Your cart is currently empty!
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRÊT DU 19 AVRIL 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07043 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDPLI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Février 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 17/02420
APPELANTE
SARL BUSINESS BIKES FRANCE immatriculée au RCS de Paris sous le n°429 880 909, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social:
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945
Assistée de Me VIGNAUD Maxime, avocat au barreau de PARIS, toque: P248
INTIMEE
S.C.I. ATIM UNIVERSITE Société civile immobilière immatriculée au RCS de Nanterre sous le n°508 886 231, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social:
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Nathalie RECOULES, Présidente de chambre
Douglas BERTHE, Conseiller
Emmanuelle LEBEE, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Nathalie RECOULES, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Damien GOVINDARETTY
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Nathalie RECOULES, Présidente de chambre et par Madame Laurène BLANCO, greffier présent lors de la mise à disposition
Faits et procédure
Par acte sous seing privé en date du 6 mai 2009, la SAS Groupe Immobilier Monteverde, aux droits de laquelle est venue la société Swisslike Assurance Et Patrimoine et, désormais, la SCI Atim Université, a donné à bail commercial à la SARL Business Bikes France des locaux situés [Adresse 1] à [Localité 5] pour une durée de neuf ans à compter du 1er juin 2009.
La SARL Business Bikes a sous-loué une partie des locaux au profit de la société Urban Scooter.
Par acte extrajudiciaire en date du 10 janvier 2017, la SCI Atim Université a signifié à la SARL Business Bikes un commandement visant la clause résolutoire de payer la somme de 151.948,94 euros au titre de l’arriéré locatif dû à cette date, ainsi que d’avoir à communiquer les attestations d’assurance locative des années 2013 à 2017 et de justifier du paiement des cotisations.
Par assignation du 9 février 2017, la SARL Business Bikes a attrait la SCI Atim Université devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d’obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 171.609,46 euros en réparation des préjudices de jouissance et d’exploitation subis du fait des travaux de restructuration entrepris dans l’immeuble abritant les locaux loués.
Par jugement en date du 25 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a notamment :
– condamné la SCI Atim Université à payer à la SARL Business Bikes la somme de 70.000 euros au titre de la réparation de son trouble de jouissance, de sa perte d’exploitation et de sa perte de chance de faire progresser son chiffre d’affaires sur la période du 29 juin 2015 au 19 octobre 2016 ;
– constaté l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail ;
– débouté la SARL Business Bikes de ses demandes de suspension des effets de la clause résolutoire et de délais de paiement ;
– condamné la SARL Business Bikes à payer à la SCI Atim Université à compter du 11 février 2017 et jusqu’à la libération effective des lieux, une indemnité d’occupation mensuelle ;
– condamné la SARL Business Bikes, à payer à la SCI Atim Université la somme de 147.659,63 euros au titre des loyers, indemnités d’occupation, provisions et régularisation des charges, arrêtés au 3 octobre 2019, avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier ;
– condamné la SARL Business Bikes, à payer à la SCI Atim Université la somme de 4.000 euros au titre de la clause pénale ;
– ordonné la compensation judiciaire entre les créances réciproques de la SARL Business Bikes et de la SCI Atim Université, à hauteur de la somme la plus faible ;
– condamné la SARL Business Bikes aux dépens
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration en date du 13 avril 2021, la SARL Business Bikes a interjeté appel partiel du jugement du tribunal judiciaire de Paris 25 février 2021.
Dans ses conclusions signifiées le 4 octobre 2021, la SCI Atim université a formé appel incident du jugement.
Moyens et prétentions
Dans ses conclusions déposées le 3 janvier 2023, la SARL Business Bikes France, appelante demande à la cour de :
1. Sur l’appel principal formé par la société Business Bikes France
A titre principal,
– réformer le jugement du 25 février 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Paris (RG 17/02420) en ce qu’il a limité la créance de dommages et intérêts allouée à la SARL Business Bikes à la somme totale de 70.000 euros tous chefs de préjudices confondus et en ce qu’il a prononcé l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial et prononcé l’expulsion de la société Business Bikes ;
En conséquence :
– condamner la SCI Atim Université à verser à la société Business Bikes la somme de 171.609,46 euros en réparation de ses préjudices de jouissance et d’exploitation en raison de la gêne anormale et excessive occasionnée par les travaux de restructuration de l’immeuble situé [Adresse 1] ;
– prononcer à due concurrence la compensation entre la créance de dommages et intérêts reconnue au bénéfice de la société Business Bikes et toute créance de loyers et/ou de charges qui serait reconnue au bénéfice de la SCI Atim Université ;
– dire de nul effet pour défaut de causes le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré à la SARL Business Bikes le 10 janvier 2017 ;
– débouter la SCI Atim Université de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions;
A titre subsidiaire,
– suspendre les effets de la clause résolutoire visée au bail commercial et octroyer un délai de 24 mois à la SARL Business Bikes afin de rembourser, en sus du loyer courant, l’intégralité du montant de la dette locative qui serait reconnue envers la SCI Atim Université ;
2. Sur l’appel incident formé par la SCI Atim Université
A titre principal,
– confirmer le jugement du 25 février 2021 en ce qu’il a retenu la responsabilité de la SCI Atim Université du fait de la gêne anormale et excessive occasionnée par les travaux de restructuration de l’immeuble situé [Adresse 1] ;
En conséquence :
– débouter la SCI Atim Université de sa demande tendant à l’infirmation du 25 février 2021 en ce qu’il a retenu la responsabilité de la SCI Atim Université et l’a condamnée à verser à la SARL Business Bikes la somme de 70.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– débouter la SCI Atim Université de sa demande tendant à limiter les dommages et intérêts alloués à la SARL Business Bikes à la somme de 9.297 euros ;
– débouter la SCI Atim Université de toute autre demande, fin ou prétention;
A titre subsidiaire,
– suspendre les effets de la clause résolutoire visée au bail commercial, et octroyer un délai de 24 mois à la SARL Business Bikes afin de rembourser, en sus du loyer courant, l’intégralité du montant de la dette locative qui serait reconnue envers la SCI Atim Université ;
3. En tout état de cause
– condamner la SCI Atim Université à payer à la SARL Business Bikes la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 CPC;
– condamner la SCI Atim Université à payer les entiers dépens de la procédure.
La SARL Business Bikes France soutient, sur l’appel principal, que le bailleur est tenu de garantir au preneur la jouissance paisible des locaux pris à bail et que, par l’effet de l’article 1724 du code civil et l’article 8 du bail, la clause de « souffrance » licite ne peut avoir qu’une efficacité relative, dans la mesure où il est démontré que la boutique était occultée par l’échafaudage et invisible depuis la voie publique, son accès rendu difficile du fait de l’impraticabilité du trottoir et de l’inaccessibilité de la contre-allée, et que le bruit élevé dans le magasin, la poussière et autres perturbations ne permettaient pas de maintenir une activité commerciale durant les travaux, d’une durée de 16 mois qui n’a subi aucun retard de son fait ; l’anormalité des troubles subis justifie une indemnisation plus élevée de son préjudice que celle allouée par les premiers juges et sur l’ensemble des postes sollicités dès lors que pour son évaluation le critère de la perte de surface de vente n’est pas pertinent et qu’un coefficient de pondération de 50 % du montant du loyer annuel paraît raisonnable, pour le préjudice de jouissance, que le chiffre d’affaires a chuté pendant la période de référence, que les préjudices d’agrément et d’atteinte à l’image sont réels et distincts ; que les dispositions de l’article 1377 du code civil invoquées par la bailleresse ne sont pas applicables au cas d’espèce puisque l’autorisation de sous-location consentie par la société Exa, au nom et pour le compte du bailleur initial, s’analyse en un acte de commerce délivrée entre deux commerçants, dans le cadre de l’exécution du bail commercial et pour les besoins de l’activité commerciale du locataire.
La SARL Business Bikes France soutient, sur l’appel incident, que la clause résolutoire devient sans cause par application des dispositions de l’article 1348 du code civil au présent litige qui permet à la cour de moduler la date d’effet de la compensation qu’il prononce, non pas au jour de la décision mais à une date antérieure ; qu’à titre subsidiaire, est demandée la suspension de la clause résolutoire et l’octroi des délais de paiement permettant à Business Bikes d’apurer l’arriéré locatif qui serait reconnu compte-tenu des circonstances particulières liées aux travaux ; qu’enfin, au regard de la durée et de l’intensité des travaux de la bailleresse, la suspension du paiement des loyers de la part du preneur, en l’espèce, ne constituerait pas un manquement grave justifiant la résiliation du bail.
Dans ses conclusions déposées le 9 janvier 2023, la SCI Atim Université, intimée demande à la cour de :
I – Sur les demandes indemnitaires de la société Business Bikes :
– juger que la responsabilité dela SCI Atim Université ne peut pas être mise en jeu dès lors :
‘ elle a respecté ses obligations
‘ aucun trouble anormal n’a été apporté à la jouissance des locaux loués
‘ le bail comporte une clause de souffrance parfaitement efficiente
– juger subsidiairement que la SARL Business Bikes n’a pas droit à indemnisation :
‘ n’étant pas l’exploitante de l’activité contractuellement autorisée de vente de marchandises exercée par la société Urban Scooter, dépourvue de titre opposable à la SCI Atim Université ;
‘ et n’ayant en toute hypothèse subie aucun préjudice en lien avec les travaux ;
En conséquence :
– infirmer le jugement rendu le 25 février 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a condamné la SCI Atim Université à payer à la SARL Business Bikes la somme de 70.000 euros, Statuant à nouveau :
– débouter la SARL Business Bikes de toutes ses demandes, fins et prétentions,
– à titre infiniment subsidiaire, juger que l’indemnisation ne pourrait correspondre qu’à d’éventuelles pertes d’exploitation du 1er avril au 22 juin 2016, soit 9.297 euros a maxima,
II Sur les demandes de la société Atim Université :
II.1 ‘ Sur la résiliation du bail
– confirmer le jugement rendu le 25 février 2021 en ce qu’il a constaté le jeu de la clause résolutoire par l’effet du commandement de payer signifié le 10 janvier 2017 et débouté la SARL Business Bikes de sa demande de délais de paiement et de suspension corrélative du jeu de la clause résolutoire ;
– subsidiairement, prononcer la résiliation judiciaire du bail consenti à la SARL Business Bikes en raison de ses nombreux manquements aux clauses du bail ;
– confirmer l’expulsion de la SARL Business Bikes , ainsi que celle de tous occupants de son chef, des locaux qu’elle occupe [Adresse 1], avec si nécessaire, l’intervention d’un huissier, des forces de l’ordre et d’un serrurier ;
– ordonner la séquestration des biens et facultés mobilières se trouvant dans les lieux, soit dans l’immeuble, soit dans un garde-meuble, au choix du bailleur, aux frais, risques et périls du locataire ;
– débouter la SARL Business Bikes de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
II.2 ‘ Sur les demandes en paiement
– confirmer le jugement rendu le 25 février 2021 en ce qu’il a condamné la SARL Business Bikes à régler à la SCI Atim Université l’arriéré locatif ;
– condamner en conséquence la SARL Business Bikes au paiement de la somme de 178.219,37 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté au 9 janvier 2023, sauf à parfaire, et la somme de 17.821,93 euros au titre de la pénalité contractuelle de retard, le tout augmenté des intérêts au taux légal à compter de la date de chaque échéance impayée ;
– infirmer le jugement rendu le 25 février 2021 en ce qu’il a limité le montant de l’indemnité d’occupation dont la SARL Business Bikes est redevable au montant du dernier loyer en cours ;
Statuant à nouveau :
– condamner la SARL Business Bikes au paiement d’une indemnité d’occupation à compter du 10 février 2017, subsidiairement, en cas de prononcé d’une résiliation judiciaire, à compter de la décision à intervenir et dans tous les cas, jusqu’à parfait délaissement, d’un montant de 719,87 euros TTC par jour, indexable chaque année, outre tous accessoires, charges et taxes ;
– débouter la SARL Business Bikes de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
II.3 ‘ A titre subsidiaire :
Dans l’hypothèse où par impossible la présente juridiction viendrait à infirmer le jugement et à accorder des délais à la société preneuse, délais qui ne sauraient être supérieurs à six mois, avec suspension des effets de la clause résolutoire :
– dire et juger que faute de paiement en son entier et à bonne date, d’une seule des échéances prévues à l’arrêt à intervenir, ainsi que des loyers et accessoires courants à leur échéance contractuelle ;
– la déchéance du terme sera encourue, la totalité de la dette devenant immédiatement exigible ;
– la clause résolutoire sera acquise, la bailleresse étant autorisée à poursuivre l’expulsion de la SARL Business Bikes , ainsi que celle de tous occupants de son chef dans les conditions visées ci-dessus ;
En toute hypothèse :
– condamner la SARL Business Bikes au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens d’instance, dont distraction au profit de Me Frédérique Etevenard, conformément à l’article 699 du CPC.
La SCI Atim Université soutient, sur l’appel principal, qu’au sens de l’article 1719 du code civil, la bailleresse n’a manqué à aucune obligation, ni commis aucune faute en réalisant les travaux sur l’immeuble puisque le locataire a continué à exploiter les locaux loués dans lesquels aucun travaux n’a été réalisé, les travaux n’ont engendré aucun trouble « anormal » de jouissance au sens du principe de l’exécution de travaux indispensables, que les délais du calendrier des travaux ont été globalement respectés ; que l’échafaudage ayant été démonté le 22 juin 2016, le chantier n’a pas duré 16 mois mais un an ; qu’à l’inverse le chantier a pris sept semaines de retard du fait du preneur ; que les récriminations de la société Business Bikes sont infondées en ce que la boutique et son enseigne sont restées parfaitement visibles, il n’y avait aucun danger à passer sur le trottoir aux normes drastiques actuelles de sécurité ; que les pièces communiquées par le preneur n’attestent pas de la détérioration des activités du preneur puisqu’il n’a jamais cessé ses activités commerciales ; que la clause de souffrance doit trouver application en absence de faute lourde du bailleur, que les conditions de l’article 1195 du code civil ne sont pas réunies en l’espèce et que la réforme sur l’imprévision ne s’applique qu’aux contrats régularisés depuis 1er octobre 2016 ; que, subsidiairement, le preneur n’est pas en droit de réclamer une indemnisation dès lors que ce n’est pas lui qui exploitait l’activité contractuellement autorisée de vente de marchandises, mais la société Urban Scooter, occupante sans droit ni titre en vertu des articles 1377 et 1743 du code civil ; qu’au surplus, le lien de causalité entre le préjudice invoqué et les travaux n’est pas démontré puisque l’exploitation s’est poursuivie pendant la durée des travaux dans la boutique et sur internet.
La SCI Atim Université soutient, sur l’appel incident, que la clause résolutoire est acquise, l’article 1348 du code civil invoqué n’étant pas applicable au cas d’espèce le contrat étant antérieur à l’entrée en vigueur de ces dispositions et qu’au regard des dispositions des articles 1290 et 1748 du code civil la compensation ne peut jouer, l’obligation de la bailleresse au paiement d’une indemnité au profit du locataire n’étant pas certaine avant la décision qui la prononce ; qu’en vertu de l’article 1728 du code civil et au sens de la jurisprudence sur l’exception d’inexécution le preneur n’était pas en droit de suspendre le paiement de ses échéances contractuelles ; qu’à titre subsidiaire et à titre incident, la résiliation judiciaire pour manquement grave est sollicitée dans la mesure où le preneur acquittait ses loyers et charges de façon irrégulière, qu’il a permis l’exploitation des locaux par la société Urban Scooter sans y avoir été autorisé et que sont exercées des activités non autorisées au bail que la SCI Atim Université sollicite la condamnation du preneur au paiement de l’arriéré locatif, soit la somme de 178.219,37 euros au 5 janvier 2023 en y ajoutant la somme de 17.821,93 euros au titre de la pénalité contractuelle de retard, également, au paiement d’une indemnité d’occupation, à compter du 10 février 2017, soit 599,89 euros HT ou 719,87 euros TTC par jour.
Par message RPVA en date du 27 février 2023, la cour a sollicité les observations des parties sur observations sur un moyen qu’elle envisage de soulever d’office s’agissant de l’obligation de bonne
foi du bailleur dans la délivrance d’un commandement de payer.
Par note en délibéré en date du 3 mars 2023, la SCI Atim Université conteste, d’une part, la faculté pour la cour de soulever d’office le moyen tiré de la bonne foi du bailleur dans la délivrance du commandement de payer, laquelle selon les dispositions de l’article 2274 du code civil se présume, ce qui a déjà été censuré par la cour de cassation dans un arrêt de la 2ème chambre civile en date du 2 juillet 2009 et relève, d’autre part, que la bonne foi du bailleur qui s’apprécie in concreto n’a jamais été contestée par le locataire. Enfin, elle soutient que les manquements du locataire à son obligation de payer les loyers étaient antérieurs au démarrage des travaux, que la dette n’a fait que s’aggraver depuis 2013 alors même que le locataire a continué d’exploiter son activité dans les locaux pendant la période des travaux, que le bailleur a été patient et n’a pas agi par surprise mais a mis un terme au comportement de mauvais payeur du locataire, dont la dette atteint la somme de 178.218,37 euros au 9 janvier 2023.
Par note en délibéré en date du 6 mars 2023, la société Business Bikes rappelle que le commandement de payer délivré le 10 janvier 2017 vise des loyers échus entre février 2015 et octobre 2016, soit une période au cours de laquelle le bailleur a exercé des travaux dont la durée et l’intensité ont été reconnues par le tribunal comme constitutives d’un manquement à son obligation de jouissance paisible. Malgré les alertes du locataire sur ces troubles, le bailleur a mis en ‘uvre la clause résolutoire alors qu’il manquait à l’une de ses obligations essentielles, ce qui a été sanctionné par la cour de cassation dans un arrêt de la 3ème chambre civile du 1er décembre 2016 s’agissant de l’obligation de délivrance, agissant ainsi nécessairement de mauvaise foi.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux conclusions déposées.
Décision,
Sur le trouble de jouissance et la demande de son indemnisation
Il résulte de la lecture combinée des articles 1719 – 3° et 1724 du code civil que si les parties peuvent exclure toute indemnisation du locataire en cas de réparations urgentes menées par le bailleur ne lui permettant plus de bénéficier de la jouissance paisible des locaux pris à bail, cette clause de souffrance ne peut trouver application s’il est démontré par le preneur que les inconvénients causés par les travaux ont été anormaux et excessifs.
Le bail liant les parties prévoit aux termes de l’article 8 dans sa partie relative aux réparations que le preneur s’engage à « souffrir les grosses réparations qui deviendront nécessaires pendant la durée du bail, conformément aux dispositions de l’article 1724 du code civil, sans aucune indemnité, ni diminution de loyer, alors même que ces travaux dureraient plus de 40 jours, à l’exception toutefois qu’ils soient exécutés sans interruption…et qu’ils ne gênent pas le libre accès des lieux loués… ».
En l’espèce les travaux litigieux n’avaient pas le caractère de réparations urgentes au sens de l’article 1724 du code civil mais, comme le prévoyait la clause ci-dessus rappelée, ont consisté, tel que cela résulte du permis de construire, en une opération de restructuration lourde résultant du changement de destination, voulu par le bailleur, du 6ème étage du bâtiment transformé en surface de bureau, ce qui a rendu nécessaire la mise aux normes de l’accessibilité du bâtiment aux personnes à mobilité réduite.
C’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu notamment que ces travaux lourds de transformation ont duré pendant plus d’un an, ont relevé « l’ampleur de la gêne subie, notamment en termes de nuisances sonores, de poussière et d’accessibilité des locaux » qui ne peut être raisonnablement discutée par le bailleur au regard du nombre de procès-verbaux de constats concordants sur la durée du chantier et l’insuffisance « des démarches entreprises [par le bailleur sur toute la période] pour contredire utilement le fait que la société locataire a subi des troubles dépassant la tolérance raisonnablement attendue dans de telles circonstances…[sans que ne puisse être] valablement reproché [au preneur] d’avoir sciemment retardé le chantier de sept semaines, dès lors que la proposition d’échange des caves a été initiée par la bailleresse » dans son propre intérêt.
C’est à bon droit que les premiers juges en ont déduit que « la durée des travaux entrepris dans l’immeuble, conjuguée à leur ampleur, paralyse la clause de souffrance prévue au bail et entraîne l’obligation pour le bailleur d’indemniser son preneur des troubles subis » .
Sur l’indemnisation des préjudices, contrairement à ce que soutient le bailleur, c’est à bon droit que les premiers juges ont reconnu le droit à indemnisation de la société Business Bikes en prenant aussi en compte l’activité menée par la société Urban Scooter dans la mesure où, d’une part, la sous-location a été autorisée par le bailleur signataire du bail de 2009, accord dont la société Business Bikes peut se prévaloir sans que l’absence de mention de cette sous-location à l’acte de cession de l’immeuble par la SCI Atim Université ne lui soit opposable, d’autre part, la société Business Bikes était l’associée unique de la société Urban Scooter et, qu’enfin, cette dernière a été dissoute suite à la réunion de toutes les parts sociales entre les mains du gérant de la société Business Bikes.
Au titre de la réparation du préjudice de jouissance, contrairement à ce que soutient le bailleur, la durée effective des travaux et la gêne occasionnée ont bien été de 16 mois comme retenu par les premiers juges, en raison du manque de visibilité du magasin par la présence de l’échafaudage du 27 mai 2015 au 22 juin 2016, mais aussi de la poursuite des travaux dans l’immeuble au-delà de cette date, tel que cela résulte des comptes-rendus de chantier.
Dès lors, il sera fait droit à la demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance à hauteur de 48.000 euros, correspondant à une réfaction de 50% du loyer annuel, comme demandé par le preneur et le jugement sera infirmé de ce chef.
Au titre de la réparation du préjudice d’exploitation et de la perte de chance de progression du chiffre d’affaire, le tribunal a retenu les variations des chiffres d’affaire des deux sociétés, sur la période de référence, pour en déduire un montant forfaitaire d’indemnisation. Or, comme le souligne la SCI Atim Université, l’indemnisation ne peut être forfaitaire et le jugement sera infirmé sur ce point.
En revanche, d’une part, la responsabilité du bailleur a été reconnue en ce que les travaux ont occasionné une gêne anormale pendant toute la durée des travaux, d’autre part, la sous-location étant opposable au bailleur et la société Urban Scooter ayant été absorbée par la société Business Bikes, il y a lieu d’examiner les résultats des exercices des deux sociétés sur la période de référence des travaux.
Il ressort des comptes de résultats des exercices 2014 à 2017, que les chiffres d’affaires nets des sociétés Business Bikes et Urban scooter ont été de :
2014 – Business Bikes : 114.576 € ‘ Urban Scooter : 347.638 € soit au total 462.214 €.
2015 – Business Bikes : 91.970 € ‘ Urban Scooter : 407.291 € soit au total 499.261
2016 – Business Bikes : 338.970 € ‘ Urban Scooter : 315.390 € soit au total 654.260 €
2017
1:Année d’absorption d’Urban Scooter
– Business Bikes : 503.792 €
avec un taux de marge moyen de 45,5%, tel que cela résulte des statistiques de vente versées aux débats non contestées par le bailleur , le résultat d’exploitation a été de :
2014 – Business Bikes : 52.132 € ‘ Urban Scooter : 158.175 € soit au total 210.307 €.
2015 – Business Bikes : 41.846 € ‘ Urban Scooter : 185.317 € soit au total 227.163 €
2016 – Business Bikes : 154.231 € ‘ Urban Scooter : 143.502 € soit au total 297.733 €
2017
2:Année d’absorption d’Urban Scooter
– Business Bikes : 229.225 €
Il n’en ressort aucune perte d’exploitation indemnisable, ni perte de chance de faire progresser le chiffre d’affaires, les résultats de chacune des sociétés ayant été, malgré la gêne réelle subie, en progression constante depuis 2014, années des travaux compris et rien ne permet de rattacher de façon certaine l’inflexion du chiffre d’affaires sur l’année 2017 aux travaux au regard du choix opéré de fusionner les deux sociétés. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
En revanche, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont considéré que les demandes de réparation au titre du préjudice d’agrément et du préjudice d’image n’apparaissaient pas justifiées et sera confirmé sur ce point.
Sur la demande d’acquisition de la clause résolutoire
L’alinéa 3 de l’article 16 du code de procédure civile rappelle que le juge ne peut soulever d’office un moyen de droit sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations.
En soulevant d’office le moyen tiré de l’exécution de bonne foi des contrats, la cour n’a pas outrepassé son office dès lors que la mise en ‘uvre de bonne foi de la clause résolutoire constitue une condition de fond de la validité du commandement visant celle-ci , et a respecté le principe du contradictoire.
Il ressort des dispositions de l’article L 145-41 du code de commerce et 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige, que la mise en ‘uvre de la clause résolutoire suppose, notamment, qu’une faute puisse être imputée au preneur, donc une infraction commise à l’encontre des charges et conditions du bail, que celle-ci puisse être invoquée de bonne foi par le bailleur compte tenu de la nature des faits reprochés et du délai imparti au preneur pour y remédier et que le manquement ait perduré au-delà d’un mois après commandement ou mise en demeure.
La SCI Atim Université allègue des paiements des loyers et charges erratiques du locataire depuis 2013 et fait état d’un premier commandement de payer délivré avant la réalisation des travaux, sans toutefois en justifier.
La SCI Atim Université ne décidera de délivrer un commandement de payer que quelques mois après la fin du chantier, durant la réalisation duquel il a lui-même manqué à son obligation de garantir la jouissance paisible des locaux au preneur, caractérisant ainsi la mauvaise foi dans la délivrance du commandement de payer, lequel n’a pu produire effet.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande de résiliation judiciaire du bail
Selon l’article 1741 du code civil, le contrat de bail se résout notamment par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements.
Contrairement à ce que soutient le bailleur, la sous-location avait été autorisée, la preuve de l’exercice d’activités non autorisées au bail apparaît accessoire et la faute commise par le locataire, qui s’est abstenu de payer ses loyers et charges pendant la période de réalisation des travaux de restructuration de l’immeuble d’une durée et d’une intensité exceptionnelles, concomitante au propre manquement du bailleur à son obligation de jouissance paisible des locaux loués, ne peut constituer la faute grave justifiant la résiliation judiciaire du bail.
En conséquence la cour déboutera la SCI Atim Université de sa demande de ce chef.
Sur l’arriéré locatif et la clause pénale
Il résulte des dispositions de l’article 1728 du code civil que le locataire est tenu de payer ses loyers.
La SCI Atim Université justifie au regard du décompte locatif arrêté au 9 janvier 2023 que la société Business Bikes est redevable de la somme de 178.219,37 euros au 5 janvier 2023, somme non contestée par le locataire.
Le jugement sera infirmé sur le montant de la condamnation du preneur au paiement de la dette locative à cette hauteur.
Le commandement de payer n’ayant pu trouver application, ni les dispositions de l’article 3 du bail relatives à la clause pénale, ni la demande de délais suspensifs des effets de la clause ne peuvent trouver à s’appliquer et les demandes de ces chefs seront rejetées.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a condamné la société Business Bikes au titre de la clause pénale.
Sur la compensation judiciaire
Conformément aux dispositions de l’article 1348 du code civil, la cour confirmera le jugement en ce qu’il a ordonné la compensation des dettes connexes du bailleur et du locataire.
Sur les demandes accessoires
La cour infirmera la décision du premier juge relative aux dépens et, chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, conservera la charge des ses propres dépens d’appel sans qu’il n’y ait lieu, en outre, de faire droit aux demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 25 février 2021 en ce qu’il a :
– condamné la SCI Atim Université à payer à la SARL Business Bikes la somme de 70.000 euros au titre de son trouble de jouissance, de sa perte d’exploitation sur la période du 29 juin 2015 au 19 octobre 2016 ;
– constaté l’acquisition de la clause résolutoire ;
– condamné la SARL Business Bikes à payer à la SCI Atim Université à compter du 11 février 2017 et jusqu’à libération effective des lieux une indemnité d’occupation mensuelle ;
– condamné la SARL Business Bikes, à payer à la SCI Atim Université la somme de 147.659,63 euros au titre des loyers, indemnités d’occupation, provisions et régularisation des charges, arrêtés au 3 octobre 2019, avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier ;
– condamné la SARL Business Bikes, à payer à la SCI Atim Université la somme de 4.000 euros au titre de la clause pénale ;
– condamné la SARL Business Bikes aux dépens ;
Statuant de nouveau,
Condamne la SCI Atim Université à payer à la SARL Business Bikes la somme de 48.000 euros au titre de son trouble de jouissance ;
Déboute la SARL Business Bikes de sa demande au titre de la perte d’exploitation et de la perte de chance de faire progresser son chiffre d’affaires sur la période du 29 juin 2015 au 19 octobre 2016 ;
Déboute la SCI Atim Université de sa demande de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire ;
Condamne la SARL Business Bikes à payer à la SCI Atim Université la somme de 178.219,37 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté au 9 janvier 2023 ;
Rejette la demande au titre de la clause pénale ;
Y ajoutant,
Déboute la SCI Atim Université de sa demande de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail ;
Condamne chacune des parties à supporter la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel ;
Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE