant ne pouvoir s’exécuter que le 9 mars. Or, un délai de six semaines pour confectionner et fournir un produit n’apparaît pas déraisonnable au sens de l’article 14d du contrat, la société Schick Living ne livrant aucun élément susceptible de fonder une appréciation contraire.

La société Schick Living verse ensuite au débat des courriels des 11 octobre 2015 et 7 avril 2016 (pièces 49 et 50) qui, portant sur des opérations promotionnelles ou non, ne permettent pas d’identifier avec certitude un retard hors périodes de soldes.

En conséquence, aucun manquement à son obligation d’approvisionnement n’est imputable à la SAS Descamps ainsi que l’a justement retenu le tribunal.

Sur la violation de l’obligation d’exclusivité

Conformément à l’article 2a du contrat, « Le Fournisseur accorde le droit exclusif au Distributeur, qui l’accepte, de vendre les Produits sur le Territoire ».

Au sens des dispositions des articles 1156 à 1164 (devenus 1188 et suivants) du code civil, qui constituent non des normes juridiques s’imposant à la cour, mais un guide d’interprétation des conventions à l’usage des parties et du juge, celui-ci interprète les stipulations manquant de clarté en recherchant la commune intention des parties contractantes sans s’arrêter au sens littéral des termes et en donnant à celles-ci le sens qui leur permet de produire un effet plutôt que celui qui les annihile en considération de la matière et de l’économie générale du contrat dont les clauses sont interdépendantes. L’intention des parties au jour de la conclusion peut être éclairée par leur comportement contemporain de la formation du contrat et adopté durant son exécution

Sauf à priver de portée la clause et de sens le terme « exclusif », celle-ci, interprétée strictement et s’analysant en une clause d’exclusivité territoriale simple, interdit à la SAS Descamps de fournir un autre distributeur que la société Schick Living des produits couverts par le contrat, comportement qui priverait le contrat de son utilité. Et, si la vente directe à la clientèle n’est effectivement pas exclue, seule l’ouverture de boutiques sur le territoire couvert par l’exclusivité étant encadrée par l’article 2c, l’exécution loyale et de bonne foi de la convention s’oppose à ce que la SAS Descamps contracte directement avec un partenaire préalablement prospecté et démarché par la société Schick Living.

Il est constant que, le 26 avril 2016, la SAS Descamps a rencontré la société Manor que la société Schick Living avait préalablement démarchée. Cette dernière a eu connaissance de cette information à l’occasion de sa mise en copie d’un courriel adressé par la société Manor à la SAS Descamps le 17 mai 2016 (pièce 41-1 de l’appelante). Aux termes du courriel du 25 mai 2016 (même pièce et pièce 5-2 de l’appelante), la société Manor précisait, sur interrogation de la société Schick Living, que le projet de partenariat aux fins de vente en consignation en magasins multimarques concernait, outre les marques « Zucchi » et « Bassetti » étrangères au contrat de distribution, les marques « Descamps », « Jalla », « Jardin Secret » et « Tommy Hilfiger » visées au contrat de distribution, ce que confirme le document de travail produit en pièce 42 par la société Schick Living. L’éventualité d’un partenariat était confirmée par la SAS Descamps le 2 juin 2016 (pièce 7-1 de l’appelante), la société Schick Living étant tenue informée de l’avancement des négociations en étant destinataire en copie de ces différents échanges.

Si monsieur [I], qui était l’interlocuteur des parties au sein de la société Manor, précise dans son attestation (pièce 36 de l’appelante) que la SAS Descamps lui avait annoncé, lors de la réunion du 26 avril 2016, que la société Schick Living « ne livrerait plus les produits du groupe DESCAMPS à partir de ce jour », cette assertion est

directement contredite par les échanges de courriels analysés qui révèlent, ainsi que l’induisent d’ailleurs les phrases suivantes du témoin (« Nous devions mettre en place un nouveau partenariat avec le concept présenté si nous souhaitions pouvoir commercialiser à nouveau les marques. La condition était de prendre au minimum deux marques du groupe DESCAMPS plus des marques Zucchi Bassetti déjà présentées »), que le partenariat envisagé n’était qu’à l’état de projet et que l’éviction de la société Schick Living n’était alors ni effective ni certainement prévue. Le dessein imputé à la SAS Descamps par cette dernière, dissimulé puisqu’il ne ressort pas des échanges produits et connus d’elle et est de ce fait essentiellement postulé, n’est pas établi.

Ainsi, outre le fait qu’il n’est pas prouvé que la SAS Descamps ait pris l’initiative de ce rapprochement, ni les correspondances produites ni la « spontanéité » des réponses de la société Manor ne l’induisant, l’évocation des marques couvertes par le contrat de distribution, par hypothèse bien connues de cette dernière qui était en relation avec la société Schick Living, était faite dans le cadre de la préparation d’un partenariat plus large concernant d’autres marques du groupe Zucchi récemment acquises. Dans un tel contexte, rien ne démontre que la SAS Descamps ait eu la volonté de priver la société Schick Living de son exclusivité sur les produits marqués visés au contrat. D’ailleurs, hors marque « Tommy Hilfiger », la société Schick Living reconnaît dans ses écritures que le partenariat évoqué « ne semble pas avoir abouti à ce jour » (page 30).

Dès lors, le rapprochement de la SAS Descamps et de la société Manor, il est vrai d’abord à l’insu de la société Schick Living mais rapidement au vu de cette dernière, n’est pas en lui-même constitutif d’une violation de l’exclusivité consentie à celle-ci. Et, même en admettant que l’évocation des marques « Descamps », « Jalla », « Jardin Secret » et « Tommy Hilfiger », dont il n’est pas établi qu’elles auraient été finalement intégrées dans le partenariat projeté, suffise à traduire une volonté d’éviction prochaine de la société Schick Living, celle-ci n’est pas suffisante pour fonder la résiliation unilatérale du contrat de distribution pour deux raisons :

d’une part, en l’absence de toute conclusion de contrat et de mise en ‘uvre effective du partenariat, l’atteinte à l’exclusivité consentie n’était acquise qu’en germe : strictement potentielle, elle n’était qu’hypothétique au jour de la rupture et ne caractérisait de ce fait pas un manquement contractuel ;

d’autre part, cette réunion est postérieure à l’envoi par la société Schick Living de son courrier du 4 avril 2016 comportant deux propositions, la première tendant à la rédaction d’un avenant emportant une modification substantielle des parties (stipulation d’une commission de 15% sur le chiffre d’affaires généré par la relation entre la SAS Descamps et la société Manor), et la seconde portant sur la rupture de la relation contractuelle (pièce 3 de l’appelante). Face à des prétentions aussi importantes qui signaient la dégradation sérieuse des relations entre les parties et laissaient entrevoir une fin de contrat prématurée estimée acquise dès le 10 juin 2016 (pièce 9 de l’appelante), la déloyauté de la SAS Descamps, à la supposer caractérisée alors que le fournisseur est libre d’anticiper la rupture qui s’annonce pour éviter une discontinuité dans la distribution de ses produits tant que le partenariat ne devient effectif que postérieurement à la cessation des relations, n’était pas de nature à caractériser une faute suffisamment grave pour fonder la résiliation du contrat avant son terme.

En conséquence, c’est par de justes motifs que le tribunal de commerce a écarté ce manquement. Son jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la bonne foi contractuelle et l’appréciation globale des manquements

Bien qu’invoquée à titre de manquement autonome, la mauvaise foi opposée par la société Schick Living est en réalité l’expression générale des manquements analysés qui sont inexistants. Or, en l’absence de faute, les man’uvres susceptibles de les dissimuler n’ont pas d’objet. Elles ne sont par ailleurs pas démontrées puisque la société Schick

Living avait connaissance des échanges entre la SAS Descamps et la société Manor, qu’elle a spontanément annoncé la possibilité de la rupture, que son fournisseur lui a proposé la poursuite des relations contractuelles à de multiples reprises sans manifester de déloyauté quelconque, l’imputation mutuelle de fautes étant usuelle dans la négociation d’une rupture amiable dans la perspective de la détermination des concessions réciproques à intervenir, et que la société Schick Living, qui ne justifie pas du calcul de la somme de 825 000 francs suisses qu’elle réclamait pas plus qu’elle n’établit d’ailleurs le quantum des préjudices dont elle sollicite la réparation, a rompu le contrat dès le 12 juillet 2016, sans tentative prouvée de négociation du montant de l’indemnité de sortie offerte dans le courriel du 27 juin 2016 (pièce 10 de l’appelante).

Enfin, même en retenant les fautes alléguées et en les appréciant de manière combinée, le comportement de la SAS Descamps n’était pas, au regard des obligations concernées, d’une gravité telle qu’il fondait une rupture anticipée du contrat pour les raisons déjà évoquées au titre de l’exclusivité et, concernant l’obligation d’approvisionnement, au regard du faible nombre de retards et de leur absence d’incidence perceptible sur l’exécution du contrat, la société Schick Living admettant avoir rempli ses objectifs contractuels.

Aussi, en rompant le contrat de distribution avant son terme sans pouvoir justifier d’une faute suffisamment grave de la SAS Descamps pour fonder sa décision, la société Schick Living a commis une faute contractuelle.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a estimé fautive la rupture unilatérale du contrat et qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de la société Schick Living.

2°) Sur l’appel incident : les demandes reconventionnelles de la SAS Descamps

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Descamps impute à la société Schick Living, outre la résiliation anticipée fautive du contrat, un défaut d’implantation permanente des produits dans des enseignes suisses en violation de l’article 2 du contrat, la multiplication des opérations promotionnelles pour atteindre les objectifs de vente en violation de son obligation de pratiquer des prix conformes à l’image de marque des produits de l’article 9 du contrat, un défaut d’ouverture de boutiques sous enseigne Jalla et/ou Descamps en violation de l’article 2 du contrat, l’absence de réalisation d’une étude de marché sérieuse et d’établissement d’un rapport annuel sur la mise en place d’une stratégie sur le long terme en violation de l’article 13 du contrat, la diminution brutale puis la cessation de toutes commandes début 2016 en violation de l’article 13a du contrat, le non-respect des processus de validation en violation de l’article 3b du contrat, l’organisation de la distribution des produits dans des magasins dont le positionnement ne correspondait pas à celui de ses marques en violation des articles 2a et 9 du contrat, la réalisation de présentations des produits qui ont porté atteinte à la réputation de la marque Descamps en violation de l’article 13 du contrat et une déloyauté générale dans l’absence d’effort pour respecter ses engagements. Elle ajoute que la société Schick Living a par ailleurs engagé, postérieurement à la rupture du contrat, sa responsabilité délictuelle en entretenant la confusion sur sa qualité de distributeur auprès de tiers.

En réplique, la société Schick Living, qui souligne sa bonne foi, conteste les fautes qui lui sont imputées en précisant qu’elle a assuré la vente des produits dans les espaces de vente permanents de la société Manor et a proposé d’intégrer le groupe Coop qui est l’un des distributeurs les plus importants en Suisse. Elle ajoute avoir vendu des produits hors opérations promotionnelles et à des prix compatibles avec leur niveau de gamme, aucune commercialisation n’étant intervenue sans l’accord et la validation de la SAS Descamps. Soulignant avoir réalisé un point de situation qui n’a jamais été critiqué, elle

conteste toute violation de son obligation d’ouvrir une boutique par an et soutient avoir maintenu son niveau de commandes en 2016 jusqu’à la dégradation des relations contractuelles. Elle estime qu’aucune atteinte à l’image des produits marqués n’est caractérisée faute de communication aux clients des présentations prétendument négligées, le groupe Coop correspondant par ailleurs au niveau de gamme promu. Elle explique que son comportement postérieur à la rupture était fondé sur l’accord moral conclu avec la SAS Descamps.

Réponse de la cour

Sur la responsabilité contractuelle

Conformément à l’article 1134 du code civil (devenu 1103), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi.

Et, en application de l’article 1135 du code civil (devenu 1194), les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.

En outre, en vertu des dispositions des articles 1147, 1149 et 1150 du code civil (devenus 1231-1 à 3), le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n’étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée.

Sur le préjudice né de la résiliation fautive

Il est désormais acquis que la résiliation unilatérale du contrat de distribution par la société Schick Living était fautive. Le fait que la SAS Descamps, lors de la prise d’acte de la rupture, n’ait pas souligné l’existence d’un préjudice est sans incidence sur sa réalité et la poursuite de sa réparation dans les limites de la prescription qui n’est pas en débat, une telle position pouvant s’expliquer par sa volonté de pacifier la cessation des relations contractuelles.

Néanmoins, le préjudice causé par ce manquement ne réside pas dans la perte du montant des gains attendus, celui-ci étant affecté d’une incertitude radicale tenant à leur absence de réalisation effective et à leur détermination par hypothèse projective, mais la privation de la possibilité de les percevoir conformément aux prévisions des parties. A cet égard, il importe peu que l’annexe II du contrat stipule des minima de commandes présentés comme « garantis » puisque l’article 8 précise que si « le minimum garanti n’atteignait pas pendant deux (2) années consécutives 80 % de l’objectif fixé, le fournisseur se réserve le droit de mettre fin au contrat ». Aussi, ces minima constituent des objectifs de commandes à atteindre, certes essentiels à la poursuite du contrat, et non des revenus certains, l’insuffisance des commandes pouvant d’ailleurs se prolonger durablement sans fonder leur paiement faute de stipulation en ce sens. Ils constituent de ce fait un cadre d’appréciation de l’exécution de ses obligations par le distributeur et non une rétribution inéluctablement due au fournisseur. Ils sont ainsi affectés de l’aléa évoqué.

Le préjudice subi par la SAS Descamps constitue ainsi une perte de chance qui s’entend comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable et suppose établie la preuve du sérieux de la chance perdue, son indemnisation, qui implique un calcul

de probabilité de survenance de l’évènement irrémédiablement impossible, ne pouvant être égale au montant de la chance réalisée. Ce seul constat commande la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire principale de la SAS Descamps de ce chef.

Pour établir subsidiairement l’assiette de sa perte de chance, cette dernière s’appuie sur le chiffre d’affaires effectivement réalisé avec la société Schick Living durant la période d’exécution du contrat. Les attestations de son commissaire aux comptes et de son responsable contrôle gestion (pièces 31 et 32 de l’intimée) confirment que le chiffre d’affaires réalisé en 2015 atteignait la somme de 537 117 euros et que le taux de marge brute pratiqué à compter de 2016 était de 55% (contre 58% l’année précédente). Déduction faite des sommes perçues en 2016, l’assiette de la perte de chance, calculée jusqu’au terme stipulé, est de 1 115 660,15 euros. En l’absence de contestation utile de ces éléments, ces chiffres sont pertinents et cette assiette sera retenue, déduction faite cependant de la somme de 11 571 euros perçue par la SAS Descamps en 2017 pour une vente en Suisse (pièce 33 de l’intimée : attestation de sa responsable financière) pour éviter une double indemnisation.

La SAS Descamps ne peut en revanche soutenir de bonne foi, alors qu’elle dénonce par ailleurs un manquement de la société Schick Living à toutes ses obligations et notamment la réalisation des objectifs en 2015 par la multiplication abusive d’opérations promotionnelles, que le taux de perte de chance est de 85%. Les pièces déjà analysées révèlent au contraire que la SAS Descamps avait admis la possibilité de la rupture dès le printemps 2016, signe que les relations contractuelles, telles qu’elles étaient conçues, n’étaient ni satisfaisantes ni parfaitement réalistes, et qu’elle engageait à cette époque des négociations avec la société Manor pour consolider une relation qui n’était pas encore pérenne tandis que la société Schick Living peinait à trouver de nouveaux clients, le groupe Coop n’étant pas conforme aux exigences de la SAS Descamps, et ne remplissait pas les objectifs stipulés sur le premier trimestre 2016, ceux de 2015 ayant été atteints en partie grâce à une remise exceptionnelle (pièces 7 et 8 de l’intimée). Ainsi la chance perdue est-elle minime. Son taux, qui sera encore réduit pour intégrer l’absence de données financières et comptables produites par la SAS Descamps pour les années 2018 et 2019 sur le territoire Suisse, sera fixé à 5 %.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle subsidiaire de la SAS Descamps au titre de la perte de chance causée par la rupture unilatérale fautive du contrat de distribution et la société Schick Living sera condamnée à lui payer la somme de 55 204,46 euros.

Sur les autres manquements contractuels

L’absence d’invocation par la SAS Descamps, antérieurement à la rupture et concomitamment à sa notification, des multiples fautes qu’elle oppose à la société Schick Living, aurait pu avoir une incidence sur l’appréciation subjective de leur gravité mais n’interdit pas la caractérisation de leur principe et, celui-ci acquis, n’a aucune incidence juridique sur son droit à indemnisation.

Cependant, hors l’octroi d’une remise exceptionnelle, importante mais néanmoins ponctuelle, en mars 2015 (pièces 7 et 8 de l’intimée) et d’un report de facturation en février 2016 (pièce 6 de l’intimée), la SAS Descamps n’a pas, ainsi que l’a souligné le tribunal de commerce, pris en compte l’inexpérience de la société Schick Living, société débutante dans le secteur constituée pour les besoins de l’opération, et ses difficultés prévisibles pour pénétrer le marché suisse. Par ailleurs, elle n’a jamais signalé à la société Schick Living la moindre insatisfaction ou insuffisance dans l’exécution de ses obligations et s’est contentée, lors de ses v’ux pour l’année 2016 (pièce 37-1 de l’appelante), de signaler des voies d’amélioration tenant en particulier à la communication d’une analyse mensuelle de ses ventes et d’un calendrier de ses « temps forts ». Elle ne l’a ainsi pas mise en mesure d’adapter son comportement à ses exigences et de ne pas répéter ses éventuelles fautes.

C’est dans ce cadre que doivent être appréciés les manquements imputés à la société Schick Living.

Sur le défaut d’implantation permanente des produits dans des enseignes suisses en violation de l’article 2 du contrat

Outre le client Manor, dont la SAS Descamps ne conteste pas qu’il était important et dont le démarchage révèle l’effort accompli par la société Schick Living, celle-ci justifie avoir proposé à celle-là l’intégration du groupe Coop. Si le niveau de gamme de ce dernier n’a pas été jugé compatible avec celui des produits de la SAS Descamps (pièce 19 de l’intimée), sa présentation traduit néanmoins une exécution sérieuse de son obligation par la société Schick Living.

Aucune faute ne peut lui être reprochée de ce chef.

Sur la multiplication des opérations promotionnelles en violation de l’obligation de pratiquer des prix conformes à l’image de marque des produits stipulée à l’article 9 du contrat

Le positionnement haut de gamme des produits de la SAS Descamps était connu de la société Schick Living qui ne le conteste pas et était annoncé dès les échanges précontractuels (pièce 23 de l’appelante : courriel du 30 juin 2014) puis rappelé à l’article 9 du contrat. Pour autant, la SAS Descamps ne s’est jamais opposée, en 2015 et durant le premier trimestre 2016, aux ventes promotionnelles, à l’évidence nécessaires au lancement de la marque sur le territoire, et s’est contentée, jusqu’au mois de mai 2016 qui ouvre une période non pertinente puisque la dégradation des relations contractuelles était alors avancée, de souligner la nécessité de limiter le recours à de telles pratiques tout en proposant ponctuellement (pièce 9 de l’intimée : courriel du 1er octobre 2015), son courriel du 7 mars 2016 (pièce 10 de l’intimée) étant, ainsi qu’elle le précise, interne et n’ayant pas été porté à la connaissance de la société Schick Living. Elle indiquait ainsi dans son courriel du 15 janvier 2016 déjà évoqué que les « offres ponctuelles (promotions, offres spéciales’) » constituaient des voies d’amélioration du chiffre d’affaires.

Par ailleurs, cette dernière démontre par la production d’extraits du catalogue de la société Manor non contestés en leur teneur (pièce 30) que les produits de la SAS Descamps n’étaient pas systématiquement soldés.

Aussi rien ne démontre une violation de l’article 9 par la société Schick Living et une atteinte quelconque à l’image de marque de la SAS Descamps.

Sur le défaut d’ouverture de boutique sous enseigne Jalla et/ou Descamps en violation de l’article 2 du contrat

La rupture étant intervenue en cours d’année 2016 et l’annexe II du contrat à laquelle renvoie son article 2 ne prévoyant l’ouverture d’une boutique qu’avant le mois de décembre 2016, la faute alléguée n’est pas caractérisée.

Sur l’absence de réalisation d’une étude de marché sérieuse et d’établissement d’un rapport annuel sur la mise en place d’une stratégie sur le long terme en violation des articles 13j et 18 du contrat

Outre le fait que le calcul précis du chiffre d’affaires réalisés par la société Schick Living et l’absence de toute réclamation à ce titre pendant la relation contractuelle permettent de présumer au sens de l’article 1382 du code civil la remise régulière du rapport des ventes visé par l’article 18, la société Schick Living démontre avoir adressé le 15 janvier 2016 un rapport sur les perspectives commerciales pour l’année à venir (pièce 13 de l’intimée) que la SAS Descamps n’a critiqué, hors une remarque lapidaire dans un courriel du 26 avril 2016 (pièce 15 de l’intimée), que dans ses écritures, non à raison de

ses carences intrinsèques, mais en ce qu’il révèlerait une absence d’effort sérieux de développement du réseau commercial. A ce titre, l’absence d’intégration des comptes à démarcher listés dans le courriel du 8 décembre 2015 (pièce 12 de l’intimée) dans le rapport de 2016 n’est pas fautive au regard de la brièveté du délai écoulé.

Ce grief est infondé.

Sur la diminution brutale puis la cessation de toutes commandes début 2016 en violation de l’article 13a du contrat

Ainsi que le souligne la société Schick Living, le chiffre d’affaires dégagé sur le premier trimestre 2016 avoisine, prorata temporis, celui généré en 2015, constat qui induit une constance des commandes et des ventes. Les objectifs de 2015 ayant été atteints, il ne peut être reproché à la société Schick Living, sur le début de l’année 2016, d’avoir manqué à son obligation de « consacrer le meilleur de son temps et de ses efforts à la distribution des Produits du Concédant ». Et, au regard du contexte conflictuel déjà évoqué et de la quasi-certitude de la rupture dès le mois de mai 2016, l’absence de commandes à cette période n’est pas de nature à caractériser un manquement contractuel.

Sur le non-respect des processus de validation prévus par le contrat en violation de l’article 3b du contrat

Le courriel du 26 avril 2016 et le courrier du 25 mai 2016 (pièces 16 et 11 de l’intimée) évoquent en toute généralité des violations du processus de validation qui ne sont rattachables à aucune opération clairement identifiée, y compris pour les clients Tommy Hilfiger et Manor spécialement visés. Aussi, les fautes ne sont pas suffisamment déterminées et caractérisées.

Sur l’organisation de la distribution des produits dans des magasins au positionnement ne correspondant pas à celui des marques de la SAS Descamps en violation de l’article 2a et de l’article 9 du contrat

Outre le fait que l’inadéquation entre les niveaux de gamme proposés par la SAS Descamps et le groupe Coop est affirmée sans être démontrée et que l’impact négatif de ce projet de partenariat sur les relations avec la société Manor n’est pas établi, le simple fait de proposer un client, même s’il ne convient finalement pas à la SAS Descamps, n’est pas en soi constitutif d’une faute mais témoigne au contraire de l’effort de développement du réseau engagé par la société Schick Living, certes vainement mais néanmoins réellement. Il en est de même pour la proposition de distribution de la marque « Tommy Hilfiger » par le groupe Coop qui n’a jamais été suivie d’effets, la SAS Descamps étant d’ailleurs dans l’incapacité d’expliquer en quoi cette faute, à la supposer caractérisée, serait en lien avec le préjudice dont elle poursuit la réparation et dont le quantum forfaitairement déterminé n’est étayé par aucune pièce.

Ces manquements ne sont pas prouvés.

Sur les présentations des produits portant atteinte à la réputation de la marque Descamps en violation de l’article 13 du contrat

Non seulement la SAS Descamps ne produit aucun document permettant de déterminer le standard des présentations de ses produits à ses clients et d’apprécier par comparaison les insuffisances de la présentation transmise par la société Schick Living, mais il n’est pas prouvé que cette dernière, qui n’a pas été validée (pièces 17 et 18 de l’intimée), ait été communiquée à un tiers au contrat.

Cette faute est inexistante.

Sur la déloyauté générale dans l’absence d’effort pour respecter ses engagements

Ce grief, formulé en toute généralité, est en réalité la conséquence des précédents. Ceux-ci n’étant pas caractérisés, il ne l’est mécaniquement pas à son tour.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire de la SAS Descamps au titre des autres manquements contractuels à hauteur de 50 000 euros.

b) Sur la responsabilité délictuelle

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un signe qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

La société Schick Living a adressé à la SAS Descamps le 18 juillet 2016 (pièce 25 de l’intimée) un courriel évoquant un rendez-vous avec la société Manor, soit antérieurement à la rupture et conformément aux engagements pris les 10 et 27 juin 2016 (pièce 10 de l’appelante), et répercutant trois points d’amélioration. Et, si la société Manor a pu exprimer son agacement face à l’insistance de la société Schick Living, qui était néanmoins en droit d’écouler ses stocks en vertu de l’article 20c du contrat et devait pour cette seule raison demeurer en contact avec le client, les courriels produits en pièce 27 par la SAS Descamps révèlent qu’elle n’avait mis en place aucune transition claire après la rupture du contrat, son interlocuteur sollicitant ainsi le 26 août 2016, outre il est vrai la cessation des sollicitations de la société Schick Living, la communication officielle du changement opéré.

Aussi, le comportement de la société Schick Living, qui ne traduit pas une volonté d’induire en erreur des clients sur sa qualité de distributeur et sur l’origine des produits vendus, s’inscrit dans la période suivant immédiatement la rupture et a été rendue possible par la carence de la SAS Descamps dans l’organisation de ses relations avec les clients à l’évidence mal informés des changements intervenus.

En conséquence, ni faute ni déloyauté ne peuvent être imputées à la société Schick Living qui n’a généré par son comportement aucun risque de confusion et le jugement sera confirmé de ce chef.

3°) Sur les frais irrépétibles de première instance

En application de l’article 700 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens et tient compte pour ce faire de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Dans sa déclaration d’appel comme dans ses dernières écritures, la société Schick Living sollicite la réformation du jugement sur les frais irrépétibles. Au regard des situations économiques respectives des parties, la SAS Descamps ne contestant pas être dans une situation nettement plus favorable que la société Schick Living, ainsi que de la nature du litige et de sa solution, le montant alloué en première instance apparaît trop élevé.

Le jugement, confirmé en ce qu’il a mis les dépens de première instance à la charge de la société Schick Living, sera en conséquence infirmé de ce chef et le montant de l’indemnité allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile réduite à la somme de 5 000 euros.

4°) Sur les demandes accessoires

Succombant en son appel, la société Schick Living, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens de l’appel et à payer à la SAS Descamps la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a :

rejeté la demande reconventionnelle subsidiaire de la SAS Descamps au titre de la perte de chance causée par la rupture unilatérale fautive du contrat de distribution ;

condamné la société Schick Living à payer à la SAS Descamps une somme de 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la société Schick Living à payer à la SAS Descamps la somme de 55 204,46 euros en réparation du préjudice de perte de chance causé par la résiliation unilatérale anticipée fautive du contrat de distribution ;

Condamne la société Schick Living à payer à la SAS Descamps la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la société Schick Living au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société Schick Living aux entiers dépens d’appel ;

Condamne la société Schick Living à payer à la SAS Descamps la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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