Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 11
ARRÊT DU 7 JUILLET 2017
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 15/06494
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Février 2015 -Tribunal de Commerce de PARIS 01 – RG n° 2012078238
APPELANTE
SA CM CAPITAL MARKETS HOLDING (CMH)
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 1]
ESPAGNE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Représentée par Me Frédéric MENGES, avocat au barreau de PARIS, toque : D284 substituant Me Marc PEUFAILLIT, avocat au barreau de PARIS, toque : D284
INTIMES
Monsieur [I] [E] es qualité de mandataire ad’hoc de la société BLUENEXT
domicilié [Adresse 2]
[Localité 2]
SA BLUENEXT
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 2]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Représentés par Me Eve DUMINY, avocat au barreau de PARIS, toque : T12
PARTIE INTERVENANTE :
Monsieur [I] [H] ès-qualités de mandataire ad’hoc de la S.A BLUENEXT
domicilié [Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Représentée par Me Eve DUMINY, avocat au barreau de PARIS, toque : T12
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Mars 2017, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre, et Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre .
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre, chargé du rapport
Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre
M. François THOMAS, Conseiller, désigné par Ordonnance du Premier Président pour compléter la Cour
Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Patrick BIROLLEAU, président et par Mme Cyrielle BURBAN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La SA de droit espagnol CM Capital Markets Holding SA (CMH) intervient dans le négoce des unités de réduction d’émissions certifiées, dit certificats ‘CER’ (Certified Emissions Reductions) résultant du Protocole [Localité 4]. En France, le marché (boursier) d’échange de ces certificats, résultant du Système Européen d’Échange de Quotas (SEEQ), créé par la Directive européenne n° 2003/87 du 13 octobre 2003, était géré par la SA de droit français BlueNext. La société CHM est membre de ce marché et ses rapports avec la société BlueNext sont régis par la Convention d’accès, comportant en annexe les règles de marché, régularisée les 26 décembre 2006 et 24 janvier 2007 initialement avec la société Powernext dont les actifs ont été apportés à la société BlueNext en décembre 2007. Ces documents ont été mis à jour le 26 juin 2008.
Le 12 mars 2010, la société CMH a acquis sur le marché, en trois ordres d’achats, un total de 24.000 CER pour le compte de ses clients, CER qui lui ont été livrés par la société BlueNext selon des transactions dématérialisées et instantanées. 14.000 CER, d’un prix global de 160.300 euros – soit 11,45 euros par CER – se sont cependant révélés périmés comme ayant déjà été antérieurement négociés et utilisés par une société de l’Union européenne auprès de l’autorité administrative dont elle dépendait pour satisfaire à ses obligations en matière de limitation d’émission de CO2.
Dans le cadre du présent litige, les CER non utilisés sont dénommés par les parties ‘CER négociables’, tandis que ceux déjà utilisés pour satisfaire aux obligations en matière de limitation d’émission de CO2 sont dénommés ‘CER recyclés’ ou ‘CER non négociables’ ou encore ‘CER périmés’.
Par lettre du 21 janvier 2011, invoquant tant la limitation de sa responsabilité résultant de l’article 13 c de la Convention d’accès, que le cas de force majeure prévu par l’article 13 k de la même Convention, constitué par l’introduction de CER recyclés sur le marché européen, la société BlueNext a refusé de livrer 14.000 nouveaux CER (non périmés) que lui a demandé la société CHM par sa lettre du 12 janvier précédent. Par deux ordres d’achats des 21 et 25 mars 2011, cette dernière a dû se fournir en nouveaux CER auprès de la société GAZPROM, moyennant le prix de 179.629,09 euros [soit 12,83 euros par CER], dont la société CHM a vainement demandé le remboursement par lettre du 23 mai 2011 auprès de la société BlueNext, valant notification (selon la société CHM) du déclenchement de la procédure de conciliation prévue par l’article 32 de la Convention d’accès.
Le 7 décembre 2012, la société CHM a attrait la société BlueNext devant le tribunal de commerce de Paris. Cette dernière a cessé ses activités de marché à partir du 5 décembre 2012 et a été dissoute par décision de ses associés du 7 février 2014, ayant désigné Monsieur [I] [E] en qualité de liquidateur amiable. La société BlueNext a précisé [conclusions page 6] « qu’après placement sous séquestre des sommes correspondant à l’ensemble des passifs éventuels de la société à l’égard de tiers », ses opérations de liquidation ont été clôturées dès le 10 mars 2014, la société étant radiée le même jour du Registre du commerce et des sociétés (RCS). Par ordonnance du 28 mars 2014 du président de tribunal de commerce de Paris, Monsieur [E], a été désigné en qualité de mandataire ad hoc de la société [dissoute et liquidée] BlueNext avec mission d’intervenir volontairement par voie de conclusions à la présente instance alors pendante devant le tribunal de commerce.
Par jugement contradictoire du 2 février 2015 assorti de l’exécution provisoire avec constitution de garantie, le tribunal de commerce a débouté la société CHM de ses demandes tant d’annulation des offres d’achats, que de dire non-écrites les clauses exonératoires de responsabilité, mais a condamné in solidum la société BlueNext et Monsieur [E] pris en sa qualité de mandataire ad hoc de la société BlueNext, à payer à la société CHM la somme de 80.150 euros (‘correspondant à la moitié des sommes versées par CHM à BlueNext’), majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 7 décembre 2012 et anatocisme, en retenant essentiellement :
– ‘qu’il ne peut être mis à la seule charge de CHM l’aléa de la survenance [sur le marché] de cession de CER recyclés, alors que la société BlueNext a soutenu elle-même ne pas pouvoir les détecter’ ;
– ‘que l’existence de clauses limitatives de responsabilité ne saurait justifier dans ces circonstances qu’un fournisseur ne participe pas, aux cotés de son client qui n’a commis aucune faute, aux défaillances du produit qu’il livre »,
tout en précisant que la société CHM pourra conserver les 14.000 CER recyclés en ayant estimé que leur valeur « s’est évidemment réduite fortement ».
La société CHM a interjeté appel le 24 mars 2015 en intimant la société BlueNext et Monsieur [I] [E], ce dernier « ès qualités de mandataire ad hoc de la société BlueNext ».
Vu les dernières écritures transmises le 22 janvier 2016 par le réseau RPVA par la société CHM, poursuivant la réformation du jugement en sollicitant :
– à titre principal, à nouveau la nullité des ordres d’achat du 12 mars 2010 sur les 14.000 CER non négociables et la condamnation de la société BlueNext, « prise en la personne de son mandataire ad hoc », à lui verser les sommes de :
– 160.300 euros, en restitution du prix versé le 12 mars 2010, majorés des intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2011 et des intérêts au taux légal majoré, sur les montants alloués par les premiers juges, passé le délai de deux mois à compter de la signification du jugement ;
– 19.040 euros au ‘titre du préjudice matériel distinct’, à titre de ‘dommages et intérêts complémentaires, assortis des intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2011″ ;
– 50.000 euros ‘au titre des autres chefs de préjudice’, à titre également de ‘dommages et intérêts complémentaires, assortis des intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2011″ ; tout en priant la cour de dire ‘dépourvue d’objet la restitution des CER périmés’ ;
– subsidiairement, le versement des mêmes sommes assorties des mêmes intérêts ‘à titre de dommages et intérêts en réparation du prix payé à perte pour l’acquisition de 14.000 CER non négociables’, en priant en outre la cour de ‘constater le caractère inopérant des clauses élusives et limitatives de responsabilité’, et, en tout état de cause, de ‘les réputer non écrites’ ;
– plus subsidiairement, le versement de la somme de 100.000 euros majorée aussi des intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2011 et des intérêts au taux légal majoré sur les montants alloués par les premiers juges, passé le délai de deux mois à compter de la signification du jugement, ‘à titre de dommages et intérêts en application de la clause limitative de responsabilité’ ;
– réclamant la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
– en tout état de cause, de dire que les condamnations « demeureront à la charge in solidum de Monsieur [I] [E] ès qualités de liquidateur amiable », dans l’hypothèse où la société BlueNext représentée par son mandataire ad hoc s’avérerait incapable d’exécuter les termes des condamnations ;
Vu les dernières conclusions transmises le 23 septembre 2015 par le réseau RPVA par la société BlueNext, intimée, « représentée par Monsieur [I] [H] ès qualités de mandataire ad hoc désigné en cette qualité par ordonnance du 16 juin 2015 du Premier président de la cour d’appel de PARIS », réclamant la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles et formulant un appel incident en sollicitant :
– à titre principal :
la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de la société CHM d’annulation et de restitution tout en soutenant à titre principal, que la société CHM n’est pas recevable à agir en nullité, ou, subsidiairement, n’est pas fondée à agir en nullité ;
son infirmation en ce qu’il l’a condamnée à indemniser la société CHM à hauteur de la somme de 80.150 euros, en faisant valoir qu’aucune responsabilité ne peut lui être imputée ou, subsidiairement, qu’elle est fondée à se prévaloir d’une clause exonératoire de responsabilité ;
– subsidiairement, en cas d’annulation d’un ou plusieurs contrats du 12 mars 2010, la condamnation de la société CHM à restituer elle-même les 14.000 CER ou à verser leur contre-valeur « pour pouvoir percevoir la somme de 160.300 euros qu’elle réclame », et le rejet des demandes de dommages et intérêts, des intérêts moratoires ;
– plus subsidiairement, si un fait générateur de responsabilité lui était imputé, dire que seule la société BlueNext peut faire l’objet d’une condamnation et, en application de la clause limitative de responsabilité, limiter à hauteur de la somme de 100.000 euros le montant des dommages et intérêts qui seraient alloués en rejetant tant la demande des intérêts au taux légal, tout en faisant valoir que (selon l’intimée) la société CHM ne démontre pas le préjudice d’image qu’elle allègue ;
Vu les dernières conclusions transmises le 23 septembre 2015 par le réseau RPVA par Monsieur [I] [E], agissant ‘ès qualités de mandataire ad hoc chargé de représenter la société BlueNext dans le cadre de la présente procédure’ [avant d’être remplacé par Monsieur [I] [H] à partir du 16 juin 2015], poursuivant l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamné in solidum avec la société BlueNext, en faisant valoir que, selon lui, « Monsieur [E] ès qualités de mandataire ad hoc n’a jamais été partie à la présente procédure » tout en priant la cour de dire que « seule la sociétés BlueNext était susceptible en première instance et demeure susceptible à hauteur d’appel de faire le cas échéant l’objet d’une condamnation ;
SUR CE,
Sur les demandes de nullité des offres d’achats de CER
Considérant que, pour soulever l’irrecevabilité de la demande de nullité des offres d’achats de CER du 12 mars 2010, la société BlueNext soutient d’abord que la société CHM s’est contredite au détriment d’autrui en ayant initialement amiablement demandé, avant toute introduction d’instance, que de nouveaux CER ‘valables’ lui soient livrés en remplacement des 14.000 CER qui lui avaient été délivrés, puis, en introduisant la présente instance en sollicitant successivement :
– la réparation par équivalent sur le fondement de l’inexécution contractuelle, la société BlueNext en déduisant qu’en agissant ainsi, la société CHM a suscité chez BlueNext la croyance légitime que ‘la validité des transactions du 12 mars 2010 n’était pas sujette à débat’ ;
– puis l’annulation des contrats d’achats du 12 mars 2010,
la contradiction entre la première demande et la seconde rendant irrecevable, selon l’intimée, le moyen de la nullité ultérieurement invoqué dès lors que « l’action en nullité qui a pour effet de mettre à néant le contrat, ne tend pas aux mêmes fins que l’action en responsabilité qui laisse subsister le contrat », ce qui n’autorise pas un plaideur, toujours selon l’intimée, « à formuler au cours d’une même instance, des demandes contradictoires ayant des objets distincts » ;
Mais considérant qu’il n’est pas contesté que, devant le tribunal, la société CHM a modifié sa demande principale en sollicitant désormais l’annulation des offres d’achats à titre principal, tout en conservant à titre subsidiaire, sa demande antérieure de réparation du dommage allégué sur le fondement de la mauvaise exécution du contrat, ni que cette évolution dans la formulation de ses prétentions est intervenue à la suite des moyens d’irresponsabilité et de limitation de responsabilité ultérieurement soulevés par la société BlueNext ;
Qu’il apparaît dès lors qu’au cours des débats en première instance, la société CHM a usé de son droit de compléter ses demandes et d’invoquer des moyens nouveaux en réplique à ceux développés par son adversaire, en formulant désormais des prétentions à titre principal différentes dans leur fondement et la reprise, à titre subsidiaire, des prétentions initiales sur les fondements initiaux ; que, ce faisant, l’évolution de la défense de la société CHM ne s’est pas faite au détriment de la défense de la société BlueNext, puisque cette évolution a été provoquée par cette dernière qui a opposé des clauses contractuelles exonératoires et/ou limitatives de responsabilité à la demande initiale, justifiant ainsi l’adaptation des prétentions de la société CHM aux moyens soulevés par la société BlueNext ;
Qu’en conséquence, le principe dit de « l’estoppel » n’a pas lieu de s’appliquer ;
Considérant que la société BlueNext soulève par ailleurs l’irrecevabilité de la demande de nullité des contrats d’achats de CER du 12 mars 2010, au motif que l’acte argué de nullité aurait ultérieurement été implicitement confirmé par la demande d’exécution initialement formulée par la société CHM, puis par sa demande de réparation du préjudice allégué, rendant irrecevable (selon l’intimée) l’action en nullité ultérieurement exercée, l’acte critiqué étant devenu inattaquable ;
Mais considérant, sans qu’il soit nécessaire d’analyser les moyens de la société CHM tendant à soutenir que la nullité invoquée serait absolue, qu’il convient de relever :
– d’une part, que l’analyse de la validité critiquée des ordres d’achats relève d’un examen au fond, de sorte que le moyen de forme d’irrecevabilité de la demande elle-même n’est pas opérant ;
– d’autre part surabondamment, que la demande amiable initiale de remplacer les 14.000 CER livrés par de nouveaux CER en quantité identique mais non ‘déjà recyclés’, constitue une démarche purement amiable de règlement du litige portant essentiellement sur la nature des CER objet de l’offre d’achat du 12 mars 2010, en estimant qu’ils portaient nécessairement sur des titres négociables, ce qui n’a pas eu pour effet de couvrir l’éventuelle nullité susceptible d’affecter l’ordre d’achat lui-même ;
Que dès lors, la demande de nullité des offres d’achats de CER du 12 mars 2010 est recevable en la forme ;
Sur le fond
Considérant, à titre liminaire :
– qu’il n’est pas contesté que, tout comme les deux ordres d’achat litigieux, le troisième des trois ordres d’achats émis le 12 mars 2010 (non inclus dans le présent litige) portait sur 10.000 CER sans davantage de précision, mais que celui-ci, à la différence des deux autres, a été exécuté par la délivrance de 10.000 CER négociables ;
– qu’il résulte de l’article 12 de la Directive européenne (transposée à l’article L.229-14 du code [français] de l’environnement) que, le 30 avril de chaque année « les États membres s’assurent que tout exploitant d’une installation restitue un nombre de quotas ou CER correspondant aux émissions totales de cette installation au cours de l’année civile écoulée [‘] pour que ces quotas ou CER soient ensuite annulés » et que la société BlueNext en déduit elle-même que les États membres, auxquels les industriels restituent des CER ne peuvent pas les revendre ni les ré-introduire sur le marché européen [conclusions intimée page 7 en bas], mais estime, en revanche, que cette annulation ne se fait pas automatiquement [conclusions intimée page 8 en haut], en précisant qu’à l’époque des faits, le marché n’était pas encore réglementairement régulé, son organisation ne dépendant que des règles contractuelles ;
Que la société BlueNext indique aussi qu’en tant « qu’intermédiaire opaque » la société BlueNext assure l’anonymat des intervenants, le vendeur ne connaissant pas l’identité de l’acheteur [conclusions intimée page 9] ;
Que, pour sa part, pour soutenir que les deux offres d’achats litigieuses du 12 mars 2010 de CER sont nulles, la société CHM soutient que l’ordre d’achat portait « par essence » sur des CER négociables, tandis que, en raison de l’instantanéité de l’exécution et du dénouement de l’ordre, la quantité négociée des ordres d’achats a porté sur des CER recyclés, de sorte que, selon l’appelante, les volontés réciproques des parties ne se sont pas rencontrées sur le même objet ;
Mais considérant que, si l’appelante prétend que les offres d’achats qu’elle a émis seraient nuls, il convient de relever que leur validité ne dépend pas de la manière dont ces offres ont ultérieurement été exécutées par la société BlueNext ;
Considérant que la société CHM soutient également que les offres d’achats seraient nulles pour défaut d’économie générale, ‘c’est à dire d’absence de cause subjective’, la cause du versement du prix par la société CHM résidant dans celle de la société BlueNext de délivrer des CER négociables sur le marché [conclusions page 23] ;
Mais considérant qu’il convient de relever que, nonobstant l’instantanéité de l’exécution et du dénouement des ordres, il résulte de la combinaison des articles 8.3 de la Convention d’accès et 41 des Règles de marché que la société BlueNext est réputé avoir donné son consentement dès le couplage des offres [d’achat et de vente] tant à l’égard du membre [du marché] ayant la qualité de vendeur que du membre [du marché] ayant la qualité d’acheteur et que deux contrats distincts se sont alors formés :
– l’un entre BlueNext et le membre vendeur, BlueNext lui devant le prix et le membre vendeur devant à BlueNext la quantité négociée ;
– l’autre entre BlueNext et le membre acheteur, ce dernier devant le prix à BlueNext et celle-ci lui devant la quantité négociée ;
étant observé qu’en raison du rôle d’intermédiaire opaque de la société BlueNext lors du dénouement des transactions, le membre vendeur et le membre acheteur ne se connaissent pas ;
Qu’il s’en déduit que, le 12 mars 2010, c’est la société BlueNext qui a vendu les CER litigieux à la société CMH ;
Considérant par ailleurs que, de l’aveu même de la société BlueNext, les CER déjà utilisés ne pouvant pas (en principe) être réintroduits sur le marché européen, les ordres d’achats du 12 mars 2010 de la société CHM concernaient nécessairement des CER négociables (non recyclés), de sorte qu’au moment tant de leur émission par la société CHM, que de leur évolution en contrat d’achat en raison du consentement (implicitement) donné par la société BlueNext, ils portaient bien sur le même objet, soit l’achat de CER négociables et que c’est à tort que la société CHM prétend que les contrats d’achats auraient été nuls, la volonté des parties s’étant bien rencontrée sur le même objet, soit l’achat de 14.000 CER négociables ; que la société CHM n’est pas davantage fondée à prétendre que les contrats d’achats seraient nuls pour défaut d’économie générale, le prix stipulé correspondant nécessairement à celui de 14.000 CER négociables au cours du jour du dénouement de l’opération ;
Qu’en conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu’il n’a pas accueilli la demande de la société CHM de nullité des contrats d’achats des 14.000 CER ;
Sur les demandes pécuniaires de la société CHM
Considérant qu’en application de l’article 12 du code de procédure civile, il appartient au juge de donner leur exacte qualification aux actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ;
Qu’en demandant, à titre subsidiaire, le versement de la somme de 160.300 euros en principal « à titre de dommages et intérêts en réparation du prix payé à perte pour l’acquisition de 14.000 CER non négociables », la société CHM demande implicitement mais nécessairement, le remboursement du prix payé, dès lors que, contrairement à l’apparence au jour de la délivrance des 14.000 CER litigieux, ceux-ci se sont ultérieurement révélés ne pas correspondre à l’ordre d’achat du 12 mars 2010, étant observé qu’au titre de la nullité initialement alléguée des offres d’achat, la société CHM demandait le paiement de la somme de 160.300 euros, en restitution du prix versé le 12 mars 2010 ;
Que la société CHM est fondée à demander la restitution du prix de 160.300 euros ; que le jugement entrepris sera réformé en ce sens ;
Que, ne s’agissant pas véritablement de dommages et intérêts indemnisant un préjudice, il est sans intérêt, du point de vue de la restitution du prix, d’analyser l’éventuel caractère inopérant ou non écrit des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité ;
Considérant que la société CHM réclame aussi les intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2011 et les intérêts au taux légal majoré, sur les montants alloués par les premiers juges, passé le délai de deux mois à compter de la signification du jugement ;
Mais considérant :
– d’une part, que la date du 21 mars 2011 n’est pas justifiée et que la mise en demeure de payer délivrée par la lettre recommandée du 26 mai 2011 de l’avocat de la société CHM ne portait pas sur la restitution du prix d’un montant de 160.300 euros, mais sur la demande de prise en charge du prix payé à Gazprom pour l’achat de 14.000 nouveaux CER ;
– d’autre part, que la condamnation prononcée par les premiers juges, ne concernait pas davantage la restitution du prix de 160.300 euros, mais le paiement d’une indemnité au titre de la participation à l’indemnisation d’un préjudice,
de sorte que les intérêts au taux légal seront alloués à compter de l’assignation du 7 décembre 2012 valant mise en demeure, étant aussi observé que, même si la société BlueNext s’est opposée à l’anatocisme dans ses écritures, celui-ci n’a pas été formellement sollicité par la société CHM ;
Considérant qu’outre la restitution du prix de 160.300 euros, la société CHM estime aussi avoir subi :
– un préjudice résultant du différentiel de prix à hauteur de la somme de 19.040 euros [dans le dispositif des écritures et de 19.329,09 euros dans leur motivation page 34] pour l’achat sur le marché d’autres CER négociables pour remplacer ceux non négociables que lui avait livrés la société BlueNext ;
– d’autres préjudices à hauteur de la somme totale de 50.000 euros, soit la somme de 30.000 euros au titre du préjudice d’image auprès de ses clients et la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral ;
Mais considérant :
– sur le premier chef de préjudice, que la société CHM ne démontre pas qu’au jour du dénouement de l’opération litigieuse, il existait à la vente sur le marché d’autres CER négociables au prix de 11,45 euros l’unité, de sorte qu’elle ne prouve pas qu’elle aurait pu acquérir les 14.000 CER négociables à un meilleur prix que celui de 12,83 euros par CER auprès de GAZPROM ;
– sur les autres chefs de préjudice (d’image et moral), que la société CHM, qui se borne à en demander l’indemnisation et à affirmer que « même insuffisamment étayés, ces préjudices ne sont pas contestables dans leur existence » et qu’il appartient dès lors à la cour (selon l’appelante) « d’en fixer elle-même le quantum », ne démontre pas leur réalité ; que c’est donc à juste titre que le tribunal les a rejetés, étant observé qu’en raison de la décision à intervenir du chef des demandes d’indemnisation des préjudice allégués, il devient également sans intérêt d’analyser l’éventuel caractère inopérant ou non écrit des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité ;
Sur la demande de condamnation in solidum de Monsieur [E] à titre personnel
Considérant qu’intimé, Monsieur [E] poursuit l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamné in solidum avec la société BlueNext ;
Qu’il résulte de la relation par les premiers juges (non contestée par les parties) de la procédure en première instance que :
– initialement, le 7 décembre 2012, la société CHM a délivré son assignation à la seule société BlueNext ;
– Monsieur [I] [E] est ultérieurement volontairement intervenu à l’instance devant le tribunal, ès qualités de « mandataire ad hoc chargé de représenter la SA BlueNext »,
et que la société CHM ne prétend pas, et a fortiori ne démontre pas, avoir attrait à l’instance Monsieur [E] en une autre qualité, dont notamment celle d’ancien liquidateur amiable de la société BlueNext durant ses opérations de liquidation, ni davantage personnellement ;
Que devant la cour, la société CHM a intimé Monsieur [E] uniquement « ès qualités de mandataire ad hoc de la société BlueNext » ;
Que c’est dès lors à juste titre que Monsieur [E] fait valoir qu’en sa qualité de mandataire ad hoc de la société BlueNext, il n’a jamais été personnellement partie à la présente procédure et que c’est à tort que la société CHM prétend que ce dernier « ne pouvait pas limiter cette intervention à sa seule qualité de mandataire ad hoc » et que « rien n’empêchait la société CHM de former des demandes d’appel en garantie à son encontre en sa qualité de liquidateur amiable de BlueNext » [conclusions page 35] ;
Qu’étant expressément intervenu volontairement en sa seule qualité de mandataire ad hoc à l’époque, de la société BlueNext, il appartenait, le cas échéant, à la société CHM, si elle estimait devoir formuler des demandes à son encontre personnellement, de l’attraire personnellement à l’instance et que, ne l’ayant pas fait, elle est irrecevable à formuler des demandes à son encontre personnellement, ni davantage en sa qualité d’ancien liquidateur amiable de la société BlueNext ;
Sur la demande de restitution des CER recyclés
Considérant que la société BlueNext estime qu’en cas d’annulation, les restitutions sont réciproques, la société CHM devant restituer les CER ‘recyclés’ ou, en cas d’impossibilité, leur équivalent monétaire ;
Considérant que, si les offres d’achats litigieux n’ont pas été annulés, la société CHM bénéficiant de la restitution du prix antérieurement payé, la société BlueNext est, en principe, fondée à solliciter la restitution des 14.000 CER recyclés, fautivement livrés par elle alors qu’ils ne correspondaient pas à l’exécution de l’offre d’achats ;
Mais considérant que la société CHM n’a pas été démentie par la société BlueNext lorsque la première a indiqué [conclusions page 25] que les 14.000 CER ‘recyclés’ ont été bloqués par l’autorité administrative lorsque ceux-ci lui ont été présentés, en exécution des obligations prévues par l’article 12 de la Directive européenne et par l’article L.229-14 du code de l’environnement, de sorte que leur restitution matérielle n’est plus possible ;
Qu’en se bornant à affirmer que leur valeur n’est pas nulle dès lors qu’ils pourraient être revendus en dehors de l’UE, l’intimée n’a pas pour autant démontré qu’ils avaient encore réellement une valeur vénale ; qu’il n’y a pas lieu en conséquence de faire droit à sa demande de restitution par équivalent monétaire ;
Sur les frais irrépétibles
Considérant que, succombant, la société BlueNext ne peut pas prospérer dans sa demande au titre des frais irrépétibles et qu’il apparaît que l’équité ne commande pas d’allouer une indemnité de ce chef à la société CHM, toutes les demandes correspondantes étant, dès lors rejetées, en observant en outre que Monsieur [E] n’a pas formulé de demande au titre de ses frais non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS :
La cour,
RÉFORME le jugement entrepris :
– d’une part, du chef du montant et du fondement de la condamnation de la société BlueNext au bénéfice de la société de droit espagnol CM Capital Markets Holding SA ;
– d’autre part, en ce qu’il a condamné Monsieur [I] [E] in solidum avec la société BlueNext ;
STATUANT À NOUVEAU de ces deux seuls chefs ;
CONDAMNE la SA BlueNext, prise en la personne de Monsieur [I] [H], son mandataire ad hoc en exercice, à restituer à la société CM Capital Markets Holding SA la somme de 160.300 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2012 ;
DÉCLARE la société CM CAPITAL MARKETS HOLDING SA irrecevable dans ses demandes à l’encontre de Monsieur [I] [E] tant personnellement qu’en qualité d’ancien liquidateur amiable de la société BlueNext ;
CONFIRME le jugement pour le surplus, sauf en ce qu’il a aussi condamné in solidum Monsieur [I] [E] au paiement des dépens de première instance ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes respectives d’indemnisation des frais irrépétibles ;
CONDAMNE la SA BlueNext, prise en la personne de Monsieur [I] [H], son mandataire ad hoc en exercice, aux dépens ;
ADMET la SCP AFG (prise en la personne de Maître Alain Fisselier) avocat postulant de la société CM Capital Markets Holding SA, et Maître Matthieu Boccon-Gibod (SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES) avocat postulant de Monsieur [I] [E], chacun pour ce qui le concerne, au bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
C. BURBAN P. BIROLLEAU