Chambre civile
Section 2
ARRÊT N°
du 12 AVRIL 2023
N° RG 21/00898
N° Portalis DBVE-V-B7F-CCXE
JD – C
Décision déférée à la Cour :
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’AJACCIO, décision attaquée en date du 15 Novembre 2021, enregistrée sous le n° 19/01260
S.C.I. ROUTE DE L’ARCA
C/
[Y]
[X]
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU
DOUZE AVRIL DEUX-MILLE-VINGT-TROIS
APPELANTE :
S.C.I. ROUTE DE L’ARCA
agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Livia FERRANDI, avocate au barreau d’AJACCIO
INTIMÉS :
M. [S] [Y]
né le 30 Octobre 1939 à [Localité 5] (ALGÉRIE)
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Jean-Pierre RIBAUT-PASQUALINI de la SCP RIBAUT-PASQUALINI, avocat au barreau de BASTIA, Me Pascal KLEIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Anaïs BARUSTA, avocate au barreau de NICE
Mme [Z] [X] épouse [Y]
née le 29 Mai 1941 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Jean-Pierre RIBAUT-PASQUALINI de la SCP RIBAUT-PASQUALINI, avocat au barreau de BASTIA, Me Pascal KLEIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Anaïs BARUSTA, avocate au barreau de NICE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 9 février 2023, devant Judith DELTOUR, conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Jean-Jacques GILLAND, président de chambre
Judith DELTOUR, conseillère
Stéphanie MOLIES, conseillère
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Cécile BORCKHOLZ.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 avril 2023
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Vykhanda CHENG, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE
Alléguant une vente en état futur d’achèvement, suivant contrat de réservation du 30 mai 2016 et acte notarié du 7 novembre 2016, de biens en copropriété, situé à Porto-Vecchio (Corse-du-Sud), au prix de 672 000 euros, dont 132 500 euros comptant, notamment les lots n°414, un appartement, une cave et des emplacements de stationnement, le paiement échelonné sans obtenir la livraison prévue le quatrième trimestre 2017 reportée au 1er février 2018, une prise de possession le 20 juillet 2019, une pénalité de retard de 160 200 euros dont 146 400 réglés par compensation, par acte du 16 décembre 2019, la S.C.I. Route de l’Arca a assigné M. [S] [Y] et Mme [Z] [X] devant le tribunal judiciaire d’Ajaccio pour obtenir la réduction de la clause pénale et leur condamnation au paiement avec exécution provisoire, outre des dépens, de 106 400 euros, de 4000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 15 novembre 2021, le tribunal judiciaire d’Ajaccio a :
– rejeté la demande,
– rejeté la demande reconventionnelle,
– rejeté la demande en application des dispositions de 700 du code de procédure civile,
– laissé les dépens à la charge du demandeur.
Par déclaration reçue le 28 décembre 2021, la S.C.I. Route de l’Arca a interjeté appel de la décision en ce qu’elle a rejeté ses demandes, l’a déboutée de sa demande en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée au paiement des dépens.
Par dernières conclusions communiquées le 5 décembre 2022, la S.C.I. Route de l’Arca a demandé de :
– déclarer l’appel recevable et fondé,
Y faisant droit,
– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté ses demande, l’a déboutée de sa demande en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée au paiement des dépens,
Statuant de nouveau,
– juger ‘manifestement excessif le caractère de la clause pénale fixée à la somme’ de 300 euros par jour de retard à compter du 1er février 2018 tel qu’insérée au sein de l’acte authentique de vente du 7 novembre 2016,
– modérer la somme due au titre des pénalités de retard,
– ‘fixer et juger à la somme de 100 euros le montant de la clause pénale’ due à compter du 1er février 2018 par jour de retard de livraison,
– juger qu’au jour de la livraison intervenue le 20 juillet 2019, le montant dû s’élève à la somme de 53 400 euros pour 534 jours de retard, constater que sur la base d’un montant de 300 euros fixé à l’acte authentique de vente, M. [S] [Y] et Mme [Z] [Y] ont évalué à la somme de 159 900 euros le montant dû au titre de la clause pénale et l’ont spontanément compensé avec les montants réclamés au titre des appels de fonds émis par la société venderesse et solde du prix de vente, constater après fixation de la clause pénale à un montant de 100 euros, le différentiel dorénavant dû de 106 500 euros par les époux [Y],
– condamner M. [S] [Y] et Mme [Z] [Y] au remboursement de la somme de 106 500 euros au profit de la S.C.I. Route de l’Arca,
– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande des époux [Y] tendant à voir condamner la S.C.I. Route de l’Arca à la somme de 13 800 euros correspondant prétendument à la pénalité du 4 juin 2019 au 20 juillet 2019,
– débouter les époux [Y] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– condamner les époux [Y] au titre de la première instance, à la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens,
– condamner les époux [Y] au titre de la procédure d’appel à la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
Elle a fait valoir la possibilité pour le juge de modifier la clause pénale, manifestement excessive, au regard du préjudice réellement subi, la jurisprudence et même une précédente condamnation, l’absence de prise en compte des causes légitimes de retard, l’absence de preuve du lien entre le retard de livraison et le retard de la vente du bien des époux [Y], l’insertion de cette clause alors que le gérant de la S.C.I. était affaibli, que les conditions imposées étaient disproportionnées, qu’elle s’est opposée à la compensation, que sa qualité de professionnelle est étrangère à la question de la clause pénale, que le respect des délais ne garantissait pas le vente dans le délai d’un an, que la perte financière n’est pas démontrée, qu’elle a été mise en difficulté par la compensation avec les appels de fonds. Elle a fait valoir que l’appel incident n’était pas fondé, d’autant que les intimés avaient spontanément déduit des appels de fonds.
Par conclusions communiquées le 20 juin 2022, M. [Y] et Mme [X] ont demandé, au visa des 1103, 1192, 1231-5, 1347 du code civil, L. 231-2 et R. 231-14 alinéa 1er du code de la construction et de l’habitation, de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la S.C.I. Route de l’Arca de sa demande de modération de la clause pénale prévue dans l’acte notarié du 7 novembre 2016 ‘pénalité’ et de l’ensemble de ses prétentions,
– réformer parte in qua le jugement en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle des époux [Y] tendant au paiement de la somme de 13 800 euros au titre du reliquat de la pénalité correspondant à la période du 4 juin 2019 au 20 juillet 2019 ainsi que les demandes de paiement au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens,
Sur ce,
– dire et juger que la S.C.I. Route de l’Arca est redevable de la somme de 160 200 euros, correspondant à 300 euros par jour de retard à compter du 1er février 2018 et que la somme de 146 400 euros a été réglée par compensation.
– condamner la S.C.I. Route de l’Arca à verser à M. Et Mme [Y] la somme de 13 800 euros au titre du reliquat de la pénalité correspondant à la période du 4 juin 2019 au 20 juillet 2019,
– condamner la S.C.I. Route de l’Arca à verser à M. Et Mme [Y] la somme de 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens au titre de la première instance.
Y ajoutant,
– condamner la S.C.I. Route de l’Arca à verser à M. Et Mme [Y] la somme de 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens au titre de l’appel distraits au profit de Me Jean-Pierre Ribaut-Pasqualini.
Ils ont fait valoir l’acquisition de l’immeuble en vue de leur retraite pour 672 000 euros, la clause pénale, un prêt relai, le retard de livraison de 534 jours, une pénalité de retard de 160 200 euros dont 146 400 euros ont été payés par compensation, soit 20% du prix de vente, son départ différé au 1er février 2018, l’exécution sans contestation et l’inadéquation de la jurisprudence citée. Ils ont soutenu l’existence d’un préjudice subi, même s’il est étranger à l’application de la clause pénale, le prêteur ayant mis en oeuvre des sanctions en raison du retard subi par la vente de leur immeuble, résultant des intérêts du prêt soit 18 000 entre le 1er février 2018 et le 20 juillet 2019, des frais d’avocat d’environ 12 000 euros pour traiter le contentieux avec la banque, leur inscription au FICP les empêchant de souscrire un nouveau prêt, leur préjudice moral et la perte de chance de louer l’appartement, la compensation obligatoire par l’effet de l’article 1347 du code civil, le solde de 13 800 euros restant dû sur la clause pénale, d’autant que l’appartement livré le 20 juillet 2019 doit encore faire l’objet de travaux.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 1er février 2023.
L’affaire a été fixée à plaider à l’audience du 9 février 2023. L’affaire a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 12 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le tribunal a considéré que la clause avait été imposée par un professionnel à un profane, qu’en raison de la compensation, le vendeur ne pouvait réclamer le remboursement, que s’agissant du reliquat du 4 juin 2019 au 20 juillet 2019, compte tenu de la livraison et de l’abandon de la demande de réalisation des travaux sous astreinte, la pénalité devait être supprimée car manifestement disproportionnée puisque le litige était résolu par la livraison du bien dans des conditions de parfait achèvement.
Sur l’appel principal
Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre.
