PC/PR
ARRÊT N° 232
N° RG 16/03187
N° Portalis DBV5-V-B7A-E7G7
[C] [Y]
[I]
C/
[T]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 04 MAI 2023
Suivant déclaration de saisine du 30 août 2016 après arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2016 cassant et annulant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Limoges le 23 juin 2014 sur appel d’un jugement du 8 mars 2001 rendu par la première chambre civile du tribunal de grande instance de Limoges
DEMANDEURS SUR RENVOI DE CASSATION :
Monsieur [V] [C] [Y]
né le 23 octobre 1942 à [Localité 12] (92)
[Adresse 8]
[Localité 2]
Madame [E] [B] épouse [C] [Y]
née le 4 janvier 1947 à [Localité 5] (93)
[Adresse 8]
[Localité 2]
(bénéficiant tous deux d’une aide juridictionnelle totale numéro 2016/006163 du 22/08/2016 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de POITIERS)
Maître [S] [I]
ès qualités de mandataire liquidateur
de Monsieur et Madame [V] [C] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant tous trois pour avocat Me Jean ROUSTAN DE PERON, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
DÉFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION :
Madame [X] [T] épouse [A]
née le 1er janvier 1973 à [Localité 10]
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Emilie CARRÉ-GUILLOT de la SELARL AVOCATS DU GRAND LARGE, avocat au barreau de POITIERS
Et ayant pour avocat plaidant Me Philippe PASTAUD de la SELARL PASTAUD WILD-PASTAUD ASTIER, avocat au barreau de LIMOGES
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 09 février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseillère
Madame Valérie COLLET, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile que l’arrêt serait rendu le 05 mai 2022, la date du prononcé ayant été prorogée à plusieurs reprises, les parties avisées, pour l’arrêt être rendu le 04 mai 2023.
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte sous seing privé du 15 mars 1996, Mme [X] [T] épouse [A] a consenti aux époux [C] [Y] une promesse de vente d’une propriété agricole comportant un château, ses dépendances, divers bâtiments d’exploitation et des parcelles à vocation agricole d’une superficie totale de 115 ha environ, situées sur le territoire des communes de [Localité 7], [Localité 9] et [Localité 13] (87).
La régularisation de la vente, dont la date était fixée au 31 décembre 1998, était
soumise à des conditions suspensives. Il était par ailleurs prévu que si l’une des parties refusait de réitérer la vente, elle serait tenue envers l’autre à une indemnité.
Parallèlement à cet acte, Mme [A] a consenti aux époux [C] [Y] un bail à ferme, à compter du 11 mars 1996, devant s’achever le 28 février 2005.
Le fermage était fixé à 80 500 F par an pour les bâtiments d’exploitation et les
parcelles agricoles, ce prix étant ramené à 36 000 F par an pendant trois ans en
échange de la remise en état des terres en friche et non drainées ; en outre, il était demandé une somme de 100 000 F par an pour le château, mais avec une exonération de loyer les deux premières années, les preneurs devant en contrepartie effectuer des travaux de remise en état pour un montant de 60 000 F par an, et un loyer fixé à 60 000 F la troisième année.
Le fermage était stipulé payable chaque année en deux termes, les 1er mai et 1er novembre, et pour la première fois le 1er novembre 1996.
Au motif que l’immeuble et une partie des terres étaient en mauvais état, les époux [C] [Y] ont saisi, le 19 octobre 1998, le tribunal paritaire des baux ruraux de Bellac afin d’obtenir la condamnation de Mme [A], en sa qualité de propriétaire, à faire borner certaines parcelles, réviser le montant du fermage en application de l’article L 411-13 du code rural et à réaliser divers travaux de remise en état.
La bailleresse a, le 19 janvier 1999, adressé aux preneurs une mise en demeure de payer le solde du fermage de l’année 1997 (pour 358,03 F) et les impôts fonciers (6 820,42 F), le fermage de l’année 1998 (67 306,81 F) et les impôts fonciers (6 905,53F).
Me [W], notaire, a convoqué les époux [C] [Y] pour signer l’acte de vente le 30 décembre 1998 à son étude mais les époux [C] [Y] n’ont pas comparu.
Par actes des 18 et 23 février 1999, les époux [C] [Y] ont assigné Mme [A] et Me [W] devant le tribunal de grande instance de Limoges aux fins de voir constater la défaillance des conditions suspensives et condamner Mme [A] à leur payer l’indemnité prévue par le compromis de vente.
Pour sa part, Mme [A] a soutenu que le défaut de réalisation de la vente incombait aux époux [C] [Y] en sorte qu’ils devaient être condamnés à lui payer l’indemnité puis, par conclusions déposées le 22 février 2000, elle a sollicité l’annulation du bail pour vice du consentement ou, subsidiairement, sa résiliation et le paiement d’une indemnité d’occupation jusqu’à la libération des lieux.
Les époux [C] [Y] ont encore sollicité une expertise pour évaluer le coût de la remise en état des bâtiments et des terres, le montant des loyers et pour faire le compte entre les parties.
Le tribunal paritaire s’est, en raison de la connexité, dessaisi au profit du tribunal de grande instance de Limoges par jugement du 8 juin 1999, confirmé par la cour d’appel de Limoges du 7 décembre 1999.
Par jugement du 8 mars 2001, le tribunal de grande instance de Limoges a :
– constaté que les époux [C] [Y] étaient responsables de la non-régularisation par acte authentique du compromis de vente du 15 mars 1996 et, en conséquence, les a condamnés solidairement à payer à Mme [A] la somme de 525.000 F assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 février 2000,
– débouté Mme [A] de sa demande en annulation du bail conclu le 15 mars
1996 pour vice du consentement,
– prononcé la résiliation du bail aux torts des époux [C] [Y] et dit que ces derniers devraient quitter la propriété dans son ensemble le 31 octobre 2001 au plus tard, avec exécution provisoire.
– fixé à 180.500 F par an l’indemnité d’occupation due par les époux [C] [Y] jusqu’à la libération effective des lieux et ordonné une mesure d’expertise afin d’établir le compte entre les parties.
Les époux [C] [Y] ont interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Limoges et ont également saisi le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Limoges pour obtenir un délai pour quitter les lieux, qui leur a été accordé par jugement du 19 mars 2002.
Mme [A] a interjeté appel de ce dernier jugement.
Statuant en appel du jugement du 8 mars 2001 et du jugement du 19 mars 2002, la cour d’appel de Limoges a, par arrêt du 26 mars 2003 :
– confirmé le jugement du 8 mars 2001, et y ajoutant, fixé à 123.862,71 euros le montant des loyers dus à partir du 15 mars 1996 jusqu’au 31 décembre 2000 et fixé au montant du loyer annuel les sommes dues à partir de janvier 2001, y compris à titre d’indemnité d’occupation après la résiliation du bail,
– infirmé le jugement du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Limoges du 19 mars 2002.
Les époux [C] [Y] ont frappé cet arrêt de pourvoi et Mme [A] a fait procéder à leur expulsion en juillet 2004.
Les époux [C] [Y] ont fait une déclaration de cessation des paiements et une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à leur égard par jugement du tribunal de grande instance de Limoges du 10 novembre 2004.
Par arrêt du 28 mars 2007, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt du 26 mars 2003 sauf en ce qu’il avait débouté Mme [A] de sa demande en annulation de bail et en ce qu’il avait infirmé le jugement du juge de l’exécution du 19 mars 2002.
La cassation a été prononcée :
– pour violation des articles 1134 et 1176 du code civil, la défaillance de la condition suspensive entraînant la caducité de la vente, dès lors que la cour d’appel avait relevé que le notaire n’était pas en mesure de justifier de cette réalisation au 31 décembre 1998 ;
– pour violation de l’article 16 du C.P.C., la cour d’appel ayant, pour prononcer la résiliation du bail aux torts des époux [C] [Y], retenu par un moyen relevé d’office que les dispositions du statut du fermage concernant la révision du loyer et la double mise en demeure ne sont pas applicables en présence d’une location qualifiée de précaire par les parties et entrant dans les prévisions de l’article L.411-2-2° du code rural ;
– pour violation de l’article 455 du code de procédure civile, la cour d’appel ayant fixé à la somme de 123 862,71 € le montant des loyers dus à partir de mars 1996 jusqu’au 31 décembre 2000 conformément à la demande de Mme [A], sans donner de motifs à sa décision.
La cour d’appel de Limoges désignée comme cour de renvoi a, par arrêt du 20 janvier 2010 :
– confirmé le jugement du 8 mars 2001 en ses dispositions relatives à la non-
régularisation du compromis de vente du 15 mars 1996 sous réserve des incidences du prononcé de la liquidation judiciaire,
– fixé la créance de Mme [A] à la liquidation judiciaire à la somme de 80 035,73 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2000,
– avant dire droit sur le surplus des demandes, dit que le bail conclu entre Mme [A] et les époux [C] [Y] est régi par le statut du fermage tel que prévu par les articles L.411-1 et suivants du code rural et invité les parties à conclure sur les incidences de la soumission du bail au statut du fermage.
Cet arrêt a été frappé de pourvoi par les époux [C] [Y] et par Mme [A].
Par arrêt du 3 novembre 2011, la Cour de cassation a cassé l’arrêt du 20 janvier 2010, seulement en ce qu’il avait confirmé le jugement du 8 mars 2001en ses dispositions relatives à la non-régularisation de la promesse de vente et fixé la créance de Mme [A] à l’encontre des époux [C] [Y].
L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Poitiers.
Par arrêt du 15 novembre 2013, définitif, la cour d’appel de Poitiers a :
– infirmé le jugement du 8 mars 2001 en ce qu’il avait constaté que les époux [C] [Y] étaient responsables de la non-régularisation du compromis de vente et condamné ceux-ci au paiement de diverses sommes,
– constaté que le compromis était caduc pour défaut de levée des conditions suspensives au 31 décembre 1998,
– débouté Me [I], ès qualités de liquidateur des époux [C] [Y], de sa demande de condamnation de Mme [A] au paiement d’une somme de 80 035,73 € au titre de la clause pénale,
– débouté Mme [A] de sa demande de fixation au passif de la liquidation judiciaire des époux [C] [Y] de la somme de 80 035,73 € au titre de la clause pénale,
– constaté que son arrêt ne mettait pas fin à l’instance et qu’il appartiendrait à la cour d’appel de Limoges de statuer sur les demandes relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, dans la mesure où l’arrêt de la cour d’appel de Limoges du 20 janvier 2010 n’avait pas été cassé en ce qu’il avait dit que le bail liant Mme [A] aux époux [C] [Y] était soumis au statut du fermage.
Les parties ont alors conclu devant la cour de Limoges sur l’incidence de cette soumission et présenté leurs demandes,
– Mme [A] demandant à la cour de prononcer la résiliation du bail aux torts des époux [C] [Y], la fixation des loyers dus à la somme de 184 074 € au 30 juillet 2004, date de la libération des lieux, la fixation de son préjudice économique et financier à une certaine somme,
– les époux [C] [Y] concluant au rejet de la demande de résiliation du bail et de toutes les demandes de Mme [A], sollicitant que la cour constate le renouvellement du bail pour la période du 11 mars 2005 au 11 mars 2014, la
révision du loyer contractuel en application de l’article L.411-13 du code rural et de la pêche maritime, la condamnation de Mme [A] et de Me [W] à payer à Maître [I] ès qualités de liquidateur, diverses sommes au titre du manque à gagner sur les terres non exploitables et sur le château et que soit ordonnée leur réintégration sur le domaine et, à défaut, que la cour d’appel condamne Mme [A] au paiement d’une indemnité de sortie, une expertise étant subsidiairement sollicitée pour faire le compte entre les parties et pour déterminer le montant du fermage révisé,
– Me [W], notaire, concluant au rejet de toutes les demandes dirigées à son encontre.
Par arrêt du 23 juin 2014, la cour d’appel de Limoges a :
– confirmé, par substitution de motifs, le jugement du 8 mars 2001 en ce qu’il a prononcé la résiliation du bail du 15 mars 1996 liant Mme [A] aux époux [C] [Y] aux torts des preneurs,
– confirmé le jugement en ce qu’il a fixé au 31 octobre 2001, au terme de l’année culturale, la date à laquelle les époux [C] [Y] devaient quitter les lieux et dit qu’à compter de cette date et jusqu’au 30 juillet 2004, date de la libération effective des lieux, les époux [C] [Y] seront tenus de payer l’indemnité d’occupation que la cour fixera après dépôt du rapport d’expertise destiné à la révision des loyers,
– rejeté les demandes des époux [C] [Y] relatives au renouvellement du bail et à leur réintégration dans les lieux ou subsidiairement à leur indemnisation,
– déclaré irrecevable la demande nouvelle des époux [C] [Y] relative à leur indemnisation pour manque à gagner sur les terres non exploitables et sur le château,
– déclaré irrecevable la demande nouvelle d’appel en garantie de Me. [W], notaire, formée par Mme [A],
– homologué le rapport de l’expert en ce qu’il a évalué à 92 938 € les améliorations apportées par les époux [C] [Y] aux terrains, bâtiments d’exploitation et château loués et dit que cette somme sera prise en compte par l’expert pour faire les comptes entre les parties ;
– avant dire droit sur le surplus des demandes, ordonné une expertise aux fins, d’une part, de déterminer la valeur locative des terrains, bâtiments d’exploitation et château à compter du 29 décembre 1998, date à laquelle les époux [C] [Y] avaient saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en révision des loyers jusqu’à la libération des lieux le 30 juillet 2004, et ce, au regard de la méthode et des critères résultant des arrêtés préfectoraux applicables à chaque période, d’autre part, de fournir tous éléments permettant de fixer le préjudice économique et financier de Mme [A], enfin de faire les comptes entre les parties en tenant compte des améliorations d’ores et déjà fixées à la somme de 92 938 €.
Par arrêt du 26 mai 2016, la 3ème chambre de la Cour de cassation a cassé dans toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 23 juin 2014 par la cour d’appel de Limoges et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Poitiers, considérant :
– qu’il résulte des articles L411-31 et L411-53 du code rural que le bailleur ne peut faire résilier son bail que s’il justifie de deux défauts de paiement du fermage ayant persisté à l’expiration d’une délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l’échéance et que ce motif ne saurait être retenu en cas de force majeure ou de raisons sérieuses et légitimes,
– que pour accueillir la demande reconventionnelle en résiliation du bail aux torts des preneurs, l’arrêt retient que le paiement intégral n’a pas été justifié directement par les époux [C] [Y], que le rapport de l’expert judiciaire fait ressortir un solde d’impayés et que le fait d’avoir engagé une procédure en révision du prix du bail n’a aucun effet suspensif des obligations de paiement des loyers échus,
– qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l’engagement de l’action en révision du prix du fermage avant l’envoi de la mise en demeure par la bailleresse ne constituait pas une raison sérieuse et légitime faisant obstacle au prononcé de la résiliation du bail pour défaut de paiement, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Par arrêt du 21 août 2019, la chambre sociale de la cour d’appel de Poitiers a :
– dit, sur réformation du jugement, qu’il existe des raisons sérieuses et légitimes inhérentes à la mise en oeuvre de la procédure de révision du bail par les époux [C] [Y] du 19 octobre 1998, au sens des dispositions de l’article L411-31 (I) du code rural,
– statuant à nouveau, par arrêt partiellement avant-dire-droit sur les demandes en résiliation éventuelle du bail et portant sur la détermination de sa date et de ses effets et sur celles des époux [C] [Y] en réparation des préjudices de jouissance et d’indemnité d’éviction du preneur sortant et plus généralement de celles tendant à l’établissement des comptes entre les parties :
– ordonné une expertise préalablement à ce qu’il soit statué sur la demande des époux [C] [Y] en révision des montants des fermages et sur la détermination du nouveau loyer éventuel applicable depuis leur demande en justice et pour la durée du bail restant à courir,
– donné mission à l’expert de fournir tous éléments utiles propres à permettre de dire que les conditions de l’action en révision du fermage telles que fixées à l’article L411-11 du code rural sont remplies et si le loyer établi lors de la conclusion du bail du 15 mars 1996 était supérieur d’au moins 1/10ème à la valeur locative du bien telle que déterminée par l’arrêté préfectoral du 17 octobre 1995 alors applicable tant pour les terres que pour le château, et tous éléments propres à permettre de déterminer le montant révisé du fermage.
Le 5 juillet 2021, M. [Z] [M], désigné par ordonnance de remplacement d’expert a déposé un rapport au terme duquel il conclut :
– que les conditions d’un prix supérieur ou inférieur d’au moins un dixième à la valeur locative de la catégorie du bien particulier donné à bail étaient réunies lors de la procédure engagée par les époux [C] [Y] le 19 octobre 1998 en ce que le montant total du loyer-fermage réclamé pour les 3 premières années était supérieur de 27,90 % au montant du loyer-fermage calculé au regard des textes en vigueur et que le montant du loyer-fermage réclamé pour la 4ème année du bail était supérieur de 60,90 % au montant du loyer-fermage calculé au regard des textes en vigueur,
– que pour la période du 11mars 1996 au 30 juillet 2004, le différentiel global entre le loyer contractuellement fixé et le loyer tel que calculé en application des textes en vigueur est de 112 314,11 €.
Par conclusions dites ‘n°5’ remises et notifiées le 11 janvier 2022, auxquelles il convient à ce stade de se référer expressément pour l’exposé détaillé des éléments de droit et de fait, les époux [C] [Y] et Me [I], ès qualités de liquidateur judiciaire, demandent à la cour :
– de déclarer Me [I], ès qualités, recevable et bien fondé en son intervention
volontaire au soutien de l’ensemble de leurs prétentions,
– réformant en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Limoges du 8 mars 2001:
1 – à titre principal :
– de rejeter la demande reconventionnelle de Mme [A] tendant à la résiliation du bail à ferme pour défaut de paiement des fermages ou pour liquidation judiciaire,
– de condamner Mme [A] à payer à Me [I], ès qualités, 15 000 € pour procédure abusive et manoeuvre dilatoire,
– de constater le renouvellement tacite du bail pour la période du 11 mars 2005 au 11 mars 2014, et du 11 mars 2014 au 11 mars 2023,
– de réviser le loyer contractuel et le ramener aux montants calculés par M. [M] dans son rapport du 30 juin 2021,
– de condamner Mme [A] à payer à Me [I] ès qualités la somme de 93 699 € au titre du manque à gagner sur les terres non exploitables et la somme de 114 930 € au titre du manque à gagner sur le château,
– d’ordonner leur réintégration sur le [Adresse 6] avec astreinte journalière de 300 € à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– ou a défaut, de condamner Mme [A] à payer à Me [I], ès qualités, 774 200 € au titre des dommages et intérêts consécutifs à l’expulsion illégale et 319 020 € au titre de l’indemnité due au preneur sortant avec intérêts au taux légal depuis le 27 novembre 2001,
2 – subsidiairement :
– d’ordonner une mesure d’expertise et confier à tel expert qu’il plaira la mission suivante :
* évaluer le préjudice par eux subi suite au refus de Mme [A] de réaliser les réparations incombant au bailleur et réparer les vices cachés,
* évaluer le montant des améliorations dues aux preneurs sortants,
* évaluer le préjudice consécutif à leur expulsion illégale,
* faire les comptes entre les parties,
– de dire que Mme [A] consignera la provision à valoir sur les frais d’expertise, avec astreinte journalière de 300 €,
– de condamner la même à payer à Me [I], ès qualités, une provision de 250 000 € à valoir sur les sommes dues aux époux [C] [Y] ;
3 – en tout état de cause :
– de rejeter toutes demandes contraires, notamment la demande de Mme [A] en paiement d’une somme de 65 000 € au titre d’un prétendu préjudice économique et financier et sa demande d’admission au passif à hauteur de 302 501 €,
– de condamner Mme [A] à payer à Me [I], ès qualités, 30 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la même aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Ils soutiennent pour l’essentiel :
1 – Sur le montant du fermage :
qu’il doit être fixé, à compter du 19 octobre 1998, date de la demande de révision et jusqu’à la fin du bail – à déterminer – conformément aux propositions de l’expert [M],
2 – Sur le sort du bail :
– que la demande de résiliation du bail pour défaut de paiement du fermage doit être rejetée dès lors :
> qu’aucun arriéré de fermage n’est caractérisé à la date de la mise en demeure du 19 janvier 1999, à l’exception d’une somme inférieure à 200 € réglée avant la régularisation de la demande en justice,
> qu’il existait des raisons sérieuses et légitimes de ne pas régler le fermage (partie du fermage non exigible à la date de la mise en demeure, action en révision du prix engagée antérieurement à la mise en demeure, impossibilité et à tout le moins difficultés d’exploitation du fait de l’état de la propriété),
> qu’aucune inexécution des travaux contractuellement mis à leur charge n’est établie et n’est visée dans la mise en demeure,
– que la liquidation judiciaire prononcée postérieurement et consécutivement à leur expulsion de la propriété est sans incidence dès lors :
> que des fonds importants ont été récupérés, de sorte que le seul passif posant problème est celui, contesté, lié à la déclaration de créance de Mme [A],
> que Mme [A] a supprimé leur outil de travail et rendu le redressement judiciaire impossible, la poursuite de l’exploitation et du bail n’étant pas devenue impossible mais seulement conditionnée par les décisions de justice ultérieures,
> que le bail était toujours en cours à la date de l’expulsion et que le liquidateur judiciaire n’a jamais notifié à la bailleresse sa décision de ne pas continuer le bail.
3 – Sur les troubles de jouissance :
> s’agissant de la période comprise entre 1996 et 2004 : que la bailleresse a refusé de réaliser les travaux lui incombant, ce qui a entraîné des conséquences dommageables sur l’activité agricole et l’activité complémentaire de gîte rural et chambres d’hôtes et qu’une expertise est nécessaire pour apprécier le préjudice agricole,
> s’agissant de la période postérieure au 30 juillet 2004 : que la restitution en nature se matérialise par la réintégration du locataire dans les lieux loués, que cette demande est recevable en ce qu’elle est la conséquence, l’accessoire ou le complément de leur défense initiale à la résiliation, que Mme [A] a fait exécuter le jugement à ses risques et périls, qu’en l’absence de congé notifié, le bail a été tacitement renouvelé par périodes de neuf ans, la liquidation judiciaire sans poursuite d’activité en raison de l’expulsion ne faisant pas obstacle à son renouvellement, Mme [A] n’ayant jamais mis le liquidateur en demeure de se positionner sur le sort du bail,
> subsidiairement, que Mme [A] devra être condamnée au paiement d’une indemnité compensant les préjudices subis, détaillée en pages 25-26 de leurs conclusions,
4 – Sur l’indemnité due au preneur sortant :
> que les sommes réclamées de ce chef correspondent aux énonciations d’un rapport d’expertise judiciaire, à une jurisprudence constante et au constat de la plus-value de 479 584,22 € réalisée par Mme [A] dans le cadre de la vente du domaine, postérieurement à leur expulsion,
Par conclusions remises et notifiées le 10 janvier 2022, Mme [A] demande à la cour :
– de débouter les appelants de toutes prétentions contraires,
– de dire qu’elle sera admise au passif de la liquidation judiciaire des époux [C] [Y] à hauteur de 20 576,91 €;
– de condamner Me [I], ès qualités, à lui verser 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Exposant que les époux [C] [Y] soutiennent en substance qu’avant leur liquidation, ils disposaient de moyens sérieux et légitimes de ne pas régler les fermages et qu’ainsi, le bail d’origine du 15 mars 1996 se serait renouvelé tacitement, par périodes de neuf ans jusqu’au 11 mars 2023 et qu’en conséquence elle doit régler à la liquidation judiciaire un manque à gagner au titre des terres non exploitables, Mme [A] soutient, pour l’essentiel :
1 – Sur la résiliation du bail :
– s’agissant du montant du fermage : que même à tenir compte d’un fermage révisé au regard des conclusions expertales, au 19 janvier 1999, date de la deuxième LRAR de mise en demeure, les preneurs n’étaient pas à jour des fermages exigibles au regard des termes des actes notariés du 15 mars 1996 et des dispositions de l’article L411-13 du code rural, de sorte que la cause légitime et séreuse ayant pour origine l’absence de conformité des fermages contractuellement prévus est sans incidence concernant la résiliation du bail,
– s’agissant des autres causes de résiliation du bail :
> qu’en l’absence de toute justification d’une diminution substantielle du passif déclaré lors du dépôt de bilan, il doit être considéré que la liquidation judiciaire sans poursuite d’activité rendait impossible la poursuite du bail,
> qu’en outre, même si sa créance est ramenée à une somme inférieure à celle déclarée, soit 89 795 € selon le rapport d’expertise [M], le passif ressort à plus de 212 000 €,
> que le liquidateur judiciaire n’a jamais manifesté de volonté de poursuivre un bail qui devenait sans objet alors qu’aucune poursuite d’activité n’était envisageable,
– que la prétention des époux [C] [Y] concernant leur réintégration est irrecevable en ce qu’elle constitue une demande nouvelle au sens de l’article 564 du C.P.C. et mal fondée, compte-tenu de leur âge, de l’absence de cheptel et de matériel, de l’absence d’autorisation d’exploiter, que la propriété a été vendue par lots et qu’aucune décision de réintégration ne pourrait être prononcée en l’absence des nouveaux propriétaires,
2 – Sur la liquidation des comptes entre les parties :
-qu’en raison des arriérés de fermage et de l’existence d’autres créanciers, la liquidation judiciaire sans poursuite d’activité était parfaitement justifiée et a été prononcée par jugement définitif,
– que les appelants ne peuvent remettre indirectement en question cette décision en tentant d’obtenir que la résiliation du bail soit prononcée aux torts de la bailleresse alors que celle-ci était créancière à la date des mises en demeure, qu’il n’existait aucune perspective de poursuite d’activité fin 2004 et que l’absence de possibilité de redressement de l’entreprise – qui n’aurait été possible que dans le cadre d’un redressement judiciaire – rendait la poursuite du bail sans objet, la validité du contrat de bail s’en trouvant donc affectée,
– que la propriété litigieuse a été revendue en 2005 et 2006 et que les acquéreurs auxquels l’arrêt ordonnant la réintégration serait inopposable n’ont pas été mis en cause par les appelants,
– que sa créance d’arriéré de fermages et accessoires s’établit, après compensation avec les améliorations apportées au domaine, à 20 576,91 €,
MOTIFS
I – Sur la demande en révision du prix du fermage :
Il y a lieu de rappeler :
> que le prix de chaque fermage est établi en fonction, notamment, de la durée du bail, compte tenu d’une clause de reprise éventuellement en cours de bail, de l’état et de l’importance des bâtiments d’habitation et d’exploitation, de la qualité des sols ainsi que de la structure parcellaire du bien loué, que ce prix est constitué, d’une part, du loyer des bâtiments d’habitation et, d’autre part, du loyer des bâtiments d’exploitation et des terres nues,
> que le loyer des bâtiments d’habitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima qui sont arrêtés par l’autorité administrative, que ce loyer ainsi que les maxima et les minima sont actualisés, chaque année, selon la variation de l’indice national mesurant le coût de la construction publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques.
> que le loyer des terres nues et des bâtiments d’exploitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l’autorité administrative et que ce loyer ainsi que les maxima et les minima sont actualisés chaque année selon la variation d’un indice des fermages,
> que cet indice est composé :
a) pour un quart au moins, du résultat brut d’exploitation à l’hectare constaté sur le plan national au cours des cinq années précédentes ;
b) d’un, ou de la combinaison de plusieurs, des éléments suivants :
– le résultat brut d’exploitation national à l’hectare d’une ou plusieurs catégories d’exploitations classées selon leur orientation technico- économique constaté au cours des cinq années précédentes,
– le résultat brut d’exploitation départemental à l’hectare constaté au cours des cinq années précédentes,
– le prix constaté dans le département d’une ou plusieurs denrées ne faisant pas l’objet d’indemnités compensatoires prévues par la réglementation communautaire,
> qu’après avis de la commission consultative paritaire départementale des baux ruraux, l’autorité administrative fixe, éventuellement par région naturelle agricole, la composition de l’indice des fermages, qu’elle en constate l’évolution chaque année, avant le 1er octobre, selon la même procédure,
> que la composition de cet indice fait l’objet d’un nouvel examen au plus tard tous les six ans,
> qu’à titre transitoire, à compter du 1er octobre 1995 et jusqu’à la première constatation de l’évolution de l’indice des fermages, l’actualisation du loyer des bâtiments d’exploitation et des terres nues et des maxima et des minima s’effectue, pour moitié, sur la base de la variation du résultat brut d’exploitation à l’hectare constaté sur le plan national au cours des cinq années précédentes et, pour moitié, sur la base de la variation du résultat brut d’exploitation à l’hectare constaté dans le département au cours des cinq années précédentes.
> que les modalités selon lesquelles les éléments de calcul de l’indice des fermages et leur variation sont constatés sont fixées par voie réglementaire après avis de la commission consultative paritaire nationale des baux ruraux.
> que l’autorité administrative détermine les maxima et les minima prévus aux alinéas ci-dessus sur proposition de commissions consultatives paritaires départementales et, le cas échéant, régionales et nationale, qu’en cas de carence de ces commissions, l’autorité compétente procède elle-même à cette fixation,
> que ces maxima et ces minima font l’objet d’un nouvel examen au plus tard tous les six ans, que s’ils sont modifiés, le prix des baux en cours ne peut, sous réserve des dispositions figurant au premier alinéa de l’article L. 411-13, être révisé que lors du renouvellement ou, s’il s’agit d’un bail à long terme, en début de chaque nouvelle période de neuf ans et qu’à défaut d’accord amiable, le tribunal paritaire des baux ruraux fixe le nouveau prix du bail (article L411-11 du code rural en sa version applicable, issue de la loi 1995-2 du 2 janvier 1995),
> que le preneur ou le bailleur qui, lors de la conclusion du bail, a contracté à un prix supérieur ou inférieur d’au moins un dixième à la valeur locative de la catégorie du bien particulier donné à bail, peut, au cours de la troisième année de jouissance, et une seule fois pour chaque bail, saisir le tribunal paritaire qui fixe, pour la période du bail restant à courir à partir de la demande, le prix normal du fermage selon les modalités ci-dessus et que cette faculté de révision prévue vaut pour la troisième année du premier bail, comme pour la troisième année de chacun des baux renouvelés (article L411-13 du code rural).
Sur la base – non contestée – des arrêtés préfectoraux applicables (arrêté du 7 juin 1990 fixant les valeurs locatives (maxima et minima), arrêté du 17 octobre 1995, faisant expressément référence à celui-ci et fixant, en l’absence d’avis de la commission consultative paritaire départementale, l’indice transitoire pour 1995 applicable à compter du 1er octobre 1995 jusqu’à la première constatation de l’évolution de l’indice des fermages, arrêtés annuels successifs fixant la valeur de l’indice départemental des fermages) et des stipulations contractuelles, l’expert judiciaire a constaté, s’agissant tant du loyer du bâtiment d’habitation que de celui des terres nues et des bâtiments d’exploitation, que les prix convenus dans le contrat de bail s’élevaient à 9 fois le montant du loyer calculé en application des textes en vigueur pour la partie habitation (15 244,90 € / 1 684,80 €) et 1,4 fois le montant du loyer calculé en application des textes en vigueur pour la partie ‘exploitation agricole’ (12272,15 € / 8 691,40 €), soit un loyer supérieur de plus d’un dixième par rapport à la valeur locative de la catégorie des biens donnés à bail, au sens de l’article L411-13 du code rural.
La demande de révision du prix du fermage, présentée dans des conditions de délai et forme dont la régularité n’est pas contestée et est établie au regard des dispositions de l’article L411-13 du code rural, sera déclarée recevable et bien-fondée.
En application de l’article L411-13 du code rural, la révision du prix du fermage doit être opérée, sur la base des montants proposés par l’expert judiciaire (soit 1 732,21 € pour la partie habitation et 9 006,00 € pour la partie exploitation), à compter du 19 octobre 1998 et pendant la durée d’exécution du bail, avec indexation annuelle au 1er novembre de chaque année.
II – Sur le sort du bail :
1 – sur la demande de résiliation fondée sur un défaut de paiement du fermage :
En application des textes en vigueur à la date d’introduction de la demande de résiliation (article L411-31 du code rural en sa rédaction issue du décret 83-212 du 16 mars 1983, article L 411-53 du code rural en sa rédaction issue du décret 83-212 du 16 mars 1983), il y a lieu de rappeler :
– que le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s’il justifie :
> soit de deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits lui revenant, ayant persisté à l’expiration d’un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l’échéance, devant rappeler, à peine de nullité, les termes de l’article L411-53,
> soit d’agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds,
– que ces motifs ne sauraient être retenus en cas de force majeure ou de raisons sérieuses et légitimes.
Mme [A] fonde sa demande de résiliation du bail à titre principal sur le défaut de paiement des fermages 1997 et 1998 en exposant que, même à tenir compte d’un fermage révisé au vu des conclusions de l’expert [M], au 19 janvier 1999, date d’une seconde lettre de mise en demeure au sens de l’article L411-31 du code rural, précédée par une première mise en demeure du 9 novembre 1998, les preneurs n’étaient pas à jour des fermages exigibles, de sorte que l’absence de conformité des fermages contractuellement prévus est sans incidence sur l’acquisition de la résiliation, faisant par ailleurs observer qu’en toute hypothèse, les preneurs n’ont plus rien réglé à partir de 2001.
Les appelants concluent au rejet de cette prétention en exposant :
– que le premier courrier du 9 novembre 1998 invoqué par Mme [A], rédigé par Me [W], notaire, ne peut constituer une mise en demeure régulière et valable au sens de l’article L411-53 (défaut de mention d’une quelconque ‘mise en demeure’, du détail des paiements intervenus rapportés aux échéances de loyer semestrielles, établi moins de trois mois avant la seconde mise en demeure qui seule revêt les caractéristiques visées à l’article L411-53),
– s’agissant de la mise en demeure du 19 janvier 1999 :
> concernant les échéances des 1er mai et 1er novembre 1997 :
* que le fermage exigible au 1er mai 1997 s’élevait à 18 000 F. et celui exigible au 1er novembre 1997 à 18 196,92 F., que ces échéances ont été réglées par un chèque de 36 000 F. adressé le 1er novembre 1997 dont Me [W] a accusé réception, de sorte qu’il manquerait a priori 196,92 F. (représentant l’indexation applicable) pour solder l’échéance du 1er novembre 1997
* que la mise en demeure vise une somme de 7 178,45 F. au titre de l’année 1997 dont 6 820,42 F. au titre des taxes foncières et 358,03 F. au titre du solde du fermage,
* que cependant, d’une part, les taxes foncières en retard de paiement ne peuvent être invoquées à l’appui d’une demande de résiliation du bail et, d’autre part, Mme [A] était réciproquement débitrice d’une somme supérieure à 196,92 F. au titre de sa participation de 50 %, non acquittée, aux frais d’établissement de l’état des lieux rédigé par Mme [C] [Y], travail approuvé par la bailleresse et méritant rémunération conformément aux stipulations contractuelles (page 13, § 4 du bail),
* qu’en toute hypothèse, la mise en demeure est entachée d’une erreur de calcul concernant le montant du fermage (application d’un indice erroné, 101,55 au lieu de 101,10 €) de sorte qu’ils avaient une raison sérieuse et légitime excusant leur retard à payer cette augmentation de 196,92 F. correspondant à l’indexation,
> concernant l’échéance du 1er mai 1998 :
* que le fermage exigible était d’un montant de 26 153,41 F.
* qu’un versement de 30 000 F. a été effectué le 15 décembre 1998, soldant entièrement le fermage exigible au 1er mai 1998, par application de l’article 1256 ancien du code civil,
> concernant l’échéance du 1er novembre 1998 :
* que l’expert judiciaire a chiffré à la somme globale de 38 417,13 € les montants du loyer fixé par le bail pour les périodes mars/octobre 1996, novembre 1996-octobre 1996 et novembre 97-octobre 1998, sans distinguer les sommes dues en argent et celles dues en nature (travaux),
* qu’ils ont justifié dans le cadre des deux expertises judiciaires avoir effectué la totalité des travaux mis à leur charge et qu’ils avaient donc, à la date de la mise en demeure, acquitté en nature, conformément aux stipulations contractuelles, l’équivalent d’une somme de 24 010,71 € qui, ajoutée aux paiements en argent estimés par Mme [A] elle-même à la somme de 18 829,50 € dégage, au 1er novembre 1998, un différentiel de plus de 4 000 € en leur faveur,
– que dès lors que toutes les échéances antérieures à la mise en demeure ont été réglées en totalité, la demande en résiliation doit être rejetée, alors même qu’entre la mise en demeure et les conclusions du 22 février 2002 par lesquelles Mme [A] a demandé pour la première fois la résiliation du bail, ils avaient procédé (le 23 novembre 1999) à un règlement de 1 067 € couvrant largement le solde restant dû du fermage du 1er novembre 1997.
SUR CE,
L’expert [M] n’avait pas mission d’établir les comptes entre les parties et notamment de chiffrer le montant des fermages effectivement acquittés par les époux [C] [Y] mais de déterminer si le(s) loyer(s) contractuel(s) stipulé(s) pour la partie habitation et pour la partie exploitation étaient, ou non, supérieurs d’au moins un dixième aux maxima prévus par les textes.
Par ailleurs, la révision du prix du fermage ordonnée en application de l’article L411-13 du code rural ne joue que pour l’avenir (à compter de la date de la demande de révision) et non à compter de la prise d’effet du bail (en l’espèce 11 mars 1996), ce dont il résulte que l’existence d’un éventuel défaut de paiement doit être appréciée au regard des stipulations conventionnelles applicables selon lesquelles le fermage, exigible bi-annuellement au 1er mai et 1er novembre de chaque année, et, pour la première fois le 1er novembre 1996, était :
> s’agissant de la partie habitation, d’un montant de 100 000 F., indexé sur l’évolution de l’indice du coût de la construction, indice de référence moyenne du 2ème trimestre 1995 (1018,25), payable en nature de travaux de remise en état à hauteur de 60 000 F. par an les deux premières années, en argent à concurrence de 60 000 F. la troisième année et de 100 000 F. les années suivantes,
> s’agissant de la partie exploitation, d’un montant de 80 500 F., limité à 36 000 F. les trois premières années, en échange de la remise en état des terres en friche et non drainées, indexé sur l’indice départemental des fermages.
Le courrier du 9 novembre 1999 ne peut constituer une mise en demeure valable et créatrice de droits au sens de l’article L411-53 du code rural en ce que, d’une part, il n’est pas justifié d’un quelconque mandat délivré à Me [W], notaire, pour délivrer mise en demeure et, d’autre part, il ne précise ni les échéances ni les montants impayés.
S’agissant de la mise en demeure par LRAR du 19 janvier 1999 dont la validité formelle n’est pas contestée par les époux [C] [Y], il convient de constater :
> qu’elle emportait commandement de payer :
* au titre de ‘l’année 1997’ : une somme de 7 178,42 F. dont 358,03 F. au titre du fermage, (faisant état du versement d’un acompte de 36 000 F.) et 6 820,42 F. au titre des impôts fonciers,
* au titre de ‘l’année 1998’ : une somme de 74 212,34 F. dont 7 306,81 F. au titre du fermage (mentionnant le versement d’un acompte de 30 000 F. à la perception de Mézières), 60 000 F. au titre du loyer du château et 6 905,53 F. au titre des impôts fonciers,
> qu’y était annexée une fiche de calcul de l’indexation du fermage partie exploitation pour les années 1996, 1997 et 1998 visant les sommes de 22 197,50 F. au titre du fermage 96 (au prorata temporis), de 36 358,03 € au titre du fermage 97 et de 37 306,81 € au titre du fermage 1998.
Il convient ici de rappeler :
– que le terme de ‘fermage’ recouvre non seulement la contrepartie financière de la mise à disposition des terres agricoles et bâtiments d’exploitation mais également la contrepartie financière à la mise à disposition de bâtiments d’habitation, de sorte que le non-paiement du loyer stipulé pour l’habitation peut être invoqué à l’appui d’une demande de résiliation,
– que l’article L411-53 ne vise que le défaut de paiement du ‘fermage’, de sorte qu’à l’exception du paiement du loyer d’un bâtiment d’habitation qui y est assimilé, sont exclues de son champ d’application toutes autres demandes en paiement, quelle qu’en soit la cause, notamment les demandes en paiement de taxes ou cotisations en totalité ou partiellement à la charge du preneur.
C’est en conséquence à bon droit que les époux [C] [Y] soutiennent que le défaut de paiement des impôts fonciers visés dans la mise en demeure ne peut constituer un motif de résiliation du bail.
S’agissant des échéances visées dans la mise en demeure du 19 janvier 1999, il y a lieu de considérer, au regard des éléments versés aux débats, qu’étaient exigibles à la date de la mise en demeure :
1 – au titre de ‘l’année 1997 ‘ (échéances des 1er mai et 1er novembre 1997) les sommes de 3600 F. au titre du fermage en principal, outre l’indexation soit 196,92 F. (évolution de l’indice 100.55 / 101.10 (et non 101.55 comme mentionné par erreur dans la mise en demeure, ainsi que le confirme la note de synthèse de M. [P] du 12 mars 2004 et les arrêtés préfectoraux versés aux débats), étant indiqué qu’en application des dispositions contractuelles, aucune somme en argent n’était due au titre du loyer du bâtiment d’habitation, en contrepartie de la réalisation (non contestée par Mme [A]) de travaux de remise en état à hauteur de 60 000 F.,
2 – au titre de ‘l’année 1998 ‘ (échéances des 1er mai et 1er novembre 1998) :
> au titre du fermage : la somme de 37 306,81 F. indexation comprise (100.55 / 104.20)
> au titre du loyer : (payable en argent à compter du 15 mars 1998) la somme de 37 500 F. (au prorata temporis),
> soit un total de 74 806,81 F.
Il doit être considéré que les époux [C] [Y] ne peuvent opposer compensation avec une prétendue créance réciproque, non chiffrée et non évaluable, au titre du partage des frais d’établissement d’un état des lieux d’entrée en jouissance, lequel a été établi amiablement entre les parties, sans intervention tarifée d’un tiers.
A la date de la mise en demeure, les époux [C] [Y] avaient effectué deux versements d’un montant global de 66 000 F., de sorte que le solde restant dû exigible en argent s’élevait à 9 003,73 F. (74 806,81 + 196,92 – 66 000), la réalisation par les époux [C] [Y] des travaux de remise en état de la partie habitation et des terres mentionnés dans le bail étant par ailleurs justifiée et non contestée.
S’il n’est pas justifié du règlement intégral des causes de la mise en demeure du 19 janvier 1999, il apparaît cependant :
– d’une part, que certaines d’entre elles étaient totalement (impôts fonciers) ou partiellement (loyer du château pour 1998) infondées,
– d’autre part, qu’à la date de la demande de résiliation judiciaire du bail (conclusions de Mme [A] du 22 février 2000), les époux [C] [Y] avaient :
> effectué un règlement de 7 000 F. auprès de la trésorerie de [Localité 9] le 23 novembre 1999 (pièce 18), réduisant la dette locative effectivement exigible à 2 003,73 F.,
> engagé (le 19 octobre 1998, soit avant même la délivrance de la mise en demeure) une action en révision du prix du bail à laquelle il a été fait droit ci-dessus, au constat de son caractère manifestement excessif, s’agissant tant du fermage que du loyer.
Ces circonstances caractérisent, compte-tenu tant des incertitudes affectant tant le montant de la dette locative (au regard des erreurs affectant son calcul dans la mise en demeure) que celui du prix du bail même, des raisons sérieuses et légitimes au sens de l’article L411-31 du code rural, exclusives du prononcé d’une résiliation du bail pour défaut de paiement du fermage/loyer.
Le jugement déféré sera en conséquence réformé en ce qu’il a prononcé la résiliation du bail aux torts des époux [C] [Y] pour défaut de paiement du prix du bail.
2 – Sur la demande de résiliation fondée sur la liquidation judiciaire des époux [C] [Y] :
Mme [T] épouse [A] soutient :
– que la liquidation judiciaire sans poursuite d’activité a rendu impossible la poursuite du bail alors que les époux [C] [Y] ne justifient pas avoir sollicité le bénéfice d’un redressement judiciaire et qu’ils n’ont pas interjeté appel du jugement prononçant la liquidation judiciaire, cette attitude établissant clairement, selon elle, qu’ils ne s’estimaient pas eux-mêmes en situation de poursuivre l’activité, étant non seulement débiteurs de leur bailleresse mais également d’autres créanciers,
– que l’ordonnance d’admission de créances du 23 novembre 2005 vise des sommes de 3 610 € au titre des créances bénéficiant d’un privilège général, 101 145 € au titre de celles bénéficiant d’un privilège spécial et 326 842 € au titre des créances chirographaires,
– que même si sa propre créance est ‘ramenée’ à une somme inférieure à celle déclarée au passif (302 501 €) telle que proposée par l’expert [P] à hauteur de 89 795 € qui est en réalité inexacte puisqu’il doit être tenu compte, d’une part, du fermage des années 1996 et 1997 (période pendant laquelle la révision est interdite) et, d’autre part, de l’arriéré de fermage échu en août, septembre et octobre 2004, soit un total de 99 393 € (89 795 + 7 500 + 2098) et même en déduisant les règlements en deniers (15 961 €), le passif ressort à plus de 212 000 €,
– que les époux [C] [Y] ne produisent pas le dernier état du passif vérifié,
– que dans sa version applicable en 2004, l’article L641-12 du code de commerce offrait au liquidateur judiciaire la faculté de poursuivre le bail,
– qu’elle n’a jamais été informée de la volonté du liquidateur de poursuivre un bail qui devenait sans objet alors qu’aucune poursuite d’activité n’était envisageable,
– que la prétention des époux [C] [Y] concernant leur réintégration est irrecevable et mal fondée, alors qu’ils sont âgés de 80 et 75 ans, qu’ils ne disposent d’aucun cheptel ni d’aucun matériel, qu’ils n’ont pas d’autorisation d’exploiter et que leurs demandes sont irrecevables au regard des dispositions de l’article 564 du C.P.C., n’ayant jamais été formulées antérieurement,
– qu’en outre, la propriété a été revendue par lots et qu’aucune décision de réintégration ne pourrait être prise en l’absence des nouveaux propriétaires,
– qu’en raison de l’arriéré de fermage et de l’existence d’autres créanciers, la liquidation judiciaire sans poursuite d’activité était justifiée, qu’elle a été prononcée par jugement définitif, que les époux [C] [Y] ne peuvent remettre indirectement en question cette décision en tentant d’obtenir que la résiliation du bail soit prononcée aux torts de la bailleresse, qui était bien créancière à la date des mises en demeure, alors qu’il n’existait aucune perspective de poursuite d’activité à la fin de l’année 2004, de sorte que l’absence de possibilité de redressement de l’entreprise qui n’aurait été possible que dans le cadre d’un redressement judiciaire rendait la poursuite du bail sans objet de sorte que la validité du contrat de bail s’en trouvait affectée.
Les époux [C] [Y] s’opposent à cette analyse en soutenant :
– qu’ils n’ont pas demandé eux-mêmes leur liquidation judiciaire mais ont été contraints par la loi à déclarer cessation de paiement en conséquence de la perte de leur outil de travail ne leur permettant plus de faire face au passif exigible, qu’ils ont demandé à bénéficier d’un redressement judiciaire même si le jugement du 10 novembre 2004 omet de le préciser,
– qu’ils ont interjeté appel de ce dernier jugement pour obtenir un redressement judiciaire qui leur a été refusé par la cour d’appel de Limoges, qu’il n’a pas été possible de retrouver l’arrêt rendu dans cette instance 1591/04, mais qu’un jeu de conclusions prouve l’existence de l’appel et explique les raisons pour lesquelles ils sollicitaient un redressement judiciaire,
– que plus de 130 000 € ont été récupérés par le liquidateur judiciaire (pièces 62 à 65, 67),
– que l’état du passif établi en 2007 (pièce 66) établit si l’on excepte la créance déclarée de Mme [A] et les créances bancaires résultant de la déchéance du terme consécutive à la cessation de paiement de septembre 2004, le passif était inférieur à 30 000 €, ce qui interdit de conclure à une mauvaise santé financière de l’exploitation,
– que le redressement judiciaire pourtant demandé en première instance et en appel n’a pas été rendu possible à cause de la privation de leur outil de travail consécutive à leur expulsion, entraînant la perte de toutes les rentrées financières susceptibles d’intervenir si l’exploitation avait pu continuer,
– que la poursuite du bail n’est pas ‘devenue impossible’ mais conditionnée par les décisions de justice ultérieures dans le litige opposant les parties, que le bail était en cours d’exécution au jour de l’expulsion et de la liquidation judiciaire et que Mme [A] a manqué à ses obligations contractuelles en troublant la jouissance du preneur, qu’elle ne peut dès lors invoquer sa propre turpitude pour soutenir que l’expulsion et la liquidation dont elle est responsable auraient rendu impossible l’exécution du bail (article 31 de la loi 91-650 du 9 juillet 1991),
– qu’en application de l’article L641-12 (en réalité L622-13) ancien du code de commerce, le liquidateur ne devait informer la bailleresse que dans la mesure où il n’aurait pas voulu continuer le bail rural, de sorte qu’en n’informant jamais celle-ci, il doit être considéré qu’il a implicitement souhaité le poursuivre,
– que l’autorisation administrative d’exploiter délivrée en 1996 ne leur a jamais été retirée et que les enfants agriculteurs disposent de matériel agricole pouvant en toute hypothèse être très rapidement acquis,
– que leur demande de réintégration n’est pas irrecevable au sens de l’article 564 du C.P.C. dès lors qu’elle est l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la défense opposée à la demande reconventionnelle en résiliation du bail,
– qu’en matière d’expulsion, la restitution en nature se matérialise par la réintégration du locataire dans les lieux loués, qu’elle se justifie en l’espèce, la bailleresse n’ayant pas attendu le résultat de la procédure en cassation pour poursuivre l’expulsion,
– que la cour appréciera si la vente du domaine est de nature à faire obstacle à leur réintégration.
SUR CE
Un bail rural ne peut être résilié que pour l’une de causes limitativement énumérées par le code rural.
En suite du rejet de la demande de résiliation du bail pour défaut de paiement des fermages 1997 et 1998 et en l’absence de toute autre demande de résiliation fondée sur un défaut de paiement des échéances postérieures et/ou un défaut de preuve d’agissements des preneurs de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, le bail litigieux était toujours en cours à la date de l’expulsion ordonnée en application de l’arrêt du 26 mars 2003.
Par ailleurs, aucune disposition du code rural n’érige la liquidation judiciaire du preneur à bail rural en cause de résiliation du contrat, alors même que l’article L622-13 ancien du code de commerce, en sa rédaction applicable en l’espèce, dispose que la liquidation judiciaire n’entraîne pas de plein droit la résiliation du bail des immeubles affectés à l’activité de l’entreprise, que le liquidateur peut continuer le bail ou le céder dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent, que si le liquidateur décide de ne pas continuer le bail, celui-ci est résilié sur sa simple demande, la résiliation prenant effet au jour de cette demande.
La liquidation judiciaire est manifestement la conséquence directe et exclusive de l’expulsion ayant privé les époux [C] [Y] de leur outil de travail et ayant entraîné l’exigibilité anticipée des emprunts par eux souscrits pour financer l’opération immobilière projetée, l’expulsion des époux [C] [Y] étant intervenue avant le prononcé d’une décision définitive sur la résiliation judiciaire, sur la base d’une décision, certes exécutoire mais exécutée aux risques et périls de la partie y ayant fait procéder.
En outre, à la date du prononcé de la présente décision, la clôture de la liquidation judiciaire n’a toujours pas été prononcée et les époux [C] [Y] justifient d’une réduction importante du passif initialement déclaré, situation de laquelle il se déduit que l’impossibilité de poursuite du bail du fait de la liquidation judiciaire n’est pas établie.
La demande de réintégration, présentée pour la première fois dans le cadre de la présente instance sur renvoi de cassation est en soi et en elle-même recevable au regard des dispositions de l’article 564 du C.P.C. en ce qu’elle ne constitue que la conséquence, l’accessoire et le complément de la demande tendant à voir débouter Mme [A] de sa demande reconventionnelle en résiliation du bail.
L’examen des pièces versées aux débats établit cependant que le [Adresse 6] a fait l’objet, par divers actes reçus courant 2005, 2006 et 2007, de ventes, par lots, à des tiers, de sorte qu’à défaut d’une action en nullité engagée dans les conditions prévues par l’article L412-12 du code rural, la réintégration des époux [C] [Y] sur des biens appartenant à des tiers non appelés en cause ne peut être ordonnée.
Les époux [C] [Y] seront en conséquence déboutés de leur demande en réintégration sur l’exploitation objet du bail rural litigieux lequel a été privé d’objet par l’effet de la vente fractionnée de la propriété à des tiers, non valablement contestée par les époux [C] [Y].
III – Sur les demandes indemnitaires et l’apurement des comptes :
Les époux [C] [Y] sollicitent, dans l’hypothèse où leur réintégration ne serait pas ordonnée, la condamnation de Mme [T] épouse [A] à leur payer les sommes de :
– 774 200 € à titre de dommages-intérêts consécutivement à leur expulsion illégale, sur le fondement des articles 1134 et 1147 anciens du code civil,
– 319 020 € au titre de l’indemnité due au preneur sortant, sur le fondement de l’article L411-69 du code rural et de la pêche maritime,
sauf à la cour à ordonner une mesure d’instruction aux fins d’évaluation de leurs préjudices et d’apurement des comptes entre les parties.
Ils soutiennent à ce titre :
– que suite à la perte totale de leur outil de travail, ils ont été mis dans l’impossibilité de répondre de leur passif exigible avec leur actif disponible, le passif s’augmentant automatiquement des prêts en cours après déchéance du terme dès le prononcé de la liquidation judiciaire,
– qu’il ne peut leur être reproché de ne pas s’être réinstallés sur leur ferme de St Maurice des Noues (85) dont l’éloignement géographique (170 kms) ne permettait pas de conserver la clientèle, alors même que la cessation d’activité avait été ordonnée, un redressement sur une autre exploitation agricole aussi éloignée n’ayant pas été considéré comme une solution économiquement justifiée,
– que parmi le passif exigible de 386 417 €, doit être incluse la créance alléguée par Mme [T] épouse [A] à hauteur de 302 501,12 €, de sorte qu’elle les a délibérément mis en état de cessation de paiement en tant que créancier principal (78 % du passif) et en tant qu’expulsant,
– qu’ils sont fondés à solliciter une indemnisation sur les bases suivantes :
> devis de transport de matériel agricole et des meubles personnels : 12 000 €,
> frais de liquidation judiciaire : 20 000 €
> frais de justice liés à la liquidation judiciaire: 30 000 €,
> préjudice moral : 175 000 € pour avoir été expulsés de leur ferme/ domicile, pour l’humiliation subie, la mise en liquidation judiciaire et en interdit bancaire, pour le préjudice de santé de Mme [C] [Y], handicapée du dos depuis le déménagement précipité,
> préjudice matériel :
* 75 000 € à titre de dommages-intérêts pour expulsion illégale et discrédit bancaire,
* 110 200 € (11 500 € x 9,5 ans) pour perte d’exploitation perte de chance de percevoir l’excédent brut d’exploitation et de conserver la clientèle, la base de 11 500 e correspondant au barème forfaitaire fiscal retenu pour déterminer leur revenu agricole (pièce 58)
* 57 000 € (6 000 x 15 ans) au titre du manque à gagner sur leur pension de retraite alors qu’ils ont été empêchés de cotiser depuis 2004,
* 19 000 € (20 000 x 9 ans) au titre du manque à gagner du fait des prêts bancaires qu’ils pouvaient financer dans le cadre d’une exploitation normale,
* 15 000 € pour la perte du droit de céder le bail à leur fils, aide familial, [H] [C] [Y],
– que Mme [T] épouse [A] devra être déboutée de ses demandes contraires, fondées sur un loyer usuraire et un préjudice économique et financier de 65 000 € non justifié dans son existence et son montant, alors qu’elle jouit depuis 2005 du produit de la vente du domaine constitué pour une large partie de la plus-value apportée par eux, sans avoir provisionné au titre de l’indemnité due au preneur sortant,
– s’agissant des l’indemnité due au preneur sortant:
> que l’indemnité évaluée par l’expert [P] à hauteur de 129 040,54 € est inférieure au barème applicable,
> qu’ainsi, le Centre d’Economie Rurale de la Vienne, centre de gestion agréé (pièce 31) retient qu’ils apportent des preuves tout à fait tangibles de l’importance des améliorations indispensables pour l’exploitation du fonds loué qu’ils ont effectuées, qu’un état récapitulatif d’un montant de 222 828 € est déclaré par eux comprenant des prestations réalisées par eux-mêmes et par ailleurs de nombreuses factures d’achats et de prestations de service acquittées auprès de tiers,
> qu’ils sont ainsi fondés à solliciter de ce chef une indemnité de 319 020 €.
Mme [T] épouse [A] expose en substance :
– que les demandes indemnitaires des époux [C] [Y] sont irrecevables ou mal-fondées,
– qu’en raison des arriérés de fermage et de l’existence d’autres créanciers, la liquidation judiciaire sans poursuite d’activité était justifiée et a été prononcée par jugement définitif,
– que les époux [C] [Y] ne peuvent remettre indirectement en question cette décision en tentant d’obtenir que la résiliation du bail soit prononcée aux torts de la bailleresse, qui était bien créancière à la date des mises en demeure, qu’il n’existait aucune perspective de poursuite d’activité à la fin de l’année 2004 et que, par voie de conséquence, l’absence de possibilité de redressement de l’entreprise rendait la poursuite du bail sans objet,
– qu’à défaut d’admettre sa créance d’arriérés de fermage et accessoires telle que formulée dans sa déclaration de créance, celle-ci devra être fixée à la somme de 99 393 € de laquelle doivent être déduits les fermages payés (15 961 € selon le rapport [P]) et les améliorations apportées au fonds (94 717,50 € selon le même expert) desquelles doivent cependant être déduites les réparations dues pour le château, contractuellement fixées pour la période non révisable à 18 293,92 € et la remise en état des terres en friche et non drainées pour la même période (13 567,99 €) soit une somme globale de 31 861,91 €, ramenant la créance de la liquidation judiciaire à 62 855,09 €,
– que par compensation des créances réciproques, elle doit être admise au passif à hauteur de 20 576,91 €.
SUR CE,
1 – Sur les demandes indemnitaires formées par les appelants :
En faisant procéder à l’expulsion des époux [C] [Y] avant le prononcé d’une décision définitive sur la résiliation du bail, sur la base d’une décision, certes exécutoire mais exécutée aux risques et périls de la partie y ayant fait procéder, Mme [T] épouse [A] a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle à l’égard des époux [C] [Y].
L’examen des pièces versées aux débats établit en effet que l’état de cessation de paiements et l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’égard des époux [C] [Y] sont directement imputables à leur expulsion de la propriété litigieuse qui les a privés de l’unique source de revenus professionnels qui leur permettait jusqu’alors de faire face à leur passif exigible avec leur actif disponible, étant considéré que l’ouverture de la procédure collective a entraîné la déchéance du terme dont ils bénéficiaient au titre des emprunts par eux souscrits dans le cadre de leur projet d’installation.
Les appelants sollicitent en substance l’indemnisation de trois chefs de préjudice : matériel, moral et économique et financier.
S’agissant du préjudice matériel :
Les époux [C] [Y] seront déboutés de ce chef de demande (frais de transport de matériel agricole et des meubles personnels, frais de liquidation judiciaire, frais de justice liés à la liquidation judiciaire) à défaut de tout justificatif de l’existence même et du règlement des dépenses dont ils sollicitent remboursement.
S’agissant du préjudice moral :
Ce poste de préjudice doit être considéré, à l’examen des demandes formée par les époux [C] [Y], comme incluant le préjudice moral proprement dit, le préjudice résultant d’une ‘expulsion illégale’ et d’un ‘discrédit bancaire’ et celui résultant de la perte du droit de céder le bail à l’un de leurs descendants,
L’existence d’un préjudice moral est établie au regard tant des circonstances dans lesquelles s’est déroulée l’expulsion de la propriété litigieuse telles que s’évinçant des pièces versées aux débats (pièce 14, P.V. d’expulsion, pièce 15: coupures de presse, pièce 36: photographies) que de l’importance et de la gravité de ses conséquences (liquidation judiciaire et difficultés subséquentes), justifiant, compte-tenu de l’importance et de la durée du préjudice l’octroi d’une indemnité de 30 000 €.
S’agissant de préjudice économique et financier :
Ce poste de préjudice est constitué par les demandes formées au titre de la ‘perte d’exploitation’, du ‘manque à gagner sur pension de retraite’ et du ‘manque à gagner du fait des prêts bancaires’ qui auraient pu être financés dans le cadre d’une exploitation normale.
Les appelants ne produisent aucun élément objectif et vérifiable constituant un commencement de preuve de l’existence d’un préjudice au titre d’un manque à gagner du fait des prêts bancaires qu’ils auraient pu financer dans le cadre d’une exploitation normale et ils seront déboutés de leur demande indemnitaire de ce chef.
Le préjudice lié à la perte d’exploitation invoqué par les époux [C] [Y] doit être évalué sur la base d’une perte de chance de percevoir un excédent brut d’exploitation jusqu’au terme de la période de neuf ans en cours à la date de l’expulsion (28 février 2005) soit sur la base du barème forfaitaire fiscal retenu pour déterminer leur revenu agricole (cf. pièce 58) la somme de 11 500 €.
La perte de chance de constituer des droits à retraite sera calculée sur les mêmes bases et indemnisée par l’octroi d’une somme de 6 000 €.
2 – Sur la demande au titre de l’indemnité due au preneur sortant :
L’article L411-69 du code rural et de la pêche maritime, en sa rédaction applicable, dispose que le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l’expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail.
Au terme d’un rapport d’expertise précis, détaillé et exhaustif, établi le 27 mai 2004, M. [P], désigné par le jugement déféré, a, sur la base des justificatifs produits, évalué à la somme globale de 92 938,79 € (après déduction des deux annuités de loyer dont les époux [C] [Y] étaient contractuellement dispensés du paiement en échange de travaux d’amélioration, à concurrence de la somme de 18 293,88 €) les améliorations apportées au domaine par les preneurs dont 58 871,22 € au titre des travaux sur les terrains agricoles, 17 080,38 € au titre des travaux sur les bâtiments d’exploitation et 16 987,19 € au titre des travaux sur le château et ses abords.
Les époux [C] [Y] ne produisent aucun élément pertinent au soutien de leur contestation des conclusions de M. [P], la note du Centre d’économie rurale de la Vienne en date du 18 novembre 2002 (pièce 31, précisant qu’à défaut d’expertise déterminant la valeur précise des améliorations réalisées, les époux [C] apportent des preuves tout à fait tangibles de l’importance des améliorations indispensables pour l’exploitation du fonds qu’ils ont effectuées et qu’un état récapitulatif d’un montant de 222 827,86 € est déclaré par eux ce qui comprend des prestations réalisées par eux mêmes et de nombreuses factures d’achats et de prestations de service acquittées auprès de tiers) étant insuffisante, notamment en ce qu’elle ne distingue pas travaux d’amélioration ouvrant droit à indemnité et travaux d’entretien incombant au preneur, pour contester efficacement les conclusions expertales.
3 – Sur la créance de Mme [T] épouse [A] :
Sur la base du rapport de M. [M] qui ne fait l’objet d’aucune critique pertinente, les époux [C] [Y] étaient redevables à la date de leur expulsion, d’une somme globale de 89 795,13 € dont 15 354,84 € au titre du loyer afférent au bâtiment d’habitation et 74 440,29 € au titre du fermage (terrains nus et bâtiments d’exploitation).
Ils justifient (pièces17 à 21) avoir réglé une somme globale de 58 697,53 € en ce compris les loyers ‘en nature’ constitués par des travaux d’amélioration.
La créance de Mme [T] épouse [A] au titre des loyers/fermages impayés au 30 juillet 2004 sera en conséquence fixée à la somme de 31 097,60 €.
4 – Sur l’apurement des comptes entre les parties :
La créance indemnitaire des époux [Y] [C] a été fixée à la somme de 140 438,79 € et la créance de Mme [T] épouse [A] a été arrêtée à la somme de 31 097,60 €.
Il convient d’ordonner la compensation judiciaire entre les créances réciproques connexes des parties et de condamner en définitive Mme [T] épouse [A] à payer aux époux [C] [Y], représentés par leur liquidateur judiciaire, ès qualités, la somme de 109 341,19 €.
IV – Sur les demandes accessoires :
Les époux [C] [Y] seront déboutés de leur demande en dommages-intérêts pour procédure abusive et manoeuvre dilatoire dès lors que la demande reconventionnelle en résiliation du bail a été accueillie en première instance et que la mise en oeuvre d’une procédure d’expulsion, pour quelque téméraire qu’elle fût, en l’absence de caractère définitif de la décision ayant prononcé la résiliation, ne peut être qualifiée d’abusive.
L’équité commande d’allouer aux époux [C] [Y], en application de l’article 700 du C.P.C., la somme globale de 8 000 € au titre des frais irrépétibles par eux exposés en lien direct avec la présente instance sur renvoi (procédure de première instance devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Bellac puis le tribunal de grande instance de Limoges, appel de la décision de cette dernière juridiction).
Mme [T] épouse [A] sera condamnée aux entiers dépens d’appel et de première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Limoges en date du 8 mars 2001,
Vu l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 26 mai 2016,
Vu l’arrêt de cette cour en date du 21 août 2019,
Dans les limites de sa saisine :
Réforme le jugement entrepris en ce qu’il a :
– prononcé la résiliation du bail aux torts des époux [C] [Y] et dit que ces derniers devraient quitter la propriété dans son ensemble le 31 octobre 2001 au plus tard, avec exécution provisoire.
– fixé à 180.500 F par an l’indemnité d’occupation due par les époux [C] [Y] jusqu’à la libération effective des lieux,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
– Déclare recevable et bien fondée la demande de révision du prix du bail et fixe le loyer contractuel, en application de l’article L411-13 du code rural et de la pêche maritime, aux montants calculés par M. [M], expert judiciaire, en son rapport du 30 juin 2021,
– Déboute Mme [T] épouse [A] de sa demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement du fermage et pour ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’égard des époux [C] [Y],
– Déboute les époux [C] [Y] de leur demande tendant à voir constater le renouvellement tacite du bail, condamner Mme [T] épouse [A] à payer à Me [I], ès qualités, les sommes de 93 699 € au titre du manque à gagner sur les terres non exploitables et de 114 930 € au titre du manque à gagner sur le château et ordonner leur réintégration dans les lieux, demeurant la caducité du bail, privé d’assiette et d’objet par la vente du domaine à des tiers non appelés en la cause,
– Déboute les époux [C] [Y] de leur demande en dommages-intérêts pour procédure abusive et manoeuvre dilatoire,
– Fixe à la somme globale de 140 438,79 € la créance indemnitaire des époux [C] [Y] à l’encontre de Mme [T] épouse [A] et les déboute du surplus de leurs demandes indemnitaires,
– Fixe à la somme de 31 097,60 €, arrêtée au 30 juillet 2004, la créance de Mme [T] épouse [A] à l’égard de la liquidation judiciaire des époux [C] [Y], au titres fermages impayés,
– Ordonne la compensation judiciaire des créances réciproques entre les parties et condamne en définitive Mme [T] épouse [A] à payer à Me [I], ès qualités de liquidateur judiciaire des époux [C] [Y] la somme de 109 341,19 €,
– Déboute les époux [C] [Y] de leur demande en dommages-intérêts pour procédure abusive et manoeuvre dilatoire,
– Condamne Mme [T] épouse [A] à payer à Me [I], ès qualités, en application de l’article 700 du C.P.C., la somme globale de 8 000 € au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu’en cause d’appel,
– Condamne Mme [T] épouse [A] aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertises judiciaires.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,