Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 10 MAI 2023
(n° ,10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06197 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDNHJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Septembre 2020 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 17/16498
APPELANTE
Madame [O] [S] [F]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Frédéric FORGUES, avocat au barreau de PARIS, toque : E2135
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/046782 du 19/01/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEES
S.A.S. STELLIUM IMMOBILIER
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Alexandra SEIZOVA de la SELARL SELARL DAFIA & SEIZOVA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1099
S.A. CREDIT FONCIER DE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Béatrice LEOPOLD COUTURIER de la SELARL PUGET LEOPOLD COUTURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R029
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère entendue en son rapport,et M.Marc BAILLY, Président de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
M.Marc BAILLY, Président de chambre,
M.Vincent BRAUD, Président,
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,chargée du rapport
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M.Marc BAILLY, Président de chambre, et par Anaïs DECEBAL,Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 31 mars 2021, Mme [O] [F] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 4 septembre 2020, rendu dans l’instance l’opposant aux sociétés Stellium immobilier et Crédit foncier de France et statuant en ces termes :
‘Déclare madame [O] [F] irrecevable en ses demandes ;
Condamne madame [O] [F] à payer à la société anonyme le Crédit Foncier de France les sommes suivantes, arrêtées au 10 décembre 2017 :
– 176 898,90 euros avec intérêts au taux conventionnel de 5,55 % l’an sur la somme de 176 856,40 euros à compter du 11 décembre 2017,
– 100 euros au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2018 ;
Condamne madame [O] [F] à payer à la société anonyme le Crédit Foncier de France la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne madame [O] [F] à payer à la société par actions simplifiée Stellium immobilier la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne madame [O] [F] aux dépens ;
Autorise maître [T] [R] à recouvrer directement contre madame [O] [F] les frais compris dans les dépens dont elle aurait fait l’avance sans en avoir reçu provision ;
Ordonne l’exécution provisoire.’
Par ordonnance en date du 7 décembre 2021 le magistrat en charge de la mise en état a déclaré irrecevable l’appel formé par Mme [F] le 31 mars 2021 à l’encontre de la société Stellium immobilier. La procédure s’est poursuivie avec comme seul intimé, la société Crédit Foncier de France.
À l’issue de la procédure d’appel clôturée le 13 décembre 2022 les moyens et prétentions des parties s’exposent de la manière suivante.
Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 mars 2022 l’appelant
demande à la cour de bien vouloir :
‘Vu l’article 1382 du code civil (nouvel article 1240 de ce même code),
Vu les motifs exposés et les pièces versées aux débats,’
‘INFIRMER le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 4 septembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Et, statuant de nouveau :
RECEVOIR Madame [F] en ses demandes et les dire bien fondées ;
DEBOUTER la société CREDIT FONCIER DE FRANCE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
* Vu l’article 1116 du code civil (nouveau 1137 du code civil),
DIRE ET JUGER que le consentement de Madame [F] a été vicié par des manoeuvres dolosives de la part du CREDIT FONCIER DE FRANCE ;
* Vu l’article 1382 du code civil (nouveau 1240 du code civil),
DIRE ET JUGER que la société CREDIT FONCIER DE FRANCE a manqué à son devoir d’information et de conseil ;
En conséquence,
CONDAMNER la société CREDIT FONCIER DE FRANCE à payer à Madame [F], la somme de 105 280 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre de l’impossibilité de revendre pour le montant investi et du surcoût de l’opération ;
En tout état de cause,
CONDAMNER la société CREDIT FONCIER DE FRANCE à payer à Madame [F] la somme de 6 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître FORGUES dans les conditions de l’article 699 du même code.’
Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 12 décembre 2022 l’intimé
demande à la cour de bien vouloir :
‘Confirmer le jugement du 04/09/2020,
Déclarer Mme [F] irrecevable en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions car prescrites,
À défaut, la déclarer mal fondée en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre du CREDIT FONCIER et l’en débouter intégralement,
Donner le cas échéant acte au CREDIT FONCIER de ce qu’il se désiste, en cause d’appel, de sa demande reconventionnelle en paiement à laquelle il avait été fait droit en 1ère instance,
Condamner Mme [F] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Béatrice LEOPOLD-COUTURIER, avocat, sur son affirmation de droit.’
Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
La société civile immobilière [Adresse 9] a confié à la société par actions simplifiée Stellium Immobilier la commercialisation des lots du programme immobilier de construction de la résidence située [Adresse 5] (Alpes-Maritimes) dépendant d’un ensemble immobilier dénommé ‘[Adresse 8]’.
Mme [O] [F], qui souhaitait réaliser un investissement locatif et bénéficier de mesures de défiscalisation, s’est vue proposer, par la société Stellium Immobilier, l’acquisition de l’un de ces lots.
Mme [F] a signé un contrat de réservation préliminaire le 9 août 2007, puis par acte authentique du 23 janvier 2008, elle s’est portée acquéreur d’un appartement d’une pièce et d’un emplacement de stationnement, situés dans l’ensemble immobilier Casa Salvetti, en l’état futur d’achèvement, pour le prix de 178 330 euros.
Cette acquisition a été financée par un prêt d’un montant de 185 260 euros, contracté auprès de la société Crédit Foncier de France, suivant offre préalable du 8 novembre 2007, acceptée le 3 décembre 2007, et réitérée par acte authentique du 23 janvier 2008.
Ce prêt d’une durée de 300 mois, après une période de différé d’amortissement de 3 mois, était remboursable au taux conventionnel de 5,55 % l’an révisable à compter du 180e mois sur la base du taux de SWAP contre Euribor à 6 mois d’une maturité de 6 ans constaté le 1er jour ouvré du mois de la révision majoré d’une partie fixe de révision de 130 %.
La gestion et la location du bien étaient confiées à la société Omnium Gestion faisant partie du même groupe que le promoteur immobilier, alors dénommé Omnium Conseil, et que le conseiller en gestion de patrimoine, la société Omnium Finance.
Le 31 octobre 2017, la société Crédit Foncier de France a, par lettre recommandée avec accusé de réception, retournée avec la mention ‘pli avisé non réclamé’, adressé à Mme [F] une mise en demeure d’avoir à lui payer, avant le 1er décembre 2017, la somme de 15 587,63 euros comprenant les échéances échues impayées du mois de novembre 2016 au mois d’octobre 2017, les pénalités et les intérêts de retard, sous peine de déchéance du terme.
Le bien immobilier a été vendu le 27 mai 2019, au prix de 82 000 euros.
Estimant que la rentabilité de l’investissement ne correspondait pas aux promesses qui lui avaient été faites, Mme [F] a, par actes d’huissier de justice datés des 2 et 8 novembre 2017, fait assigner en responsabilité, devant le tribunal de grande instance de Paris, les sociétés Stellium immobilier et Crédit Foncier de France.
Mme [F] demandait la condamnation de la société Stellium immobilier à lui payer la somme de 8 950 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre du surcoût de l’opération, et sollicitait la condamnation solidaire du Crédit Foncier de France et de la société Stellium immobilier à lui payer la somme de 96 330 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de l’impossibilité de revendre le bien pour le montant investi.
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Sur la recevabilité de l’action en responsabilité de Mme [F]
Pour juger prescrites les demandes de Mme [F] :
‘ Le tribunal a retenu qu’en droit, en matière de responsabilité civile le délai de prescription ne court qu’à compter de la date de réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance, et qu’ainsi le dommage résultant d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information et de conseil consistant en la perte de chance de ne pas contracter ou d’éviter le risque qui s’est réalisé, se manifeste dès la conclusion du contrat envisagé, à moins que l’intéressé ne démontre qu’il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage ; qu’en revanche, c’est vainement que Mme [F] argue des dispositions de l’article 1304 ancien du code civil, dans la mesure où, quoique se disant victime de manoeuvres dolosives, elle ne poursuit pas l’action en nullité, mais exerce l’action en responsabilité délictuelle pour obtenir de l’auteur la réparation du préjudice qu’elle aurait subi ;
‘ Le tribunal a relevé qu’en l’espèce, Mme [F] recherchait la responsabilité des deux sociétés défenderesses en invoquant notamment un manquement né de la délivrance d’informations incomplètes ou erronées sur la présentation du package, les risques inhérents à l’opération, le potentiel locatif et surtout, le prix d’acquisition du bien immobilier, selon elle nettement surévalué, de sorte que son dommage serait caractérisé par l’impossibilité de revendre le bien pour le montant investi (acquis au prix de 178 330 euros, revendu 82 000 euros).
Examinant successivement ces différents moyens, le tribunal tout d’abord a jugé que dans la mesure où la surévaluation initiale du prix d’acquisition faisait, selon Mme [F], nécessairement obstacle à toute plus-value lors de la revente du bien immobilier, il doit être considéré que le dommage qu’elle allègue s’est réalisé dès l’achat du bien. Lors de la conclusion du contrat de vente le 23 janvier 2008, Mme [F] disposait d’ailleurs de tous les éléments lui permettant d’apprécier les caractéristiques du bien, sa valeur, et de vérifier son prix de vente, dont la critique constitue aujourd’hui le fondement de son action. Le jour de la certitude du dommage, quand bien même son étendue ne serait pas connue, marquant le point de départ de la prescription de l’action, et dès lors que le principe du dommage était acquis dès l’acte portant vente en l’état futur d’achèvement du bien litigieux, Mme [F] aurait dû en avoir connaissance dès cette date, et la circonstance qu’elle s’est fait communiquer une évaluation du bien le 16 mars 2017 ne saurait lui permettre de reporter le point de départ du délai de prescription de son action, sauf à conférer à ce délai, qui n’est pas encadré par la période de défiscalisation d’autant plus qu’il s’agit de la valeur d’un bien immobilier, un caractère purement potestatif. Il en résulte qu’à la date de l’assignation délivrée les 2 et 8 novembre 2017, plus de cinq ans s’étant écoulés depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, par application de ses dispositions transitoires l’action de Mme [F] tendant à voir indemniser le préjudice résultant de l’impossibilité de revendre le bien pour le montant investi, est donc prescrite depuis le 19 juin 2013.
Puis le tribunal, s’agissant du préjudice invoqué résultant d’une rentabilité moins importante que celle escomptée et se manifestant par une perte de loyer que Mme [F] évalue à la somme globale de 8 950 euros correspondant à la différence entre les loyers envisagés lors de
l’acquisition du bien et les loyers effectivement perçus, compte tenu d’une période de vacance locative de dix mois suivant la livraison du bien, et d’un bail conclu le 29 octobre 2010, pour un loyer de 485 euros, a jugé que dès l’expiration du premier mois de vacance locative ou au plus tard le 29 octobre 2010, madame [F] pouvait s’apercevoir que la location de son bien ne se déroulait pas dans les conditions qu’elle avait envisagées et engendrait une perte de loyer et un moindre avantage fiscal, et pouvait appréhender toutes les conséquences induites par la discontinuité des contrats de bail, qu’il s’agisse du potentiel locatif de l’investissement réalisé ou des avantages escomptés.
Faisant sienne cette motivation, la société Crédit foncier de France oppose à Mme [F] l’irrecevabilité de son action, soumise à l’article L. 110-4 du code de commerce, pour cause de prescription. Le point de départ de l’action en responsabilité engagée contre un établissement bancaire pour défaut d’information et de conseil est la date de signature du contrat de prêt dans la mesure où le seul dommage réparable en la matière consiste en une perte de chance de ne pas contracter le prêt litigieux. Mme [F] a dû ou aurait dû se rendre compte des difficultés liées au potentiel locatif du bien, dès le 2 novembre 2010, date à laquelle elle avait connaissance des risques de vacance locative, déjà éprouvées, et d’un loyer inférieur de 50 euros à celui attendu. L’action en responsabilité de Mme [F] est nécessairement irrecevable, le point de départ du délai de prescription ne pouvant être fixé à la date de la première estimation du bien, laquelle dépend de la seule volonté de l’emprunteur.
En critique de la décision du tribunal, et comme devant le premier juge, Mme [F] soutient que son action est recevable, au vu des dispositions de l’article 2224 du code civil, le point de départ du délai de prescription devant être fixé au jour où le titulaire de l’action a eu connaissance du dommage. Elle rappelle qu’en matière de dol, le point de départ du délai de prescription n’est jamais la date de conclusion du contrat, ainsi que cela ressort des dispositions de l’article 1304 du code civil qui prévoient que ce délai court à compter du jour où le dol a été découvert.
S’agissant de la question du point de départ de la prescription en matière de défiscalisation immobilière, Mme [F] expose que la rentabilité de l’opération de défiscalisation est basée sur trois éléments, à savoir la valeur initiale du bien immobilier, la location de ce bien dans les conditions fixées par la loi, et la perception de l’avantage fiscal, et dès lors, cette opération forme un ensemble. Quand bien même le bien immobilier aurait été loué dans les conditions du dispositif [Z], si le bien a été surévalué au moment de son acquisition, alors l’équilibre financier de l’opération est irrémédiablement compromis. L’investisseur n’est en mesure de se rendre compte de la surévaluation du bien qu’à l’issue de l’opération de défiscalisation, et en l’espèce Mme [F] n’était en mesure d’apprécier la rentabilité de l’opération qu’à l’expiration de la durée de dix ans recommandée pour les investissements dits [Z] et au moment d’effectuer les premières estimations dans une perspective de revente, soit le 16 mars 2017. Mme [F] conteste que le point de départ du délai de prescription puisse être fixé à la date de conclusion du contrat, rappelant que dans une opération d’investissement locatif comprenant une vente en l’état futur d’achèvement, la date où le dommage est révélé à la victime est nécessairement postérieure à la date de conclusion du contrat de vente, le bien n’étant alors pas même encore construit. L’action engagée dans le délai de cinq ans suivant cette date, par assignation du 2 novembre 2017, n’est pas prescrite.
Sur ce
En droit, le dommage résultant d’un manquement à l’obligation précontractuelle consistant en une perte de chance de ne pas contracter existe dès l’octroi du crédit mais ne se révèle à l’emprunteur que postérieurement. Le jugement déféré ne peut qu’être infirmé en ce que le point de départ de la presciption a été fixé à la date de conclusion du contrat.
Ainsi, par exemple, lorsqu’est reproché à la banque un manquement à son devoir de mise en garde – sur un risque d’endettement excessif de l’emprunteur né de l’octroi du prêt – le dommage se manifeste par la survenance des premières difficultés de paiement. Tel n’est pas le cas en l’espèce, Mme [F] agissant en responsabilité à l’encontre de la banque uniquement à raison d’un manquement à son obligation d’information et de conseil.
Aussi, convient-il de rechercher in concreto à quel moment Mme [F] a pu se rendre compte de la réalisation du préjudice qu’elle invoque à présent, lié selon elle, à l’échec de l’opération de défiscalisation qui serait à considérer dans son ensemble, avec les conséquences que cela emporte s’agissant du point de départ de la prescription de l’action en responsabilité.
Mais contrairement à ce que défend Mme [F], on ne peut retenir comme étant de principe que l’investisseur ne peut avoir connaissance d’un préjudice qu’au moment où il envisagerait de sortir du dispositif en revendant son bien.
Essentiellement, la projection financière établie par Omnium Finance à l’occasion du contrat préliminaire de réservation envisageait une évolution de situation sur 15 ans, détaillant le gain fiscal, étant mentionné le montant de l’investissement initial – et les loyers escomptés. Il est constant que le bien n’a pas été immédiatement loué dès sa livraison alors que la location était assurément un élément déterminant de l’opération s’agissant d’un investissement locatif. Cependant, selon ses propres déclarations, Mme [F] a réussi à louer l’appartement au bout de 10 mois, et elle ne livre aucun élément permettant de conclure au caractère anormal de ce délai. En outre, cette location a pu se faire à un prix correspondant peu ou prou à ce qui était indiqué dans la projection financière, de manière d’ailleurs peu lisible, étant indiqué la somme de 469 euros puis en marge, celle de 535 euros. Ainsi, et contrairement à ce que soutient le Crédit Foncier de France, il n’est pas possible d’affirmer que Mme [F] aurait dû connaître le préjudice qu’elle dit maintenant avoir subi du fait d’une rentabilité locative inférieure à celle promise, et par suite d’une perte fiscale qui en est le corollaire, dès le contrat de bail signé avec son locataire le 2 novembre 2010, ce qui aurait pour effet de rendre son action en responsabilité prescrite.
Surtout, le préjudice dont se plaint Mme [F] résulte essentiellement de la moins-value apparue lors de la mise en vente de son bien. Il est à noter que les parties n’ont pas juger utile de renseigner la rubrique de la projection financière ‘revente du bien’ à l’issue de cette période, qui a été laissée vierge. Surtout, aucun élément du dossier n’indique que Mme [F] aurait pu ou dû en avoir connaissance avant que de faire procéder à l’évaluation de son bien, le 14 mars 2017.
Le délai de prescription quinquennale a commencé à courir à partir de cette date, de sorte que l’action n’est pas prescrite, au vu de la date de l’assignation délivrée le 2 novembre 2017.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable comme étant prescrite l’action en responsabilité de Mme [F].
Sur le fond
Sur le dol
Mme [F] au visa des articles 1130 et 1131 (anciennement article 1116) du code civil fait valoir que le dol est ici constitué par la réticence dolosive de la société Stellium immobilier et du Crédit Foncier de France, qui ont commercialisé et réalisé des publicités présentant une opération de défiscalisation dont ils savaient dès l’origine que la rentabilité économique ne serait pas atteinte, puisqu’ils connaissaient les prix du marché. Elle soutient que l’élément matériel du dol est caractérisé par les différentes manoeuvres des sociétés défenderesses qui lui ont transmis une somme d’informations erronées, quant à la
demande locative, au prix du bien immobilier, à la présentation des risques et de la rentabilité de l’investissement. En tout état de cause, le simple fait de détenir une information sur un produit, et de la dissimuler à son acheteur caractérise la réticence dolosive, et ‘il est inconcevable en l’espèce que le Crédit Foncier ait ignoré que le projet n’était pas rentable’.
Le Crédit foncier de France soutient que Mme [F] ne rapporte nullement la preuve des manoeuvres dolosives qu’elle invoque, ni encore de l’élément intentionnel du dol. En tout état de cause Mme [F] a ratifié l’opération qu’elle tente aujourd’hui de remettre en cause en réitérant la vente par acte authentique et en réglant les échéances du prêt, cette exécution volontaire emporte renonciation aux moyens et exceptions qu’elle pouvait opposer, et rend irrecevable son action, en application de l’article 1338 ancien du code civil.
Sur ce, et comme souligné par l’intimé, Mme [F] s’exprime en termes de généralités et ne caractérise pas de manoeuvres dolosives qui soient imputables au Crédit Foncier de France, les agissements dont elle se plaint n’étant pas le fait du prêteur, extérieur aux opérations de vente et de commercialisation ciblées par Mme [F], laquelle ne fait la démonstration par aucune pièce, de ses allégations selon lesquelles le Crédit foncier de France ne pouvait ignorer la mauvaise rentabilité du projet.
Sur le manquement de la banque à ses obligations d’information et de conseil
En outre, Mme [F] soutient que pour le moins, en lui transmettant des informations erronées sur la valeur vénale de l’appartement, son potentiel locatif, l’évaluation des loyers, la rentabilité de l’opération, les possibilités de défiscalisation, et en s’abstenant d’expliquer le mécanisme de l’investissement [Z], le Crédit Foncier de France a gravement manqué à son obligation précontractuelle de conseil et d’information et a engagé sa responsabilité délictuelle en raison de son rôle dans la présente opération. Mme [F] soutient que le Crédit foncier de France l’a encouragée, emprunteur profane, à s’engager dans une opération complexe et inappropriée en se dispensant de la renseigner sur les particularités et les risques d’un tel investissement et a ainsi manqué à son obligation de conseil et d’information. Le fait que le Crédit foncier de France ne soit pas le concepteur du montage ne l’exonère en rien de sa responsabilité à partir du moment où la banque a étudié un dossier, que les financements ne sont pas automatiques et qu’une décision a nécessairement été prise par une ou plusieurs personnes de l’entreprise qui ont estimé qu’il fallait octroyer le financement demandé. Il sera retenu qu’en matière d’investissement locatif, le prêteur de deniers est régulièrement condamné au même titre que les autres intervenants à la défiscalisation sur le fondement du défaut de conseil et d’information. La banque était en relation avec le conseiller en gestion de patrimoine et avec son mandataire et était nécessairement informée de la nature des opérations qu’elle finançait, en sorte qu’elle savait que le modèle économique du montage était lié à la valeur du bien support de l’opération de défiscalisation et des loyers promis. Le Crédit foncier de France faisait donc partie intégrante de l’opération puisqu’il était prévu dès le départ qu’il financerait cette opération de défiscalisation. La banque aurait donc dû attirer l’attention de Mme [F] sur la nature très risquée et spéculative du prêt contracté et l’importance d’acquérir un bien support de l’investissement défiscalisant qui ne soit pas surévalué. Si Mme [F] avait été mieux conseillée elle n’aurait jamais contracté l’opération et le prêt litigieux.
Le Crédit Foncier de France rappelle qu’il n’est intervenu ni en tant que concepteur ni en tant que commercialisateur du bien immobilier, et qu’il n’est pas non plus intervenu dans le cadre du montage de l’opération de défiscalisation. Il n’a fait que financer l’acquisition du bien immobilier objet de l’opération de défiscalisation, à laquelle il n’était pas partie prenante, en mettant à disposition les fonds au profit de Mme [F]. Celle-ci avait déjà conclu le contrat de réservation lorsque l’offre de prêt lui a été faite, et Crédit foncier de France, en tant que prêteur, n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de sa cliente, en particulier n’avait pas à lui livrer d’appréciation sur l’opportunité ou la rentabilité de l’opération envisagée.
Sur ce,
Il sera rappelé qu’une banque n’est tenue à aucun devoir de conseil et n’a pas d’avis à donner sur l’opportunité d’effectuer ou non une opération, étant au contraire tenue à un devoir de non ingérence dans les affaires de ses clients.
S’agissant du prétendu manquement de la banque à son obligation d’information, il convient de relever que le prêt proposé n’avait en soi aucun caractère de complexité, et que par conséquent l’offre dont les termes sont précis et clairs, n’appelait pas d’explications complémentaires. Il est à noter aussi que Mme [F] à la réception et à l’examen de l’offre de prêt, n’a aucunement sollicité d’éclaircissements sous quelque forme que ce soit.
Surtout, Mme [F] a signé un contrat de réservation préliminaire le 9 août 2007, d’un appartement d’une pièce et d’un emplacement de stationnement, situés dans l’ensemble immobilier Casa Salvetti, en l’état futur d’achèvement, pour le prix de 178 330 euros. Sa décision était donc déjà prise lorsque a été contracté le prêt auprès de la société Crédit Foncier de France, suivant offre préalable du 8 novembre 2007, acceptée le 3 décembre 2007.
Aucune faute ne peut être reprochée à la banque dans l’octroi du prêt à Mme [F]. Sa demande indemnitaire ne peut qu’être rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Mme [F], qui échoue en l’essentiel de ses prétentions, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l’équité il y a lieu de faire droit à la demande de la société Crédit Foncier de France, formulée sur ce même fondement mais uniquement dans la limite de la somme de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
INFIRME le jugement déféré, en ce que Mme [O] [F] a été déclarée irrecevable en ses demandes,
Et statuant à nouveau,
DÉBOUTE Mme [O] [F] de l’ensemble de ses demandes ;
CONFIRME le jugement déféré en ses autres dispositions, en ce comprises celles relatives aux dépens et frais irrépétibles ;
Et y ajoutant :
CONDAMNE Mme [O] [F] à payer à la société Crédit Foncier de France la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
DÉBOUTE Mme [O] [F] de sa propre demande formulée sur ce même fondement;
CONDAMNE Mme [O] [F] aux entiers dépens d’appel et admet Maître Béatrice Léopold Couturier, avocat au Barreau de Paris, au bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENT LE GREFFIER