ARRÊT DU
31 Mars 2023
N° 470/23
N° RG 21/01538 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T4GN
PS/VDO
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VALENCIENNES
en date du
20 Septembre 2021
(RG 20/00333 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 31 Mars 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [S] [L] [T]
[Adresse 1]
représenté par Me Léo OLIVIER, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A.S. SUNDIS
[Adresse 2]
représentée par Me Fabrice DANDOY, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 14 Février 2023
Tenue par Patrick SENDRAL
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Serge LAWECKI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 24 janvier 2023
FAITS ET PROCEDURE
La société SUNDIS, implantée dans les Hauts-de-France, fabrique et commercialise des rangements en plastique à usage domestique. Par contrat du 17 décembre 2015 elle a recruté M.[L] [T] en qualité d’assistant commercial. Par avenant du 30 septembre 2018 contenant une clause de non-concurrence d’une année elle lui a confié le poste de cadre «’responsable commercial comptes clés». Le contrat de travail a été rompu le 29 mai 2020 au terme du préavis écourté d’un commun accord suite à la démission du salarié le 20 avril 2020. Le 5 août 2020 et par courrier de son avocat M.[L] [T] a enjoint la société SUNDIS, sous menace de saisir la juridiction prud’homale, de tenir pour nulle la clause de non concurrence et de lui laisser la libre disposition de l’indemnité payée à ce titre après la rupture du contrat.
N’ayant pas obtenu satisfaction M.[L] [T] a saisi le conseil de prud’hommes de demandes d’annulation de la clause de non concurrence et de dommages-intérêts. Par jugement ci-dessus référencé les premiers juges les ont rejetées et l’ont condamné à payer à la société SUNDIS la somme de 2 430 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels à valoir sur son préjudice définitif et celle de 1 200 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Vu l’appel formé par M.[L] [T] contre ce jugement et ses conclusions du 16 septembre 2022 ainsi closes :
«…PRONONCER la nullité de la clause de non-concurrence
RAPPELER que les sommes versées au titre de ladite clauses sont acquises à M.[L]
CONDAMNER la société SUNDIS à verser la somme de 9 870,82 € à titre de dommages et intérêts;
A titre subsidiaire,
Si la clause devait être jugée valable, CONSTATER l’absence de violation de celle-ci;
A titre infiniment subsidiaire,
LIMITER à 2 430 € l’indemnité forfaitaire au titre de la clause pénale ; En tout état de cause,
CONDAMNER la société SUNDIS à verser la somme de 4 5OO € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens; ORDONNER que les sommes précitées produiront intérêts au taux légal à compter de la demande amiable ;
DEBOUTER la société SUNDIS de toutes ses demandes, fins et prétentions contraires.
Vu les conclusions d’appel incident du 23 janvier 2023 par lesquelles la société SUNDIS demande la confirmation du jugement sauf sa disposition ayant réduit la clause pénale, chiffrer son indemnisation pour violation de la clause de non concurrence à la somme de 17 945 euros et lui allouer en sus une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
MOTIFS
En premier lieu il n’appartient pas à la cour de «’rappeler’» que des sommes versées puissent rester acquises au salarié alors même que l’employeur n’en réclame pas le remboursement et que le litige porte exclusivement sur la validité de la clause de non-concurrence et les dommages-intérêts applicables en cas de violation.
La demande d’annulation de la clause de non concurrence
M.[L] [T] soutient que :
– il n’est pas établi en quoi ses qualifications représentaient une menace pour les intérêts légitimes de son employeur
– dans ses conclusions d’intimée, celui-ci affirme que les fonctions confiées au salarié étaient stratégiques mais tel n’a pas été le cas puisqu’il exerçait des fonctions de simple commercial
– compte tenu du caractère excessif de la clause, il s’est vu contraint de ne pouvoir postuler dans le secteur de l’import-export en emballages, du conditionnement et des arts de la table pour lequel il s’est spécialisé
– la rédaction de la clause l’a empêché de postuler comme commercial, notamment auprès des groupes ARC et LEBRUN évoluant sur le même marché de conditionnement et arts de la table, PLASTINOX, KOOPMAN, JJA, CMP ou KB8 dédiées à l’import/export de tout type de biens en ce compris le conditionnement en plastique
– si la clause est limitée dans le temps à douze mois, la zone géographique d’interdiction est disproportionnée puisqu’elle s’étend sur 7 pays
– la contrepartie financière à hauteur de 15% du salaire mensuel est dérisoire au regard de l’ampleur des restrictions précitées.
La société SUNDIS rétorque que’la clause est parfaitement valable compte tenu des fonctions de haut niveau exercées par le salarié dans l’entreprise et de la nécessité de protéger ses intérêts légitimes. Elle ajoute que M.[L] [T] pouvait travailler dans tout autre secteur que le secteur de distribution des rangements plastiques, que la clause a été circonscrite géographiquement à quelques pays, que la contrepartie financière n’était nullement dérisoire et que le salarié a violé ses engagements en étant recruté par un concurrent direct.
Sur ce,
il est de règle que pour être valable une clause de non-concurrence doit en premier lieu être destinée à protéger les intérêts légitimes de l’entreprise, les missions confiées au salarié devant être d’une telle nature que leur accomplissement au service d’une autre entreprise constituerait une menace sérieuse pour l’employeur initial. Par ailleurs, la clause, portant atteinte à la liberté de travailler, doit limiter et préciser explicitement son périmètre géographique et elle doit avoir une durée raisonnable. Elle n’est enfin valable que si elle assure au salarié une contrepartie financière afin de compenser’l’atteinte à ses libertés.
Présentement, la clause litigieuse est ainsi rédigée :
« Article 16 : Obligation de non concurrence
Cette interdiction de concurrence est limitée à une durée de 12 mois, à compter de la date de la rupture effective du contrat et au secteur géographique suivant : l’ensemble de la France, Bénélux ainsi que l’Espagne, le Portugal, l’Italie. Compte tenu de vos fonctions, des spécificités mises en ‘uvre dans l’entreprise, du marché très concurrentiel sur lequel intervient l’entreprise, il est convenu qu’en cas de rupture du présent contrat pour quelque cause et à quelque époque que ce soit, vous vous interdisez de participer,
de vous associer, et de vous intéresser à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement à toute entreprise ayant une activité susceptible de concurrencer en tout ou partie celle de la société SUNDIS. En contrepartie de cette obligation de non concurrence, vous percevrez une indemnité équivalente à 15% du salaire mensuel mentionné à l’article 4, soit 405 euros (quatre cents cinq euros) par mois soumis à charges sociales. Cette indemnité sera versée pendant la durée d’application de la clause. La société se réserve le droit de vous libérer de votre obligation de non concurrence, sans que vous puissiez prétendre au paiement d’une quelconque indemnité, notification sera alors faite par recommandé avec AR dans le mois qui suit la rupture effective du contrat de travail. En cas de violation de cette interdiction, vous vous exposerez au paiement par infraction constatée d’une indemnité forfaitaire égale à la rémunération de vos 6 derniers mois d’activité sans préjudice du droit pour la société de faire cesser ladite violation par tout moyen et de demander réparation de l’entier préjudice subi, et ce sans aucune sommation que le simple constat d’un quelconque manquement…»
Il ressort des éléments versés aux débats, notamment du contrat de travail et de la fiche de poste, que M.[L] [T] était en dernier lieu chargé des comptes clients les plus importants et qu’il avait accès à nombre d’informations sensibles sur la politique commerciale de l’entreprise, sa clientèle, son organisation et ses tarifs. Ses missions consistaient en la définition de la politique commerciale de l’entreprise, le développement d’un portefeuille de clients prospects, la gestion de base de la clientèle, le suivi du travail des commerciaux, la négociation des contrats, les relations avec les centrales d’achat et la «’veille concurrentielle». Vu la nature stratégique de ces missions l’intéressé n’est pas fondé de soutenir qu’il exerçait de simples missions de commercial, étant observé qu’au moment de son embauche comme simple commercial les parties n’avaient pas prévu de clause de non concurrence. Celle-ci avait pour objet de protéger l’entreprise contre les actes de concurrence déloyale susceptibles de lui nuire en France et dans quelques pays limitrophes, ce dans un contexte très concurrentiel. Son périmètre géographique était limité aux 7 pays de l’Union européenne dans lesquels M.[L] [T] avait développé un portefeuille important de clients, notamment l’Espagne dont il est originaire. Elle était limitée à une durée d’une année ce qui est raisonnable. La clause, assurant la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, lui laissait la possibilité de travailler dans tout autre secteur économique que les rangements plastiques et elle n’a donc pas constitué une restriction disproportionnée à sa liberté de travailler, une embauche étant possible dans tous les autres secteurs économiques et même dans celui des rangements plastiques ailleurs que dans les 7 pays susvisés. Il est ajouté sur ce point que le salarié dispose d’une formation généraliste en administration et gestion des entreprises dispensée par une grande école de commerce. Agé d’à peine 32 ans il n’était pas étroitement spécialisé dans le domaine des plastiques et il lui était loisible de trouver du travail ailleurs que dans ce secteur, quitte à attendre l’expiration du délai annuel de non-concurrence. La cour considère enfin, vu son jeune âge, que la contrepartie financière à hauteur de 15 % du salaire mensuel, soit 405 euros par mois, n’était pas dérisoire et qu’elle lui assurait une contrepartie adéquate à l’atteinte momentanée à sa liberté d’établissement et de travail. C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a dit n’y avoir lieu d’annuler la stipulation litigieuse.
La demande au titre de la violation de la clause
Il résulte des justificatifs produits par l’employeur et il n’est pas utilement discuté que le salarié a été embauché le 7 septembre 2020 en qualité de commercial par la société BRAMLI issue de la fusion de la société BERNER et du groupe BRAM spécialisés dans le secteur du plastique et concurrents directs de la société SUNDIS dans la même zone géographique d’Europe occidentale. Par avenant du 1er février 2021 son contrat de travail a été transféré à la société BERNER PLASTIC GROUP sise en Espagne, pays visé par l’interdiction de concurrence dans lequel il avait la plupart de ses contacts. Il n’a pas déféré aux sommations de justifier de son activité mais les débats mettent en évidence une poursuite de l’activité de concurrence déloyale, en qualité de responsable des comptes clés, plusieurs mois au moins après la rupture du contrat de travail. L’appelant a délibérément violé son engagement puisqu’en août 2020 il a par écrit sollicité de son employeur une levée de l’interdiction de concurrence que celui-ci a refusée par motifs explicites. Dans un courrier du 4 mai 2020 la société intimée lui avait déjà clairement notifié que toute violation de la clause entraînerait sa responsabilité. Le 29 octobre 2020 la société SUNDIS a mis le nouvel employeur en demeure de cesser toute collaboration avec M.[L] ce qui n’a été suivi d’aucun effet.
La violation du contrat a causé à la société intimée un préjudice moral et financier résultant de la perte d’une importante chance de conserver des clients et d’en conquérir de nouveaux. Il n’est fourni aucun élément sur la situation du salarié en ce qu’elle justifierait, comme étant manifestement excessive, une réduction de l’indemnité d’inexécution. Celle-ci sera donc appliquée comme convenu. Etant libératoire, M.[L] [T] sera condamné à la payer à titre non pas provisionnel mais définitif.
Il serait inéquitable de le condamner, en appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
CONFIRME le jugement sauf sur le montant de l’indemnité d’inexécution
CONDAMNE M.[L] [T] à payer à la société SUNDIS la somme de 17 945 euros à titre d’indemnité contractuelle d’inexécution
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes
CONDAMNE M.[L] [T] aux dépens d’appel et de première instance.
LE GREFFIER
Séverine STIEVENARD
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS