CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 311 FS-B
Pourvois n°
H 21-24.884
F 21-25.619 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2023
La société Niort 94, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé les pourvois n° H 21-24.884 et F 21-25.619 contre le même arrêt rendu le 1er septembre 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans les litiges l’opposant à :
1°/ la société Art Maniac, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société [R], société civile professionnelle, en la personne de M. [Z] [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse aux pourvois n° H 21-24.884 et F 21-25.619 invoque, à l’appui de ses recours, trois moyens identiques de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Niort 94, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Art Maniac et de la société [R], ès qualités, et l’avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 21 mars 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mme Abgrall, conseiller, Mme Djikpa, conseiller référendaire, complétant la chambre avec voix délibérative en application de l’article L.431-3 du code de l’organisation judiciaire, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 21-24.884 et F 21 25.619 sont joints.
Reprise d’instance
2. Il est donné acte à la société civile professionnelle [R], en la personne de M. [R], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art Maniac, mise en liquidation judiciaire le 13 juin 2022, de sa reprise d’instance.
Faits et procédure
3. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er septembre 2021), pour la réalisation de la construction d’un établissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes, la société Niort 94, maître de l’ouvrage, a confié, selon deux marchés à forfait, à la société Art Maniac les lots revêtements souples et peinture.
4. Le délai d’exécution des marchés était prévu, selon le calendrier d’exécution notifié à l’entreprise, du 23 décembre 2013 au 6 juin 2014.
5. La réception a eu lieu le 8 septembre 2015.
6. La société Art Maniac a notifié à la société Niort 94 ses mémoires définitifs pour les deux lots, incluant le coût de certains travaux supplémentaires et des dépenses résultant du prolongement du délai d’exécution.
7. Après rectification des mémoires par le maître d’oeuvre, la société Niort 94 a notifié les décomptes définitifs à l’entreprise.
8. Contestant ces derniers, la société Art Maniac a assigné la société Niort 94 en paiement de diverses sommes. La société Niort 94 a sollicité reconventionnellement le paiement d’une somme au titre des pénalités de retard.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. La société Niort 94 fait grief à l’arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Art Maniac au titre des décomptes acceptés nets des paiements perçus, alors :
« 1°/ qu’en relevant d’office le moyen selon lequel les travaux supplémentaires devaient être considérés comme acceptés sans équivoque par le maître d’ouvrage dès lors qu’ils avaient été retenus par le maître d’oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins et non contestés par le maître d’ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs ou réputés acceptés par suite de son silence en application de l’article 19.6.2 de la norme NF P 03.001, sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
2°/ qu’en retenant, pour condamner la société Niort 94 au paiement de travaux supplémentaires, que « le tribunal de commerce a considéré comme ayant été acceptés sans équivoque par le maître d’ouvrage les seuls travaux supplémentaires retenus par le maître d’oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins et non contestés par le maître d’ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs ou réputés acceptés par suite de son silence en application de l’article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 à laquelle se réfèrent expressément les ordre de service du 19 décembre 2012 », quand le tribunal n’avait abordé ni la question de l’acceptation non équivoque du maître d’ouvrage ni celle de l’application de la norme NF P 03.001, mais avait seulement retenu que le maître d’oeuvre avait « corrigé » les projets de décomptes finaux et que le tribunal tiendrait compte des décomptes corrigés, la cour d’appel a dénaturé le jugement rendu le 3 novembre 2017 par le tribunal de commerce, et a ainsi méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
