1ère Chambre
ARRÊT N°141/2023
N° RG 22/00387 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SM25
S.A.R.L. GRIFFON
C/
Mme [K] [Y] épouse [T]
SARL ENOTOS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 16 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 février 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 16 mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
La S.A.R.L. GRIFFON, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Saint-Brieuc sous le n°751.123.241, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Sandrine GAUTIER de la SCP ELGHOZI-GEANTY-GAUTIER-PENNEC, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
INTIMÉES :
Madame [K] [Y] épouse [T]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 7] (91)
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Carine PRAT de la SELARL EFFICIA, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
La SARL ENOTOS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Carine PRAT de la SARL EFFICIA, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte notarié du 19 mars 2016, la Sarl Griffon a vendu aux époux [X] une maison d’habitation située [Adresse 4]) au prix de 91.000 €.
L’acte authentique été reçu par Me [K] [T], notaire associée de la société civile professionnelle dénommée « Bruno Simon et [K] [T], notaires associés », aux droits de laquelle vient désormais la Sarl Enotos.
L’acte comportait un paragraphe « Déclaration pour l’administration » libellé comme suit :
« Pour la perception des droits, le VENDEUR déclare :
– ne pas être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée,
– que L’IMMEUBLE vendu est achevé depuis moins de 5 ans ainsi qu’il résulte de la déclaration d’achèvement des travaux délivrée le 31 octobre 2011 dont une copie est annexée.
En conséquence la présente mutation n’entre pas dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée et est soumise à la taxe de publicité foncière au taux de droit commun prévu par l’article 1594 D du Code Général des Impôts ».
Le 10 janvier 2018, la direction générale des finances publiques a notifié à la Sarl Griffon une proposition de redressement. Elle rappelait qu’en application des dispositions de l’article 257-I-1-2 du Code général des impôts, toutes les livraisons d’immeubles bâtis intervenant dans les 5 ans de leur achèvement sont soumises à la TVA de plein droit, dès lors qu’elles sont effectuées par un assujetti agissant en tant que tel. Estimant que la vente du 19 mars 2016 était éligible à la TVA de plein droit, elle réclamait à la Sarl Griffon la somme de 15.167 € au titre du rappel de TVA brute à la charge de la venderesse, outre des intérêts de retard pour une somme de 1.274 €.
Par courrier recommandé du 19 novembre 2019, la Sarl Griffon a informé le notaire du redressement infligé. Considérant qu’il était le résultat d’une stipulation erronée de l’acte authentique (sur le non-assujettissement de la venderesse à la TVA), elle invitait l’officier ministériel à entreprendre les démarches nécessaires afin de l’indemniser des conséquences financières dommageables de cette erreur.
Faute d’accord entre les parties, par acte d’huissier du 16 octobre 2020, la Sarl Griffon a fait assigner Me [T] et la Sarl Enotos devant le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc afin d’obtenir leur condamnation à lui payer une somme de 16.441 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2020.
Par jugement du 15 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a :
– déclaré Me [T] et la SARL Enotos entièrement responsables du préjudice subi par la Sarl Griffon,
– condamné solidairement Me [T] et la Sarl Enotos à payer à la Sarl Griffon la somme de 1.274 € à titre de dommages-intérêts,
– débouté toutes les parties de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement Me [T] et la Sarl Enotos aux dépens de l’instance.
Suivant déclaration du 21 janvier 2022, la Sarl Griffon a interjeté appel de tous les chefs de ce jugement.
EXPOSÉ DES MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 08 mars 2022 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, la Sarl Griffon demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de Me [K] [T] et de la société Enotos,
réformant sur le préjudice subi :
– condamner in solidum Me [K] [T] et la société Enotos venant aux droits de la Scp Bruno Simon-[K] [T], notaires associés, à payer à la Sarl Griffon la somme de 16.441 €, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 avril 2020;
subsidiairement :
– condamner in solidum Me [K] [T] et la société Enotos à payer à la Sarl Griffon au titre de la perte de chance, la somme de 10.000 €, à titre de dommages et intérêts ;
en tout état de cause :
– condamner in solidum Me [K] [T] et la société Enotos à payer à la Sarl Griffon la somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile;
– les condamner aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, la Sarl Griffon rappelle que le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’attirer leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique. Elle précise que l’obligation de conseil du notaire s’étend aux incidences fiscales des actes auxquels il prête son concours, sans que ce dernier ne puisse se reposer sur la croyance erronée de ses clients pour se dispenser de toute vérification ni se décharger de sa responsabilité en invoquant la qualité de professionnel de son client. Elle estime qu’il appartenait au notaire de vérifier lui-même les éléments lui permettant de déterminer le régime fiscal applicable à la mutation et précise qu’en l’occurrence, aucun élément ne permettait de considérer que la Sarl Griffon pouvait bénéficier d’un régime exonératoire susceptible de la dispenser du paiement de la TVA, dès lors que la réforme de la TVA intervenue en 2010 avait supprimé le régime spécial de TVA applicable aux marchands de biens et que la vente concernait un immeuble achevé depuis moins de 5 ans.
Elle considère par ailleurs que son préjudice va bien au-delà de la somme de 1.274 € retenue par le tribunal, correspondant aux intérêts de retard. Elle fait valoir qu’avec un conseil avisé du notaire, la réitération de l’acte authentique aurait pu être différée au-delà du 31 octobre 2016 afin de permettre à l’opération de sortir du champ de la TVA. Elle considère que nonobstant la signature d’un compromis de vente le 28 novembre 2015, le notaire aurait dû informer les parties de cette possibilité, sans préjuger d’un éventuel refus de l’acquéreur de reporter la réitération de la vente au-delà du 31 octobre 2016, étant précisé qu’il n’existait aucun impératif de signature. Elle conclut que le manquement du notaire lui a fait perdre une chance de ne pas être imposée au titre de la revente de cet immeuble, acquis par jugement d’adjudication du 17 février 2015 dont elle n’a appris la date précise d’achèvement que le 17 février 2016, soit après la signature du compromis. Elle estime que son préjudice correspond au montant intégral du redressement et qu’il ne saurait se limiter aux seules pénalités Subsidiairement, la perte de chance doit être fixée selon elle à la somme de 10.000 €.
*****
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises et notifiées au greffe le 02 juin 2022 auxquelles il convient de se référer pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, Me [K] [T] et la Sarl Enotos demandent à la cour de :
– infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Saint-Brieuc en date du 15 novembre 2021en ce qu’il a déclaré Me [T] et la Sarl Enotos entièrement responsables du préjudice subi par la Sarl Griffon et condamné Me [T] et la Sarl Enotos à payer à la Sarl Griffon une somme de 1.274 € à titre de dommages-intérêts, outre les dépens de l’instance,
– débouter la Sarl Griffon de toutes ses demandes fins et conclusions à l’encontre de Me [K] [T] et de la Sarl Enotos,
– la condamner à verser à Me [K] [T] et à la Sarl Enotos une somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles et en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens de l’instance.
Me [K] [T] et la Sarl Enotos rappellent que la date d’achèvement de l’immeuble avait été indiquée dans l’acte de vente du 19 mars 2016, et qu’en réalité, si la vente du 19 mars 2016 n’a pas été soumise à la TVA, c’est parce que le vendeur avait déclaré qu’il n’était pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée.
Elles soutiennent que le notaire ne disposait d’aucun élément de nature à faire douter de la véracité des informations reçues de la part de la Sarl Griffon qui en tant que professionnel de l’immobilier, ne pouvait ignorer que cette déclaration était inexacte, ce qu’elle aurait dû signaler au notaire.
Elles estiment que l’appelante est donc seule responsable du préjudice découlant du redressement qui lui a été notifié par l’administration fiscale et qu’à tout le moins, le tribunal aurait dû procéder à un partage de responsabilité.
S’agissant du préjudice et du lien de causalité, elles rappellent que le paiement de l’impôt mis à la charge du contribuable à la suite d’un redressement ne constitue pas un dommage indemnisable. Elles estiment qu’en l’occurrence, le paiement de la TVA ne pouvait être éludé, en ce qu’il ne résulte d’aucun élément que même mieux informée, la Sarl Griffon aurait pu différer la vente ou y renoncer. Elles rappellent en effet que pour échapper à l’impôt, il aurait fallu que l’acte authentique réitérant la vente soit signé après le 31 octobre 2016. Or, rien ne permet de soutenir que les acquéreurs auraient accepté un tel report. Elles soulignent qu’avant l’intervention du notaire, la vente était déjà parfaite en vertu du compromis du 28 novembre 2015 qui constituait une promesse synallagmatique avec un accord sur la chose et sur le prix, dont les conditions suspensives étaient levées. Elles concluent que la Sarl Griffon ne peut faire valoir aucun préjudice imputable au notaire.
MOTIVATION DE LA COUR
1°/ Sur la responsabilité du notaire
L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
a. sur la faute
*En droit :
En sa qualité d’officier public, le notaire rédacteur de l’acte est tenu d’assurer l’efficacité des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique. Il est par ailleurs tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours. Il incombe au notaire de faire la preuve de l’exécution de son devoir de conseil.
Si le notaire recevant un acte en l’état de déclarations erronées d’une partie quant aux faits rapportés, n’engage sa responsabilité que s’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude, il est, cependant, tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, les déclarations faites par l’une des parties et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse. (1re Civ., 14 novembre 2018, pourvoi n°17-22.069).
Il est par ailleurs constant que le notaire n’est pas déchargé de ses obligations de vérification et de conseil par les compétences personnelles de son client ou par la présence à ses côtés d’un professionnel pour l’assister dans la réalisation de l’opération en cause.
Plus précisément, la Cour de cassation a jugé que : « Le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours. Dès lors, viole l’article 1382, devenu 1240, du code civil la cour d’appel qui, pour exclure toute défaillance du notaire dans l’exécution de son obligation d’information sur la fiscalité des ventes dont il a rédigé les actes, énonce que ce dernier n’est pas comptable des manquements déclaratifs du vendeur qui, en sa qualité d’assujetti à la TVA, se devait de remplir ses déclarations CA3, alors que ces manquements étaient consécutifs à une information incomplète délivrée par le notaire sur la fiscalité des mutations en cause » (1re Civ., 20 décembre 2017, pourvoi n°16-13073).
* En fait :
En l’espèce, comme l’a rappelé l’administration fiscale dans sa proposition de rectification du 10 janvier 2018, l’article 257-I-1-2 du Code général des impôts, toutes les livraisons d’immeubles bâtis intervenant dans les 5 ans de leur achèvement sont soumises à la TVA de plein droit, dès lors qu’elles sont effectuées par un assujetti agissant en tant que tel.
Elle estimait, en conséquence, que la vente du 19 mars 2016 était éligible à la TVA de plein droit, dès lors que :
– le vendeur était assujetti à la TVA et agissant en tant que tel,
– que l’immeuble était achevé depuis moins de 5 ans au moment de la vente.
Or, l’acte de vente du 19 mars 2016 mentionne au paragraphe « Déclaration pour l’administration » que: « Pour la perception des droits, le VENDEUR déclare :
– ne pas être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée,
– que L’IMMEUBLE vendu est achevé depuis moins de 5 ans ainsi qu’il résulte de la déclaration d’achèvement des travaux délivrée le 31 octobre 2011 dont une copie est annexée.
En conséquence la présente mutation n’entre pas dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée et est soumise à la taxe de publicité foncière au taux de droit commun prévu par l’article 1594 D du Code Général des Impôts ».
Il n’est pas contesté que le notaire a demandé et obtenu la date précise d’achèvement de l’immeuble vendu auprès de la Mairie de [Localité 8] le 17 février 2016 et que cette date d’achèvement (le 31 octobre 2011) a été clairement indiquée dans l’acte de vente.
Le notaire n’ignorait donc pas que la vente portait sur un immeuble achevé depuis moins de 5 ans. Dès lors qu’au moins l’une des deux conditions cumulatives relatives au régime d’imposition précité était remplie, il devait vérifier l’existence de l’autre condition, tenant à la qualité d’assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée de la Sarl Griffon, sans se contenter des déclarations de cette dernière.
La qualité d’assujetti à la TVA s’entend de toute personne qui effectue de manière habituelle et indépendante une des activités économiques mentionnées à l’article 256A du Code général des impôts et agissant en tant que tel. Sont notamment visées les activités de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités libérales, agricoles, civiles etc. Les activités d’entremise, de vente d’immeubles sont donc concernées.
Or, le notaire qui oppose vainement à la Sarl Griffon sa qualité de professionnelle de l’immobilier pour soutenir qu’elle ne pouvait ignorer que sa déclaration était inexacte et tenter à tort de se décharger de son obligation d’information, disposait précisément d’un élément de nature à le faire douter de l’exactitude de la déclaration selon laquelle le vendeur n’était pas assujetti à la TVA.
En effet, sachant que la Sarl Griffon était professionnelle de l’immobilier et marchand de biens, le notaire aurait dû se douter que la vente s’inscrivait dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale, ce qui l’assujettissait à la TVA. Il aurait dû à tout le moins se renseigner sur ce point.
En outre, aucun élément ne pouvait lui permettre de penser qu’en sa qualité de professionnelle de l’immobilier, la Sarl Griffon pouvait être exonérée du paiement de cette taxe, à l’occasion de la revente d’un immeuble achevé depuis moins de 5 ans.
Enfin, Me [T] ne saurait reprocher à la Sarl Griffon d’avoir effectué une déclaration erronée, dès lors qu’elle ne justifie pas lui avoir préalablement délivré une information complète sur la fiscalité applicable à la mutation en cause.
Or, il n’est justifié par aucune pièce que le notaire a satisfait à son obligation d’information.
C’est donc à tort que le notaire fait grief au premier juge de ne pas avoir ordonné un partage de responsabilité.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que Me [T] et la Sarl Enotos ont commis une faute engageant leur responsabilité pleine et entière.
b. sur le préjudice
Il est constant que les conséquences d’un manquement du notaire à son devoir d’information et de conseil ne peuvent s’analyser qu’en une perte de chance.
La perte de chance est la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Il appartient au demandeur d’apporter la preuve de l’existence de son préjudice qui doit résulter de manière directe et certaine de cette perte.
En l’occurrence, la perte de chance ne peut correspondre au montant du redressement opéré par l’administration fiscale et acquitté par la Sarl Griffon.
En premier lieu, il doit être rappelé que le paiement de l’impôt mis à la charge du contribuable après un redressement ne constitue jamais un préjudice indemnisable.
En second lieu, pour échapper à l’impôt, il aurait fallu que l’acte authentique réitérant la vente soit signé après le 31 octobre 2016, date à laquelle l’immeuble prenait 5 ans d’âge. Or, l’acte authentique de vente a été signé le 19 mars 2016.
C’est à tort que la Sarl Griffon fait valoir que mieux informée du régime fiscal applicable, elle aurait pu éluder le paiement de la TVA en obtenant le report de la signature de quelques mois, afin de faire sortir la mutation du champ de la TVA.
En effet, comme l’a justement relevé le premier juge, la Sarl Griffon avait signé avec les acheteurs un compromis de vente sous conditions suspensives, en date du 28 novembre 2015. Cet avant contrat précisait que la condition suspensive tenant à l’obtention par les acquéreurs d’une offre de prêt devait être réalisée avant le 12 janvier 2016 et que la signature de l’ acte authentique devait intervenir le 31 janvier 2016 par devant Me [T], notaire à [Localité 2].
Le 7 janvier 2016, les acquéreurs ont obtenu un accord de prêt conforme aux stipulations de la promesse de vente, d’une durée de validité d’un mois.
La vente était donc parfaite et devait être réitérée par acte authentique. En cas de refus de la Sarl Griffon de signer à la date convenue, les acquéreurs pouvaient l’y contraindre judiciairement ou obtenir le paiement de la clause pénale stipulée au contrat.
Aucun élément ne permet, comme l’affirme la Sarl Griffon sans aucune preuve, de laisser penser que les acquéreurs, qui avaient obtenu leur prêt avec une durée de validité limitée, auraient accepté sur de simples considérations fiscales favorables au vendeur, de différer la signature de l’acte authentique (et donc leur emménagement) pendant près de sept mois, pour que l’acte soit signé après le 31 octobre 2016.
La perte de chance de parvenir à éluder totalement l’imposition n’est donc pas démontrée. Aucune perte de chance à ce titre ne peut être retenue.
En revanche, si le notaire avait correctement exercé son devoir de conseil s’agissant des incidences fiscales de la vente signée le 19 mars 2016, la Sarl Griffon aurait très certainement eu à régler le montant de la TVA qu’elle ne pouvait faire supporter aux acquéreurs, mais n’aurait pas eu à régler les intérêts de retard.
La perte de chance résultant de la faute du notaire se limite donc à la somme de 1 274 € correspondant aux intérêts de retard.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a condamné solidairement Me [K] [T] et la Sarl Enotos à payer à la Sarl Griffon la somme de 1274 € à titre de dommages-intérêts.
2°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens.
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront également confirmées.
Succombant en son appel, la Sarl Griffon sera condamnée aux dépens d’appel.
Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. Chaque partie sera déboutée de sa demande sur ce fondement au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc ;
Y ajoutant :
Déboute Me [K] [T] et la Sarl Enotos de leur demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
Déboute la Sarl Griffon de sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la Sarl Griffon aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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