République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 26/01/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/04879 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TJ2H
Jugement n° 2019011281 rendu le 05 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTS
SARL Nath prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège
ayant son siège social [Adresse 3]
Madame [X] [U], gérante de société
née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 7] ([Localité 7]), de nationalité française
demeurant [Adresse 2]
Maître Emmanuel Malfaisan en qualité de commissaire à l’execution du plan de sauvegarde de la SARL Nath
sis [Adresse 4]
représentés par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistés de Me Jérôme Wallaert, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉE
Société In Extenso Nord de France prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 5]
représentée par Me Loïc Le Roy avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Dominique Bordes, avocat plaidant, substitué par Me Jean-Baptiste de Maussion, avocats au barreau de Paris
DÉBATS à l’audience publique du 12 octobre 2022 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Clotilde Vanhove, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023 après prorogation du délibéré du 15 décembre 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 septembre 2022
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société Nath, ayant pour associée unique et gérante Mme [X] [U], exploite un fonds de commerce de bar, brasserie, restaurant à [Localité 6].
Suivant lettre de mission signée les 27 septembre et 3 octobre 2012, la société Nath a passé un contrat de service d’expertise comptable avec la société In Extenso Flandres Artois portant sur la présentation des comptes annuels, reconductible annuellement. Suivant un avenant du 23 novembre 2015 les parties ont prévu une revalorisation des honoraires de la société d’expertise comptable, devenue après une transmission universelle de patrimoine la société In Extenso Nord de France (ci-après ‘In Extenso’).
Entre le 26 avril et le 11 octobre 2017 la société Nath a fait l’objet d’une vérification de sa comptabilité de la période du 1er juillet 2013 au 11 octobre 2016 portant sur la TVA, les bénéfices imposables à l’impôt sur les sociétés et la contribution à l’audiovisuel public. Le 6 avril 2017 la gérante a donné mandat à la société In Extenso de la représenter dans le cadre de cette vérification de comptabilité.
Suite à cette vérification, l’administration fiscale a, le 6 novembre 2017, adressé à la société Nath une proposition de rectification de comptabilité (rappels d’impôts supplémentaires, de TVA et de contribution à l’audiovisuel public), et, le 21 novembre 2017, a adressé à Mme [U] une proposition de rectification de l’imposition sur les revenus considérant que les recettes non déclarées et les charges non justifiées de la société Nath devaient être considérées comme des revenus réputés distribués et imposables au titre des revenus de capitaux mobiliers.
L’administration fiscale a ensuite émis, le 17 juillet 2018, un avis de mise en recouvrement contre la société Nath pour un montant de 192 782 euros incluant des intérêts de retard et des majorations au titre des trois exercices contrôlés et, le 24 septembre 2018, trois avis d’impôt sur le revenu contre Mme [U] pour les années 2014, 2015 et 2016 pour un montant total de 166 253 d’impositions supplémentaires, intérêts et pénalités.
La société Nath et Mme [U] ont formé des réclamations contentieuses par l’intermédiaire de leur conseil, le cabinet Fidal, le 15 novembre 2018, qui seront rejetées par décision du 21 février 2020.
Par jugement du 2 juillet 2018, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de la société Nath et a désigné Me Emmanuel Malfaisan en qualité de mandataire judiciaire ; un plan de sauvegarde a été arrêté par jugement du 28 mai 2019.
Considérant que l’expert-comptable avait manqué à ses obligations contractuelles, la société Nath, Mme [U] et Me Emmanuel Malfaisan, ès qualités de commissaire à l’exécution du plan, l’ont assigné devant le tribunal de commerce de Lille Métropole en paiement de dommages-intérêts par acte du 19 juin 2019.
Par jugement contradictoire du 5 novembre 2020 le tribunal a :
– dit irrecevables les demandes formulées par la société Nath,
– condamné la société In Extenso à payer à Mme [U] la somme de 31 105 euros au titre de sa responsabilité contractuelle,
– condamné la société Nath à payer à la société In Extenso la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société In Extenso à payer à Mme [U] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– laissé à chaque partie la charge de ses dépens, taxés et liquidés à la somme de 115,46 euros en ce qui concerne les frais de greffe.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 30 novembre 2020, Me Malfaisan, ès qualités, Mme [U] et la société Nath ont relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement à l’exception des dispositions condamnant la société In Extenso au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 août 2021 les appelants demandent à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions contestées dans la déclaration d’appel, le confirmer pour le surplus, et, statuant à nouveau, de :
à titre principal,
– déclarer recevable l’action de la société Nath contre la société In Extenso au titre des manquements commis dans le cadre de sa mission de tenue des comptes,
– déclarer recevable l’action engagée par la société Nath contre la société In Extenso au titre des manquements commis dans le cadre du mandat d’accompagnement à la vérification de comptabilité,
– déclarer inopposable à la société Nath la clause limitative de responsabilité contenue dans les conditions générales de vente de la société In Extenso,
– déclarer recevable l’action engagée par Mme [U] à l’encontre de la société In Extenso,
– déclarer inopposable à Mme [U] la clause limitative de responsabilité contenue dans les conditions générales de vente de la société In Extenso,
En conséquence,
– condamner la société In Extenso à payer à la société Nath la somme de 192 782 euros en réparation du préjudice subi en raison des manquements de la société In Extenso au titre de sa mission de tenue des comptes,
– condamner la société In Extenso à payer à Mme [U] la somme de 166 449 euros en réparation du préjudice résultant des manquements de la société In Extenso au titre de sa mission de tenue des comptes,
– la condamner à rembourser à la société Nath et à Mme [U] la somme de 50 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre de la procédure de sauvegarde et des réclamations amiables et contentieuses effectuées auprès de l’administration fiscale dont le montant reste à parfaire,
– la condamner à payer à Mme [U] la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral subi à raison des procédures judiciaires et pénales, conséquences directes des fautes de la société In Extenso,
– la condamner aux intérêts moratoires sur ces deux sommes à compter de l’assignation,
à titre subsidiaire,
– condamner la société In Extenso à payer à la société Nath la somme de 30 022,23 euros au titre de la perte de chance de venir minorer son résultat imposable et la somme de 58 892 euros au titre des majorations et pénalités de retard,
– la condamner à payer à Mme [U] la somme de 158 792 euros en ce compris la somme de 52 656 euros au titre des majorations et pénalités de retard, au titre du différentiel entre la taxation d’office effectuée par l’administration fiscale et l’impôt qu’elle aurait réglé en cas de perception d’une rémunération si la société In Extenso l’avait conseiller correctement,
– condamner la société In Extenso à rembourser à la société Nath et Mme [U] la somme de 50 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre de la procédure de sauvegarde et des réclamations amiables et contentieuses effectuées auprès de l’administration fiscale dont le montant reste à parfaire,
– la condamner à payer à Mme [U] la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral subi à raison des procédures judiciaires et pénales, conséquences directes des fautes de la société In Extenso,
– la condamner aux intérêts moratoires sur ces deux sommes à compter de l’assignation,
à titre infiniment subsidiaire,
– désigner tel expert qui lui plaira aux fins de déterminer le montant de leurs préjudices,
– dire que l’expertise sera conduite aux frais avancés de la société In Extenso,
en tout état de cause,
– débouter la société In Extenso de l’ensemble de ses demandes,
– la condamner à payer à chacune d’elles la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers frais et dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 octobre 2021 la société In Extenso demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit irrecevables les demandes formulées par la société Nath et a condamné cette société à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à Mme [U] la somme de 31 105 euros au titre de sa responsabilité contractuelle et 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– à titre principal, juger que les demandes formées par Mme [U] sont irrecevables comme forcloses et les rejeter,
– à titre subsidiaire, juger les demandes de Mme [U] et de Me Malfaisan infondées,
– en tout état de cause, débouter les appelants de leurs demandes,
– condamner in solidum la société Nath et Mme [U] à lui payer la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.
La clôture de l’instruction est intervenue le 21 septembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 12 octobre suivant. Le délibéré initialement fixé au 15 décembre 2022 a été prorogé au 26 janvier 2023 compte tenu de la charge de travail de la juridiction.
MOTIFS
Sur la forclusion
La société In Extenso invoque l’article 5 des conditions générales d’intervention applicables à la lettre de mission qui stipule que :
Toute action en responsabilité formulée à l’encontre du membre de l’Ordre, fondée sur/ou liée à la conclusion ou à l’exécution de la présente lettre de mission, devra être engagée dans un délai maximum de trois ans à compter de la date de réalisation de la prestation par le membre de l’Ordre. Les parties conviennent que cette date de réalisation correspond à la date du rapport ou de compte-rendu établi par le membre de l’Ordre à l’occasion d’une mission portant sur des comptes ou, pour les autres prestations, à la date de remise des documents fondant la demande en réparation (par exemple et sans que cette liste ne soit exhaustive, une déclaration sociale ou fiscale, un bulletin de paie, un procès-verbal d’assemblée générale) ou à la date de la télédéclaration des informations litigieuses. Par ailleurs cette action devra être engagée dans les trois mois de la connaissance par le client de l’événement susceptible d’engager la responsabilité du membre de l’Ordre.
La société Nath entend voir engager la responsabilité contractuelle de l’expert-comptable à raison de la violation de ses obligations résultant de la lettre de mission ainsi que de son devoir contractuel d’information, de conseil et de mise en garde, à raison de son défaut de coopération avec les organes de la procédure collective et de la violation de ses obligations découlant du mandat, pour demander réparation du préjudice financier lié au contrôle fiscal concernant les exercices du 1er juillet 2013 au 30 juin 2016 et aux frais exposés dans le cadre de la procédure collective et du contrôle fiscal. Mme [U] invoque les mêmes manquements pour mettre en cause la responsabilité délictuelle de l’expert-comptable à son égard et demander réparation de son préjudice financier résultant du contrôle fiscal et des frais exposés dans le cadre de la procédure collective et du contrôle fiscal ainsi que réparation d’un préjudice moral.
Tout d’abord, force est de constater que, d’une part, la société In Extenso ne peut opposer la clause susvisée à l’action en responsabilité fondée sur la violation des obligations résultant du mandat, qui n’est pas soumis à une telle clause, ou à raison de la faute alléguée du défaut de coopération avec les organes de la procédure collective, et, que, d’autre part, elle ne peut l’opposer à l’action en responsabilité engagée par Mme [U] sur le fondement de la responsabilité délictuelle, quand bien même elle se prévaut d’une faute liée à la violation des obligations contractuelles de la société In Extenso, dès lors qu’elle n’est pas elle-même partie au contrat.
S’agissant des demandes formées contre la société Nath sur le fondement de la violation de la lettre de mission, la société oppose le caractère abusif de la clause, et en conséquence non écrit, en application de l’article 1171 du code civil, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au contrat reconduit tacitement.
Toutefois dans la mesure où est en cause l’exécution du contrat sur une période s’achevant nécessairement au 30 juin 2016, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le 1er octobre 2016, le contrat en cause, même renouvelé tacitement depuis l’expiration du premier contrat le 3 octobre 2013, ne pouvait être soumis aux dispositions de l’article 1171 du code civil relatif aux clauses abusives issues de l’ordonnance.
Par ailleurs, la société Nath fait valoir que l’attitude fautive de la société In Extenso, qui ‘a failli dans sa mission d’accompagnement (…) lors de la vérification de la comptabilité de l’administration fiscale’ et ‘a délibérément conservé par devers elle des éléments de comptabilité’, ‘confine à l’exécution de mauvaise foi des missions de tenue de comptes et d’assistance à vérification’ la privant de la possibilité d’invoquer la forclusion. Selon le mandat signé le 6 avril 2017, la gérante de la société Nath a donné pouvoir à la société In Extenso en la personne de [C] [O] de la représenter dans la procédure de vérification de comptabilité, d’accomplir toutes démarches administratives et fiscales, répondre aux questions de l’administration et faire le nécessaire, la représenter dans l’exercice de son droit de contrôle, recevoir à sa demande expresse le vérificateur dans ses propres locaux professionnels, répondre le cas échéant, à toute proposition de rectification, produire les observations nécessaires et accepter toute transaction légitime, et, généralement, faire le nécessaire et assurer le dialogue oral et contradictoire avec le vérificateur et tous agents de l’administration fiscale. Il n’est pas rapporté la preuve d’un manquement spécifique à ces obligations et il est mentionné dans la proposition de rectification du 6 novembre 2017 que, conformément à la demande de la société Nath, la vérification s’est déroulée au cabinet comptable In Extenso, que l’intervention de vérification a eu lieu le 26 avril 2017 en présence de la gérante et de Mme [O], que les fichiers des écritures comptables ont été remis et la proposition de rectification ne fait mention d’aucune difficulté liée à un défaut de collaboration du cabinet d’expertise comptable. Enfin, il ne ressort d’aucun élément du dossier que la gérante aurait eu recours au cabinet Fidal, dont la mission a débuté à compter du 8 décembre 2017 (cf l’état des honoraires et frais du 12 décembre 2017), à raison de l’absence de collaboration de la société In Extenso dans le cadre de son mandat qui était limité à la vérification de comptabilité qui s’est déroulée entre avril et octobre 2017. Dès lors, le moyen tiré de la mauvaise foi de la société In Extenso dans l’exécution de ses obligations ne peut être retenu pour écarter l’application de la clause litigieuse.
Enfin, la société Nath soutient qu’il y a lieu de raisonner comme pour la prescription de l’action en responsabilité dont le point de départ doit être fixé à la date de la réalisation du dommage, soit à l’issue de la procédure dont la notification du redressement fiscal n’est que le point de départ, c’est-à-dire à la date à laquelle une décision définitive est prise sur le redressement fiscal, soit en l’espèce depuis l’admission définitive de la créance du Pôle de recouvrement spécialisé au passif de la société Nath par ordonnance du juge-commissaire 10 décembre 2020.
Toutefois, d’une part, les dispositions relatives à la prescription ne sont pas applicables, sauf dispositions contraires, au délai de forclusion, d’autre part, le contrat prévoit un délai de forclusion dans les trois mois de la connaissance par le client de l’événement susceptible d’engager la responsabilité du membre de l’Ordre. Or cet événement ne se situe pas à la date de l’existence du dommage, mais de la connaissance des faits à l’origine de celui-ci, à savoir les fautes alléguées. Dès lors, c’est à bon droit que le premier juge a retenu que le point de départ pouvait être fixé, au plus tard, au 26 septembre 2018, date à laquelle le conseil de la société Nath a adressé une lettre à l’administration fiscale mettant en cause la responsabilité de son expert-comptable dont il invoque les manquements et le défaut de conseil.
Par conséquent, l’action en responsabilité de l’expert-comptable fondée sur les manquements à la lettre de mission est forclose, en revanche, le délai de forclusion ne peut être opposé à l’action en responsabilité engagée par la société Nath à raison des manquements au mandat ou du défaut de coopération avec les organes de la procédure collective, ni à l’action en responsabilité engagée par Mme [U], qui sont en conséquence recevables.
Sur les demandes de la société Nath
La société Nath reproche à la société In Extenso :
– un défaut de coopération dans le cadre du contrôle fiscal, en violation de ses obligations en vertu de son mandat d’accompagnement dans la vérification de comptabilité : elle soutient que la société In Extenso s’est abstenue d’effectuer toute observation, contestation ou prise de contact avec les organes en charge du contrôle fiscal, l’obligeant à saisir le cabinet Fidal et à engager des frais complémentaires afin d’être effectivement représentée, et qu’elle n’a pu obtenir des documents utiles à la vérification de la comptabilité et des explications sur les écritures passées.
– un défaut de coopération dans le cadre de la procédure de sauvegarde en ne transmettant pas les éléments comptables à son successeur ou au mandataire judiciaire, contraignant celui-ci à solliciter une ordonnance du juge-commissaire pour se voir communiquer les pièces comptables.
Toutefois il n’a pas été démontré de faute dans l’exécution du mandat et un éventuel défaut de collaboration de l’expert-comptable avec les organes de la procédure collective est sans lien avec les préjudices invoqués par la société Nath, à titre principal ou à titre subsidiaire (conséquences financières du contrôle fiscal, frais engagés pour la procédure fiscale et la procédure collective) ; il n’apparaît pas que les manquements retenus par l’administration, qui ont justifié le redressement, seraient liés à un défaut de communication de pièces ou d’explication de l’expert-comptable.
Les demandes de dommages-intérêts formées par la société Nath seront en conséquence rejetées.
Sur les demandes formées par Mme [U]
Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
En l’espèce la lettre de mission met à la charge de la société In Extenso, au titre des interventions récurrentes :
– une mission de tenue de comptabilité, incluant, la gestion du fichier des immobilisations et le calcul des amortissements, la révision de la comptabilité et écritures d’inventaire, l’établissement des comptes annuels et l’analyse des marges d’activité et de la formation du résultat.
– une prestation d’assistance en matière fiscale (production de la déclaration annuelle des résultats, établissement des déclarations périodiques suivantes : TVA, CET, CVAE, DAS 2, contribution solidarité, taxes basées sur les salaires, TVS, IS)
– des prestations de gestion sociales (établissement des bulletins de paie et production des déclarations sociales périodiques et récapitulatives annuelles),
– des prestations d’accompagnement ‘caractérisée par les éléments relationnels suivants: 12 contacts mensuels pour le suivi courant de votre activité au cabinet, une intervention au cabinet donnant lieu à tous échanges de questions/réponses nécessaires à l’élaboration de vos comptes, la prise en compte de toutes demandes de votre part et l’engagement d’une réponse pour chacune d’elles’.
Par ailleurs, les conditions générales de la lettre de mission, rappelant la nature de la mission de présentation des comptes telle que mentionnée dans la ‘Norme professionnelle N 2300 applicable à la mission de présentation de compte’ agréée par arrêté du 20 juin 2011, précisent que : ‘la mission de présentation des comptes est une mission d’assurance de niveau modéré aboutissant à une opinion portant sur la cohérence et la vraisemblance des comptes de l’entité pris dans leur ensemble. Le niveau d’assurance est inférieur à celui d’un audit ou d’un examen limité. Cette mission n’a pas pour objectif de déceler les erreurs, actes illégaux ou autres irrégularités éventuelles. Les travaux à mettre en oeuvre dans ce contexte comprennent notamment :
– une prise de connaissance globale,
– une appréciation des procédures élémentaires d’organisation comptable et de la régularité formelle de la comptabilité,
– une collecte des éléments concourant aux écritures d’inventaire de fin d’exercice,
– une justification des soldes et la réalisation de contrôles de cohérences des principaux comptes,
– un examen critique des comptes dans leur ensemble.’
Il est également précisé que ‘le contrôle des écritures et leur rapprochement avec les pièces justificatives sont effectués par épreuves. L’aspect social fait l’objet de contrôle de cohérence et l’aspect juridique est limité à un contrôle formel des décisions d’assemblées. Ces diligences ne comprennent pas le contrôle de la matérialité des opérations, ni le contrôle des inventaires physiques des actifs de l’entité, ni l’appréciation des procédures de contrôle interne. La mission conduit à l’émission d’une attestation qui fait partie des documents de synthèse remis au client.’
Par ailleurs, en vertu de l’article 155 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable, l’expert-comptable est tenu, dans la mise en oeuvre de ses missions, vis-à-vis de son client ou adhérent, à un devoir d’information et de conseil, dans le respect des textes en vigueur ; le devoir de conseil inclut une obligation d’information du client et une obligation de mise en garde contre les risques découlant d’insuffisances ou d’anomalies constatées et l’obligation d’information implique que l’expert-comptable informe son client des obligations le concernant, des avantages (fiscaux ou autres) dont il peut bénéficier et des conséquences des opérations ou décisions projetées.
Il ressort de la proposition de rectification ainsi que des motifs de la décision rejetant la réclamation contentieuse de la société Nath (décision du 21 février 2020), que le redressement fiscal était motivé par les faits suivants :
– le défaut de caractère probant de la comptabilité résultant de l’absence de justificatif des recettes et du mode de comptabilisation appliqué (recettes globalisées au mois),
– l’absence de sincérité de la comptabilité résultant des incohérences constatées en matière de vente et d’achat de boissons alcoolisées (marges très faibles en 2014 et 2016 et ventes à perte en 2015), des irrégularités constatées sur le compte courant d’associé, de la comptabilisation de charges sans pièces justificatives,
– des dépenses non engagées dans l’intérêt de la société (vêtements, frais de mission, dépenses identifiées comme personnelles, cadeaux, loyers non déductibles),
– des dépenses considérées comme des avantages en nature au profit du gérant (véhicule pour l’année 2016).
Ces éléments ont conduit le service vérificateur à rejeter la comptabilité, à reconstituer le chiffre d’affaire et à procéder à l’évaluation de recettes non déclarées. En conséquence de quoi l’administration a procédé à un rappel d’imposition et taxes et a appliqué une majoration de 40 % pour manquements délibérés sur la rectification en matière de TVA et de bénéfice imposable s’agissant de l’omission de recettes, des dépenses personnelles et des charges non justifiées, considérant que la gravité des carences comptables et les nombreux manquements dans la gestion de la société Nath démontraient une volonté d’éluder l’impôt compte tenu de :
– une omission significative et répétée et des dissimulations de recettes,
– des écritures comptables de régularisation du compte courant d’associé visant à masquer le solde débiteur du compte et à dissimuler des prélèvements dans la société,
– des charges comptabilisées correspondant majoritairement à des dépenses personnelles de la gérante entraînant une confusion entre les patrimoines de la société Nath et de sa gérante,
– la non-utilisation de la caisse enregistreuse, la tenue de recettes globalisées sur des supports papiers ou informatiques traduisant une volonté de ne pas enregistrer comptablement l’intégralité des recettes.
Il n’est pas reproché à la société In Extenso des erreurs ou des omissions dans la présentation même des comptes, ou dans la retranscription des données chiffrées transmises par la gérante, directement à l’origine du redressement fiscal et l’expert-comptable ne peut être tenu pour responsable des manquements de la gérante dans la gestion et la tenue des comptes de la société lui incombant, dans la mesure où l’expert-comptable n’avait qu’une simple mission de présentation des comptes ne comportant pas de contrôle de la conformité formelle. A cet égard, la lettre de mission prévoit que ‘conformément à la législation en vigueur, le client doit prendre les mesures nécessaires pour conserver les pièces justificatives et les documents comptables. Le client devra assurer la sauvegarde des données et traitements informatisés pour en garantir la conservation et l’inviolabilité’ et précise que la société Nath a la responsabilité de la ‘tenue des documents préparatoires à la saisie des journaux comptables suivants : Caisse, annotation des bénéficiaires sur les extraits bancaires, la saisie informatique des journaux suivants : achats, ventes, banque, caisse opérations diverses’.
Toutefois, tenu de procéder à des contrôles par sondage des pièces comptables, l’expert-comptable ne pouvait ignorer les agissements de la gérante non conformes aux obligations comptables s’agissant de :
– l’enregistrement global des recettes par journée, et non de manière détaillée, présentée sur des feuilles manuscrites ou des tableaux type Excel, par type de paiement et taux de TVA avec parfois une répartition forfaitaire entre les différents taux de TVA, notamment sur l’exercice 2014,
– l’absence de toute facture ou pièce justificative des recettes (défaut d’utilisation de la caisse enregistreuse),
– la comptabilisation de charges non justifiées (achats comptabilités en charge sans pièces justificatives).
Il n’a pu par ailleurs ignorer les incohérences apparentes relevées dans le cadre du contrôle fiscal tendant à mettre en doute la régularité et la sincérité des comptes résultant des écritures passées sur le compte courant d’associé de la gérante (apports non justifiés en crédit du compte courant de Mme [U] pour l’exercice 2014, écritures de régularisation passées au débit du compte ‘autres débiteurs divers’ pour l’exercice 2015 ou au débit du compte fournisseur en 2016, pour des montants correspondant au solde débiteur du compte courant).
Or, dans le cadre de sa mission générale de tenue de comptabilité, au titre de son obligation de conseil et de mise en garde, il incombait à l’expert-comptable de s’assurer que son client procédait à l’établissement et à la collecte des pièces justificatives des opérations recensées par la comptabilité, notamment au regard des exigences fiscales, de lui rappeler si nécessaire que la comptabilité doit être véritable et sincère de sorte qu’en cas de contrôle il soit en mesure de présenter une comptabilité probante répondant aux exigences légales et réglementaires et d’attirer l’attention de son client sur ses négligences. Il lui appartenait en outre d’informer son client sur les risques en cas de vérification et les conséquences fiscales de ses décisions.
La société In Extenso ne vient pas démontrer qu’elle aurait fait des diligences nécessaires en ce sens et les carences et négligences du client ne sauraient décharger l’expert-comptable de ses obligations de conseil et de mise en garde. Ainsi il est rapporté la preuve de manquements contractuels de la société In Extenso à l’égard de la société Nath susceptibles d’engager la responsabilité délictuelle de l’expert-comptable à l’égard de Mme [U] s’il en résulte des préjudices pour celle-ci.
Mme [U] ne peut venir réclamer, comme elle le demande à titre principal, réparation d’un préjudice constitué par l’imposition supplémentaire, les intérêts de retard et les pénalités, le préjudice résultant du manquement constaté ne pouvant être constitué que d’une perte de chance.
Cependant dès lors qu’elle ne pouvait pas légitimement penser échapper à toute imposition à l’occasion des opérations litigieuses, dont le caractère irrégulier ne lui était pas inconnu, indépendamment de l’exercice ou non du devoir de conseil et de mise en garde par le comptable, elle ne peut se prévaloir d’une perte de chance d’avoir bénéficié du taux d’imposition le plus favorable ni d’avoir supporté des intérêts de retard et des pénalités, qu’elle invoque à titre subsidiaire. De même, il ne saurait être retenu que les frais liés à la procédure fiscale et à la procédure collective ou le préjudice moral invoquée par l’appelante résulteraient des manquements de l’expert-comptable.
Par ailleurs, comme pour les préjudices de la société Nath, le défaut de coopération avec l’administration fiscale ou les organes de la procédure reproché à l’expert comptable sont sans lien avec les préjudices invoqués à titre principal ou à titre subsidiaire par Mme [U].
Les demandes de Mme [U] doivent alors être rejetées et le jugement déféré réformé en conséquence.
Sur les demandes accessoires
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, le sens de l’arrêt conduit à réformer le jugement s’agissant des dépens et de l’article 700 et il convient de mettre les dépens d’appel à la charge de la société Nath et de Mme [U] et d’allouer à la société In Extenso la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable l’action en responsabilité contractuelle de la société Nath contre la société In Extenso Nord de France fondée sur les manquements à la lettre de mission ;
Déclare recevables l’action en responsabilité contre la société In Extenso Nord de France à raison des manquements au mandat ou du défaut de coopération avec les organes de la procédure collective et l’action en responsabilité engagée par Mme [U] contre la société In Extenso Nord de France ;
Déboute la société Nath de ses demandes ;
Déboute Mme [X] [U] de ses demandes ;
Condamne in solidum la société Nath et Mme [X] [U] à payer à la société In Extenso la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne solidum la société Nath et Mme [X] [U] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles