COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 10 MAI 2023
N° 2023/ 209
N° RG 21/12882
N° Portalis DBVB-V-B7F-BIBH2
[P] [I]
C/
[D] [V] épouse [C]
[K] [C]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Me Philippe CAMPOLO
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de DRAGUIGNAN en date du 06 Juillet 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 20/04903.
APPELANT
Monsieur [P] [I]
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, membre de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Julien DUCLOUX, avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Madame [D] [V] épouse [C]
née le 15 Juin 1958 à [Localité 6] (04), demeurant [Adresse 2]
Monsieur [K] [C]
né le 25 Février 1952 à [Localité 5] (04), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Philippe CAMPOLO, membre de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substituée par Me Bérengère BERNART, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Mai 2023.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mai 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant acte authentique reçu le 26 juin 2015, les époux [K] [C] et [D] [V] ont vendu à Monsieur [P] [I] une maison d’habitation située [Adresse 2]), identifiée au cadastre de la commune section M numéro [Cadastre 3], lieudit [Localité 4], moyennant le prix de 45.000 euros payable pour partie au comptant le jour de la signature à hauteur de 3.000 euros, et pour le solde au moyen d’une rente annuelle et viagère de 1.200 euros indexée sur la variation de l’indice des prix à la consommation des ménages urbains, payable par fractions le 26 de chaque mois, les vendeurs se réservant en outre un droit d’usage et d’habitation leur vie durant.
Suivant exploit d’huissier du 10 octobre 2019 converti en procès-verbal de vaines recherches, les époux [C] ont signifié à Monsieur [I] un commandement de payer les échéances de la rente correspondant aux mois d’août, septembre et octobre 2019, contenant dénonce de clause résolutoire.
Faute de règlement, ils ont ensuite saisi le tribunal judiciaire de Draguignan par acte du 11 août 2020 signifié dans les mêmes formes, publié et enregistré au service de la publicité foncière le 21 août suivant, afin d’entendre prononcer la résolution judiciaire de la vente sur le fondement des articles 1224 et suivants du code civil, et réclamer paiement d’une créance actualisée à la somme de 2.896,07 euros correspondant aux échéances comprises entre les mois d’août 2019 et juillet 2020, majorées des indemnités de retard stipulées au contrat.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 6 juillet 2021, le tribunal a fait droit intégralement à ces demandes, le défendeur ayant été en outre condamné aux dépens et au paiement d’une indemnité de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [P] [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration adressée le 1er septembre 2021 au greffe de la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées le 18 mai 2022, Monsieur [P] [I] soutient que l’interruption du paiement de la rente résulte d’une erreur de sa banque qui aurait mis fin au virement automatique mis en place dès 2015 sans instruction de sa part, et qu’il n’a pu avoir connaissance en temps utile du commandement de payer et de l’assignation en justice signifiés à son ancienne adresse, alors que les époux [C] auraient pu le joindre sans difficulté.
Il fait valoir que le contrat ne prévoit pas de clause résolutoire de plein droit, et qu’il appartient au juge d’apprécier la gravité du manquement invoqué par le créancier. Il ajoute qu’en toute hypothèse le crédirentier ne peut à la fois poursuivre la résolution du contrat et le paiement des arrérages de la rente, mais qu’il dispose d’une option entre ces deux actions.
Il soutient s’être acquitté en totalité des sommes mises à sa charge par le tribunal, et être désormais à jour du paiement de la rente.
Il demande principalement à la cour d’infirmer le jugement entrepris, de débouter les époux [C] des fins de leur action et de l’exonérer totalement de la clause pénale relative aux majorations de retard en application de l’article 1231-5 du code civil.
Subsidiairement, pour le cas où la cour viendrait à confirmer la résolution de la vente, il réclame restitution de l’ensemble des sommes versées en exécution du contrat, soit au total 10.689,24 euros.
En tout état de cause, il demande paiement d’une somme de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles, outre ses entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 18 février 2022, les époux [C] font valoir de leur côté que Monsieur [I] reste encore leur devoir plusieurs échéances, outre les frais et majorations de retard.
Ils soutiennent qu’ils sont en droit de poursuivre à la fois la résolution du contrat sur le fondement des articles 1224 et suivants du code civil, et le paiement des arrérages de la rente.
Ils demandent en conséquence à la cour de confirmer le jugement entrepris.
Ils concluent d’autre part à l’irrecevabilité de la demande subsidiaire formée par la partie adverse comme étant nouvelle en cause d’appel, conformément à l’article 564 du code de procédure civile, ou à défaut à son rejet, considérant que la volonté des parties n’a jamais été d’instaurer un droit à répétition des sommes versées en cas de résolution de la vente.
Ils réclament enfin paiement d’une indemnité de 3.500 euros au titre de leurs frais irrépétibles, outre leurs entiers dépens.
Le 29 avril 2022, l’affaire a reçu fixation à l’audience des plaidoiries du 21 février 2023, la clôture de l’instruction ayant été prononcée le 7 février précédent.
La veille de la clôture, l’appelant a notifié de nouvelles conclusions et pièces, dont les intimés ont sollicité le rejet pour violation du principe contradictoire.
Par conclusions de procédure notifiées la veille de l’audience, l’appelant s’est opposé à cette demande, considérant que ses nouvelles productions se bornaient à actualiser la situation et faire état des derniers échanges épistolaires intervenus entre les parties. Subsidiairement, il a sollicité un renvoi de l’affaire à une audience ultérieure.
DISCUSSION
Sur la procédure :
En vertu de l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision les moyens, explications et documents invoqués par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
L’article 15 du même code dispose également que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquelles elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit en mesure d’organiser sa défense.
En l’espèce, si les conclusions notifiées par l’appelant la veille de l’ordonnance de clôture ne contiennent aucune prétention nouvelle, elles développent en revanche de nouveaux éléments de fait reposant sur de nouvelles pièces qui étaient en sa possession pour certaines depuis plusieurs mois, et pour les plus récentes depuis plusieurs semaines.
Ces documents, qui tendent à établir que les intimés auraient renoncé à se prévaloir de la résolution de la vente alors qu’ils poursuivent au contraire la confirmation du jugement entrepris, appelaient manifestement un examen et une réplique de la part de leur conseil, auxquels ce dernier n’a pas été en mesure de procéder en raison de l’extrême tardiveté de leur production.
En conséquence, la cour estime devoir écarter des débats les conclusions notifiées le 6 février 2023 ainsi que les pièces numérotées 9 à 14 figurant au dossier de l’appelant.
Sur l’action en résolution de la vente :
Suivant l’article 1978 du code civil régissant le contrat de rente viagère, le seul défaut de paiement des arrérages de la rente n’autorise pas en principe le crédirentier à demander le remboursement du capital ou à reprendre le bien aliéné ; il n’a que le droit de saisir et de faire vendre les biens de son débiteur et de prélever sur le produit de cette vente la somme suffisante pour le service de la rente.
Toutefois ce texte n’est pas d’ordre public et une jurisprudence constante reconnaît la validité des clauses résolutoires.
En l’espèce, l’acte conclu entre les parties stipule qu’en cas de non-paiement à son échéance d’un seul terme de la rente, et sans qu’il soit besoin d’une quelconque mise en demeure, les crédirentiers auront droit à 1/30ème du montant mensuel de la rente par jour de retard à titre d’indemnité, sans préjudice du droit d’opter pour la résolution du contrat.
La portée de cette clause n’emporte pas résolution de plein droit en cas de commandement de payer demeuré infructueux, mais ouvre aux crédirentiers la faculté de demander cette résolution en justice, non pas sur le fondement des articles 1224 et suivants du code civil dans leur rédaction actuelle comme l’a retenu le premier juge, mais sur celui de l’article 1184 ancien du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de conclusion du contrat.
En effet, en vertu de ce texte, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des parties ne satisferait pas à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est pas résolu de plein droit, et la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté a le choix soit de forcer l’autre à l’exécution lorsque celle-ci est possible, soit d’en demander la résolution avec dommages-intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
En cas d’inexécution partielle, il appartient aux tribunaux d’apprécier d’après les circonstances si celle-ci est suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat, ou si elle peut être réparée par la seule allocation de dommages-intérêts.
En l’espèce, il est constant que Monsieur [P] [I] restait débiteur, au jour de l’introduction de l’action en justice, des arrérages échus entre le mois d’août 2019 et le mois de juillet 2020, soit depuis une année.
Il ne peut être sérieusement soutenu que cette défaillance serait imputable à un cas fortuit, tenant dans une erreur de sa banque, dans la mesure où il lui appartenait de consulter régulièrement ses relevés de compte.
Il n’est pas établi en outre que les époux [C] disposaient d’un moyen de le contacter malgré son changement d’adresse, comme il le soutient dans ses écritures.
D’autre part, il résulte de ses propres conclusions qu’à la date du 18 mai 2022 il avait réglé les sommes suivantes :
– 3.000,00 euros à la signature de la vente
– 700,00 euros en 2015
– 1.200,00 euros en 2016
– 1.200,00 euros en 2017
– 1.200,00 euros en 2018
– 1.000,00 euros en 2019
– 100,00 euros en 2020
– 1.765,74 euros en 2021
– 523,50 euros en 2022
Il apparaît donc que, contrairement à ses affirmations, il n’avait pas apuré la totalité de l’arriéré après le prononcé du jugement, puisqu’il restait devoir deux échéances pour l’année 2019 et six échéances pour l’année 2020, outre les majorations résultant de la clause d’indexation pour les années 2016 à 2020 et les indemnités de retard stipulées au contrat.
La cour considère dès lors que la défaillance persistante du débirentier justifie le prononcé de la résolution judiciaire de la vente, le jugement entrepris devant être confirmé de ce chef.
Sur la demande en paiement des arrérages échus :
Tant l’article 1184 du code civil que les stipulations précitées donnent au crédirentier la faculté d’opter entre l’exécution forcée ou la résolution de la convention, mais ne lui permettent pas en revanche de cumuler ces deux actions. Le jugement entrepris doit être en conséquence infirmé en ce qu’il a condamné Monsieur [I] au paiement des arrérages échus.
Par suite, la demande reconventionnelle tendant à être totalement exonéré de la clause pénale relative aux majorations de retard s’avère sans objet.
Sur la demande reconventionnelle en restitution des sommes versées :
La résolution judiciaire de la vente entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat et emporte pour le vendeur l’obligation de restituer à l’acquéreur la totalité des sommes perçues en règlement du prix, sans qu’il soit besoin d’une stipulation particulière.
Cette demande est recevable en cause d’appel dès lors qu’elle constitue la conséquence nécessaire des prétentions soumises au premier juge, au sens de l’article 566 du code de procédure civile.
Il convient en conséquence de condamner les époux [C] à restituer à Monsieur [I] la somme de 10.689,24 euros suivant le décompte détaillé plus avant, à parfaire en fonction des arrérages qui auront pu être réglés postérieurement au 18 mai 2022.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Déclare irrecevables les conclusions notifiées par l’appelant le 6 février 2023 ainsi que les pièces numérotées 9 à 14 de son dossier de plaidoirie,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a prononcé la résolution du contrat de vente aux torts de l’acquéreur et condamné ce dernier aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés par la partie adverse,
L’infirme en ce qu’il a condamné en sus Monsieur [I] au paiement des arrérages de la rente, et statuant à nouveau de ce chef déboute les époux [C] de cette prétention,
Y ajoutant,
Condamne solidairement les époux [C] à payer à Monsieur [I] la somme de 10.689,24 euros au titre de la restitution du prix, à parfaire en fonction des arrérages qui auront pu être versés postérieurement au 18 mai 2022,
Condamne Monsieur [I] aux dépens de l’instance d’appel
Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT