COUR D’APPEL DE BORDEAUX
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 25 MAI 2023
N° RG 19/04745 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LGO6
SCI LES VIEILLES VIGNES
c/
SAS LES DEMEURES OCCITANES
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 février 2018 (R.G. 17/01178) par le Tribunal de Grande Instance de BERGERAC suivant déclaration d’appel du 23 août 2019
APPELANTE :
SCI LES VIEILLES VIGNES,
société civile immobilière, inscrite au Registre du commerce et des sociétés de Bergerac sous le n° 811 681 394, dont le siège social est [Adresse 3] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
Représentée par Me Dominique ASSIER de la SCP MONEGER-ASSIER-BELAUD, avocat au barreau de BERGERAC
INTIMÉE :
SAS LES DEMEURES OCCITANES,
Société par actions simplifiée au capital de 50 000,00 € immatriculée au RCS de PERIGUEUX sous le n° 433 047 479 dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Alexandre LEMERCIER de la SELARL LEMERCIER AVOCAT, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Paule POIREL, Président,
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,
Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Audrey COLLIN
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 2 février 2016, La SCI Les Viennes Vignes a confié à la société Les Demeures Occitanes la construction d’une maison individuelle sur une parcelle située au lieudit [Localité 2] à [Localité 4] ( Dordogne), pour un montant de 195 500 euros.
Le 4 avril 2016, la SCI Les Vieilles Vignes a obtenu son permis de construire. Ainsi, le 24 mai 2016, la SCI Les Vieilles Vignes a effectué une déclaration d’ouverture de chantier.
A la fin du mois de mai 2016, un glissement de terrain est survenu à l’occasion des travaux de terrassement réalisés par la société Dubois sur la route départementale contiguë. Les travaux d’édification ont par conséquent été retardés.
La SAS Les Demeures Occitanes a alors adressé à la SCI Les Vieilles Vignes deux lettres recommandées prévoyant un début de travaux pour le 10 février 2017 et a joint à celles-ci des factures aux fins de règlement.
En raison de l’échec de règlement amiable, la SAS Les Demeures Occitanes a, par acte du 19 juillet 2017, assigné la SCI Les Vieilles Vignes devant le tribunal de grande instance de Bergerac aux fins de résolution du contrat aux torts exclusifs de l’assignée et en conséquence sa condamnation à lui payer la somme de 29 325 euros, soit la première facture émise par le constructeur.
La SCI Les Vieilles Vignes n’a pas constitué avocat.
Par jugement du 9 février 2018, le tribunal de grande instance de Bergerac a :
– condamné la SCI Les Vieilles Vignes à payer à la SAS Les Demeures Occitanes les sommes suivantes :
– 29 325 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2017 au titre de la facture impayée,
– 19 550 euros au titre de la pénalité contractuelle,
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les demandes plus amples ou contraires,
– condamné la SCI Les Vieilles Vignes aux dépens,
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
La SCI Les Vieilles Vignes a relevé appel du jugement le 23 août 2019, en toutes ses dispositions.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 août 2022, la SCI Les Vieilles Vignes demande à la cour sur le fondement des articles L.231-1 et suivants, R.231-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation :
– d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bergerac le 9 février 2018,
Statuant à nouveau,
– de juger que le contrat de construction de maison individuelle conclu le 2 février 2016 par la SCI Les Vieilles Vignes et la SAS Les Demeures Occitanes ne respecte pas les dispositions d’ordre public du code de la construction et d’habitation,
– de prononcer en conséquence la nullité du contrat de construction de maison individuelle,
– de débouter la SAS Les Demeures Occitanes de toutes ses demandes formées à l’encontre de la SCI Les Vieilles Vignes,
Subsidiairement,
– de prononcer la résiliation du contrat de construction de maison individuelle conclu le 2 février 2016 aux torts de la SAS Les Demeures Occitanes,
– de débouter la SAS Les Demeures Occitanes de toutes ses demandes formées à l’encontre de la SCI Les Vieilles Vignes,
Très subsidiairement, si par impossible la cour devait prononcer la résiliation du contrat de construction de maison individuelle conclu le 2 février 2016 aux torts de la SCI Les Vieilles Vignes,
– de débouter la SAS Les Demeures Occitanes de sa demande de paiement de la facture n°17/0000066 du 6 mars 2017 et d’un montant de 29 325 euros,
– de juger inopposable la clause pénale invoquée par la SAS Les Demeures Occitanes à l’encontre de la SCI Les Vieilles Vignes,
– de juger que la SAS Les Demeures Occitanes ne justifie d’aucun préjudice lié à la résiliation du contrat et en conséquence la débouter de sa demande d’indemnisation,
En tout état de cause,
– de condamner la SAS Les Demeures Occitanes à payer à la SCI Les Vieilles Vignes une somme de 4 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Moneger Assier Belaud sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 janvier 2023, la SAS Les Demeures Occitanes demande à la cour, sur le fondement des articles L.231-2 du code de la construction et de l’habitation et 1224 du code civil, de :
– juger irrecevable et non fondé l’appel interjeté par la SCI Les Vieilles Vignes à l’encontre du jugement rendu le 9 février 2018 par le tribunal de grande instance de Bergerac,
en conséquent,
– débouter la SCI Les Vieilles Vignes de sa demande de nullité du contrat de construction de maison individuelle du 2 février 2016,
– débouter la SCI Les Vieilles Vignes de ses demandes subsidiaires de voir débouter les SAS Les Demeures Occitanes de ses demandes financières et indemnitaires,
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions, en ce qu’il a :
– condamné la SCI Les Vieilles Vignes à payer à la SAS Les Demeures Occitanes les sommes suivantes :
– 29 325 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2017 au titre de la facture impayée,
– 19 550 euros au titre de la pénalité contractuelle,
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeter les demandes plus amples ou contraires,
– condamner la SCI Les Vieilles Vignes aux dépens,
– ordonner l’exécution provisoire de la présente décision
à titre subsidiaire,
– condamner la SCI Les Vieilles Vignes à verser à la SAS Les Demeures Occitanes, concernant le paiement de la facture impayée, une somme qui ne saurait être inférieure à 6 916,38 euros, somme correspondant aux prestations réalisées, avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 12 avril 2017,
à titre plus subsidiaire, si la cour entendait faire droit à la demande de nullité du contrat de construction de maison individuelle signé le 2 février 2016,
– juger que la nullité est relative et est susceptible de régularisation,
– juger que la nullité a été purgée par la renonciation sans équivoque de la SCI Les Vieilles Vignes à s’en prévaloir,
en conséquent,
– débouter la SCI Les Vieilles Vignes professionnelle de l’immobilier, de sa demande de nullité,
à titre infiniment subsidiaire, si par impossible la cour annulait le contrat de construction de maison individuelle,
– condamner la SCI Les Vieilles Vignes à indemniser la SAS Les Demeures Occitanes par l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 6 916,38 euros, correspondant aux prestations réalisées pour son compte,
en tout état de cause,
– condamner la SCI Les Vieilles Vignes au paiement d’une indemnité de 5 000 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SCI Les Vieilles Vignes aux entiers dépens de première instance et d’appel.
– Sur la pénalité contractuelle, le tribunal a justement jugé que la SAS Les Demeures Occitanes est fondée à réclamer la condamnation de la SCI Les Vieilles Vignes au paiement d’une indemnité de 10% en application des dispositions contractuelles, soit la somme de 19 550 euros.
– A titre subsidiaire, si la cour faisait droit à la demande en nullité de la SCI, il y aura lieu de condamner la SCI Les Vieilles Vignes à rembourser à la concluante le prix correspondant aux prestations accomplies en pure perte pour son compte, soit 6 916,38 euros.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2023.
MOTIFS
Sur la demande d’irrecevabilité de l’appel
L’intimée considère dans le dispositif de ses dernières écritures que l’appel entrepris serait irrecevable, sans toutefois fournir le moindre moyen de fait ou de droit au soutien de cette prétention.
Elle en sera donc déboutée.
Sur la nullité du contrat de construction de maison individuelle
L’appelante soutient que les dispositions légales relatives à la construction d’une maison individuelle sont d’ordre public, et qu’en l’espèce le contrat conclu ne respecte pas les dispositions des articles L.231-6, L.231-2 et R.231-4 du code de la construction et de l’habitation si bien que sa nullité devrait être prononcée.
L’intimée considère pour sa part que le contrat passé entre les parties respecterait bien les obligations légales alors qu’elle a obtenu une garantie de livraison, que les pénalités de retard en cas de retard de livraison étaient également mentionnées au contrat, au paragraphe 2-6, que la SCI ne peut arguer du fait qu’il n’y a pas ses paraphes sur la page en question alors qu’en signant le contrat caractérise sa volonté d’engagement, qu’enfin le contrat comporte bien la description et le chiffrage des travaux que le maître de l’ouvrage s’était réservé, partie rédigée à la main.
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La société Les demeures Occitanes justifie avoir souscrit auprès de la compagnie AXA une garantie de livraison le 27 mai 2017 conformément aux dispositions de l’article L 231-7 du code de la construction et de l’habitation si bien que le premier reproche fait par l’appelante n’est pas fondé. ( cf : pièce n° 8 de l’intimée)
L’appelante soutient par ailleurs que les pénalités de retard ne figureraient pas au contrat en infraction avec les dispositions de l’article L 231-2 du code de la construction et de l’habitation, alors qu’il résulte de ce contrat que ces pénalités figuraient expressément dans ce contrat au paragraphe 2-6 « délais » ( cf : pièce n°2 de l’intimée)
Concernant les travaux laissés à la charge du maitre de l’ouvrage, l’article L 231-2 du code de la construction et de l’habitation dans son état au jour de la signature du contrat dispose : «
Le contrat visé à l’article L. 231-1 doit comporter les énonciations suivantes :’.
d) Le coût du bâtiment à construire, égal à la somme du prix convenu et, s’il y a lieu, du coût des travaux dont le maître de l’ouvrage se réserve l’exécution en précisant :
-d’une part, le prix convenu qui est forfaitaire et définitif, sous réserve, s’il y a lieu, de sa révision dans les conditions et limites convenues conformément à l’article L. 231-11, et qui comporte la rémunération de tout ce qui est à la charge du constructeur, y compris le coût de la garantie de livraison ;
-d’autre part, le coût des travaux dont le maître de l’ouvrage se réserve l’exécution, ceux-ci étant décrits et chiffrés par le constructeur et faisant l’objet, de la part du maître de l’ouvrage, d’une clause manuscrite spécifique et paraphée par laquelle il en accepte le coût et la charge’. »
Les dispositions de l’article L. 231-2 du Code de la construction et de l’habitation, sont complétées par les dispositions de l’article R. 231-4 relatif à la notice descriptive annexée obligatoirement au contrat de construction de maison individuelle.
En application des dispositions de l’article R. 231-4, II : « cette notice fait la distinction prévue à l’article L. 231-2 (d) entre ces éléments selon que ceux-ci sont ou non compris dans le prix convenu. Elle indique le coût de ceux desdits éléments dont le coût n’est pas compris dans le prix […]. La notice doit porter, de la main du maître de l’ouvrage, une mention signée par laquelle celui-ci précise et accepte le coût des travaux à sa charge qui ne sont pas compris dans le prix convenu ».
Ainsi, les travaux restant à la charge du maître d’ouvrage, en plus du prix convenu, ne peuvent être pris en considération qu’à condition d’une part que ceux-ci aient été suffisamment chiffrés et décrits dans les conditions précitées, mais également que soit démontrée l’existence d’une clause manuscrite spécifique et paraphée du maître d’ouvrage par laquelle il en accepte le coût et la charge.
En l’espèce, l’intimée ne conteste pas que la mention exigée par la loi « n’est pas entièrement manuscrite »
Il est constant que le maitre de l’ouvrage n’a pas écrit de sa main que « les travaux non compris dans le prix convenu qui restaient à sa charge s’élevaient à la somme de » cette mention étant dactylographiée et a seulement rajouté le coût de ces travaux soit la somme de « 18 242, 40 euros »
Cette seule mention manuscrite portant sur la seule somme des travaux réservés est inopérante pour respecter les exigences de la loi. ( cf : Cass. 3e civ., 21 juin 2018, n° 17-10.175)
Or, la sanction du non-respect de la clause manuscrite est la nullité du contrat, nullité relative qui ne peut être soulevée que par le maître d’ouvrage, ce que fait l’appelante dont la qualité de professionnelle de l’immobilier n’est pas démontrée alors qu’une société civile immobilière ne saurait par sa seule forme sociale disposer d’une telle qualité.
Par ailleurs, la nullité ne pouvait être postérieurement régularisée que par l’écriture par le maitre de l’ouvrage d’une telle mention complète, ce qui n’a pas été le cas.
En conséquence, le jugement sera réformé et la cour prononcera la nullité du contrat de construction de maison individuelle conclu entre les parties et la société Demeures Occitanes sera déboutée de toutes ses demandes.
Sur l’indemnisation de la société Les demeures Occitanes
A titre infiniment subsidiaire, la société Les demeures Occitanes demande néanmoins à la cour de condamner la SCI Les Vieilles Vignes à l’indemniser par l’allocations de dommages et intérêts correspondant aux prestations qu’elle a effectivement réalisées.
L’appelante s’y oppose.
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La cour d’appel ayant annulé le contrat litigieux, l’intimée ne peut réclamer aucune somme exposée par elle postérieurement au titre de ce même contrat.
Sur les frais et les dépens
La société Les Demeures Occitanes succombant en son action sera condamnée aux dépens et à verser à l’appelante une somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Réforme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et statuant à nouveau : Prononce la nullité du contrat de construction de maison individuelle signé par les parties le 2 février 2016 ;
Déboute la société Demeures Occitanes en toutes ses demandes ;
Condamne la société Demeures Occitanes aux entiers dépens et à verser à la SCI Les Vieilles Vignes la somme de 2000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Audrey COLLIN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE