Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 13 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/07998 – N° Portalis DBVK-V-B7D-ON2J
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 20 septembre 2019 – tribunal d’instance de Perpignan – N° RG 1118000322
APPELANTE :
SA Cofidis
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Sandy RAMAHANDRIARIVELO de la SCP RAMAHANDRIARIVELO – DUBOIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
INTIME :
Monsieur [N] [T]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
assigné à étude le 16 mars 2020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 FEVRIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT
ARRET :
– par défaut
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le 8 octobre 2012, M. [N] [T] a accepté une offre préalable de rachats de crédits de la part de la SA Cofidis (Cofidis, ci-après) pour un montant de 31.900 € remboursables en 120 mensualités de 426,22 €, avec un taux contractuel annuel de 10,26% et un taux annuel effectif global fixe de 10,76 %.
Après mise en demeure – par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 10 octobre 2017 – d’avoir à payer dans un délai de 11 jours un arriéré d’échéances pour un total de 3.607,43 € sous peine de déchéance du terme et d’exigibilité de la totalité de la dette majorée d’une indemnité légale de 8%, le prêteur a effectivement notifié cette sanction au prêteur par une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception du 23 octobre 2017.
C’est dans ce contexte que Cofidis a fait assigner M.[T] en paiement d’une somme de 29.661,99 € par un acte en date du 26 février 2018.
Par un premier jugement avant dire droit du 30 novembre 2018, le tribunal d’instance de Perpignan a soulevé d’office l’irrecevabilité de l’action en raison de la forclusion biennale et a invité les parties à s’expliquer à ce sujet.
Puis, par un jugement mixte rendu le 12 avril 2019, ce tribunal a déclaré l’action recevable – après avoir constaté que la première mensualité laissée impayée à la date de la résiliation du crédit était celle du 10 mars 2016 de sorte que le délai de forclusion n’était pas expiré à la date de l’assignation – mais, avant dire droit sur le fond, a de nouveau invité les parties à présenter leurs observations sur un moyen de droit soulevé d’office et tiré cette fois de l’application des articles L.311-41 et suivants du code de la consommation pour divers motifs relevés d’office (insuffsance de hauteur des caractères d’imprimerie du contrat ; absence de mention de la mensualité de remboursement assurance comprise ainsi que des données retenues pour le calcul du taux effectif global dans l’encadré prévu à cet effet ; défaut de mention dans le contrat de l’avertissement sur les conséquences de la défaillance des emprunteurs, y inclus le risque d’exclusion de l’assurance obligatoire) et a renvoyé l’affaire à l’audience du 21 juin 2019 à 8h30.
Vu le jugement réputé contradictoire en date du 20 septembre 2019 déclarant la société Cofidis irrecevable en son action en raison de la forclusion biennale et la condamnant aux entiers dépens,
Vu la déclaration d’appel de Cofidis en date du 12 décembre 2019 visant cette dernière décision,
Vu l’arrêt par défaut du 19 octobre 2022, par lequel la cour a ordonné la réouverture des débats et a :
– invité les parties à présenter leurs observations éventuelles sur :
– la taille des caractères utilisés susceptible d’être inférieure à 3 millimètres correspondant au corps 8, dans la majeure partie du contrat,
– le fait que l’échéance de remboursement mentionnée dans l’encadré n’inclut pas l’assurance facultative puisqu’il est fait état d’une échéance de 426,22 € alors que les mensualités se sont avérées être de 483,64 € au vu du tableau d’amortissement et des historiques versés aux débat,
– l’absence de précision concernant ‘toutes les hypothèses utilisées pour calculer’ le taux effectif global, à savoir les modalités de calcul du taux de 10,76 % indiqué,
– le fait qu’il ne figure pas d’avertissement sur les conséquences d’une défaillance de l’emprunteur en termes d’exclusion de l’assurance obligatoire,
– le caractère manifestement excessif de la clause pénale de 8 % tenant le taux du crédit et le nombre d’échéances déjà payées,
– invité également l’appelante à produire un nouveau décompte des sommes qu’elle estimerait pouvoir réclamer à M. [T] si elle était déchue de son droit aux intérêts,
– dit que l’appelante devra conclure sur ces points au plus tard le 14 novembre 2022, renvoyé la cause et les parties à l’audience rapporteur du lundi 5 décembre 2022 à 10h360 (salle 126) et dit que la décision valait convocation,
– dans cette attente, sursis à statuer sur toutes les demandes et prétentions des parties,
Vu les dernières conclusions prises pour le compte de Cofidis le 17 janvier 2023, pour demander à la cour d’annuler le jugement entrepris ou de l’infirmer totalement, et en substance de:
– déclarer son action recevable,
– constater la déchéance du terme ou prononcer la résiliation judiciaire du contrat pour défaut de paiement des échéances à bonne date ;
– déclarer prescrit et irrecevable toute demande ou moyen tiré de la déchéance des intérêts conventionnels ou, subsidiairement, juger qu’il n’existe aucun motif à déchéance des intérêts contractuels ni à réduction ou suppression de l’indemnité légale de 8 %,
– condamner M. [T] à lui payer la somme de 29.039,54 € en principal avec intérêts de retard au taux de 10,26 % l’an depuis le 23/10/2017 sur la somme de 26.946,02 €, l’indemnité contractuelle et légale de 8 % portant intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 23/10/2017 sur la somme de 2.093,52 €, avec application des articles 1343-1 sur l’imputation des paiements partiels en priorité sur les intérêts, et 1343-2 du code civil relatif à l’anatocisme,
– subsidiairement, condamner M. [T] à lui payer la somme de 14.168.08 € correspondant à la différence entre le capital mis à disposition pour 31.900 € et les sommes réglées pour 19.856,46 €, déduction faite de la somme de 2.124,54 € réglée au titre des primes d’assurance,
– condamner l’intimé à lui payer une indemnité de 500 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance et une autre de 800 € au même titre en cause d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens avec distraction pour ceux d’appel au profit son avocat en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile,
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Sur l’annulation du jugement
Cofidis demande à la cour en premier chef d’annuler le jugement en faisant état d’une violation du principe du contradictoire et du dispositif par le premier juge qui – dans le jugement entrepris – a retenu la forclusion sans interpeler les parties sur ce moyen soulevé d’office, ainsi que d’une méconnaissance de l’autorité de la chose déjà jugée dans le jugement mixte du 12 avril 2019.
Or, l’appelante qui n’a pas formé un appel nullité mais un appel de droit commun n’est pas recevable à demander l’annulation du jugement. Du reste et comme déjà indiqué dans l’arrêt de réouverture des débats du 19 octobre 2022, à la différence de la Cour de cassation, les cours d’appel n’ont en principe pas vocation à annuler les décisions faisant l’objet d’un recours, tandis que ‘l’appel- nullité n’est recevable qu’en cas d’excès de pouvoir consistant pour le juge à méconnaître l’étendue de son pouvoir de juger’, auquel le moyen tiré de l’autorité de la chose jugée (qui constitue seulement une fin de non recevoir) n’est pas rattaché.
Sur l’irrecevabilité de l’action pour forclusion et la violation de l’autorité de la chose jugée
En revanche et comme justement invoqué par l’organisme de crédit appelant, le tribunal ne pouvait déclarer son action irrecevable pour cause de forclusion sans provoquer à nouveau ses explications sur ce point et surtout, alors qu’il avait d’ores et déjà tranché cette question par sa décision mixte du 12 avril 2019 non frappée d’appel et – par conséquent – devenue définitive, laquelle avait au contraire expressément déclaré recevable l’action de Cofidis après avoir soulevé d’office le moyen tiré de la forclusion, avoir invité l’organisme à présenter ses observations à ce sujet puis avoir expressément écarté la forclusion aux motifs qu’il était effectivement possible de fixer le premier incident de paiement non régularisé au 10 mars 2016 – soit moins de deux ans avant la date de l’assignation, délivrée le 26 février 2016.
En l’état, le jugement sera infirmé et – sur la question de la recevabilité de l’action – il sera simplement fait référence au jugement du 12 avril 2019 et à l’autorité de la chose définitivement jugée.
Sur le fond :
Cofidis justifie à l’encontre de M. [T] de l’existence d’une créance consécutive à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 10 octobre 2017 mettant l’emprunteur en demeure d’avoir à payer dans un délai de 11 jours un arriéré d’échéances pour un total de 3.607,43 € sous peine de déchéance du terme et d’exigibilité de la totalité de la dette majorée d’une indemnité légale de 8%, et à la dénonciation de cette sanction par une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception du 23 octobre 2017 lui réclamant alors le paiement d’une somme globale de 29.139,71 €.
En revanche, et en réponse à la demande d’observations formulée par la cour sur la régularité du contrat de crédit au regard des dispositions du code de la consommation relatives à un certain nombre de point et l’existence d’irrégularités susceptible d’entraîner la déchéance du droit aux intérêts de l’établissement prêteur, Cofidis oppose à tort la prescription de ‘toute demande ou moyen tiré de la déchéance des intérêts conventionnels’.
En effet, d’une part, il est désormais jugé (Cass. 1ère civ., 22 janvier 2009, pourvoi n° 05-20.176) que la méconnaissance des dispositions d’ordre public du code de la consommation peut être relevée d’office par le juge qui peut ainsi notamment prononcer d’office la déchéance du droit aux intérêts, ce qui ressort désormais également du code de la consommation lui-même (cf. l’article L.141-4 devenu R.632-1, issu de la loi n°2008-3 du 3 janvier 2008).
D’autre part, la jurisprudence européenne impose au juge d’examiner d’office le respect de l’obligation d’information prévue à l’article 10, § 2, de la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs (CJUE, 21 avril 2016, Radlinger, C-377/14). Et il est admis qu’une telle obligation vaut certainement pour l’ensemble des dispositions issues de la directive précitée voire pour toutes les dispositions consuméristes d’origine européenne.
Enfin, s’agissant de la prescription de l’article L.110 du code de commerce susceptible d’être opposée à la demande de déchéance du droit aux intérêts, si la Cour de cassation qui était notamment saisie de la question de savoir si cette prescription s’impose également au juge qui soulève d’office le moyen notamment en cas de non comparution de l’emprunteur, n’y a pas répondu dans sa décision du 18 septembre 2019 (avis n° 15014 P+B+I) car elle a déclaré la demande d’avis irrecevable sur ce point, elle a en revanche rappelé que la déchéance de droit était une défense au fond si elle tendait à faire rejeter comme non justifiée la demande en paiement du prêteur et qu’elle s’analyse en une demande reconventionnelle si son invocation tend à la restitution d’intérêts trop perçus.
Il s’en déduit que lorsque le juge soulève d’office la déchéance du droit aux intérêts, il oppose un moyen de défense au fond obligeant le prêteur à justifier du bien fondé de sa demande sans pouvoir lui opposer la prescription. De surcroît, le juge auquel l’article 12 du code de procédure civile impose de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, n’avait pas connaissance du contrat avant qu’il ne lui soit soumis si bien qu’il ne peut être soumis à la prescription comme le serait une partie au contrat.
Plusieurs auteurs vont dans ce sens, et l’un d’eux traduit cette idée de la manière suivante : ‘les contours (de l’office du juge) ne peuvent être affectés par une durée quelconque, la mission du juge au service de la loi étant permanente’, ce dont il déduit que la distinction entre défense au fond et demande reconventionnelle ne s’applique qu’aux parties et n’a pas lieu d’être pour le juge (H. [G], « Le relevé d’office juge est-il imprescriptible ‘ », RTD Civ. 2018, p. 904 ; Voir également, R. [X], la prescription est sans incidence sur les défenses au fond, Revue des contrats, 12 décembre 2018, n°4, p.548 ; G. [D], ‘Le juge peut-il relever d’office un moyen prescrit », RDC 2018, p. 25).
La jurisprudence européenne s’oppose d’ailleurs à une réglementation interne qui interdit au juge national de relever d’office le caractère abusif d’une clause en raison de l’expiration d’un délai de forclusion (CJCE, 21 novembre 2002, Cofidis, C-473/00), ce qui poursuit la même idée spécifiquement en matière de droit de la consommation.
La cour peut donc soulever d’office le moyen de défense tiré de violation des dispositions du code de la consommation en matière d’information précontractuelle après avoir provoqué les observations de Cofidis comme elle l’a fait dans son arrêt du 19 octobre 2022.
Sur le respect du corps huit – visé à l’époque de la signature du contrat par l’article R. 311-5-1 du code de la consommation – l’établissement prêteur fait valoir qu’il n’existe aucune définition de cette norme et que le texte est respecté en l’espèce où la mesure prise de l’extrémité supérieure d’une lettre montante à l’extrémité inférieure de lettre descendante est a minima de 2 mm si bien que le contrat est lisible et conforme aux prescriptions légales.
Or, le corps est la mesure standart du caractère d’imprimerie exprimée en points et déterminée par l’extrémité supérieure de la plus haute ascendante et l’extrémité inférieure de la plus basse descendante ; le corps huit correspond à 3 millimètres en points Didot (0,376 x 8 = 3,008 millimètres) ou à 2,8 millimètres en points Pica.
Cofidis – qui ne justifie pas de la référence à un point de taille inférieure -verse aux débats un exemplaire en photocopie dont les caractères tels que les – d, les f ou les j – qui sont les lettres les plus hautes atteignent tout juste 2 millimètres.
Ce manquement étant sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts de l’article L.311-48 du code de la consommation, il conviendra de limiter la condamnation de M. [T] à la créance de 14.168,08 € en principal, selon le décompte proposé par Cofidis après déduction des sommes déjà payées par l’emprunteur.
Cette somme sera seulement majorée des intérêts au taux légal à compter de la notification de la déchéance du terme tandis que le prêteur sera débouté de sa demande de capitalisation des intérêts qui est fondée sur un texte général ‘ à savoir l’article 1154 devenu 1343-2 du code civil – mais qui se heurte aux dispositions spéciales de l’article L.311-23 du code de la consommation applicable aux contrats souscrits du 2 mai 2011 au 1er juillet 2016, devenu L.311-32 puis L.312-38.
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, M. [T] supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt rendu par défaut, par mise à disposition au greffe;
– Déclare irrecevable la demande d’annulation du jugement dont appel, qui a déclaré la société Cofidis irrecevable en son action en raison de la forclusion biennale et l’a condamnée aux entiers dépens ;
– Infirme en toutes ses dispositions ce jugement qui a ainsi statué en méconnaissance de l’autorité de la chose jugée par son précédent jugement du 12 avril 2019, lequel avait définitivement écarté la forclusion et déclaré l’action recevable ;
Statuant à nouveau, sur le fond, au vu également de son arrêt de réouverture des débats en date du 19 octobre 2019 et des explications de la partie appelante,
– Condamne M. [N] [T] à payer à la société Cofidis la somme de 14.168,08 €, avec intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2017 ;
Y ajoutant,
– Dit n’y avoir pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne M. [N] [T] aux entiers dépens de première instance et d’appel avec, pour ces derniers, application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de l’avocat qui affirme son droit de recouvrement.
LE GREFFIER LE PRESIDENT