3°/ que le contrat de louage d’ouvrage ne confère pas de plein droit au maître d’oeuvre mandat de représenter le maître de l’ouvrage ; qu’en l’espèce, la SARL Niort 94 faisait valoir que les deux marchés confiés à la société Art Maniac étaient stipulés à forfait et qu’elle n’avait pas accepté les travaux supplémentaires dont cette dernière demandait paiement, seul un ordre de service signé par la maîtrise d’ouvrage pouvant justifier une demande de paiement de travaux supplémentaires ; qu’en retenant, pour condamner néanmoins la société Niort 94 au paiement de travaux supplémentaires, que ceux-ci avaient été « retenus par le maître d’oeuvre dans le cadre de la vérification des mémoires définitifs opérée par ses soins », sans constater que la société Niort 94 avait donné mandat au maître d’oeuvre pour la représenter auprès des constructeurs aux fins d’approuver des travaux supplémentaires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 (ancien) et 1793 du code civil ;
4°/ que lorsqu’un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ; que pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac le prix de travaux supplémentaires retenus par le maître d’oeuvre lors de la vérification des mémoires définitifs, la cour d’appel a retenu que ces travaux, non contestés par le maître d’ouvrage lors de sa transmission des décomptes définitifs étaient réputés acceptés sans équivoque « par suite de son silence en application de l’article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 à laquelle se réfèrent expressément les ordre de service du 19 décembre 2012 » ; qu’en statuant ainsi, alors que les règles établies par la norme Afnor ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales et que la société Niort 94 contestait avoir commandé des travaux supplémentaires, sans relever l’existence d’une autorisation écrite donnée par cette dernière et d’un prix convenu avec elle, la cour d’appel a violé l’article 1793 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. La cour d’appel, abstraction faite d’une référence inopérante mais surabondante au silence gardé par le maître de l’ouvrage durant le délai lui étant imparti, à compter de la réception du mémoire de l’entreprise, pour notifier à celle-ci, après vérification, le décompte définitif, en application de la norme NF P 03.001, a, sans dénaturation du jugement, dont elle s’est bornée à restituer le raisonnement sous-tendant les motifs, ni relever un moyen d’office, retenu, sans être tenue de procéder à une recherche sur un éventuel mandat du maître d’oeuvre que ses constatations rendaient inopérante, que la notification par le maître de l’ouvrage des décomptes définitifs à l’entreprise, incluant le coût de certains travaux supplémentaires, qui était dans le débat, était sans équivoque, faisant ainsi ressortir que celle-ci valait acceptation expresse et non équivoque desdits travaux, réalisés hors forfait.
11. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Sur le deuxième moyen
12. La société Niort 94 fait grief à l’arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Art Maniac au titre des décomptes acceptés nets des paiements perçus, alors :
« 1°/ qu’en relevant d’office, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d’oeuvre imputé à l’allongement de la durée du chantier, le moyen selon lequel il ressortait des dispositions de l’article 1 du titre VI du CCAP, relatif aux délais, que « si des retards s’accumulent dans l’exécution du chantier, le maître de l’ouvrage en est nécessairement comptable, puisqu’il est censé les avoir autorisés en délivrant des ordres de service correspondant à des travaux supplémentaires les justifiant », sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
2°/ qu’en retenant, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de maind’oeuvre imputé à l’allongement de la durée du chantier, qu’il ressortait des dispositions de l’article 1 du titre VI du CCAP, relatif aux délais, que « si des retards s’accumulent dans l’exécution du chantier, le maître de l’ouvrage en est nécessairement comptable, puisqu’il est censé les avoir autorisés en délivrant des ordres de service correspondant à des travaux supplémentaires les justifiant », la cour d’appel a statué par voie de simple affirmation ne constituant pas une motivation permettant à la Cour de cassation d’exercer son contrôle, violant ainsi l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu’en retenant successivement que le maître d’ouvrage était nécessairement comptable des retards dans l’exécution du chantier puis qu’« il résulte des développements précédents que ( ) l’accumulation des retards sur le chantier ne peut être imputée qu’à ceux pris par les premières entreprises intervenantes et/ou à la défaillance de la maîtrise d’oeuvre de coordination », la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction de motifs, violant l’article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que le titre VI du CCAP, intitulé « délais » définissait, en son article 2, la notion de « retard » comme « tout manquement aux prescriptions relatives à l’engagement de délai des entreprises », la distinguant très nettement de la notion de « prolongation de délais » accordée par le maître d’ouvrage en raison de modifications qu’il aurait demandées, définie à l’article 1 du même titre ; qu’en retenant qu’il résultait de l’article 1 du titre VI du CCAP que tout retard de chantier procéderait nécessairement d’une faute du maître d’ouvrage dès lors que seul celui-ci aurait, en application du CCAP, le pouvoir d’accorder des prolongations de délai, la cour d’appel a méconnu les dispositions du CCAP, violant l’article 1103 nouveau du code civil, anciennement 1134 du code civil ;
5°/ que le CCAP stipulait, à l’article 6 de la section VI, que « dans le cas où le maître d’ouvrage ne pourrait, pour une raison quelconque, remettre à l’entrepreneur la disposition du chantier à la date précise, le délai imparti à l’entrepreneur sera simplement allongé d’autant de jours qu’il y aurait eu de retard, sans que l’entrepreneur puisse arguer de ce fait pour émettre une réclamation », excluant, de fait, toute indemnisation de l’entrepreneur du fait du retard dans la mise à disposition du site ; qu’en allouant néanmoins à la société Art Maniac une somme de 28 618,44 euros HT au titre des retards dans la mise à disposition du site, la cour d’appel a méconnu les dispositions précitées du CCAP, violant l’article 1103 nouveau du code civil, anciennement 1134 du code civil ;
6°/ qu’en relevant d’office, pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d’oeuvre imputé à l’allongement de la durée du chantier nonobstant le caractère forfaitaire du marché, le moyen selon lequel le maître d’oeuvre, en validant quatre mois de délais supplémentaires, aurait admis la « responsabilité pour manquement du maître de l’ouvrage à son obligation contractuelle de faire respecter les délais contractuels résultant du calendrier initial d’exécution des travaux », sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
7°/ que le contrat de louage d’ouvrage ne confère pas de plein droit au maître d’oeuvre mandat de représenter le maître de l’ouvrage ; qu’en l’espèce, la SARL Niort 94 faisait valoir qu’elle n’était en aucun cas responsable de l’allongement de la durée d’exécution du chantier avant l’intervention de la société Art Maniac ; qu’en retenant, pour condamner néanmoins la société Niort 94 au paiement d’une indemnité correspondant à un surcoût de main-d’oeuvre imputé à l’allongement de la durée du chantier, que le maître d’oeuvre, en validant quatre mois de délai supplémentaires, avait admis la « responsabilité pour manquement du maître de l’ouvrage à son obligation contractuelle de faire respecter les délais contractuels résultant du calendrier initial d’exécution des travaux », sans constater que la société Niort 94 avait donné mandat au maître d’oeuvre pour la représenter auprès des constructeurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 (anciens) du code civil ;
8°/ qu’en retenant, pour caractériser l’existence d’un préjudice de la société Art Maniac, « que s’agissant d’une entreprise de taille modeste, elle avait nécessairement refusé d’autres marchés en considération des dates d’intervention contractuellement prévues », la cour d’appel a derechef statué par voie de simple affirmation, violant ainsi l’article 455 du code de procédure civile ;
9°/ qu’en relevant d’office le moyen selon lequel le paiement d’une indemnité correspondant à un surcoût de main-d’oeuvre imputé à l’allongement de la durée du chantier devait être considéré comme accepté sans équivoque par le maître d’ouvrage dès lors qu’il avait été retenu à hauteur de quatre mois par le maître d’oeuvre et que, le maître d’ouvrage n’ayant pas contesté le mémoire définitif ainsi établi, il était réputé avoir admis devoir le supporter dans cette limite en application de l’article 19.6.2 de la norme NF P 03.001, sans inviter préalablement les parties à faire valoir leurs observations sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
10°/ que lorsqu’un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire ; que pour condamner la société Niort 94 à payer à la société Art Maniac une indemnité correspondant à un surcoût de main-d’oeuvre imputé à l’allongement de la durée du chantier retenue par le maître d’oeuvre lors de la vérification des mémoires définitifs, la cour d’appel a retenu que le paiement d’une indemnité correspondant à un surcoût de main-d’oeuvre imputé à l’allongement de la durée du chantier devait être considéré comme accepté sans équivoque par le maître d’ouvrage dès lors qu’il avait été retenu à hauteur de quatre mois par le maître d’oeuvre et que, le maître d’ouvrage n’ayant pas contesté le mémoire définitif ainsi établi, il était réputé avoir admis devoir le supporter dans cette limite en application de l’article 19.6.2 de la norme NF P 03.001 ; qu’en statuant ainsi, alors que les règles établies par la norme Afnor ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales, sans relever l’existence d’une autorisation écrite donnée par la société Niort 94 et d’un prix convenu avec elle, la cour d’appel a violé l’article 1793 du code civil. »