Autrement dit, la clause pénale sanctionne et répare, sauf cas de force majeure, une inexécution contractuelle, indépendamment du préjudice subi par le créancier, elle présente un caractère forfaitaire et fait office, en cas d’inexécution du contrat, d’indemnité de réparation. Le montant de la clause pénale doit aussi correspondre au préjudice qu’elle vise à réparer, sans être excessif, sauf à risquer d’être révisé par le juge. La clause pénale constitue une évaluation forfaitaire et anticipée du montant du préjudice, qui se substitue à l’évaluation judiciaire, l’article1231-5 du code civil faisant expressément référence aux dommages et intérêts.
En l’espèce, la S.C.I. Route de l’Arca ne conteste pas l’inexécution contractuelle, elle ne fait pas valoir d’événement de force majeure de nature à exclure l’application de la clause pénale. La S.C.I. Route de l’Arca a été régulièrement mise en demeure. Si le principe contractuel interdit au juge de modifier les prévisions des parties, sauf contrariété d’une clause à l’ordre public, il peut réviser la clause pénale exceptionnellement, dans l’hypothèse où l’écart entre le préjudice subi et le montant des pénalités dues est manifestement excessif, quelle que soit la situation financière du débiteur et quel que soit son comportement, sans toutefois pouvoir allouer une somme inférieure au montant du dommage.
L’article R 231-14 du code de la construction et de l’habitation, prévoit qu’en cas de retard de livraison, les pénalités prévues au i de l’article L. 231-2 ne peuvent être fixées à un montant inférieur à 1/3 000 du prix convenu par jour de retard.
Que la S.C.I. route de l’Arca soit une professionnelle et les époux [Y]/[X] des profanes n’est pas pertinent. En revanche, c’est la S.C.I. Route de l’Arca qui a fixé les stipulations contractuelles et y compris le montant de la clause pénale, à 1/2240 du prix convenu par jour de retard, de sorte qu’elle ne peut pas soutenir que ce montant, même s’il est inhabituel, est excessif. Le contrat ne fait nulle référence à la norme AFNOR qui plafonne le montant des pénalités de retard. De plus, le montant de la clause entré dans le champ contractuel a pu déterminer le choix des acquéreurs.
Les créanciers ont obtenu paiement de 146 400 euros par compensation de la somme représentant plus de 2 % du prix de vente (21,78%). La S.C.I. Route de l’Arca supporte la charge de la preuve que ce montant est disproportionné au regard de leur préjudice. Elle échoue à rapporter cette preuve de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté la S.C.I. Route de l’Arca de sa demande de réduction de la clause pénale.
Sur l’appel incident
M. [Y] et Mme [X] réclament le paiement de 13 800 euros au titre du reliquat de la pénalité correspondant à la période du 4 juin 2019 au 20 juillet 2019. Considérant que ce paiement conduirait à porter le montant de la clause pénale à près de 24 % (23,84%) du prix de vente, que les intimés ne démontrent pas que le préjudice dont ils font état, à savoir la mise en ‘uvre par le prêteur de sanctions en raison du retard subi par la vente de leur immeuble, les intérêts du prêt soit 18 000 entre le 1er février 2018 et le 20
juillet 2019, les frais d’avocat d’environ 12 000 euros pour traiter le contentieux avec la banque, leur inscription au FICP les empêchant de souscrire un nouveau prêt, leur préjudice moral et la perte de chance de louer l’appartement, excèdent la somme déjà payée par compensation ; le jugement doit être confirmé en ce qu’il les a déboutés de cette demande.
Le jugement est confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. M. [Y] et Mme [X] sont déboutés de leurs demandes contraires. La S.C.I. Route de l’Arca qui succombe est condamnée au paiement des dépens d’appel avec distraction pour ceux des frais dont avance aurait été faite sans avoir reçu provision au profit de Me Jean-Pierre Ribaut-Pasqualini et d’une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. M. [Y] et Mme [X] sont déboutés du surplus de leurs demandes et la S.C.I. Route de l’Arca est déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
– Confirme le jugement,
Y ajoutant,
– Déboute la S.C.I. Route de l’Arca de ses demandes contraires,
– Déboute M. [S] [Y] et Mme [Z] [X] de leurs demandes contraires,
– Condamne la S.C.I. Route de l’Arca au paiement des dépens d’appel avec distraction au profit de Me Jean-Pierre Ribaut-Pasqualini, avocat, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– Condamne la S.C.I. Route de l’Arca à payer à M. [S] [Y] et Mme [Z] [X] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT