ARRET
N°
S.C.I. DE L’ETOILE
C/
[C]
CD/SGS
COUR D’APPEL D’AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU QUATRE MAI
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/01540 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IMVU
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE COMPIEGNE DU UN MARS DEUX MILLE VINGT DEUX
PARTIES EN CAUSE :
S.C.I. DE L’ETOILE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Chloé TOURRE, avocat au barreau de COMPIEGNE
Plaidant par Olivier CHEMIN, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS
APPELANTE
ET
Monsieur [I] [C]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocat au barreau D’AMIENS
INTIME
DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :
L’affaire est venue à l’audience publique du 02 mars 2023 devant la cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.
A l’audience, la cour était assistée de Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
Sur le rapport de Mme [F] [G] et à l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 04 mai 2023, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
PRONONCÉ :
Le 04 mai 2023, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre et Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.
*
* *
DECISION :
La SCI de l’Etoile était propriétaire de plusieurs biens immobiliers qu’elle a vendus par acte authentique du 30 avril 2019 reçu par Me [I] [C], notaire à Le Meux.
Suivant exploit délivré le 3 novembre 2020 la SCI de l’Etoile a fait assigner Me [C] au visa des articles 1240 et suivants du code civil en paiement de la somme de 289 522 euros à titre de dommages et intérêts outre une indemnité de procédure arguant d’un manquement du notaire à son devoir de conseil relativement aux conséquences fiscales de la vente.
Par jugement du 1er mars 2022 le tribunal judiciaire de Compiègne a :
– rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la SCI de l’Etoile,
– condamné la SCI de l’Etoile à payer à Me [C] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 1er mars 2022 la SCI de l’Etoile a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 18 mai 2022, elle demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris;
– en conséquence,
– condamner Me [C] au paiement de la somme de 289 522 euros en réparation du préjudice subi par la SCI de l’Etoile et de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens sous le bénéfice de la distraction.
Elle fait valoir que lors de la vente le notaire rédacteur de l’acte a établi un décompte prévisionnel d’une plus value à hauteur de 22 100 euros qui a été réglée ; que cependant la SCI n’était pas assujettie à l’impôt sur le revenu mais à l’impôt des sociétés et ne pouvait bénéficier d’un abattement pour durée de rétention du bien contrairement aux calculs faits par le notaire.
Elle soutient que le notaire a manqué à son devoir de conseil puisqu’il aurait dû l’avertir des conséquences financières de la vente à savoir le règlement au titre de l’impôt sur les sociétés d’une somme de 289 522 euros et qu’il doit l’indemniser de son préjudice subi.
Elle ajoute que contrairement à ce qu’indique le tribunal le notaire a participé à la signature de la promesse de vente et il est certain que les porteurs de parts de la SCI n’auraient pas poursuivi la vente du bien s’ils avaient été avertis de l’incidence fiscale de cette vente.
Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 18 juillet 2022 Me [C] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a retenu l’existence d’une faute imputable au notaire et le confirmer pour le surplus,
– en conséquence à titre principal :
– juger qu’il n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité civile professionnelle et débouter la SCI de l’Etoile de toutes ses demandes,
– à titre subsidiaire,
– juger que la SCI de l’Etoile ne démontre pas l’existence d’un préjudice direct certain et actuel résultant de la faute commise selon elle par le notaire et débouter en conséquence ladite SCI de toutes ses demandes,
– en tout état de cause condamner la SCI de l’Etoile à payer à Me [C] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Il fait valoir qu’il n’a commis aucune faute professionnelle ; que la SCI lui avait déclarée qu’elle était assujettie à l’impôt sur le revenu et non à l’impôt sur les sociétés ce qui est d’ailleurs indiqué expressément tant dans la promesse de vente que dans l’acte de vente ; que le gérant de la SCI ne pouvait ignorer son régime d’imposition et devait en informer le notaire rédacteur de l’acte de vente.
À titre subsidiaire il indique que la preuve n’est pas rapportée de l’existence d’un préjudice subi en lien de causalité avec l’éventuelle faute du notaire ; que la perte de chance d’avoir pu renoncer à la vente est nulle puisque dès la signature du compromis de vente la SCI s’est engagée à vendre son bien.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 février 2023 et l’affaire a été renvoyée pour être plaidée à l’audience du 2 mars suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
– sur la faute du notaire
L’article 1240 du code civil dispose que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
En sa qualité d’officier ministériel le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur la portée et les effets ainsi que sur les risques de l’acte auquel il prête son concours, et, le cas échéant, de le leur déconseiller. Il doit notamment anticiper les conséquences fiscales d’une opération.
Il incombe au notaire de prouver l’exécution de son devoir de conseil.
En l’espèce il ressort des pièces versées aux débats que dans le cadre de la vente de l’immeuble appartenant à la SCI de l’Etoile, Me [C], notaire instrumentaire de cet acte, a établi un ‘décompte prévisionnel vendeur’ chiffrant l’imposition de cette cession au titre de la plus value à hauteur de la somme de 22 100 euros, ce montant étant d’ailleurs réglé par la SCI.
