AFFAIRE :N° RG 21/01208 –
N° Portalis DBVC-V-B7F-GXU3
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 16 Avril 2021 du Tribunal de Commerce de LISIEUX
RG n° 2020.1644
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 30 MARS 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. MELIJIM
N° SIRET : 428 181 762
[Adresse 1]
[Localité 5]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Loïck LEGOUT, avocat au barreau de CAEN
INTIMEES :
Madame [O] [G] [S] [M]
née le 24 Octobre 1970 à VIRE (14500)
[Adresse 2]
[Localité 5]
S.A.R.L. 96VINS
N° SIRET : 797 862 190
[Adresse 4]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
représentées et assistées de Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 26 janvier 2023
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 30 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
Suivant acte notarié en date 10 décembre 2019, la SARL Melijim, promettant, et la SARL 96Vins, bénéficiaire, ont signé une promesse de cession de fonds de commerce portant sur un restaurant café situé [Adresse 1], moyennant un prix de 360.000 euros, outre une somme de 24.000 euros TTC d’honoraires de négociation au profit de la société FDC – [U] [B], cabinet spécialisé dans la vente et l’achat de fonds de commerce, et les honoraires droits et frais notariés, à la charge du bénéficiaire.
Cette convention, valable jusqu’au 28 février 2020, prévoyait comme condition suspensive l’obtention par le bénéficiaire, au plus tard le 12 février 2020, d’un ou de plusieurs prêts aux conditions suivantes : montant maximum 310.000 euros sur une durée maximale de 7 ans au taux d’intérêt maximum de 1,80 %.
En exécution de cette promesse, la société 96Vins, bénéficiaire, a versé une somme de 36.000 euros à titre d’indemnité d’immobilisation entre les mains de Me [X], notaire à [Localité 5], étant convenu que cette somme non productive d’intérêt s’imputerait sur le prix de la vente en cas de réalisation de la cession.
Le contrat prévoyait qu’à défaut d’accomplissement dans les conditions et délais prévus de l’une quelconque des conditions suspensives, la promesse serait caduque et de nul effet,chacune des parties se trouvant déliée de ses engagements, sans indemnité de part et d’autre et le montant de l’indemnité serait restitué au bénéficiaire.
Si toutefois, le défaut d’obtention du ou des prêts résultait de la faute du bénéficiaire, la condition suspensive serait alors réputée accomplie selon les dispositions de l’article 1304-3 alinéa 1 du code civil et l’indemnité d’immobilisation conservée par le promettant.
La société Bred Banque populaire a adressé, le 13 mars 2020, une offre de financement.
Le 22 mai 2020, le notaire a informé la société 96Vins que la promesse étant expirée et les conditions suspensives étant réalisées, le promettant demandait le versement de l’indemnité de mobilisation et qu’il était dû à la société FDC la somme de 24 000 euros au titre de ses honoraires.
Par acte d’huissier de justice, la SARL Melijim et M. [B] ont assigné la SARL 96Vins devant le tribunal de commerce de Lisieux aux fins de la voir condamner au paiement d’une somme de 36.000 euros au profit de la SARL Melijim au titre de l’indemnité d’immobilisation et de la somme de 24 000 euros au bénéfice de M. [U] [B] à titre de dommages et intérêts correspondant au prix de la rémunération qu’il aurait dû percevoir.
Mme [M], gérante et associée unique de la société 96Vins, est intervenue volontairement à cette instance.
Par jugement du 16 avril 2021, le tribunal de commerce de Lisieux a :
– donné acte à Mme [M] de son intervention volontaire ;
– débouté la SARL Melijim et M. [U] [B] de l’ensemble de leurs demandes ;
– débouté Mme [M] en sa demande reconventionnelle ;
– rejeté toutes autres demandes des parties ;
– dit que chacune des parties conservera à sa charge les frais et dépens qu’elle a exposés pour les besoins de l’instance et liquidé les frais de greffe à la somme de 109,74 euros.
Par déclaration en date du 28 avril 2021, la SARL Melijim a fait appel de ce jugement.
Par dernières conclusions déposées le 4 février 2022, la SARL Melijim, outre des demandes de ‘dire et juger’ qui ne sont pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, et outre une demande d’infirmation de la motivation du tribunal qui n’est pas non plus une prétention sur laquelle il y a lieu de statuer, demande à la cour de :
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :
– débouté la SARL Melijim de l’ensemble de ses demandes ;
– dit que chacune des parties conservera à sa charge les frais et dépens qu’elle a exposés pour les besoins de l’instance et liquidé les frais de greffe à la somme de 109.74 euros ;
Statuant à nouveau,
– condamner la société 96Vins à payer à la société Melijim à titre d’indemnité d’immobilisation la somme de 36.000 euros ;
– débouter la société 96Vins et Mme [M] de la totalité de leurs demandes ;
– condamner in solidum la société 96VINS et Mme [O] [M] à payer à la société Melijim la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et rejetant toutes prétentions contraires comme non recevables, en tout cas non fondées,
– condamner la société 96Vins et Mme [O] [M] aux entiers dépens en ce compris les dépens de la procédure de première instance, le coût de la lettre RAR en date du 15 juin 2020 d’un montant de 5.53 €, et ceux de la présente instance.
Par dernières conclusions déposées le 28 janvier 2022, la société 96Vins et Mme [M], outre des demandes de ‘juger’ qui ne sont pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, demandent à la cour de :
– débouter la société Melijim de ses prétentions ;
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté la caducité de la promesse au 28 février 2020 et que la bénéficiaire n’avait commis aucune faute ;
– débouter la société Melijim de sa demande subsidiaire portant sur l’offre commerciale de financement du 13 mars 2020 ;
– subsidiairement dire que l’indemnité d’immobilisation est une clause pénale et devra être ramenée à la somme de 1 euro symbolique ;
Statuant sur l’omission,
– condamner la société Melijim à faire libérer la somme séquestrée de 36 000 euros par son notaire, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir ;
Sur l’appel incident,
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [M] de ses demandes indemnitaires ;
– condamner la société Melijim à payer à Mme [M] la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice matériel et moral ;
– condamner la société Melijim à payer à la société 96Vins et à Mme [M] la somme de 5.000 euros chacune au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 décembre 2022.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
SUR CE, LA COUR
Sur l’indemnité d’immobilisation
La société Melijim fait valoir à titre principal que la société 96Vins a violé les termes de la promesse en n’informant pas, dans les conditions convenues, le promettant de la non-obtention des prêts sollicités et qu’elle ne peut donc plus se prévaloir du bénéfice de la condition suspensive liée à la non-obtention de son prêt.
A titre subsidiaire, elle soutient que la société 96Vins a obtenu de la BRED une proposition commerciale communiquée au notaire le 11 février 2020, suivie d’une offre commerciale du 13 mars 2020, la société Melijim ayant donné son accord pour prolonger les effets de la promesse.
La société 96Vins soutient qu’aucun prêt ne lui ayant été octroyé dans le délai fixé par la promesse de cession, le compromis de vente est devenu caduc de plein droit, aucune prorogation du délai de réalisation de la cession n’ayant été sollicitée par les parties.
Elle précise qu’aucune faute ne peut lui être reprochée et que la clause invoquée par l’appelante a été stipulée dans l’intérêt exclusif du bénéficiaire de la promesse, le promettant ne pouvant s’en prévaloir.
La société 96Vins fait valoir par ailleurs que l’offre commerciale du 13 mars 2020 obtenue et communiquée par un tiers était inefficace car tardive, que les démarches auprès de la BRED ont été faites à son insu, qu’aucune des parties ne s’est manifestée pour proposer de signer une nouvelle promesse.
Selon l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l’article 1304-3 du code civil, la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement.
La convention signée par les parties prévoit dans le paragraphe intitulé ‘Conditions suspensives stipulées dans l’intérêt du bénéficiaire’ :
« 6° – L’obtention par le BENEFICIAIRE, au plus tard le 12 février 2020 d’un ou plusieurs prêts aux conditions suivantes :
* montant maximum : 310 000.00 euros,
* durée minimale : 7.00 ans
* taux d’intérêts maximum : 1.80 pour cent l’an.
Le BENEFICIAIRE s’oblige à effectuer toutes les démarches nécessaires en vue de l’obtention du ou des prêts et, notamment, à déposer au moins un dossier relatif à la demande de prêt au plus tard dans un délai de quinze jours à compter d’aujourd’hui, et d’en justifier à première réquisition du PROMETTANT, faute de quoi cette condition serait réputée accomplie par application de l’article 1304-3 du Code civil.
Ce prêt ou chacun des prêts s’il y en a plusieurs, sera réputé obtenu dès la présentation au BENEFICIAIRE d’une ou plusieurs lettres d’accord de crédit conforme aux conditions ci-dessus définies par lui.
L’obtention de la couverture d’assurance relative au prêt devra être demandée et obtenue dans les mêmes conditions que le prêt. L’inexécution fautive de la part du BENEFICIAIRE à ce sujet sera sanctionnée de la même manière que pour le prêt.
L’obtention ou la non-obtention du ou des prêts devra être notifiée par le BENEFICIAIRE au PROMETTANT par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au plus tard dans les quarante-huit (48) heures suivant l’expiration du délai ci-dessus prévu pour l’obtention du prêt, faute de quoi le BENEFICIAIRE ne pourrait plus se prévaloir du bénéfice de la présente condition suspensive.
(‘)
Défaut de réalisation de l’une ou de l’autre des conditions suspensives
A défaut d’accomplissement, dans les conditions et délais prévus, de l’une quelconque des conditions suspensives ci-dessus stipulées :
– les présentes seront caduques et de nul effet, chacune des parties se trouvant déliée de ses engagements, sans indemnité de part ni d’autre ;
– le montant de l’indemnité sera restitué au BENEFICIAIRE, ou à son substitué, sans intérêt.
Toutefois :
– si le défaut d’obtention du ou des prêts ci-dessus résultait de la faute du BENEFICIAIRE, notamment absence de demande, non production des justifications utiles, fausses déclarations, la condition suspensive sera conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article 1304-3 du Code civil, réputée accomplie et l’indemnité d’immobilisation conservée par le PROMETTANT ;’
Il en résulte que la non-restitution de l’indemnité d’immobilisation est prévue uniquement dans le cas où le défaut d’obtention du prêt résulte d’une faute du bénéficiaire.
Elle n’est pas prévue en cas de non-notification du refus de prêt au promettant dans les 48 heures suivant l’expiration du délai fixé par les parties pour l’obtention du prêt. Dans cette hypothèse, le bénéficiaire ne peut plus se prévaloir du bénéfice de la condition suspensive.
Par ailleurs, la société 96Vins justifie qu’elle a déposé ses demandes de prêt dans les délais impartis et que trois refus lui ont été notifiés :
– par le CIC nord ouest le 15 janvier 2020,
– par le Crédit du Nord courant janvier 2020,
– par la Caisse d’épargne le 6 février 2020.
Il n’est pas soutenu que ces refus résultent d’une faute quelconque de la part de la société 96Vins.
Il ressort des pièces communiquées que la BRED a formulé un accord de financement le 13 mars 2020 et donc après le délai fixé par les parties pour réaliser la cession.
La société Melijim fait état d’une proposition commerciale du 11 février 2020, transmise directement au notaire par l’agence FDC.
Il sera relevé que cette proposition n’était pas définitive puisqu’elle était faite sous réserve de l’accord du comité de crédit et de l’étude des pièces du dossier. Cette proposition n’a été confirmée que le 13 mars 2020, la signature du contrat devant de surcroît intervenir sous réserve de l’acceptation du risque par la compagnie d’assurance.
La société Melijim ne peut soutenir qu’il y a eu un accord des parties pour proroger le délai d’obtention d’un financement en se référant à un mail du 11 février 2020, dans lequel elle indique ‘Je donne mon accord’, adressé au notaire qui lui envoyait la proposition commerciale de la BRED communiquée par M. [B] de l’agence FDC,et qui indiquait qu’il serait souhaitable de prolonger le délai d’obtention de financement à échéance au 12 février 2020, alors qu’aucun accord de la société 96Vins n’était formalisé et que le compromis de vente du 10 décembre 2019 n’a fait l’objet d’aucune modification.
A défaut d’accomplissement des conditions suspensives dans les délais impartis contratuellement, et à défaut de prorogation du délai d’accomplissement desdites conditions, le compromis de vente est devenu caduc et de nul effet, chacune des parties s’est trouvée déliée de ses engagements, peu important que les parties aient eu des échanges postérieurement et que Mme [M] ait indiqué dans un mail du 12 mai 2020 vouloir rediscuter du prix.
Au vu de ces éléments, et comme prévu contractuellement, la société Melijim doit restituer le montant de l’indemnité d’immobilisation à la société 96Vins.
La société Melijim sera condamnée à restitution de la somme de 36 000 euros dans un délai de 7 jours à compter de la date de signification du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant une période de deux mois.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Melijim de sa demande en paiement.
Sur la demande de dommages et intérêts formée par Mme [M]
Mme [M], en tant qu’associée unique de la société 96Vins, demande la réparation du préjudice personnel, détachable de celui de la société 96Vins, qu’elle estime avoir subi du fait du séquestre de l’indemnité d’immobilisation, somme qui constituait son revenu et ses économies et qu’elle a renoncée à mettre sur son compte d’associé, qu’elle ne peut pas non plus employer pour faire face à ses échéances personnelles, alors que sa situation financière est délicate, étant bénéficiaire du RSA et contrainte de compléter son allocation par des CDD et petits emplois.
L’indemnité d’immobilisation n’a pas été versée par Mme [M] mais par la SARL 96Vins qui n’invoque aucun préjudice et ne formule aucune demande de dommages et intérêts au titre du retard de remboursement.
Mme [M] ne justifie pas que cette somme devait lui revenir. Elle n’établit ainsi pas la réalité d’un préjudice.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
La société Melijim, condamnée à restituer la somme de 36000 euros, supportera la charge des dépens d’appel et devra verser à la SARL 96Vins et à Mme [M], unies d’intérêt, la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Elle sera déboutée de sa demande formée à ce titre.
L’appel des intimés ne porte pas sur les dispositions du jugement déféré rejetant leur demande faite au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens, sur lequel ne porte pas l’appel incident, seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;
Confirme le jugement déféré dans les limites de l’appel;
Y ajoutant,
Condamne la SARL Melijim à restituer à la SARL 96Vins la somme de 36 000 euros sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de 7 jours à compter de la signification du présent arrêt et pendant une durée de deux mois ;
Condamne la SARL Melijim à payer à la SARL 96Vins et à Mme [M], unies d’intérêts, la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne la SARL Melijim aux dépens d’appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY