COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 27 AVRIL 2023
N° RG 22/00758 – N° Portalis DBVY-V-B7G-G7FX
S.A.S. ALPINE ALUMINIUM
C/ [K] [S]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’ANNECY en date du 30 Mars 2022, RG F 20/00252
APPELANTE ET INTIMEE
S.A.S. ALPINE ALUMINIUM
dont le siège social est sis [Adresse 4]
[Localité 1]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée Me Cécile PESSON de la SARL OCTOJURIS – MIFSUD – PESSON – AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON
et par Me Ingrid-Astrid ZELLER, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
INTIME ET APPELANT
Monsieur [K] [S]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Thierry BILLET, avocat au barreau d’ANNECY, substitué par Me Frédéric MATCHARADZE, avocat au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des parties, le 23 Mars 2023, devant Monsieur Frédéric PARIS, Président de chambre, désigné à ces fins par ordonnance de Madame la Première Présidente, chargé du rapport, et Madame Françoise SIMOND, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, avec l’assistance de Madame Capucine QUIBLIER, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Copies délivrées le :
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FAITS ET PROCÉDURE
Par jugement du 3 décembre 2019 le tribunal de commerce d’Annecy a confié la reprise de la SCOP Alpine Aluminium à la société Samfy Invest, qui s’engageait à reprendre quarante neuf salariés, dont M. [K] [S] qui travaillait en qualité de conducteur règleur de production depuis le 19 octobre 2015.
M. [S] a été licencié par lettre du 26 décembre 2019.
Une transaction du même jour a été conclue.
M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annecy de deux requêtes en date des 23 novembre 2020 et 16 février 2021.
Le syndicat CFDT est intervenu volontairement.
Par jugement en date du 30 mars 2022 le conseil de prud’hommes présidé par le juge départiteur a :
– dit que la transaction était nulle,
– dit que la société Alpine Aluminium doit à M. [S] les sommes suivantes :
* 4340,60 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,
* 2492,54 € à titre d’indemnité de congés payés,
* 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance,
* 1972 € à titre d’indemnité de procédure,
– ordonné la compensation avec la somme de 8614,17 € perçue dans le cadre de la transaction,
– condamné en conséquence la sociétré Alpine Auluminium à payer à M. [S] la somme de 10 190 ,97 € et celle de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M.[S] de ses demandes relatives à l’indemnité de 10 000 € extra-conventionnelle versée aux salariés dans le cadre de la procédure judiciaire et à la somme de 2000 € manquants sur les 10 000 € qui avaient été promis,
– débouté la société Alpine Aluminium de ses demandes,
– débouté le syndicat CFDT de ses demandes,
– rejeté les demandes formulées par la société Alpine Aluminium au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Alpine Aluminium aux dépens.
La société Alpine Aluminium a interjeté appel par déclaration du 28 avril 2022 au réseau privé virtuel des avocats.
Par conclusions notifiées le 20 janvier 2023 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la société Alpine Aluminium demande à la cour de :
– déclarer irrecevable la demande en paiement de la somme de 43 406 €,
– infirmer le jugement,
– déclarer irrecevables les demandes d’indemnité de préavis et la somme de 10 000 € à titre extra-conventionnel,
– subsidiairement, les déclarer prescrites,
dans tous les cas,
– constater que la demande au titre du solde des congés est prescrite,
– déclarer les demandes irrecevables,
– déclarer irrecevable la demande de dommages et intérêts pour violation de la procédure de licenciement,
Au fond,
– déclarer les demandes irrecevable en raison de la transaction,
subsidiairement,
– rejeter les demandes en l’absence de fraude à la loi, et de préjudice établi,
très subsidiairement,
– prendre acte de la complicité du salarié,
– dire que la fraude corrompt tout,
– débouter M.[S] de ses demandes,
– le cas échéant en cas d’annulation de la transaction, condamner M.[S] à restituer les sommes perçues
– opérer une compensation,
– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de prime extra-conventionnelle,
– infirmer le jugement sur le rejet de ses demandes reconventionelles,
– condamner M.[S] à lui payer les somme suivantes :
* 3000 € au titre de la clause pénale,
* 500 € pour procédure abusive,
* 1000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M.[S] aux dépens.
Elle fait valoir que :
Le site était en très mauvais état avant la reprise.
Des accidents dont un mortel se sont produit en juillet 2019, une enquête pénale pour homicide involontaire a été ouverte et des scellés ont été apposés sur certaines parties du site.
En janvier et février 2020 des sources de radioactivité sur le site ont été découvertes ainsi qu’une dizaine de cuve de kérosène dans les caves et de chrome hexavalent qui avait explosé en juillet 2019.
Ces circonstances n’étaient pas prévisibles lors de la reprise du site.
Les travaux de mise en conformité du réseau d’assainissement n’ont pu débuter qu’en juin 2021.
Il n’a jamais été prévu de reprendre une activité à l’identique.
Le projet de reprise était de maintenir une activité industrielle dans des conditions d’exploitation satisfaisantes après que le site ait été réhabilité.
Un audit environnemental a dû être effectué et a été réalisé par le cabinet Advice environnement qui a relevé une pollution importante du site, notamment la présence de sources radioactives.
La station d’épuration était défectueuse.
La seule entreprise habilité, la société ABB a été retardée avec la crise sanitaire.
L’autorité de sûreté nucléaire a fait droit à la demande visant à mettre fin à l’autorisation d’exploitation qu’après destruction des sources.
Des travaux de remise aux normes électriques ont dû être effectués.
De nombreux chantiers ont été menés afin de réhabiliter le site.
Des investissements financiers importants ont été engagés pour un total de 2 756 K €.
Sur la recevabilité des demandes, la demande au titre de rappel de salaires sur trois années est une demande nouvelle, l’appel incident de plus ne concernait que le rejet de la somme de 10 000 € au titre de la prime extra-conventionnelle.
Il n’existe aucun fait nouveau contrairement à ce que prétend la partie adverse.
De plus, cette demande nouvelle est caduc car elle n’a pas été formulée lors des premières conclusions notifiées, conformément à l’article 910-4 du code de procédure civile.
Le salarié a ajouté des demandes par ses conclusions du 14 janvier 2021 qui ne figuraient pas dans l’acte introductif d’instance, à savoir la nullité de la transaction et la condamnation de l’employeur à payer une indemnité de préavis et la somme de 10 000 € pour la prime extra-conventionnelles. Ces demandes sont irrecevables.
Le salarié lors de sa demande initiale, ne sollicitait pas que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse, et toutes les demandes de ce chef étaient prescrites au 26 décembre 2020.
La transaction a été conclue après le licenciement et est donc valable.
Le salarié avait de plus fait état qu’il ne voulait pas que son contrat de travail soit transféré.
La transaction emporte renconciation des parties signataires à faire valoir en justice les droits et prétentions sur lesquels porte l’accord intervenu.
Le juge ne peut connaître ensuite d’un litige ayant le même objet que celui de la transaction.
Le salarié soutient qu’il s’agit d’un licenciement économique déguisé, et qu’ils auraient subi en raison d’une fraude à la loi une perte de chance de conserver leur emploi.
La fraude à la loi n’est pas caractérisée.
Le salarié a refusé le transfert de son contrat de travail.
Le fait générateur du licenciement est le refus du salarié et il s’agit d’une cause inhérente à la personne du salarié.
La circonstance que plusieurs salariés ont formé un collectif pour négocier leurs sorties des effectifs avec leur employeur ne suffit pas à caractériser un licenciement économique collectif.
Il n’existe aucune faute qui lui soit imputable.
Si la fraude est retenue, une compensation devra s’opérer.
L’indemnité de 10 000 € a bien été versée.
Sur la prime extra-conventionnelle, le salarié n’appartenait pas à la catégorie des salariés non repris. Il devait être repris et c’est lui qui a refusé le transfert de son contrat de travail. Il n’a donc pas droit à la prime.
La demande sera aussi rejetée, car le salarié a nécessairement été complice de la fraude.
Le salarié ne prouve aucun préjudice qui soit supérieure à la somme déjà versée.
Pour tenter de contourner le barème de l’article L 1235-3 du code du travail, le salarié use d’un subterfuge grossier en demandant un rappel de salaires sur trois années, qui ne repose sur aucun fondement juridique.
Enfin le quantum des rappels de salaire n’est pas justifié.
La demande reconventionnelle visant la clause pénale des transactions est justifiée, les salariés ayant violé la clause de confidentialité en produisant dans une procédure commune avec le même avocat les transactions.
La procédure ne vise qu’à obtenir des sommes indues et non fondées et est abusive, ce qui justifie des dommages et intérêts pour procédure abusive.
Par conclusions notifiées le 05 septembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [S] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité extra-conventionnelle, accordé seulement la somme de 10 000 € au titre de la perte de chance, ordonné la compensation entre le montant perçu lors de la transaction, et les condamnations à son profit, et jugé qu’il n’était pas concerné par la fraude à la loi,
statuant à nouveau,
– dire et juger que la société Alpine Aluminium a eu recours à une fraude à la loi pour procéder à son licenciement,
– dire que la société Alpine Aluminium lui a fait perdre la chance de conserver son emploi,
– en conséquence, condamner la société Alpine Aluminium à lui payer la somme de 43 406 € à titre principal et 10 000 € à titre subsidiaire,
– confirmer le jugement pour le surplus,
– condamner la société Alpine Aluminium à lui payer la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Il soutient en substance que :
In limine litis, son action sur la nullité de la transaction n’est pas prescrite, car cette demande a été formulée lors de la deuxième requête du 16 février 2021, et l’action en nullité se prescrit sur un délai de cinq années conformément à l’article 1304 du code civil.
Il faisait partie des quarante neuf salariés repris par M. [F] et le fonds d’investissement Samfi à la barre du tribunal de commerce d’Annecy suite au redressement judiciaire de la SCOP Alpine Aluminium et ‘dispatchés’ensuite entre trois sociétés, Alpine Steel, Alpine Aluminium et Alpine Industry, qui n’ont jamais eu la moindre activité industrielle.
Lors de l’audience devant le tribunal de commerce, M. [F] s’engageait notamment à poursuivre les contrats de travail de 49 salariés sur les 85 existants.
Les premiers mois suivant la cession, le site devait être remis en état, les salariés repris étant placés en chômage technique ; les salariés devaient percevoir 70 % de leur salaire brut.
Les institutions représentatives du personnel devaient être maintenues.
Les candidats s’engageaient à créer cent postes sur le site de Gran Gevrier en quatre années.
A défaut, les repreneurs s’engageaient à verser une pénalité de 8000 € par emploi crée sur le site de Gran Gévrier dans un délai de quatre ans.
Le candidat s’engageait aussi à verser une pénalité de 12 500 € pour tout licenciement pour motif économique d’un salarié repris dans les trois ans suivant la cession.
La somme de 100 000 € devait être affectée à une cellule de reclassement au bénéfice de l’ensemble des salariés de la SCOP.
Les candidats s’engageaient enfin à verser 10 000 € à chaque salarié dont le contrat ne sera pas repris aux termes de l’offre de reprise.
Depuis ce jugement de cession, aucune activité n’a été crée sur le site, aucune remise en état n’a commencé, et aucun salarié n’a été recruté malgré les engagements de création d’emploi.
M. [F] n’a pas tenu ses engagements.
Il n’a pas respecté son engagement de maintenir le comité économique et social.
Les licenciements individuels sont des licenciements disciplinaires déguisés de plus de dix salariés, et sont en réalité des licenciements économiques.
En procédant à des licenciements individuels pour motif disciplinaire de plus de dix salariés alors qu’un CSE aurait dû exister, l’employeur a chercher à éluder les règles spécifiques du licenciement économique : consultation du CSE, obligation de recherche de reclasseement,, critères de licenciement, priorité de réembauchage.
L’employeur a convoqué tous les salariés par vagues sucessives à des heures différentes, les explications étaient farfelues, il a été proposé à chaque salarié l’indemnité de 12500 € au lieu de verser cette somme dans le cadre de la procédure commerciale ; des pressions ont été exercées pour que le licenciement disciplinaire soit accepté, et pour que les salariés acceptent d’antidater la date de convocation à l’entretien préalable. La transaction a été signée avant la notification du licenciement.
Le tribunal de commerce a refusé de clôturer la liquidation judiciaire, le parquet d’Annecy a ouvert une enquête sur les agissements des repreneurs.
Les attestations des salariés licenciés et le simple examen chronologique identique de chaque licenciement prouvent l’utilisation déterminée d’un motif de licenciement inadéquat mais parfaitement adaptée à la volonté de l’employeur de se débarrasser des salariés.
Le motif tenant au refus des salariés pour un transfert qui se serait exprimé oralement et qui estimaient qu’ils auraient dû être licenciés et que le transfert les empêchait de mettre en oeuvre un projet professionnel différent est invraisemblable.
Alpine Steel et Alpine Aluminium ont été mis en demeure de justifier de ces rencontres individuelles, sans qu’aucune réponse ne soit apportée, ce qui constitue un aveu judiciaire.
Tous attestent que M. [F] et M. [H] se sont ligués pour les dissuader de rester. Après avoir été mis en demeure, Alpine Steel et Alpine Aluminium n’apportent aucune preuve de ce que les salariés avaient des projets personnels.
Par lassitude d’être livrés à eux mêmes et sans perspective de travail à leur usine dans un délai raisonnable, ils ont fini par accepté les conditions de M. [F].
Le registre du personnel montre que tous les salariés ont été licenciés avant juin 2020.
Le tribunal de commerce a reporté la clôture, et le parquet d’Annecy a pris des réquisitions le 29 juin 2022 pour demander la résiliation de la cession de la Scop, motif pris qu’aucun engagement des repreneurs n’a été tenu.
Le maquillage d’un licenciement économique collectif en licenciement disciplinaire doit s’analyser en un manquement au devoir de loyauté et partant comme la perte de chance pour le salarié de conserver son emploi. Un tel manquement justifie d’accorder au salarié une indemnité pour perte de chance, ce qu’a déjà admis la cour de cassation dans des situations comparables.
La cour de cassation juge que la perte de chance doit être réparée par une indemnisation distincte de celle engendrés par les ruptures de contrat de travail.
L’employeur ne peut demander une compensation alors qu’il est l’auteur de la fraude à la loi. La turpitude d’une partie ne peut pas lui permettre d’invoquer la nullité du contrat pour obtenir la restitution de ce qui a été versé.
L’employeur ne peut prétendre que les salariés auraient engagé collectivement une négociation avec l’entreprise, elle n’en apporte aucune preuve, c’est M. [F] qui a convoqué les salariés.
M. [F] a assuré les salariés que malgré la transaction, ils bénéficieraient d’allocation de chômage sans qu’une carence ne soit appliquée, alors qu’il savait que cela ne serait pas le cas.
L’employeur a voulu tromper Pôle emploi en ne mentionnant pas la transaction sur les attestations Pôle emploi.
L’employeur a donc été déloyal.
Les indemnités de fraude à la loi et de perte de chance échappent au barème du licenciement en ce qu’elles sont distinctes.
Une enquête préliminaire du parquet d’Annecy a été ouverte pour fraude au jugement, du fait du non respect des engagements du repreneur.
L’absence de maintien dans l’emploi imputable à l’employeur justifie la demande d’indemnité correspondant au différentiel entre la durée de la période de maintien à l’emploi et la date de rupture du contrat de travail.
Le jugement du tribunal de commerce marque le début d’engagement du maintien dans l’emploi de trois années courant jusqu’au 3 décembre 2022.
Le salarié est fondé à demander une indenmité représentant trois années de salaires.
Ce préjudice est aggravé par l’absence de toute mesure d’accompagnement assuré par la société Sirac.
L’employeur a violé la procédure de licenciement en ce que M. [F] a été assisté lors de l’entretien préalable par M. [H], directeur de la société Sirac tiers à la société et le délai de cinq jours entre l’entretien préalable et la notification du licenciement prévu par l’article L 1232-2 du code du travail n’a pas été respecté.
La lettre de licenciement lui a été remis en main propre contrairement à ce que prévoit l’article L 1232-6 du code du travail prévoyant la notification par lettre recommandée avec avis de réception.
Il était indiqué dans la protocole transactionnel qu’il aurait dû être licencié pour faute grave alors qu’il l’a été pour cause réelle et sérieuse. Il est mentionné pourtant que l’indemnité de préavis ne lui sera pas verseé en raison du refus de prise de poste, ce qui est la marque d’un licenciement pour faute grave.
Le protocole a été signé en décembre 2019, le même mois que le jugement du tribunal de commerce.
Il comprend mal le français, et il n’avait aucun projet professionnel. Il n’a pas compris ce qui lui était proposé et seul son besoin d’argent l’a conduit à accepter la transaction.
La cour de cassation juge que la transaction conclue en l’absence de notification préalable du licenciement est nulle (Cass soc 12 février 2020 n° 18’19.149).
Il n’existe aucune contrepartie.
Sur les demandes reconventionnelles, il n’y a eu aucune violation de confidentialité comme prétendu par l’employeur, les salariés ayant appris par Pôle emploi que d’autres salariés étaient dans la même situation qu’eux.
Sur l’atteinte à l’image de M. [F], celui-ci n’est pas recevable dans sa demande comme n’étant pas partie à l’instance. Sur la demande de la société, la demande n’est pas fondée, les salariés n’ayant exercé que leur droit en saisissant le conseil de prud’hommes.
Aucun abus de droit n’a été commis par les salariés.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 23 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription, les demandes au titre de la fraude à la loi et la perte de chance, de l’indemnité pour irrégularité de procédure, du reliquat d’une indemnité, de l’indemnité de congés payés n’étaient pas prescrites, le conseil de prud’hommes ayant été saisi le 23 novembre 2020 sur ces demandes soit moins d’une année après la rupture du contrat de travail intervenue le 26 décembre 2019.
S’agissant de la demande de nullité de la transaction, le salarié a formé une nouvelle requête le 16 février 2021.
L’action en nullité n’est prescrite qu’après l’expiration d’un délai de cinq années courant à compter de la conclusion de l’acte ou la convention attaqué conformément à l’article 2224 du code civil.
La demande de nullité de la transaction n’était donc pas prescrite à la date de la requête. Les demandes financières découlant de la nullité ne sont pas prescrites non plus, celles-ci n’étant que la conséquence de la nullité encourue.
Concernant le solde de tout compte, l’employeur qui soulève la prescription des sommes demandées à ce titre, ne produit pas de solde de tout compte accepté et signé par le salarié.
Aucune prescription ne peut donc être opposée au salarié.
Sur la recevabilité de la demande pour perte de chance et fraude à la loi, le salarié ne demande pas un rappel de salaires, il demande des dommages et intérêts correspondant au montant des salaires qu’il estime avoir perdu compte tenu de la fraude alléguée et de la perte de chance qu’il a subi de conserver son emploi.
Il ressort de l’acte introductif d’instance introduit devant le conseil des prud’hommes que le salarié demandait des dommages et intérêts en se fondant sur une fraude à la loi et une perte de chance.
Le salarié est recevable à demander en cours de procédure des dommages et intérêts plus élevés que ceux demandés lors de ses demandes originelles, même partiellement sur un fondement juridique différent que celui soutenu dans l’acte introductif d’instance.
Si en cause d’appel, l’appelant principal ou l’appelant à titre incident doit présenter dans ses premières conclusions l’ensemble de ses demandes conformément à l’article 910-4 du code de procédure civile, il reste que le salarié dans ses premières conclusions d’appel a formulé des demandes de dommages et intérêts pour fraude à la loi et perte de chance d’un montant déterminé, il n’a pas modifié dans ses conclusions d’appel postérieures ses prétentions dans leur principe.
Il a en effet juste augmenté ses demandes et ajouter un moyen nouveau à savoir le non respect de l’obligation de maintien dans leur emploi, une telle demande additionnelle étant recevable.
L’article 910-4 du code de procédure civile a donc été respecté.
Au fond, si le salarié a signé une transaction faisant en principe obstacle à ce qu’il puisse intenter une action ‘de quelque nature que ce soit qui résulterait de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail’, il convient de relever cependant comme l’a jugé le conseil des prud’hommes que la transaction a été conclue le jour même où le salarié a été licencié.
La chambre sociale de la cour de cassation en vertu d’une jurisprudence ancienne et constante juge que ‘la transaction ayant pour objet de mettre fin au litige résultant d’un licenciement ne peut être valablement conclue qu’une fois la rupture intervenue et définitive’ (Cass soc 29 mai 1996 n° 92-45.115).
En l’espèce la transaction a été soumise au salarié le jour même de son licenciement, avant toute notification par lettre recommandée avec avis de réception ainsi que le prescrit l’article L 1232-6 du code du travail.
Il en résulte que la transaction est antérieure à la notification du licenciement et n’est pas valable.
C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes l’a annulée.
Le salarié a droit à l’indemnité compensatrice de préavis s’agissant d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse soit la somme de 3944 € et les congés payés afférents de 394,40 €.
L’employeur n’ayant pas notifié régulièrement le licenciement, le salarié a aussi droit à une indemnité de procédure, le salarié n’ayant pu prendre connaissance des motifs du licenciement et préparer ses arguments lors des discussions relatives à la transaction ; le jugement allouant la somme de 1972 € sera confirmé de ce chef.
Sur la demande en paiement de la somme de 10 000 € au titre de l’indemnité supra-légale, le jugement de cession prévoyait que cette indemnité serait versée aux salariés dont le contrat n’est pas poursuvi.
Or le contrat de travail du salarié a été transféré et le contrat s’est poursuivi, la rupture du contrat de travail étant postérieure à la cession.
La demande en paiement de l’indemnité supra-légale sera dès lors rejetée comme l’a décidé à juste titre le conseil des prud’hommes.
S’agissant de la somme de 2000 € faisant partie de la transaction, une telle demande est irrecevable, la transaction étant nulle et privée d’effet.
Sur les dommages et intérêts pour fraude à la loi, le licenciement du salarié est intervenu très rapidement après la cession décidée par le tribunal de commerce.
Le salarié ne conteste pas le licenciement mais sollicite un préjudice distinct.
Le repreneur bénéficiait d’un délai de quelques mois pour faire redémarrer l’activité, ainsi qu’il ressort du jugement du 3 décembre 2019 précisant que la reprise ne pouvait se faire qu’après avoir sécurisé le site et effectué les investissements nécessaires.
A la date du 26 décembre 2019, le repreneur ne pouvait avoir réalisé ces travaux et ces investissements de sorte qu’aucune fraude ou aucune négligence ou attitude fautive ne peut être reprochée à l’employeur à l’époque du licenciement.
En outre aucune pièce produite par le salarié n’établit que ce dernier ait été influencé ou que des pressions auraient été exercées sur lui pour qu’il soit conduit à accepter un licenciement et la transaction.
D’ailleurs l’employeur produit aux débats en cause d’appel la lettre du salarié en date du 9 décembre 2019 aux termes de laquelle, celui-ci exprime son refus de poursuivre le contrat de travail.
Sur l’indemnité de congés payés de 2492,54 €, il n’est pas contesté que cette somme au titre des congés payés en cours non pris était due par l’employeur ; celui-ci ne prouve par aucune pièce avoir payé cette somme au salarié.
Il sera fait droit à la demande en paiement de cette indemnité.
S’agissant de la demande de compensation, il y sera fait droit, les motifs pertinents du premier juge étant adoptés.
Sur les demandes reconventionnelles, il n’est établi par aucune preuve que le salarié ou son conseil a transmis la transaction à des tiers ou à des salariés de l’entreprise.
En tout cas les salariés agissant en justice avaient le droit d’être assistés et conseillés par le même avocat qui devaient nécessairement produire les transactions concernant les salariés. Il ne peut dès lors leur être imputé au salarié une violation de la règle de confidentialité sauf à la détourner de sa finalité, qui est de protéger les parties de toute transmission à des tiers de nature à nuire à l’une d’entre elle ou altérer son image.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Concernant la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, elle sera rejetée, le salarié n’ayant fait que défendre ses droits en engageant une action en justice et en présentant des moyens sérieux de nature à remettre en cause le jugement attaqué. Il a obtenu en outre gain de cause partiellement.
Les dépens d’appel seront mis à la charge de l’appelante, le jugement étant confirmé pour l’essentiel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement en date du 30 mars 2022 rendu par le conseil de prud’hommes d’Annecy en ce qu’il a :
– dit que la transaction était nulle,
– dit que la société Alpine Aluminium doit à M. [S] les sommes suivantes :
* 4340,60 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,
* 2492,54 € à titre d’indemnité de congés payés,
* 1972 € à titre d’indemnité de procédure,
– ordonné la compensation avec la somme de 8614,17 € perçue dans le cadre de la transaction,
– condamné la société Alpine Aluminium à payer à M. [S] la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [S] de ses demandes relatives à l’indemnité de 10 000 € extra-conventionnelle versée aux salariés dans le cadre de la procédure judiciaire et à la somme de 2000 € manquants sur les 10 000 € qui avaient été promis,
– débouté la société Alpine Aluminium de ses demandes,
– débouté le syndicat CFDT de ses demandes,
– rejeté les demandes formulées par la société Alpine Aluminium au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Alpine Aluminium aux dépens ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,
DÉBOUTE M. [S] de sa demande de dommages et intérêts pour fraude à la loi et perte de chance de conserver un emploi ;
CONDAMNE la société Alpine Aluminium aux dépens d’appel ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Alpine Aluminium à payer à M. [S] la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 27 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président