Il est cependant établi qu’au titre de la cession de son immeuble la SCI de l’Etoile a dû s’acquitter non pas de la somme de 22 100 euros mais de celle de 289 522 euros, étant assujetti à l’impôt sur les sociétés.
Ainsi que l’indique à juste titre le premier juge, Me [C] ne justifie pas avoir vérifié préalablement à la signature de l’acte authentique de vente le régime fiscal de la SCI de l’Etoile afin de lui apporter les informations et conseils utiles.
Le notaire ne peut valablement soutenir que le gérant de la SCI de l’Etoile lui avait expressément déclaré que la société était assujettie à l’impôt sur le revenu et non à l’impôt sur les sociétés dès lors qu’il n’établit pas la réalité de cette affirmation et qu’au contraire la SCI de l’Etoile produit aux débats le bail commercial daté du 11 octobre 2016 ainsi qu’une promesse unilatérale datée du 3 novembre 2015 (pièces 6 et 7 de l’appelante) rédigés par Me [C] dans lesquels il est fait mention de l’option faite par la SCI de l’assujettissement des loyers à la TVA ce qui aurait dû le conduire à s’assurer du régime fiscal de son client.
En tout état de cause il appartenait au notaire de vérifier, avant la signature de l’acte, les conséquences fiscales de la cession envisagée afin d’éclairer et d’informer la SCI de l’Etoile de l’imposition due au titre de la vente projetée.
Il ne justifie pas avoir satisfait à ses obligations et a, de surcroît, commis une erreur relativement aux conséquences fiscales de l’acte authentique de cession qu’il a rédigé. C’est dès lors à bon droit que le premier juge a dit qu’il avait commis une faute à son devoir de conseil et d’information.
– sur le préjudice
Les conséquences d’un manquement à un devoir d’information et de conseil ne peuvent s’analyser qu’en une perte de chance dès lors qu’il n’est pas certain que mieux informé le créancier de l’obligation d’information se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse.
La SCI de l’Etoile fait valoir que le manquement de Me [C] à son devoir de conseil et d’information relativement aux conséquences fiscales de la cession lui a fait perdre une chance de renoncer à la vente pour éviter une telle imposition.
Le premier juge, suivant l’argumentation du notaire sur ce point, a considéré que dès la promesse de vente signée le 23 novembre 2018, la SCI était tenue de régulariser l’acte de vente sous peine de paiement d’une clause pénale de 105 000 euros et que Me [C] n’ayant pas été partie à cette promesse, le préjudice allégué en lien de causalité avec la faute du notaire n’était pas établi.
En appel la SCI de l’Etoile produit aux débats, en pièces 18 et 19, la preuve que Me [C] était présent lors de la signature du compromis daté du 23 novembre 2018 et qu’il l’assistait déjà dans le cadre de la cession, le directeur de l’agence immobilière ERA déclarant ‘ Je vous confirme par le présent mail, que Maître [I] [C], notaire à Le Meux (Oise) était présent lors de la signature du compromis de vente en agence.’ et produisant une copie du mail qu’il avait adressé au notaire le 22 novembre 2018, soit la veille de la signature du compromis, contenant le projet de cet acte déclarant rester à sa disposition pour toutes observations et remarques.
Me [C] ne remet pas en cause l’authenticité de ces deux nouvelles pièces produites en appel.
Il s’en déduit que le manquement de Me [C] à son devoir de conseil et d’information sur les conséquences fiscales de la cession a fait perdre une chance à la SCI de l’Etoile de renoncer à vendre son bien et de devoir régler l’imposition y afférente qui s’est finalement élevée à la somme de 289 522 euros au lieu et celle de 22 100 euros, évaluée à tort par le notaire instrumentaire. Le jugement doit donc être infirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnisation de la SCI de l’Etoile.
La SCI de l’Etoile justifie qu’en raison du règlement de cette imposition beaucoup plus importante que ce qui avait été annoncé par le notaire instrumentaire certains des associés ont dû puiser dans leur patrimoine pour rétablir la trésorerie de la société.
Dès lors le préjudice né de la perte de chance de renoncer à la vente de l’immeuble directement causé par la faute commise par le notaire doit être évalué à la somme de 250 000 euros, Me [C] étant condamné à payer cette somme à la SCI de l’Etoile en réparation de son préjudice.
– sur les frais de procédure et les dépens
Me [C], qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et d’appel, ces derniers sous le bénéfice de la distraction, et verser à la SCI de l’Etoile la somme de 3 000 euros au titre des dispositions prévues par l’article 700 du code de procédure civile. Sa demande faite à ce titre est nécessairement mal fondée.
Enfin le jugement doit être infirmé s’agissant de ses dispositions relatives aux frais de procédure et aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau ;
Dit que Me [C] a commis une faute engageant sa responsabilité professionnelle ;
Condamne Me [C] à payer à la SCI de l’Etoile la somme de 250 000 euros en réparation de son préjudice subi ;
Condamne Me [C] à payer à la SCI de l’Etoile la somme de 3 000 euros au titre des dispositions prévues par l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Me [C] aux dépens de première instance et d’appel, ces derniers pouvant être recouvrés selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE