Sur le terrain du droit de la concurrence, la clause de Paywall ne constitue pas une pratique de prix imposé dès lors qu’elle est stipulée dans des conditions générales de distribution (CGD) non négociées. En effet, dès lors que les CGD ont été adoptées de manière unilatérale et n’ont fait l’objet d’aucun accord explicite ou d’acquiescement tacite par ses partenaires, la clause de Paywall y figurant ne peut être analysée sous l’angle des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 paragraphe 1 du TFUE. Toutefois, la clause de Paywall peut être déclarée inopposable ou discriminatoire lorsque elle est la condition de la reconduction d’un contrat qui ne l’a stipulait pas à l’origine.
Affaire Molotov
La clause de Paywall (anglicisme, litt. « mur de péage ») instaure un péage / droit d’accès à une offre audiovisuelle ou numérique. Il s’agit d’un verrou d’accès payant mais aussi d’une méthode de restriction d’accès à un contenu numérique dans le but d’amener le lecteur à souscrire à un abonnement payant. Dans l’affaire l’opposant à M6, la société Molotov a fait valoir sans succès devant l’Autorité de la concurrence que la clause dite de Paywall contenue dans les CGD du groupe M6 serait contraire aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en ce que la « limitation de l’autonomie commerciale de distributeurs constituerait une restriction de concurrence caractérisée ».
Restriction de concurrence par les prix
Dans son arrêt du 16 mai 2013, Kontiki, la CA de Paris a rappelé que « les articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce prohibent notamment les ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de fausser ou de restreindre la fixation des prix aux consommateurs par le libre jeu de la concurrence ». La preuve de l’accord de volonté entre les parties à une entente est démontrée lorsque sont établis, d’un côté, l’invitation d’une partie à l’accord à mettre en œuvre une pratique et, d’un autre côté, l’acquiescement d’au moins une autre partie à cette invitation (CJUE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, 11 janvier 1990, CJUE, Sandoz Prodotti Farmaceutici/Commission, C-277/87, CA de Paris, 28 janvier 2009, Cour de cassation, 7 avril 2010).
La notion d’accord au sens de l’article [101, paragraphe 1, du TFUE] telle qu’elle a été interprétée par la jurisprudence, est axée sur l’existence d’une concordance de volontés entre deux parties au moins, dont la forme de manifestation n’est pas importante pour autant qu’elle constitue l’expression fidèle de celles-ci.
S’agissant des prix imposés, l’article 4 du règlement d’exemption relatif aux accords verticaux exclut du champ d’application de l’exemption certains accords verticaux comportant des restrictions caractérisées. C’est le cas notamment des accords verticaux ayant directement ou indirectement pour objet « de restreindre la capacité de l’acheteur de déterminer son prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d’imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n’équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l’effet de pressions exercées ou d’incitations par l’une des parties ».
Selon les lignes directrices de la Commission européenne sur les restrictions verticales, cette disposition vise les prix de vente imposés, c’est-à-dire les accords ayant directement ou indirectement pour objet l’établissement d’un prix de vente fixe ou minimal ou d’un niveau de prix de vente fixe ou minimal que l’acheteur est tenu de respecter. Les lignes directrices précisent notamment que ces prix peuvent être imposés par des moyens indirects (accord fixant la marge des distributeurs ou le niveau maximal des réductions qu’un distributeur peut accorder à partir d’un niveau de prix prédéfini), ou par le fait de relier le prix de vente imposé aux prix de vente pratiqués par la concurrence ou encore par des comportements tels que des menaces, avertissements, sanctions, résiliations d’accords en cas de non-respect d’un niveau de prix donné.
La Cour d’appel a souligné dans l’arrêt Kontiki que « les pratiques de prix imposés sont considérées par le règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 comme des restrictions caractérisées et que, dès lors, un accord ou une pratique concertée ayant directement ou indirectement pour objet l’établissement d’un prix de vente fixe ou minimal que l’acheteur est tenu de respecter, est présumé restreindre la concurrence (confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 octobre 2014).
Clause de Paywall et reconduction de contrat
Par un jugement du 11 février 2019, le Tribunal de commerce a conclu à l’inopposabilité de la clause de Paywall opposée par le groupe M6 à la société Molotov. Le litige s’était cristallisé sur le refus du groupe M6 de conclure une convention autorisant Molotov à distribuer ses chaines gratuites de la TNT dès lors que ce dernier refusait l’application de la clause de Paywall. La clause n’a pas été qualifiée de clause de référencement mais de clause de monétisation. L’article L 442-6 1 du Code de commerce (version alors applicable), disposition d’ordre public à laquelle aucune convention ne peut déroger, disposait qu’« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou « personne immatriculée au répertoire des métiers … de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties […]; … d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat ou de vente ».
La notion de partenaire commercial s’entend d’échanges commerciaux conclus directement entre les parties, ce qui était le cas en l’espèce. Les juges consulaires ont examiné les deux éléments retenus par la jurisprudence pour caractériser la soumission, à savoir l’absence de négociation effective par le groupe M6 et le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, celui-ci s’appréciant non pas clause par clause mais par un examen d’ensemble des conditions de négociation et du contenu du contrat.
S’agissant des conditions de négociation du contrat, le Tribunal a relevé que le groupe M6 a donné à Molotov l’opportunité de discuter de la clause de Paywall en le prévenant dès octobre 2017 de sa volonté de négocier sur cette base et en accordant à Molotov un délai contractuel supplémentaire dès lors que Molotov avait indiqué vouloir entrer en négociation sur cette base ; toutefois M6 ayant maintenu son exigence jusqu’au 31 mars 2018, puis en refusant la médiation proposée, sans jamais ouvrir la discussion sur les raisons de son exigence alors que Molotov s’était engagé à payer le prix demandé, les conditions de négociation ont fait peser sur Molotov une pression caractérisant une volonté ou tentative de soumission, Molotov n’ayant d’autre choix que de refuser de contracter et de renoncer aux chaines gratuites du second groupe audiovisuel français, aucune contrepartie ne venant compenser les effets négatifs pour Molotov du refus du groupe M6.
En ce qui concerne l’immixtion par le groupe M6 dans la stratégie commerciale de Molotov par l’exigence de la rémunération des chaînes et la conséquence sur le modèle d’affaires « freemium », le tribunal a relevé que le groupe M6 n’a pas directement dicté à Molotov sa stratégie commerciale y compris en lui imposant de facturer des chaines pourtant gratuites mais a fragilisé la pertinence et la pérennité du modèle d’affaires de Molotov, le conduisant à devoir questionner le prix facturé à ses clients.
La clause de Paywall était en outre discriminatoire en ce que le groupe M6 n’a pas respecté l’égalité de traitement entre les distributeurs et le principe de neutralité technologique en violation de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ; l’opérateur Orange avait par exemple obtenu du groupe M6 la gratuité de principe de la distribution de ses chaînes en contrepartie de la facturation de services additionnels ; la rémunération des chaînes gratuites ne fait d’ailleurs l’objet d’aucun consensus avec les autres opérateurs. Les conditions de négociation ainsi que la clause de Paywall ont été jugées contraires aux dispositions de l’article L 442-6 1 2° et 4° du Code de commerce.