République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 22/06/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/00597 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UC5Z
Jugement (N° 2018J94) rendu le 17 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Dunkerque
APPELANTE
SAS Général’Auto, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège, [Adresse 3]
représentée par Me Guillaume Guilluy, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué
INTIMÉES
SAS Equip’Men, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 2]
représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Bertrand Jardel, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
SA Axa France IARD prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 1]
représentée par Me Alban Poissonnier, avocat constitué aux lieu et place de Me Jean-Louis Poissonnier, avocat au barreau de Lille, substitué par Me Xavier Jacquelard, avocats au barreau de Lille.
DÉBATS à l’audience publique du 28 mars 2023 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 mars 2023
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FAITS ET PROCEDURE
La société Général’auto exerce dans le domaine du dépannage et de la réparation de véhicules automobiles.
La société Equip’men est spécialisée dans la commercialisation et le montage d’équipement de dépannage sur des véhicules de transport. Elle est assurée auprès de la société Axa.
Selon bon de commande du 1er juillet 2011, la société Général’auto a confié à la société Equip’men la livraison et le montage, pour un prix de 20 664,19 euros TTC, d’un plateau de dépannage sur un véhicule Renault Master acquis auprès de la société SADA Renault Dunkerque et financé au moyen d’un crédit-bail auprès de la société Caisse d’épargne lease.
Le 30 janvier 2017, la société Général’auto a constaté l’apparition de points de rupture et de fissures au niveau des longerons constituant l’ossature du châssis du porte-plateau.
La société Général’auto et son assureur ont mandaté le cabinet [O], expert automobile, aux fins de déterminer les responsabilités en cause. Celui-ci a conclu à la responsabilité de la société Equip’men.
Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre.
La société Général’auto a en conséquence assigné la société Equip’men et son assureur, la société Axa France iard, aux fins d’obtenir leur condamnation à l’indemniser de son préjudice.
Par jugement du 20 juillet 2020, le tribunal de commerce de Dunkerque a désigné avant dire droit Monsieur [V] [U] en qualité d’expert judiciaire.
L’expert a rendu son rapport définitif le 29 décembre 2020.
Par jugement rendu le 17 janvier 2022, le tribunal de commerce de Dunkerque a statué en ces termes :
« Déboute la société GENERAL’AUTO de l’ensemble de ses demandes dirigées à l’encontre des sociétés EQUIP’MEN et AXA FRANCE IARD ;
Condamne la société GENERAL’AUTO à payer à chacune des deux défenderesses la somme de Mille Deux Cent Cinquante Euros (1.250 €) pour indemnités procédurales ;
Condamne la société GENERAL’AUTO aux entiers dépens, incluant ceux du Jugement du 20/07/2020, le coût de la mesure d’expertise et dont frais de greffe liquidés pour débours et formalités sur la présente décision à la somme de 84,48 TTC (= tarifs 05-2018 n°18, n°19, n°20 x3). ».
Par déclaration du 4 février 2022, la société Général’auto a relevé appel de l’ensemble des chefs de cette décision.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions régularisées par le RPVA le 29 avril 2022, la société Général’auto demande à la cour de :
« Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Dunkerque le 17 janvier 2022 en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu’il a débouté la société GENERAL AUTO de l’ensemble de ses demandes dirigées à l’encontre des société EQUIP’MEN et AXA France IARD et en ce qu’elle a été condamnée à verser à chacune des deux défenderesse une somme de 1250 € à titre d’indemnité procédurale ainsi qu’à supporter les entiers dépens d’instance.
Statuant de nouveau :
Vu l’article 1147 ancien du Code Civil,
Vu l’article 1604 du Code Civil,
A TITRE PRINCIPAL
Condamner in solidum les sociétés EQUIP’MEN et AXA à verser à la société GENERAL’AUTO la somme de 46 440 € au titre du coût du remplacement du camion.
SUBSIDIAIREMENT
Condamner in solidum les sociétés EQUIP’MEN et AXA à verser à la société GENERAL’AUTO la somme de 23 150 € au titre du coût de réparation du camion
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
Condamner in solidum les sociétés EQUIP’MEN et AXA à verser à la société GENERAL’AUTO la somme de 35 641.92 € au titre du préjudice de jouissance subi.
Condamner in solidum les sociétés EQUIP’MEN et AXA à verser à la société GENERAL’AUTO la somme de 8.400 € en réparation du préjudice résultant dans l’atteinte à l’image de la société et la perte du chiffre d’affaires.
Condamner in solidum les sociétés EQUIP’MEN et AXA à verser à la société GENERAL’AUTO la somme de 2 000 € pour résistance abusive.
Condamner in solidum les sociétés EQUIP’MEN et AXA à verser à la société GENERAL’AUTO la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles
Condamner in solidum les sociétés EQUIP’MEN et AXA aux entiers dépens d’instance en ce compris les frais d’expertise judiciaire à hauteur de 3000 €. ».
La société Général ‘auto plaide que le véhicule Renault Master était inadapté à la pose d’un plateau de dépannage dont le poids était beaucoup trop important, interdisant de transporter un véhicule particulier. Or c’est précisément pour cette fonction que l’installation d’un plateau avait été confiée à la société Equip’men. Celle-ci n’aurait donc jamais dû poser cet équipement. Il lui appartenait d’alerter la société Général’auto de l’impossibilité d’utiliser son véhicule et non simplement de lui indiquer que la charge utile serait faible. Pire encore, les documents adressés à la société Général’auto par la société Equip’men notifient une charge utile de 1000 kilogrammes, alors qu’elle était en réalité de 306 kilogrammes, hors passagers. La société Equip’men a donc trompé la société Général’auto.
Elle a donc manqué à son obligation de conseil et engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil.
Monsieur [O] ayant en outre conclu au défaut de conformité de l’équipement, la société Equip’men engage également sa responsabilité sur le fondement de l’article 1604 du code civil relatif à l’obligation de délivrance conforme.
La société Equip’men soutient que par la signature du certificat de conformité, la société Général’auto a renoncé à engager la responsabilité de la société Equip’men concernant la détermination de la charge utile. En réalité, elle tente d’opérer une confusion entre le poids à vide réglementé par l’article R312-1 du code de la route et le poids total autorisé en charge (PTAC). Une fois le plateau posé, le véhicule a été pesé à 3140 kilogrammes. La société Equip’men devait nécessairement poser une plaque sur le véhicule reprenant ses caractéristiques techniques. Or cette plaque mentionne un poids à vide de 2275 kilogrammes, bien en deçà du poids réel du véhicule. Cela laissait en théorie une charge autorisée de 1230 kilogrammes, soit suffisamment pour transporter un véhicule léger.
En aucun cas le désordre n’était apparent lors de la prise de possession du bien par la société Général’auto. Sauf à peser le véhicule, ce qui nécessite un équipement adapté, il était impossible de savoir que le poids réel à vide était supérieur à celui indiqué. Le défaut de conformité est avéré.
Toute clause tendant à exclure la responsabilité de la société Equip’men est illégale conformément à l’article 1170 du code civil. Ainsi, la mention prérédigée par la société Equip’men selon laquelle « aucune responsabilité ne pourra être recherchée à l’égard de la société Groupe DLD France concernant la détermination de la charge utile » est sans portée juridique. La circonstance que la société Général’auto est un professionnel de l’automobile n’exonère aucunement la société Equip’men d’interroger le constructeur quant à la compatibilité du matériel envisagé avec le véhicule d’origine.
Aucun défaut d’entretien ne lui est imputable.
Elle a été contrainte de se porter acquéreur dans l’urgence d’un véhicule équipé d’un plateau de portage moyennant un prix de 46 440 euros TTC.
Subsidiairement, elle justifie du coût de remise en état du véhicule pour 23 150 euros. Par ailleurs, si elle ne s’était pas portée acquéreur dans l’urgence d’un nouveau véhicule afin de poursuivre son activité, elle aurait dû louer un camion avec porte-voitures et les loyers y afférents s’élèveraient à ce jour à 35 641,92 euros
Par ailleurs, elle a été contrainte de refuser des missions de dépannage entre le 30 janvier 2017, date de survenance de la panne, et la livraison du nouveau véhicule le 11 février 2017. Durant ces douze jours, faute de pouvoir répondre aux demandes des clients, elle a perdu l’équivalent de dix dépannages par jour à hauteur de 70 euros HT la prestation, soit 8 400 euros.
En outre, la société Equip’men et son assureur ne pouvaient ignorer que leur responsabilité était engagée, notamment après établissement du rapport de Monsieur [O]. Or aucune réponse, ni proposition d’indemnisation n’est parvenue à la société Général’auto. Elles doivent donc être condamnées au paiement d’une somme de 2 000 euros pour résistance abusive. Cette somme aura notamment vocation à réparer le préjudice subi par le gérant de la société Général’auto qui garde le véhicule en panne à son domicile depuis plus de 18 mois.
Par conclusions régularisées par le RPVA le 7 juillet 2022, la société Equip’men demande à la cour de :
« Vu les articles 1147, 1604 et suivant du Code civil,
(‘)
– Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Dunkerque du 17 janvier 2022 en toute ses dispositions,
En conséquence,
– Débouter la société GENERAL AUTO de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– Condamner la société GENERAL AUTO à régler à la société EQUIP’MEN la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
A titre subsidiaire,
– Limiter l’indemnisation de la société GENERAL’AUTO, à titre de perte de chance, à 10 % de la différence entre la valeur d’un véhicule identique en état normal après 9 ans d’usage et 230 000 km, par rapport à la valeur du véhicule litigieux dans son état actuel. ».
La société Equip’men plaide que le rapport de Monsieur [O], non contradictoire et non judiciaire, multiplie les approximations et les erreurs et ne peut en aucun cas servir de fondement à l’action de la société Général’auto.
Elle souligne que dès son devis, elle avait pris soin d’alerter la société Général’auto en caractères majuscules en ces termes : « ATTENTION LA CHARGE UTILE SERA TRES FAIBLE » » La société Général’auto a donc passé commande, en toute connaissance de cause, le 1er juillet 2011.
L’obligation d’information et de conseil du vendeur à l’égard de son client, acheteur professionnel, n’existe que dans la mesure où la compétence de ce dernier ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du matériel vendu. Or la société Général’auto est un dépanneur/garagiste professionnel parfaitement au fait de ces questions de poids qui sont la base même de son activité de transporteur de véhicules en panne. Dès lors, elle n’avait aucune obligation d’information et de conseil à son égard.
Avant la livraison, le véhicule aménagé a fait l’objet d’une demande d’autorisation de mise en circulation auprès de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (la DREAL), qui a délivré la carte blanche. Parmi les pièces soumises à la DREAL figure un certificat de carrossage en date du 18 novembre 2011, établi par la société Général’auto elle-même, qui fait état d’un véhicule d’un poids total en charge (PTAC) de 3,5 tonnes, d’un poids à vide (PV) de 2,275 tonnes hors passagers et d’une charge utile (Chargement) de 1 tonne. Contrairement à ce que retient l’expert, rien dans les pièces transmises ni dans ses constatations ne permet d’affirmer que le certificat de carrossage a été rédigé par la société Equip’men, puis soumis à signature de la société Général’auto.
Les procès-verbaux de contrôle technique font obligatoirement mention du poids du véhicule sur chaque essieu (avant et arrière). La société Général’auto disposait donc, chaque année depuis la fin 2012, si tant est qu’elle l’ignorait auparavant, d’une information précise sur le poids à vide du véhicule et par conséquent de sa charge utile.
Le matériel a été installé conformément à la commande. Aux termes du certificat de conformité, la société Général’auto a accepté la réception du produit livré. La facture de la société Equip’men souligne une fois de plus, toujours en lettres majuscules : « ATTENTION LA CHARGE UTILE SERA TRES FAIBLE ». Ainsi, depuis l’origine, la société Général’auto, est parfaitement informée des limites d’utilisation de ce véhicule, qu’elle a accepté en toute connaissance de cause. Il est établi qu’aucune différence entre le bien livré et sa commande n’a été relevée par la société Général’auto.
Les conditions générales de vente de la société Equip’men, en leur article 7 « Garantie », rubrique « Exclusion de garantie », disposent très clairement que : « La garantie ne joue pas pour (…) les vices apparents. Sont également exclus les défauts et détériorations provoquées (…) par une utilisation anormale. » Or la cour ne pourra que relever que l’expertise montre que c’est l’usage, dans la plus parfaite illégalité, du véhicule, qui est la cause des défauts apparus.
Contrairement aux affirmations de la société Général’auto, la clause limitative de responsabilité figurant dans les conditions générales de vente de la société Equip’men ne vise pas à exclure sa responsabilité pour son obligation essentielle. Cette clause vise bien « la détermination de la charge utile ». En effet, l’obligation essentielle de la société Equip’men est de livrer et de poser le plateau de dépannage commandé. Aucune clause n’exclut cette responsabilité.
Le véhicule a été utilisé pendant 5 ans, et encore pendant le cours de la procédure, sur plus de 34 000 kilomètres, alors que la société Général’auto prétend avoir acquis un véhicule de remplacement dans les années qui ont suivi la livraison. Le procès-verbal de contrôle technique du 22 mars 2016 témoigne de ce que ce véhicule était très mal entretenu.
En tant que de besoin, le préjudice subi en cas de manquement au devoir de conseil est analysé comme une perte de chance de ne pas contracter et ne peut être qu’une fraction de ce préjudice.
La société Général’auto est toujours propriétaire du véhicule Renault Master. Elle l’a utilisé sans restriction durant près de 9 années et il affiche plus de 230 000 kilomètres au compteur. Seule une interdiction formelle de l’expert semble l’avoir conduite à l’immobiliser. Elle a donc parfaitement amorti son acquisition. Dès lors, on voit mal comment la société Equip’men pourrait être tenue de la prise en charge d’un véhicule neuf. La perte de chance ne peut donc être évaluée à plus de 10%.
La demande à hauteur de 8 400 euros pour indemniser la perte prétendue de dix dépannages par jour durant douze jours n’est pas établie et ne repose sur aucun élément. Elle sera également écartée.
La société Général’auto demande à titre subsidiaire le coût de remise en état du véhicule. La cour ne pourra que rejeter cette demande, puisque cette réparation viserait à remettre en état d’usage un véhicule dont elle prétend qu’il ne peut pas lui rendre le service attendu.
A l’identique, le coût d’une location ne saurait être supporté par la société Equip’men. En effet, si cette location est effectivement une charge, elle permet de dégager du chiffre d’affaires et de la marge. Or rien ne permet de déterminer la perte réelle de marge brute de la société Général’auto. Par ailleurs, une fois de plus, le chiffrage unique de cette location n’a pas été validé par un expert judiciaire. En tout état de cause, la société Général’auto indique disposer d’un véhicule neuf rendant le service attendu par le véhicule litigieux, elle n’a donc procédé à aucune location.
La demande d’indemnisation de 2 000 euros sur le terrain de la résistance abusive sera également rejetée.
Par conclusions régularisées par le RPVA le 28 juillet 2022, la société Axa France Iard demande à la cour de :
« Vu le jugement entrepris,
Vu les conclusions de GENERAL’AUTO signifiées le 29 avril 2022
Vu les conclusions d’ EQUIP’MEN signifiées le 7 juillet 2022,
Vu les conditions générales du contrat d’assurance entre AXA et EQUIP’MEN
Dire bien jugé, mal appelé,
Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société GENERAL’AUTO de l’ensemble de ses demandes en l’absence de démonstration d’une faute commise par la société EQUIP’MEN.
À défaut, en cas de réformation du jugement :
Juger que c’est à bon droit et à juste titre que la société AXA France IARD se prévaut de son exclusion de garantie 4.29 relative aux frais engagés pour « réparer, parachever ou refaire le travail » et pour « remplacer tout ou partie du produit »
Débouter en conséquence la société GENERAL’AUTO de toutes ses demandes, fins et conclusions, notamment au titre de son dommage matériel qui correspond aux frais de remplacement de la dépanneuse, produit du travail réalisé par la société EQUIP’MEN.
Subsidiairement,
Réduire strictement les sommes allouées au titre du préjudice matériel (remplacement de la dépanneuse) en tenant compte de la part de responsabilité de la société GENERAL’AUTO dans la survenance de ce préjudice et en ce que ce préjudice correspond à une perte de chance, évaluée à 10 % de la différence entre la valeur d’un véhicule identique en état normal après 9 ans d’usage et 230 000 km, par rapport à la valeur d’un véhicule litigieux dans son état actuel.
La débouter de sa demande au titre de ses préjudices de réparation de la dépanneuse, de jouissance, préjudice d’atteinte à l’image et de perte de son chiffre d’affaires, préjudices non établis tant dans leur principe que dans leur montant et de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive elle-même injustifiée tant dans son principe que dans son montant.
En toute hypothèse, limiter strictement le quantum de toute condamnation et déduire au bénéfice d’AXA le montant de la franchise de 10 % du (des) préjudice(s), avec un minimum de 500 € et un maximum de 2.200 €.
Condamner la société GENERAL’AUTO à payer à la société AXA France IARD la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles. »
L’assureur plaide que le tribunal a parfaitement jugé que la société Général’auto n’établissait aucune faute commise par la société Equip’men. Celle-ci a en effet livré un matériel conforme à la commande et a alerté sa cliente, professionnelle de l’automobile, que la charge utile serait faible. La société Général’auto a toutefois utilisé le véhicule comme une dépanneuse pour tout véhicule et donc pour ceux excédant largement la charge utile de 1 000 kilogrammes.
L’assureur fait ainsi sienne l’argumentation de son assurée et demande la confirmation du jugement.
Il rappelle à titre subsidiaire que la prestation contractuelle elle-même n’est jamais assurée, qu’il s’agisse du produit livré ou du travail effectué.
Sur les préjudices, il se rapporte à nouveau à l’argumentation de la société Equip’men
En cas de condamnation, il demande que soit déduite la franchise opposable aux tiers de 10% du préjudice avec un minimum de 500 euros et un maximum de 2 200 euros.
Il conclut que la résistance à paiement est fondée et exclusive de tout abus.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2023.
SUR CE
I – Sur les demandes indemnitaires de la société Général’auto
Aux termes de l’article 1604 ancien du code civil, la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur.
Ces dispositions obligent le vendeur à livrer une chose conforme à ce qui avait été convenu entre les parties.
Aux termes de l’article 1156 ancien du code civil, il convient de rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes.
Aux termes de l’article 1162 ancien du code civil, dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation.
Aux termes de l’article 1602 ancien du code civil, le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige. Tout pacte obscur ou ambigu s’interprète contre le vendeur. Ces dispositions dérogent à celles de l’article 1162 ancien du code civil.
Aux termes de l’article 1131 ancien du code civil, l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.
Aux termes des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.
L’article L 110-3 du code de commerce précise qu’à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi.
1) Sur la faute reprochée à la société Equip’men
La société Général’auto reproche à la société Equip’men de ne pas avoir mis à sa disposition une chose correspondant au but recherché par elle, à savoir l’utilisation du véhicule à usage de dépanneuse.
Il ressort des pièces du dossier qu’elle a commandé, auprès de la concession Renault de Dunkerque, un châssis-cabine Renault Master, et auprès de la société Equip’men, une plate-forme porte-véhicules, afin de disposer, après montage, d’un véhicule professionnel à usage de dépanneuse.
La société Equip’men se prévaut de ce qu’elle a indiqué, tant sur le bon de commande daté du 1er juillet 2011 que sur la facture du 29 novembre 2011 remis à la société Général’auto : ‘attention, la charge utile sera très faible »’.
Outre qu’elle est mal fondée à se prévaloir de l’utilisation de lettres majuscules, commune à toutes les mentions desdits documents, il doit être souligné que l’expert judiciaire, après avoir mis en relief que le passage à la DRIRE avait été facturé à la société Général’auto pour la somme de 300 euros et que le certificat de carrossage avait été prérempli et adressé par la société Equip’men à sa cliente pour signature, a observé que ce certificat indiquait un poids à vide de 2275 kilogrammes et un poids autorisé en charge de 3500 kilogrammes, autorisant une charge maximale de 1000 kilogrammes avec conducteur et passager. Or le poids réel à vide était de 3194 kilogrammes, la charge utile du véhicule une fois monté n’étant donc en réalité que de 306 kilogrammes alors que le poids des véhicules particuliers et utilitaires qu’il était supposé transporter variait de 1000 kilogrammes à 2500 kilogrammes.
L’imprécision de l’avertissement figurant sur les documents contractuels, associée au caractère erroné des mentions figurant sur le certificat de carrossage, ne pouvait qu’induire en erreur la société Général’auto sur l’usage qu’elle pouvait faire du véhicule, et ce malgré sa qualité de professionnelle de l’automobile.
L’expert judiciaire a conclu que le plateau n’aurait jamais dû être monté par la société Equip’men, professionnelle de l’aménagement des véhicules de dépannage, sur le châssis-cabine, qualifiant l’équipement d’inexploitable, recoupant en cela les conclusions de l’expert privé de la société MAAF.
La société Equip’men est mal fondée à contester être à l’origine des mentions pré-remplies figurant sur le certificat de carrossage, alors même qu’elle a facturé cette prestation à la société Général’auto.
Elle ne saurait par ailleurs se dédouaner de sa responsabilité concernant les mentions qu’elle a fait figurer sur ledit certificat en arguant que la société Général’auto aurait pu, en additionnant les mesures de poids figurant sur les procès-verbaux de contrôle technique du véhicule, se rendre compte de la différence existante entre le poids à vide déclaré et le poids à vide réel, cette dernière n’ayant eu aucun motif, avant l’apparition des fissures, de s’interroger et de procéder à de telles vérifications.
Or, au regard des mentions portées sur le certificat de carrossage, la société Général’auto a légitimement pu penser qu’elle pouvait charger le véhicule jusqu’à 1 000 kilogrammes, ce qui correspondait au poids de certains véhicules particuliers mais limitait déjà considérablement les possibilités d’utilisation de sa dépanneuse, suffisant à expliquer la mention ‘la charge utile sera très faible’.
Contrairement à ce que plaide la société Equip’men, le vice n’était donc pas apparent.
Elle ne peut pas davantage se prévaloir de l’article 14 de ses conditions générales de vente, aux termes desquelles ‘l’acquéreur reconnaît par la présente expressément que le poids à vide de l’équipement, objet de la commande, résulte non seulement du porte-plateau choisi, augmenté du poids des accessoires, mais aussi du poids du châssis-cabine. L’acquéreur reconnaît également qu’il lui appartient de façon exclusive de déterminer la charge utile en conformité avec la réglementation applicable, et que dès lors aucune responsabilité ne pourra être recherchée à l’égard de la société Equip’men concernant la détermination de la charge utile.’
Cette clause, dont la société Général’auto ne nie pas avoir eu connaissance, doit en effet être interprétée comme obligeant l’acquéreur à calculer la charge utile du véhicule afin de ne pas excéder les limitations légales, ce qui en l’espèce, compte tenu des indications fournies par la société Equip’men, permettait à la société Général’auto de déterminer une charge maximale de 1000 kilogrammes.
Toute autre interprétation priverait de sa substance l’obligation essentielle du débiteur de livrer un véhicule conforme à sa destination.
Il convient donc de constater que la société Equip’men a fourni à la société Général’auto, sous le couvert d’indications de poids erronées, un véhicule qui ne pouvait aucunement servir à l’usage auquel il était destiné, manquant à son obligation de délivrance conforme.
2) Sur la réparation des préjudices
a – sur le préjudice matériel
La société Général’auto verse aux débats une facture de la société DED Europe en date du 11 février 2017 portant sur l’achat d’un véhicule neuf pour un prix de 46 440 euros TTC, ainsi qu’un devis établi le 14 mars 2019 par la société Fiault pour un montant de 23 150 euros nets, correspondant au coût de l’achat et de l’installation d’un autre plateau porte-véhicules sur le châssis-cabine Renault Master.
Il sera rappelé que l’expert judiciaire a souligné que le véhicule n’était ‘plus réparable, car la remise en état dépasserait significativement sa valeur résiduelle’, estimé ‘au regard de son état avec les cassures et fissures des châssis, de ses caractéristiques, de son kilométrage, à une somme de l’ordre de 1000 €’.
Le véhicule a effectivement été utilisé de janvier 2012 à la fin de l’année 2020, l’expert judiciaire ayant relevé 230 300 kilomètres au compteur lors de la réunion contradictoire du 28 octobre 2020.
Or la société Général’auto ne produit aucun élément sur sa durée d’amortissement. Elle ne justifie ni de l’ampleur de son parc ni de ses dotations aux amortissements, ne produisant d’ailleurs aucune pièce comptable aux débats.
Il peut cependant être observé, d’une part, que le crédit-bail accordé par la société Caisse d’épargne Lease pour le financement du châssis-cabine avait une durée de 48 mois, d’autre part, qu’elle a acquis son nouveau véhicule dès le mois de février 2017, avant même de connaître les conclusions de l’expert de son assureur.
La société Général’auto n’apporte donc aucun élément sur la réalité de son préjudice matériel.
Si la société Equip’men a pu conclure que son indemnisation pourrait se monter ‘à titre de perte de chance, à 10 % de la différence entre la valeur d’un véhicule identique en état normal après 9 ans d’usage et 230 000 km, par rapport à la valeur du véhicule litigieux dans son état actuel’, la société Général’auto n’a même pas jugé utile de justifier de ce qu’aurait été ‘la valeur d’un véhicule identique en état normal après 9 ans d’usage et 230 000 km’.
Elle est donc totalement défaillante dans la preuve qui lui incombe et sera déboutée de sa demande au titre de son préjudice matériel.
b – sur le préjudice de jouissance
La société Général’auto argue que si elle ne s’était pas portée acquéreur dans l’urgence d’un nouveau véhicule, elle aurait dû louer un camion avec porte-voitures.
Ce préjudice purement hypothétique ne saurait lui ouvrir droit à la moindre indemnisation.
Il sera rappelé que la date d’achat de son nouveau véhicule ne permet pas de conclure qu’il était destiné à remplacer le véhicule litigieux, les conclusions expertales n’étant pas encore connues en février 2017, la société Général’auto ayant d’ailleurs continué à l’utiliser jusqu’à ce que l’expert judiciaire lui demande de l’immobiliser.
Elle ne peut qu’être déboutée de sa demande de ce chef.
c – sur le préjudice d’image et de perte de chiffre d’affaires
C’est de manière purement péremptoire que la société Général’auto prétend avoir été contrainte de refuser des missions de dépannage entre le 30 janvier 2017, date de survenance de la panne, et la livraison de son nouveau véhicule, le 11 février 2017.
Elle ne justifie donc aucunement avoir perdu ‘l’équivalent de dix dépannages par jour à hauteur de 70 euros HT la prestation, soit 8 400 euros’.
Elle ne peut qu’être déboutée de sa demande.
3) Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
Aux termes des articles 1382 et 1383 anciens, devenus 1240 et 1241 nouveaux du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
La résistance abusive se définit par le fait d’opposer à une action en justice des arguments de mauvaise foi et manifestement infondés, la simple défense à une action en justice ne pouvant constituer un abus de droit.
Le comportement procédural de la société Equip’men et de la société Axa France Iard dans le cadre de la présente instance ne révèle aucune résistance abusive, étant rappelé qu’aucune condamnation n’a été prononcée à leur encontre en raison de la carence probatoire de la société Général’auto.
Celle-ci sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Par ces motifs substitués à ceux des premiers juges, la décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a débouté la société Général’auto de l’ensemble de ses demandes indemnitaires.
II – Sur les demandes accessoires
1) Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
L’issue du litige justifie de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel, hormis les frais d’expertise judiciaire qui seront mis à la charge de la société Equip’men. La décision entreprise sera réformée de ce chef.
2) Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Le sens de la présente décision sur les dépens justifie de débouter les parties de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles.
La décision entreprise sera infirmée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 17 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Dunkerque en ce qu’il a débouté la société Général’auto de l’ensemble de ses demandes ;
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens, à l’exception des frais d’expertise judiciaire qui seront supportés par la société Equip’men.
Le greffier
Marlène Tocco
Le président
Samuel Vitse