COMM.
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 septembre 2016
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 737 F-D
Pourvoi n° P 15-10.376
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société […] , anciennement société […] , société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
contre deux arrêts rendus les 20 août 2014 et 12 novembre 2014 par la cour d’appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l’opposant à la société […] , société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 21 juin 2016, où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société […] , de la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat de la société […] , l’avis de M. Le Mesle, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 20 août 2014 rectifié le 12 novembre 2014), que la société […] (la société […]) a acheté à la société […] , aux droits de laquelle est venue la société […] , devenue la société […] (la société […]), un corps de chauffe destiné à remplacer la chaudière de son usine ; que la réception du matériel, qui était prévue le 31 juillet 2008, est intervenue le 8 septembre suivant et sa mise en route le 30 septembre 2008 après réparation de défauts ; qu’invoquant une faute lourde de la société […], privant cette dernière du bénéfice de la clause limitative de responsabilité figurant dans l’acte de vente, la société […] l’a assignée en réparation de ses préjudices ;
Attendu que la société […] fait grief à l’arrêt, tel que rectifié, d’accueillir ces demandes alors, selon le moyen :
1°/ que le créancier doit s’abstenir de prendre toute mesure intempestive susceptible d’aggraver son dommage qui n’est pas nécessaire à la préservation de ses intérêts; que le responsable du dommage ne saurait se voir imputer les développements du dommage imputables à une telle initiative lorsqu’elle est inopportune et injustifiée ; qu’en l’espèce, la société […] faisait valoir que la société […], bien qu’avertie du retard de livraison dès le mois de juillet, puis à plusieurs reprises au cours de l’été, avait pris l’initiative unilatérale, et sans en informer préalablement sa contractante, de démonter l’ancien corps de chauffe qui était pourtant en état de fonctionnement et de louer une chaudière de remplacement fonctionnant au fioul ; que la cour d’appel a expressément admis que « P… pouvait sans doute attendre pour procéder à la dépose d’avoir reçu le matériel commandé à I… » ; qu’en retenant cependant que « l’obligation de trouver une solution transitoire a découlé du retard imputable à I… » pour imputer en conséquence à la société […] la réparation du coût de location d’une chaudière de remplacement, de fourniture de fioul, de pompage et évacuation des déchets, sans rechercher si le créancier était tenu pour préserver ses intérêts de prendre cette mesure intempestive qui était à l’origine directe de l’aggravation de son dommage, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1149 et 1151 du même code ;
2°/ que le silence d’un contractant ne saurait suffire à valoir acquiescement aux allégations de son partenaire contractuel ; qu’en l’espèce, il ne résultait ni du bon de commande du 3 mars 2008, ni de l’accusé de réception de la commande du 31 mars 2008, ni d’aucun autre échange entre les parties, que la société […] aurait spécifié, avec l’accord de la société […], que le délai de livraison du corps de chauffe était impératif et qu’elle procéderait à la dépose de son ancien corps de chauffe; qu’en affirmant que la société […] avait rappelé par un courrier du 13 août 2008, dont la société […] n’a pas contesté la teneur », que « la chaudière en place qui équipait l’usine de P… devait être retirée et remplacée pendant la période de fermeture de l’usine au mois d’août 2008», sans relever aucun élément objectif, autre que les déclarations unilatérales de la société […], qui aurait traduit un accord des parties sur le remplacement de la chaudière à la date convenue de livraison du nouvel équipement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du code civil ;
3°/ que seul est réparable le préjudice certain et précisément quantifié dont il appartient au demandeur de rapporter la preuve ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément admis que la société […] ne justifiait pas du surcoût de consommation de la chaudière de remplacement fonctionnant au fioul par rapport au coût escompté de fonctionnement de la chaudière commandée à la société […] ; qu’en affirmant que « le surcoût est certain » et que « le préjudice sera réparé à hauteur de 100 000 euros tenant compte de l’économie réalisée, faute de justificatifs plus détaillés », lorsqu’il ne résultait pas de ses constatations qu’elle avait précisément pu évaluer le surcoût de fonctionnement allégué, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1149 et 1151 du même code ;
4°/ que ne constitue pas un préjudice réparable le coût d’une expertise que la victime aurait en toute hypothèse été tenue de diligenter en vertu de dispositions réglementaires qui s’imposent à elles, quand bien même le fait dommageable ne se serait pas produit ; qu’en l’espèce, la société […] soulignait qu’en sa qualité d’ensemblier, la société […] était tenue de diligenter une expertise pour s’assurer que l’équipement satisfaisait aux exigences essentielles de sécurité de sorte que le coût des expertises APAVE et Bureau Veritas ne constituait pas un préjudice réparable ; qu’en se bornant à affirmer que l’intervention de la société d’expertise APAVE était « directement imputabl(e) à la carence de I… », sans à aucun moment vérifier que la société […] aurait pu se dispenser de cette expertise dans l’hypothèse même où le corps de chauffe aurait été opérationnel à la date impartie, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1149 et 1151 du même code, ensemble des dispositions du décret n° 99-1046 du 13 décembre 1999 relatif aux équipements sous pression et de celles de l’arrêté 15 mars 2000 relatif à l’exploitation des équipements sous pression ;
5°/ que le créancier contractuel ne peut prendre l’initiative de faire exécuter par un tiers les travaux prévus au contrat sans solliciter préalablement la désignation d’un expert judiciaire chargé de déterminer les mesures nécessaires à accomplir et obtenir une autorisation du juge ; qu’en l’espèce, la société […] faisait valoir que la société […] ne pouvait obtenir réparation du montant des travaux accomplis par la société […] , faute pour elle d’avoir sollicité la désignation d’un expert judiciaire « afin de déterminer les mesures nécessaires pour remédier aux prétendus désordres affectant l’installation »; qu’en se bornant à affirmer que la société […] s’était opposée à ce que les travaux soient réalisés par un tiers (la société […] ), d’une part et que l’intervention réalisée par ce dernier était « directement imputable à la carence de I… » d’autre part, lorsqu’elle n’avait nullement constaté que cette intervention aurait été jugée nécessaire par un expert judiciaire et ni qu’elle aurait été préalablement autorisée, la cour d’appel a violé l’article 1154 du code civil ;
6°/ que le retard dans l’exécution d’une obligation contractuelle n’engage la responsabilité du débiteur que s’il est la cause du dommage allégué, la preuve du lien de causalité incombant au demandeur à la réparation ; qu’en l’espèce, la société […] faisait valoir que la société […] était en toute hypothèse tenue en tant qu’ « ensemblier » de prendre toutes diligences nécessaires, avant la remise en service de l’installation, pour faire vérifier les accessoires de sécurité, les accessoires de pression ainsi que les travaux divers par un organisme habilité, sous le contrôle de la DRIVE ; qu’elle en déduisait que la société […], qui ne démontrait pas avoir effectué ces diligences dès la date de livraison du corps de chauffe le 8 septembre 2008, n’établissait pas le lien de causalité entre le dommage tenant à l’absence de remise en service immédiate de l’installation et les dysfonctionnements relevés (absence de picots, problèmes de soudure) ; qu’en se bornant à relever que le corps de chauffe, livré le 8 septembre 2008, n’avait été opérationnel que le 30 septembre 2008, pour ordonner la réparation par la société […] du coût de location d’un appareil de remplacement, sans à aucun moment constater que la société […] avait effectué dès la date de livraison du corps de chauffe le 8 septembre 2008 les diligences qui lui incombaient au titre de sa qualité d’ensemblier et qui étaient nécessaires à la mise en service de l’appareil, quelles qu’aient été au demeurant les conditions d’exécution de l’obligation de la société […], la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1149 et 1151 du même code ;
7°/ que seule constitue une faute lourde, assimilable au dol exclusive de l’application d’une clause de non-responsabilité, la faute d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur contractuel ; que la faute lourde ne saurait être retenue à l’encontre d’un fabricant à raison d’une livraison tardive de l’équipement vendu lorsqu’il a pris soin d’aviser l’acquéreur du retard de livraison et qu’il était dans l’ignorance de l’ampleur des conséquences dommageables d’un tel retard pour son cocontractant ; qu’en l’espèce, la société […] faisait valoir qu’elle avait pris la peine d’avertir la société […] du retard de livraison dès le mois de juillet, puis à plusieurs reprises au cours de l’été, consécutivement aux difficultés d’obtenir les autorisations administratives et qu’elle pouvait légitimement considérer que le délai de livraison ne constituait pas une obligation essentielle, dès lors que la société […] avait accepté de renoncer à demander la stipulation de pénalités de retard en cas de livraison tardive de l’ouvrage ; qu’en se bornant à retenir que la société […] n’avait pas respecté, sans s’en justifier, le délai de livraison spécifié par la société […] et qu’elle avait tardé à intervenir sur l’installation pour remédier à ses défauts, « ce qui a bloqué sa cliente pendant un mois de production », sans s’interroger sur le point de savoir si la société […] n’avait pas pu légitimement ignorer l’importance du délai convenu pour sa cocontractante, eu égard à l’absence de pénalités convenues en cas de non-respect de ce délai, et si elle n’avait pas néanmoins systématiquement avisé sa partenaire contractuelle du déroulement des opérations pour lui permettre de prendre les mesures adéquates, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1151 du code civil ;
8°/ qu’en outre qu’un retard dans la livraison d’un bien n’est pas constitutif d’une faute lourde s’il résulte de circonstances extérieures à la volonté du débiteur, quand bien même elles ne suffiraient pas à caractériser un cas de force majeure ; qu’en l’espèce, divers courriers produits aux débats faisaient apparaître que le retard de livraison était imputable à des retards dans la délivrance d’autorisations administratives de transport qui compliquaient l’acheminent du bien en cause et donc à des circonstances étrangères à la volonté du débiteur ; qu’en se bornant à retenir que la société […] ne justifiait « pas d’un cas de force majeure pour expliquer les retards de livraison contractuellement prévus et dont elle connaissait le caractère essentiel », sans s’interroger sur le point de savoir si les circonstances objectives dont faisait état la société […] n’étaient pas en tout cas de nature à exclure l’existence d’une faute lourde, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1151 du code civil ;
9°/ que dans les relations entre professionnels, l’absence de conformité d’une chose vendue à l’usage attendu ne peut caractériser une faute lourde que si le débiteur avait une connaissance précise des caractéristiques escomptées par son cocontractant, ce dernier étant tenu en sa qualité de professionnel de faire savoir ses exigences ; qu’en affirmant que l’absence de toute référence aux picots sur le bon de commande ne dispensait pas la société […] de tenir compte des qualités nécessaires à un corps de chauffe commandé, l’ancien corps de chauffe comportant de tels picots, ni de conseiller sa cliente à cet égard, lorsque ces constatations révélaient à tout le moins l’existence d’une imprécision quant à la teneur réelle des caractéristiques escomptées par un acquéreur professionnel, circonstance qui était exclusive de toute faute lourde, la cour d’appel a violé les articles 1147, 1149, et 1151 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant relevé qu’il résultait d’une lettre recommandée, dont la société […] n’avait pas contesté la teneur, que la chaudière devait être livrée avant la fermeture estivale de l’usine et retenu que ce délai revêtait pour la société […] un caractère essentiel connu du vendeur, l’arrêt en déduit que la société […] était fondée à démonter la chaudière en place dès le mois de juillet 2008 ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel a effectué les recherches invoquées aux première et deuxième branches ;
Attendu, en deuxième lieu, que l’arrêt relève que la société […] avait négligé avec désinvolture, de manière flagrante et répétée, ses obligations pendant plusieurs mois en ne livrant pas le matériel dans les délais convenus et en fournissant un matériel présentant des défauts de conformité constitutifs de risques pour la sécurité ; que de ces constatations et appréciations, rendant inopérantes les recherches invoquées par les septième et huitième branches, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la neuvième branche, la cour d’appel a pu déduire que ce comportement était constitutif d’une faute lourde la privant du bénéfice de la clause limitative de responsabilité ;
Et attendu, en dernier lieu, qu’ayant relevé que si la société […] ne produisait pas de justificatifs relatifs au coût prévu de l’utilisation du nouveau corps de chauffe en déchets de bois, ce matériau était de faible valeur au regard du fioul qui faisait fonctionner la chaudière de remplacement, l’arrêt en déduit que le surcoût de consommation était certain tout en étant diminué des frais d’évacuation des déchets absents avec du fioul ; que l’arrêt relève encore que les interventions des tiers, celles de l’Apave et du bureau Véritas en qualité d’experts, étaient directement imputables à la carence de la société […], faisant ressortir que le fait pour l’acheteur d’avoir fait diligenter l’expertise aux fins de constatations des désordres ne le dispensait pas de faire procéder à l’expertise de mise en route prévue par le décret n° 99-1046 du 13 décembre 1999 ; que l’arrêt relève enfin que la société […] s’est opposée aux travaux de réparation sans justifier d’un obstacle technique dirimant et a tardé à remédier elle-même aux défauts constatés, bloquant ainsi sa cliente pendant un mois de production, faisant ainsi ressortir que la victime n’était pas tenue de solliciter une autorisation judiciaire en vue d’effectuer les travaux sous le contrôle d’un expert ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, dont elle a à bon droit déduit que les frais de l’intervention de la société […] constituaient un préjudice réparable, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la sixième branche, a légalement justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;