COMM.
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 mars 2017
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 469 F-D
Pourvoi n° Q 15-19.761
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ la société Axa Corporate solutions assurance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Allianz IARD, anciennement dénommée Assurances générales de France IART, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ la société Groupe Canal +, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Canal + distribution, elle-même venant aux droits de la société Télévision par satellite TPS,
contre l’arrêt rendu le 7 avril 2015 par la cour d’appel de Paris (pôle 2, chambre 5), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Sogeros, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société [W] [A] – [N] [F] administrateurs associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de Mme [N] [F], en qualité d’administrateur judiciaire de la société Sogeros,
3°/ à la société Brouard-Daudé, dont le siège est [Adresse 6], société civile professionnelle de mandataires liquidateurs, prise en la personne de Mme [H] [J], en qualité de mandataire judiciaire de la société Sogeros,
4°/ à la société Mory Team, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
5°/ à M. [I] [G], domicilié [Adresse 8], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Mory Team,
6°/ à la société Moyrand-Bally, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 9], prise en la personne de M. [P] [X], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Mory Team,
7°/ à la société Helvetia assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10], en qualité d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de la société Mory Team, venant aux droits de Groupama, société anonyme, elle-même venant aux droits de la société GAN Eurocourtage, venant elle-même aux droits de la société Groupama transport,
8°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 11], en qualité d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de la société Mory Team, venant aux droits de Generali France, elle-même venant aux droits de la société Le Continent,
9°/ à la société The British and Foreign Marine Insurance Company Ltd, dont le siège est [Adresse 12] (Royaume-Uni), société de droit étranger, en qualité d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de la société Mory Team,
10°/ à la société Allianz Global Corporate & Specialty, dont le siège est [Adresse 13]), société de droit étranger, dont le siège de la succursale française est [Adresse 14], venant aux droits de la société Allianz Global spécialité France, anciennement Allianz marine et aviation, en qualité d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de la société Mory Team,
11°/ à la société Covea Fleet, société anonyme, dont le siège est [Adresse 15], en qualité d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de la société Mory Team, venant aux droits de la société Mutuelle du Mans assurances,
12°/ à la société Lloyd’s Underwriters, dont le siège est [Adresse 16] (Royaume-Uni), société de droit étranger, en qualité d’assureur de la responsabilité civile professionnelle de la société Mory Team, domiciliée chez et agissant par son mandataire général en France, la société Lloyd’s France, dont le siège est [Adresse 17],
13°/ à la société Helvetia assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10], en qualité d’assureur dommages de la société Mory Team, venant aux droits de Groupama, elle-même venant aux droits de GAN Eurocourtage, venant elle-même aux droits de Groupama transport,
14°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 11], en qualité d’assureur dommages de la société Mory Team, venant aux droits de Generali France, elle-même venant aux droits de la société Le Continent,
15°/ à la société The British and Foreign Marine Insurance Company Ltd, dont le siège est [Adresse 18] (Royaume-Uni), société de droit étranger, en qualité d’assureur dommages de la société Mory Team,
16°/ à la société Allianz Global Corporate & Specialty, dont le siège est [Adresse 13]), dont le siège de la succursale française est [Adresse 14], venant aux droits de Allianz Global spécialité France, anciennement dénommée Allianz marine et aviation, en qualité d’assureur dommages de la société Mory Team,
17°/ à la société Covea Fleet, société anonyme, dont le siège est [Adresse 15], en qualité d’assureur dommages de la société Mory Team, venant aux droits de la société Mutuelle du Mans assurances,
18°/ à la société Ascagne AJ, société d’exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 19], prise en la personne de Mme [N] [F], en qualité d’administrateur judiciaire de la société Sogeros,
défendeurs à la cassation ;
La société Sogeros et les sociétés Ascagne AJ et Brouard-Daudé, ès qualités, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l’appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l’appui de leur recours, le moyen unique de cassation, également annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 8 février 2017, où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme Le Bras, conseiller référendaire rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, M. Graveline, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Le Bras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat des sociétés Axa Corporate solutions assurance, Allianz IARD et Groupe Canal +, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat des sociétés Sogeros, Brouard-Daudé et Ascagne AJ, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Mory Team, de M. [G], des sociétés Moyrand-Bally, Helvetia assurances, Generali IARD, The British and Foreign Marine Insurance Company Ltd, Allianz Global Corporate & Specialty, Covea Fleet et Lloyd’s Underwriters, l’avis de M. Debacq, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 avril 2015), rendu sur renvoi après cassation (2e chambre civile, 14 janvier 2010, pourvois n° 08-11.549 et 09-10.683), que la société Sogeros a consenti le 30 avril 1997 à la société Mory Team une convention d’occupation précaire de locaux à usage d’entrepôt et bureaux pour une durée de deux ans à compter du 1er juin 1997 en s’engageant à y réaliser divers travaux d’aménagement ; que le 18 juin 1998, un incendie a détruit l’entrepôt et toutes les marchandises qu’il contenait ; que les sociétés Groupama transport, aux droits de laquelle est venue la société Helvetia assurances, Generali France, Generali assurances IARD, The British and Foreign Marine Insurance Company Limited, Allianz marine et aviation France, devenue Allianz Global Corporate and Specialty, Mutuelles du Mans assurances, devenue Covea Fleet, Lloyd’s Underwriters, assureurs de dommages de la société Mory Team, (les assureurs) ont indemnisé les propriétaires des marchandises détruites, puis, avec la société Mory Team, ont assigné la société Sogeros en remboursement de la somme versée ; que la société Télévision par satellite (société TPS), aux droits de laquelle est venue le Groupe Canal + SA, venant lui-même aux droits de la SAS Canal + distribution, qui avait également entreposé des matériels et équipements dans ces mêmes locaux en application d’un contrat du 22 novembre 1996 conclu avec la société Mory Team, a été indemnisée par ses propres assureurs, les sociétés Axa Corporate solutions (ACS) et Assurances générales de France (AGF), devenue la société Allianz IARD, lesquelles ont assigné la société Mory Team et ses assureurs en remboursement de la somme versée ; que les sociétés Mory Team et Helvetia assurances ont appelé en garantie la société Sogeros ; que la société Mory Team a été mise en liquidation judiciaire, M. [G] et M. [X] étant désignés en qualité de liquidateurs judiciaires ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société ACS, la société Allianz IARD et le Groupe Canal + font grief à l’arrêt de limiter à la somme de 274 408,23 euros l’indemnité due par les sociétés Helvetia assurances, Generali France IARD, The British & Foreign Marine Insurance Company Ltd, Allianz Global Corporate & Specialty, Covea Fleet et Lloyd’s Underwriters en leur qualité d’assureurs de responsabilité civile professionnelle de la société Mory Team et de les condamner à payer, au prorata, cette somme aux sociétés ACS, Allianz et Canal + distribution alors, selon le moyen :
1°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu’en l’espèce, il ressort des propres constatations de la cour d’appel que le contrat conclu le 22 novembre 1996 prévoyait, à l’article 1er que la société Mory Team s’engageait à fournir à la société TPS « les prestations de services de réception, entreposage, préparation de commandes, distribution et retours des produits et biens commercialisés par le client, ci-après désignés les équipements », que l’article 3 du contrat prévoyait que « la société Mory Team demeure seule et entière responsable de la garde juridique et de la structure physique des équipements confiés », que l’annexe 3 (article 3.3) précisait que « les équipements réceptionnés et stockés dans le cadre du contrat restent la propriété du client et sont confiés en dépôt à Mory Team qui devra en assurer la conservation en leur état d’entrée en stock, dans un entrepôt sain », que le contrat prévoyait, enfin, en son article 5 intitulé « assurances » que « Mory Team déclare avoir assuré les conséquences pécuniaires découlant de sa responsabilité civile délictuelle, quasi délictuelle et contractuelle qu’il pourrait encourir du fait de son activité » ; que la cour d’appel a également constaté que la société Mory Team était responsable des dommages survenus au cours de l’exécution de sa prestation de dépositaire envers la Société TPS ; qu’il s’en déduisait nécessairement l’obligation, pour la société Mory Team, de garantir intégralement ce sinistre ; qu’en limitant à la somme de 274 408,23 euros les sommes dues au titre de la réparation de ce préjudice quand les parties n’avaient instauré aucune clause limitative de responsabilité dans le contrat conclu, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1134 du code civil ;
2°/ que le juge a l’obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu’en l’espèce, il ressort des propres constatations de la cour d’appel que le contrat conclu le 22 novembre 1996 prévoyait, en son article 5 intitulé « assurances » que « Mory Team déclare avoir souscrit un contrat d’assurances dommages garantissant les risques contre incendie, explosion, dégâts des eaux, vols par effraction et pouvant affecter les équipements, à hauteur de 1,8 millions de francs par sinistre. ( ) Le client s’engage à prendre les assurances complémentaires qu’il estimera nécessaires compte tenu de la valeur des équipements soit auprès de ses assureurs, soit par le biais de la société Mory Team. ( ) » ; que cette clause avait pour seul objet d’informer la société TPS de l’existence et du plafond de l’assurance de dommages, c’est-à-dire une assurance de choses, qu’avait souscrite pour son compte la société Mory Team dans l’hypothèse où surviendrait un sinistre endommageant la chose, sans engager pour autant la responsabilité de la société Mory Team ; qu’en considérant que cette clause limitait le dommage prévisible résultant de l’inexécution du contrat pour la société Mory Team à la somme de 274 408,23 euros (1,8 millions de francs), la cour d’appel a dénaturé l’article 5 du contrat du 22 novembre 1996 et violé le principe susvisé ;
3°/ que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; qu’en l’espèce, la société TPS et ses assureurs faisaient valoir que la société Mory Team était parfaitement informée de la quantité de marchandises qu’elle entreposait pour la société TPS puisqu’elle tenait, par application du contrat de dépôt, un journal des mouvements des stocks et qu’elle devait fournir à TPS les états des stocks et le journal desdits mouvements ; qu’elle était également parfaitement informée de leur nature puisque celle-ci était précisée en p.6 du contrat de dépôt du 22 novembre 1996 sous la dénomination « équipements » ; que par conséquent elle connaissait ou devait connaître la valeur des 33 643 terminaux numériques appartenant à la société TPS qu’elle entreposait et qu’il lui était impossible de croire que cette valeur totale était limitée à 274 408 euros ; qu’en retenant, pour limiter l’indemnisation due, que la société Mory Team pouvait légitimement prévoir que la valeur des biens entreposés par la société TPS était limitée à la somme de 274 408 euros, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d’appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que les dispositions de l’article 1150 du code civil qui limitent la responsabilité du débiteur concernent seulement la prévision ou la prévisibilité des éléments constitutifs du dommage et non l’équivalent monétaire destiné à le réparer ; que la perte de l’intégralité des « équipements », quelle qu’en soit la valeur, déposés par la société TPS en son entrepôt était parfaitement prévisible au moment de la conclusion du contrat ; qu’en jugeant que le dommage prévisible au jour de la conclusion du contrat devait être limité à une somme de 274 408 euros correspondant au montant de l’assurance dommages souscrite par le dépositaire lors de cette conclusion, la cour d’appel a, par fausse application, violé le texte susvisé ;
Mais attendu qu’eu égard aux contestations élevées par les parties, la cour d’appel était tenue d’évaluer, en application de l’article 1150 du code civil, le dommage prévisible au moment de la formation du contrat ; qu’ayant relevé qu’il résultait de l’article 5 du contrat conclu le 22 novembre 1996 entre la société Mory Team et la société TPS, relatif aux assurances, que la société Mory Team avait déclaré avoir souscrit un contrat d’assurances dommages garantissant les risques contre incendie notamment, et pouvant affecter les équipements, à hauteur de 1,8 millions de francs par sinistre, le client s’engageant de son côté à prendre les assurances complémentaires qu’il estimerait nécessaires compte tenu de la valeur des équipements soit auprès de ses assureurs, soit par le biais de la société Mory Team et dans ce cas aux tarifs définis dans l’annexe 14 du contrat, c’est par une appréciation souveraine des éléments au débat qu’elle a estimé que ce dommage était limité au montant assuré, de l’accord des parties, par la société Mory Team ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident :