JG/ND
Numéro 23/1843
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRET DU 25/05/2023
Dossier : N° RG 21/02109 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H5A5
Nature affaire :
Demande en paiement ou en indemnisation formée par un intermédiaire
Affaire :
Société SOCIETE DE DROIT ETRANGER TOLEAN TIR LDA
C/
S.A.R.L. NEGOMETAL
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 25 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
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APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 13 Mars 2023, devant :
Madame Joëlle GUIROY, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l’appel des causes,
Joëlle GUIROY, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Joëlle GUIROY, conseillère
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
La Société DE DROIT ETRANGER TOLEAN TIR LDA
prise en la personne de son représentant légal, inscrite sous le NIF 508 145 759.
Dont le siège socail est situé [Adresse 4] (Portugal)
Représentée par Me William CHARTIER de la SELEURL LEXATLANTIC, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
S.A.R.L NEGOMETAL
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié au siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Denise POMBIEILH, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Rachid KONATE (SELARL KONTACT AVOCATS), avocat au barreau de BORDEAUX
sur appel de la décision
en date du 10 MAI 2021
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE
Exposé des faits et du litige :
La société de droit étranger Tolean Tir LDA, dont le siège social est situé à Corroios au Portugal, a pour activité le transport national et international de marchandises.
Le 20 mai 2013, elle a conclu avec la SAS Négométal, mandataire fiscal, un contrat dénommé « contrat de récupération de TVA » lui confiant la réalisation des démarches nécessaires afin d’obtenir le remboursement de la TVA payée à raison de son activité dans les divers pays de l’union européenne, ceci à partir des documents originaux dématérialisés qu’elle lui transmettait.
La relation commerciale, poursuivie par tacite reconduction annuelle, s’est déroulée sans difficulté jusqu’en novembre 2019.
A compter de cette période, la SARL Négométal affirme avoir constaté que la société Tolean Tir LDA ne lui adressait plus de factures et lui avait retiré la gestion du gazoil professionnel en Espagne.
Dans ce contexte, le 26 novembre 2019, elle lui a adressé une première relance par courriel et, par lettre recommandée du 4 mars 2020, elle l’a mise en demeure de respecter les obligations qui résultaient de leur contrat puisqu’elle ne l’avait pas résilié dans les formes convenues.
En parallèle, elle disait avoir constaté que la société Tolean Tir LDA avait confié la récupération de la TVA à une autre société, en violation de leur convention.
Puis, par assignation du 16 novembre 2021, la SAS Négométal a attrait la société Tolean Tir LDA devant le tribunal de commerce de Bayonne aux fins de la voir condamner, au titre de la clause pénale figurant au contrat, à lui payer la somme de 977.985,26 euros outre 2.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement réputé contradictoire du 10 mai 2021, le tribunal de commerce de Bayonne a :
– reçu les parties en leurs demandes, fins et conclusions ;
– dit que la société Tolean Tir LDA a rompu brutalement le contrat de récupération de TVA qu’elle a souscrit avec la société Négométal sans respecter les clauses contractuelles ;
– condamné la société Tolean Tir LDA à régler à la société Négométal la somme de 73.348,89 euros au titre de l’indemnité prévue à l’article 10 du contrat de « Récupération de TVA » signé entre elles ;
– condamné la société Tolean Tir LDA au paiement à la SARL Négométal de la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la société Tolean Tir LDA aux entiers dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 73,22 euros.
Par déclaration en date du 23 juin 2021, la société Tolean Tir LDA a relevé appel du jugement.
Par acte d’huissier en date du 11 octobre 2021, la société Tolean Tir LDA a saisi le premier président de la cour d’appel de Pau au visa de l’article 514-3 du code de procédure civile aux fins, à titre principal, de voir arrêter l’exécution provisoire s’attachant au jugement l’ayant condamnée.
Par ordonnance de référé du 23 décembre 2021, le premier président a débouté la société Tolean Tir de toutes ses demandes et l’a condamnée au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture est intervenue le 8 février 2023 et l’audience de plaidoirie a eu lieu le 13 mars 2023.
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Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 7 février 2023, la société Tolean Tir LDA demande à la cour de :
Vu les articles 14 à 16 et 132 du code de procédure civile,
‘ Écarter des débats les conclusions responsives et récapitulatives de la société Négométal notifiées le 6 février 2023 à 16 h 16, outre les pièces 9, 11, 12, 15, 16, 17 et 18 qu’elle a produites en raison de leur traduction tardive en français selon notification intervenue en même temps.
Vu les articles 641, 642, 647-1, 688 et 856 du code de procédure civile,
Vu les articles 1109 et 1231-5 du code civil,
Vu les articles 7 et 8 du règlement CE 1393/2007 du 13 novembre 2007,
Vu les articles L.442-1 II et D. 442-2 du code de commerce,
‘ Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bayonne le 10 mai 2021 en ce qu’il :
‘ a dit qu’elle a rompu brutalement le contrat de récupération de TVA qu’elle avait conclu avec la société Négométal sans respecter les clauses contractuelles,
‘ l’a condamnée à régler à la société Négométal la somme de 73.348,89 € au titre de l’indemnité prévue par l’article 10 du contrat de récupération de TVA signé entre eux,
‘ l’a condamnée au paiement à la SARL Négométal de la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
‘ l’a condamnée aux entiers dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 73,22 €.
Statuant à nouveau,
A titre principal,
‘ Prononcer la nullité de l’assignation que lui a signifiée la société Négométal SARL par exploit du 16 novembre 2020 et, par conséquent, du jugement entrepris ;
A titre subsidiaire,
‘ Dire et juger que la juridiction de première instance a été saisie irrégulièrement.
‘ Prononcer la nullité du contrat de récupération de TVA par acte sous seing privé du 20 mai 2013.
‘ Dire et juger que les conditions d’ouverture contractuelles de la clause pénale ne sont pas remplies.
En conséquence,
‘ Débouter la société Négométal SARL de l’intégralité de ses demandes.
A titre infiniment subsidiaire,
‘ Fixer le montant de la clause pénale dû par elle à la société Négométal SARL à la somme de 21.394 €.
En tout état de cause,
Condamner la société Négométal SARL à lui verser une somme de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
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Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 février 2023, la SARL Négométal demande à la cour de :
Vu l’article 1103 (ancien article 1134) du code civil, l’article 1231-5 du code civil
Vu le contrat signé entre les parties le 20 mai 2013,
Vu les conclusions et pièces fournies par les parties
‘ Constater que l’acte d’appel indique que l’appel tend à la réformation de la décision du tribunal de commerce rendue le 10 mai 2021 ;
‘ Dire et juger que l’appel de la société Tolean Tir LDA tendant à la réformation du jugement du 10 mai 2021 est recevable et que l’effet dévolutif reconnu de la cour est limité aux chefs de jugement expressément critiqués dans l’acte d’appel ;
‘ Dire et juger que l’appel de la société Tolean Tir LDA tendant à la nullité du jugement est irrecevable car la cour n’a pas été saisie de cet objet dans l’acte d’appel.
‘ Débouter l’appelante de l’ensemble de ses prétentions et moyens excipés de la saisine irrégulière du tribunal de commerce ;
‘ La débouter de l’ensemble de ses prétentions et moyens tendant à la nullité du contrat signé entre les parties
‘ La débouter de l’ensemble de ses prétentions et moyens sur l’irrégularité de la rupture ;
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il a procédé à la modération de la clause pénale insérée dans le contrat signé entre les deux parties ;
‘ Statuant à nouveau,
A titre principal,
– Dire et juger que la clause pénale insérée au contrat s’applique en vertu de l’article 1231-5 du code civil ;
– En conséquence, condamner la société Tolean Tir LDA à lui payer une indemnité contractuelle de 977.985,26 € ;
À titre subsidiaire, et si la clause était jugée manifestement excessive,
– condamner la société Tolean Tir LDA à lui payer une indemnité de 151.411,01 € tous préjudices confondus répartis comme suit :
‘ Au titre du préjudice matériel résultant de la violation de la clause d’exclusivité insérée au contrat : 58.065,33 €
‘ Au titre du préjudice matériel résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties : 73.345,68 €
‘ Au titre du préjudice moral résultant du comportement vexatoire et insultant de son comportement : 20.000 €
‘ Confirmer les autres dispositions du jugement du tribunal de commerce de Bayonne ;
‘ Condamner la société Tolean Tir Lda aux entiers dépens ainsi qu’à lui payer la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code procédure civile.
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Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs écritures conformément à l’article 455 du code de procédure civile
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MOTIVATION :
1 – Sur la portée de l’appel :
A titre principal, la SARL Négométal soutient que, compte tenu de la formulation de sa déclaration d’appel qui précise qu’il tend à l’infirmation du jugement entrepris, la société Tolean Tir LDA est irrecevable à soutenir la nullité du jugement et ne peut tendre qu’à sa réformation.
La société Tolean Tir LDA affirme que seul le conseiller de la mise en état avait compétence pour statuer sur cette fin de non-recevoir de telle sorte que l’intimé ne peut en saisir la cour. En tout état de cause, elle fait valoir qu’ayant critiqué le jugement dans l’ensemble de son dispositif, la dévolution de son appel s’opère pour le tout et que la demande en nullité du jugement lui est ouverte.
En droit, l’article 562 du code de procédure civile dispose que : » L’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel n’est pas limité à certains chefs, lorsqu’il tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ».
L’article 564 de ce code indique quà peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétenteions si ce n’estpour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait’
L’article 901 4° du même code précise : « La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le troisième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité : […] Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. »
En outre, en application de l’article 910-4 du code procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les conclusions des parties et il ne peut s’inscrire que dans le cadre de ce qui est dévolu à la cour par l’effet de la déclaration d’appel, les conclusions ne pouvant étendre le champ de l’appel.
Or, la cour est seule compétente pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande d’infirmation du jugement non visée dans l’objet de la déclaration d’appel, cette fin de non-recevoir, tirée de l’article 562 du code de procédure civile relevant de l’appel, comme celles tirées des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile (voir en ce sens l’avis de la Cour de cassation du 11 octobre 2022 n°22.70-010), et non de la procédure d’appel.
En l’espèce, l’appelante a indiqué, dans sa déclaration d’appel reçue le 23 juin 2021 dans la rubrique Objet/Portée de l’appel : infirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Bayonne le 10 mai 2021 en ce qu’il a :
– dit que la société Tolean Tir LDA a rompu brutalement le contrat de récupération de TVA qu’elle a conclu avec la société Négométal sans respecter les clauses contractuelles ;
– condamné la société Tolean Tir LDA à régler à la société Négométal la somme de 73.348,89 euros au titre de l’indemnité prévue à l’article 10 du contrat de « Récupération de TVA » signé entre elles ;
– condamné la société Tolean Tir LDA au paiement à la SARL Négométal de la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la société Tolean Tir LDA aux entiers dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 73,22 euros.
S’il est dès lors exact que la déclaration d’appel ne demande pas l’annulation du jugement entrepris au vu des précisions apportées par l’appelant lors de sa formulation, lequel a détaillé les chefs qu’il entendait expressément critiquer, la finalité de l’appel de la société Tolean Tir LDA est la remise en cause du jugement dans toutes ses dispositions.
Mais, l’indication dans la déclaration d’appel, laquelle n’a pas pour objet de fixer les prétentions de l’appelant, que son objet tend la réformation du jugement, n’interdit pas à l’appelant de demander, dans ses premières conclusions et dans la limite des chefs du jugement expressément critiqués, l’annulation et, à titre subsidiaire, la réformation du jugement dont l’anéantissement est poursuivi par l’acte d’appel.
Il en résulte que l’effet dévolutif attaché à l’appel de la société Tolean Tir LDA s’exerce sur l’ensemble des dispositions du jugement et que les moyens soulevés au soutien de la demande d’annulation du jugement sont soumis à la cour qui a compétence pour les examiner.
2 – sur la recevabilité des dernières conclusions de la société Négométal et des pièces 16 à 18 produites le 6 février 2023 et celle des pièces 9,11, 12 et 15 déjà communiquées :
La société Tolean Tir LDA demande à la cour d’écarter des débats les dernières conclusions et pièces produites par l’intimée sur le fondement des dispositions des articles 14, 15, 16 et 132 du code de procédure civile.
Elle fait valoir, pour les conclusions qui lui ont été notifiées le 6 février 2023, qu’elles interviennent l’avant-veille de l’ordonnance de clôture et qu’elles comportent des moyens de droit nouveaux puisque, notamment, y figurent des références jurisprudentielles nouvelles et une demande d’évocation par la cour du litige en cas de nullité du jugement.
S’agissant des pièces jointes à ces conclusions, elle souligne que les pièces 16 à 18 constituent la traduction des pièces 9,11,12 et 15 déjà produites dans leur version d’origine, en langue portugaise, et que la remise de leur traduction en langue française avait été exigée de l’intimée dès le 15 mars 2022 sans obtenir de suite.
Elle soutient que la notification de ces conclusions et pièces de 400 pages l’avant- veille de l’ordonnance de clôture empêche, au vu de leur tardiveté et de leur nombre, qu’elles puissent être comprises et discutées contradictoirement.
Elle ne sollicite cependant pas le rabat de l’ordonnance de clôture et a pris des conclusions récapitulatives notifiées par RPVA la veille de l’ordonnance de clôture.
La société Négométal n’a pas conclu sur ces points et n’a pas demandé le rabat de l’ordonnance de clôture.
En droit, il résulte de l’article 15 du code de procédure civile que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
L’article 16 de ce même code précise que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Enfin l’article 132 du code de procédure civile édicte que la partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance.
En l’espèce, l’analyse des conclusions de l’appelante notifiées le 15 mars 2022 et celles notifiées le 7 février 2023 montre qu’elle a quelque peu enrichi les moyens qu’elle avait déjà développés à l’appui de ses prétentions et répondu aux conclusions adverses exposant notamment avoir été en mesure de procéder à un examen sommaire des pièces produites par l’intimée à l’appui de ses prétentions indemnitaires lesquelles figuraient déjà en procédure mais en langue portugaise, langue de l’appelante.
Pour le surplus, y compris dans leur dispositif, les conclusions de la société Négométal interviennent en réplique aux conclusions adverses et ne soulèvent ni moyen nouveau ni prétention nouvelle et, si la société Tolean Tir LDA excipe d’une atteinte au principe du contradictoire, force est de constater qu’elle a répliqué à son contradicteur par de nouvelles conclusions datées de la veille de la clôture.
Il en résulte qu’au vu du contenu de ses conclusions du 7 février 2023, la société Tolean Tir LDA n’a pas été privée de son droit de réplique et qu’aucune atteinte au principe du contradictoire n’est établie en lien avec les conclusions du 6 février 2023 de la société Négométal.
S’agissant des pièces déjà produites en langue portugaise et dont la traduction française a été jointe en procédure l’avant-veille de la clôture par l’intimée, il sera rappelé que l’ordonnance du 25 août 1539, dite de Villers-Cotterêts, impose l’usage de la langue française dans les seuls actes de procédure.
Ainsi, aucun texte n’impose de règle de traduction des documents rédigés en langue étrangère pour être produits en justice, sauf au juge à apprécier la valeur probante des pièces en application de l’article 9 du code de procédure civile.
En l’espèce, la pièce dite 9 produite par la société Négométal comportait déjà une traduction du courriel du 20 avril 2021 écrit par la société Tolean Tir LDA elle-même.
S’agissant de la pièce 11 et de sa traduction objet de la pièce 17, il s’agit de l’acte de signification de l’acte introductif d’instance transmis par Maître [Z] [F], huissier de justice à [Localité 3] mandaté par la société Négométal, le 6 décembre 2020, par lettre recommandée avec accusé de réception à l’autorité requise au Portugal pour délivrance à la société Tolean Tir LDA.
Or, dans ses conclusions la société Toléan Tir LDA se fonde sur cette pièce pour développer son argumentation relative à la nullité du jugement entrepris à raison du non respect des délais prévus à l’article 643 du code de procédure civile, ce qui montre qu’elle a pu en comprendre le sens et la portée sans confusion possible.
S’agissant de la pièce 12 et de sa traduction figurant en pièce 16 jointe aux conclusions de la société Négométal, il s’agit d’un courriel du 15 avril 2013 qu’elle a adressé à la société Tolean Tir LDA en langue portugaise et auquel était joint une version en langue portugaise du contrat liant les parties et qui s’est ensuite appliqué entre elles, le contrat initial étant rédigé en français.
Et la pièce 15, et sa traduction figurant en pièce 18, sont constituées des demandes de remboursement de TVA émanant de la société Tolean Tir LDA pour le compte de la société Négométal.
Or, l’appelante a conclu, dans ses dernières conclusions mais également dans celles qui l’ont précédées, que l’intimée était mal fondée à s’en prévaloir s’agissant de documents internes à la SARL et non de factures.
Il résulte de ce qui précède que la communication le 6 février 2023 de la traduction en français de pièces figurant au débat jusque là en langue portugaise ne constitue pas en elle-même une violation du principe du contradictoire, l’une des parties ayant pour langue native le portugais et l’autre le français.
Dès lors, les pièces 16 à 18, qui ne peuvent être considérées comme nouvelles pour figurer déjà à la procédure sous les numéros de pièces 9, 11, 12 et 15 déjà communiquées par la SARL Négométal et qui ont été discutées par les parties, seront déclarées recevables tout comme les conclusions du 6 février 2023 de la société Négométal.
3 – Sur la validité de l’assignation de l’appelante et la validité du jugement du tribunal de commerce :
La société Toléan Tir LDA prétend à la nullité du jugement du tribunal de commerce pour non respect des délais de comparution prévus aux articles 643 et 856 du code de procédure civile en ce qu’il s’est écoulé entre la signification de l’assignation du 16 novembre 2020 et la première date d’audience fixée au 1er février 2021 moins de deux mois et 15 jours, peu important que l’affaire ait fait l’objet de renvois au 15 mars puis au 22 mars 2021 car il n’est pas établi que ces nouvelles dates aient été portées à sa connaissance alors qu’elle n’a pas comparu à l’instance.
En outre, se fondant sur les dispositions de l’article 688 du code de procédure civile relatif aux notifications à l’étranger des actes, la société Tolean Tir LDA soutient que le tribunal de commerce n’a pu valablement statuer en ce qu’il aurait dû surseoir à statuer dans l’attente de la preuve de la délivrance effective de l’assignation.
La société Négométal répond qu’au vu des règles de computation des délais prévues à l’article 641 du code de procédure civile mais également des deux renvois intervenus avant jugement, la société Tolean Tir LDA a bénéficié de délais de comparution supérieurs à ceux exigés par la loi de telle sorte qu’il convient de rejeter la demande en nullité de l’assignation qu’elle lui a fait délivrer.
Elle soutient par ailleurs que l’appelante était informée de la date d’audience du 22 mars 2021 selon les termes du courriel qu’elle produit en pièce 9 de ses conclusions et que le tribunal de commerce, dans son jugement, note que la société Tolean Tir LDA avait été régulièrement informée des dates d’audience successives.
En droit, l’article 654 du code de procédure civile édicte que la signification doit être faite à personne et l’article 856 du code de procédure civile, applicable devant le tribunal de commerce, que l’assignation doit être délivrée 15 jours avant la date de l’audience.
Toutefois, l’article 643 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d’appel, d’opposition, de tierce-opposition dans l’hypothèse prévue à l’article 586 alinéa 3, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.
En outre, aux termes de l’article 479 du code de procédure civile, le jugement par défaut ou le jugement réputé contradictoire rendu contre une partie demeurant à l’étranger doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l’acte introductif d’instance au défendeur.
Et l’article 688 du code de procédure civile relatif aux notifications à l’étranger des actes prescrit notamment : « S’il n’est pas établi que le destinataire d’un acte en a eu connaissance en temps utile, le juge saisi de l’affaire ne peut statuer au fond que si les conditions ci-après sont réunies :
1° L’acte a été transmis selon les modes prévus par les règlements européens ou les traités internationaux applicables ou, à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 à 687 ;
2° Un délai d’au moins six mois s’est écoulé depuis l’envoi de l’acte ;
3° Aucun justificatif de remise de l’acte n’a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l’État où l’acte doit être remis. »
Par ailleurs l’article 19 du Règlement CE n° 1393/2007 du 13 novembre 2007 applicable à la date de l’espèce et concernant la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, intitulé « Défendeur non comparant », précise :
1 – Lorsqu’un acte introductif d’instance (…) a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification (…) et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi :
a) ou bien que l’acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par la loi de l’État membre requis (…) ;
b) ou bien que l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence (…).
et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre.
2 – Chaque État membre peut faire savoir, conformément à l’article 23, paragraphe 1, que ses juges, nonobstant les dispositions du paragraphe 1, peuvent statuer si toutes les conditions ci-après sont réunies, même si aucune attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise n’a été reçue :
a) l’acte a été transmis selon un des modes prévus par le présent règlement ;
b) un délai, que le juge appréciera dans chaque cas particulier et qui sera d’au moins six mois, s’est écoulé depuis la date d’envoi de l’acte ;
c) aucune attestation n’a pu être obtenue nonobstant toutes les démarches effectuées auprès des autorités ou entités compétentes de l’État membre requis.
En l’espèce, la société Négométal produit :
– l’acte d’accomplissement des formalités par huissier dressé par Maître [F], huissier de Justice à [Localité 3], établissant qu’il a, le 16 novembre 2020, en application des dispositions de l’article 4 paragraphe 3 du Règlement CE n°1393/2007, adressé au tribunal judicial da comarca de Lisboa l’assignation devant le tribunal de commerce de Bayonne en langue française et en langue portugaise et l’annexe 1 prévue au règlement ;
– la fiche de dépôt d’un recommandé international du 16 novembre 2020 ayant trait à cet envoi à l’autorité requise ;
– la signification par lettre recommandée avec accusé de réception faite à la société Tolean Tir LDA par le tribunal judicial da comarca de Lisboa, autorité requise, à la demande de la requérante confirmant qu’il y est joint un duplicata de l’acte introductif d’instance et des copies de documents joints aux procès-verbaux en portugais et en français et précisant que l’autorité requise a reçu l’acte la saisissant le 12 décembre 2020 et qu’elle l’a signifié le 17 décembre 2020.
L’acte de signification précise que « la signification par voie postale est réputée effectuée le jour où l’accusé de réception est signé ».
– la lettre simple du 15 mars 2021 transmise par le tribunal de commerce à la société Tolean Tir LDA portant avis d’audience fixée au 22 mars 2021 ;
– le courriel du 20 avril 2021 adressé via l’adresse internet structurelle de la société Tolean Tir lda dans lequel son rédacteur écrit « bonjour [I], nous avons reçu le courrier en annexe pour une convocation en France. Étant donné qu’il s’agit d’une entreprise portugaise, il nous est impossible d’y aller. […] Vous pourriez me passer le contact du département juridique pour résoudre ce sujet ‘ [… ] ».
Il résulte de ces pièces que la société Tolean Tir Lda n’a incontestablement pas été destinataire de l’acte de notification de l’assignation dans les délais des articles 643 et 856 du code civil de deux mois et 15 jours au moins avant l’audience l’autorité requise ayant accusé réception de l’assignation le 12 décembre 2020.
Mais, surtout, en l’absence de remise de l’accusé de réception attaché à la signification par les autorités portugaises de l’assignation devant lui être délivrée, aucune des pièces produites ne permet de connaître la date à laquelle la société Tolean Tir Lda en a eu connaissance, le courriel du 20 avril 2021 étant en tout état de cause postérieur à chacune des audiences intervenues.
Ainsi, après renvois décidés le 1er février et le 15 mars 2021, les premiers juges ont retenu le dossier à l’audience du 22 mars 2021 et rendu leur jugement le 10 mai 2021 sans disposer de la preuve que l’assignation délivrée par la SARL Négométal avait bien été délivrée à la société Tolean Tir LDA avant le 1er février 2021 et sans la preuve qu’elle avait eu connaissance des dates d’audience des 15 mars et 22 mars 2021, les avis d’audience transmis par le greffe du tribunal par lettre simple les 1er février et 15 mars 2021 ne permettant pas d’affirmer qu’elle a été régulièrement convoquée.
Ils n’ont pu dès lors constater valablement les diligences faites en vue de donner connaissance au défendeur de l’acte introductif d’instance comme le requièrent pourtant les dispositions de l’article 479 du code de procédure civile.
Dès lors, cette irrégularité de la convocation de la société Tolean Tir LDA qui n’était ni comparante ni représentée en première instance, ne permet pas d’affirmer que les diligences ont été accomplies afin qu’elle puisse n’être jugée qu’après avoir été entendue ou appelée.
En conséquence, le tribunal de commerce de Bayonne ne pouvait valablement statuer sur les demandes de la société Négométal et le jugement du 10 mai 2021 entrepris sera annulé.
Dans ce contexte juridique, l’appel est dépourvu d’effet dévolutif sur le fond et l’appelant n’ayant conclu au fond qu’à titre subsidiaire, la cour ne peut statuer sur les demandes de l’intimée.
Il convient donc de renvoyer les parties à se pourvoir comme elles aviseront.
La SARL Négométal, qui succombe essentiellement dans ses prétentions, supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.
Eu égard à la position des parties et à la solution du litige, l’équité ne commande pas l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au profit de l’une ou de l’autre partie.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare recevable l’appel relevé par la société Tolean Tir LDA,
Déclare recevables les conclusions de la société Négométal notifiées par RPVA le 6 février 2023 et les pièces 9, 11, 12, 15 et 16 à 18 figurant à son bordereau de communication de pièces,
Annule le jugement du tribunal de commerce du 10 mai 2021,
Dit que la cour n’a pas été saisie du litige faute d’effet dévolutif de l’appel,
Condamne la SARL Négométal aux dépens de première instance et d’appel,
Rejette les demandes d’indemnités au titre des frais irrépétibles fondées sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Joëlle GUIROY, conseillère, suite à l’empêchement de Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière, La Présidente,