Clause de non-sollicitation : 16 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/14238

·

·

Clause de non-sollicitation : 16 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/14238
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRET DU 16 FEVRIER 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/14238 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGH6T

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Juillet 2022 -Président du TC de PARIS – RG n° 2022010298

APPELANTE

S.A.S. SEVEN PORTAGE, RCS de Paris sous le n°894 183 862, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée à l’audience par Me Candice ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : C610

INTIMEE

S.A.S. COALISE, RCS de Nanterre sous le n°754 006 617, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée et assistée par Me Jonathan DJENAOUSSINE de l’AARPI FRIEDLAND, avocat au barreau de PARIS, toque : G0745

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Michèle CHOPIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société Coalise et la société Seven Portage sont toutes deux spécialisées dans le portage salarial et sont en concurrence l’une de l’autre.

Le 4 janvier 2022, la société Coalise a soumis au tribunal de commerce de Paris une requête portant sur une mesure d’instruction, aux fins de saisie de documents auprès de la société Seven Portage, ce qui lui a été accordé par ordonnance du 7 janvier 2022.

Par exploit du 23 février 2022, la société Seven Portage a fait assigner la société Coalise devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

– rétracter l’ordonnance rendue le 7 juillet 2022 par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris et dire nulle et de nul effet la mission impartie de ce chef aux huissiers commis ;

– prononcer la nullité des saisies réalisées aux siège et établissement secondaire de la société Seven portage ;

– ordonner la restitution de l’intégralité des documents en possession de l’huissier commis pour procéder aux opérations de saisie sur simple présentation de l’ordonnance à intervenir ;

– ordonner la destruction de toute copie des documents saisis le 25 janvier 2022 ;

– condamner la société Coalise à verser à la société Seven portage la somme de 12.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Coalise aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire du 7 juillet 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

– dit recevable mais mal fondée la société Seven portage en sa demande de rétractation de l’ordonnance du 7 janvier 2022 ;

En conséquence,

– débouté la société Seven portage de sa demande de rétractation de l’ordonnance du 7 janvier 2022 ;

– débouté la société Seven portage de sa demande de prononcer la nullité des saisies réalisées par l’huissier instrumentaire comme irrecevable ;

– dit l’ordonnance du 7 janvier 2022 conforme aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ;

– ordonné à la société Seven portage de communiquer sans tarder à l’huissier instrumentaire désigné, Me [F] [T], le registre d’entrée et sortie du personnel de l’entreprise ;

– dit que la procédure de levée de séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après, même s’il est fait appel de la présente décision, tout en préservant les intérêts de la société Seven portage jusqu’à décision définitive ;

– dit que les pièces qui pourraient être retenues comme communicables lors de l’éventuelle levée de séquestre à intervenir seront maintenues sous séquestre entre les mains de l’huissier instrumentaire et séquestre jusqu’à décision, définitive ;

– dit que la levée de séquestre éventuelle à intervenir de pièces saisies lors des opérations de constat de l’huissier instrumentaire doit se faire conformément aux dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce ;

– dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :

– demandé à la société Seven portage de faire le tri sur le(s) fichier(s) des pièces saisies qui lui a (ont) été remis en trois catégories :

* Catégorie « A » : pièces qui pourront être communiquées en l’état, sans examen,

* Catégorie « B » : pièces concernées par le secret des affaires et que la société Seven portage refuse de communiquer,

* Catégorie « C » : pièces que la société Seven portage refuse de communiquer et qui ne sont pas concernées par le secret des affaires,

– dit que ce tri, où chaque pièce sera numérotée, sera communiqué à Me [F] [T], ès qualité d’huissier instrumentaire et séquestre, pour un contrôle de cohérence avec le(s) fichier(s) initial(aux) séquestré(s) ;

– dit que, pour ce qui a trait aux pièces, à classer en catégorie « B », concernées par secret des affaires conformément aux dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, la société Seven portage nous communiquera, ainsi qu’à l’huissier instrumentaire et séquestre, un « mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère de secret des affaires » ;

– dit que, pour ce qui a trait aux pièces classées en catégorie « C » par la société Seven portage, cette dernière nous communiquera, ainsi qu’à l’huissier instrumentaire et séquestre, un mémoire justifiant de leur communication, totale ou partielle, de chacune des pièces qui ne relèvent pas du secret des affaires ;

– fixé le calendrier suivant :

communication à Me [F] [T], ès qualité d’huissier instrumentaire et séquestre et à nous-même les tris demandés avant le mardi 6 septembre 2022 à 12h00,

renvoyé l’affaire, après contrôle de cohérence préalable par l’huissier instrumentaire et séquestre, devant nous à notre audience en cabinet du jeudi 08 septembre 2022 à 14h30 pour examen de la fin de préparation de la levée de séquestre éventuelle à intervenir,

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeté les demandes autres, plus amples ou contraires ;

– condamné la société Seven portage aux entiers dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA ;

– rappelé que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 26 juillet 2022, la société Seven portage a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 25 novembre 2022, la société Seven portage demande à la cour, de :

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel et en sa demande de rétractation de l’ordonnance du 7 juillet 2022 ;

– constater que les mesures obtenues par la société Coalise sur requête n’étaient pas justifiées au titre des conditions imposées par l’article 145 du code de procédure civile ;

– constater que les mesures obtenues par la société Coalise sur requête n’étaient pas licites et proportionnées ;

– infirmer l’ordonnance du 7 juillet 2022 en ce qu’elle a :

dit recevable mais mal fondée la société Seven portage en sa demande de rétractation de l’ordonnance du 7 janvier 2022,

En conséquence,

débouté la société Seven portage de sa demande de rétractation de notre ordonnance du 07 janvier 2022,

débouté la société Seven portage de sa demande de prononcer la nullité des saisies réalisées par l’huissier instrumentaire comme irrecevable,

dit l’ordonnance du 7 janvier 2022 conforme aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile,

ordonné à la société Seven portage de communiquer sans tarder à l’huissier instrumentaire désigné, Me [F] [T], le registre d’entrée et sortie du personnel de l’entreprise,

dit que la procédure de levée de séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après, même s’il est fait appel de la présente décision, tout en préservant les intérêts de la société Seven portage jusqu’à décision définitive,

dit que les pièces qui pourraient être retenues comme communicables lors de l’éventuelle levée de séquestre à intervenir seront maintenues sous séquestre entre les mains de l’huissier instrumentaire et séquestre jusqu’à décision, définitive,

dit que la levée de séquestre éventuelle à intervenir de pièces saisies lors des opérations de constat de l’huissier instrumentaire doit se faire conformément aux dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce,

dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :

* demandé à la société Seven portage de faire le tri sur le(s) fichier(s) des pièces saisies qui lui a (ont) été remis en trois catégories :

Catégorie « A » : pièces qui pourront être communiquées en l’état, sans examen,

Catégorie « B » : pièces concernées par le secret des affaires et que la société Seven portage refuse de communiquer,

Catégorie « C » : pièces que la société Seven portage refuse de communiquer et qui ne sont pas concernées par le secret des affaires,

* dit que ce tri, où chaque pièce sera numérotée, sera communiqué à Me [F] [T], ès qualité d’huissier instrumentaire et séquestre, pour un contrôle de cohérence avec le(s) fichier(s) initial(aux) séquestré(s),

* dit que, pour ce qui a trait aux pièces, à classer en catégorie « B », concernées par secret des affaires conformément aux dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, la société Seven portage nous communiquera, ainsi qu’à l’huissier instrumentaire et séquestre, un « mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère de secret des affaires »,

* dit que, pour ce qui a trait aux pièces classées en catégorie « C » par la société Seven portage, cette dernière nous communiquera, ainsi qu’à l’huissier instrumentaire et séquestre, un mémoire justifiant de leur communication, totale ou partielle, de chacune des pièces qui ne relèvent pas du secret des affaires,

– fixé le calendrier suivant :

* communication à Me [F] [T], ès qualité d’huissier instrumentaire et séquestre et à nous-même les tris demandés avant le mardi 6 septembre 2022 à 12h00,

* renvoyé l’affaire, après contrôle de cohérence préalable par l’huissier instrumentaire et séquestre, devant nous à notre audience en cabinet du jeudi 08 septembre 2022 à 14h30 pour examen de la fin de préparation de la levée de séquestre éventuelle à intervenir,

– rejeté les demandes autres, plus amples ou contraires,

– condamné la société Seven portage aux entiers dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA,

– rappelé que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

La société Seven portage soutient en substance que :

– la plupart des allégations de la société Coalise sont dénuées de justification et résultent de faits inexacts,

– en réalité, la société Coalise est en litige avec Mme [N] son ancienne salariée, et il s’avère que la requête formée par la société Coalise à son encontre est destinée à alimenter le litige prud’hommal entre l’intimée et Mme [N], de sorte que les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile sont ici détournées,

– aucune justification n’est apportée quant à la dérogation au principe du contradictoire, alors que la société Coalise procède par affirmations et ne justifie d’aucun préjudice du fait des actes qu’elle allègue,

– l’ordonnance rendue ne comporte aucune motivation précise,

– aucun motif légitime n’est démontré, les griefs de concurrence déloyale n’étant pas crédibles,

– la société Coalise exerce une confusion tout au long de la requête présentée entre l’évolution réelle ou supposée de certains consultants et le débauchage constitutif de faits de concurrence déloyale,

– aucun acte de débauchage n’est établi, concernant M. [Z], Mme [A], M. [X], M. [R], ni aucun détournement de clientèle,

– les mesures ordonnées sont illicites, et portent une atteinte injustifiée et disproportionnée au secret des affaires, au respect de la vie privée et aux données à caractère personnel.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 27 octobre 2022, la société Coalise demande à la cour, de :

– constater que la société Coalise justifie d’un motif légitime fondant la sollicitation d’une mesure d’instruction en vue d’un futur procès pour concurrence déloyale à l’encontre de la société Seven portage ;

– constater que le risque de déperdition de certaines informations justifie l’absence de recours au contradictoire ;

– constater, au vu des justifications produites, que la société Coalise est fondée à ne pas avoir appelé la partie visées par la mesure, tout portant à croire que, si la communication des documents était effectuée de manière contradictoire, la société Seven portage et/ou Mme [P] [N] auraient organisé leur disparition afin de la priver de ses moyens d’action ;

– constater le caractère mal fondé et inopérant des éléments soulevés à l’appui de la demande de l’appel interjeté par la société Seven portage ;

– débouter, en conséquence, la société Seven portage de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– confirmer, en conséquence, en toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue en date du 07 juillet 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris ;

– ordonner, en conséquence, la communication à celle-ci des documents appréhendés par Me [F] [T], huissier de justice, consécutivement à la saisie effectuée le 25 janvier 2022, répertoriés dans le procès-verbal de constat en date du 25 janvier 2022, tel que rectifié en date du 24 février 2022, conformément aux modalités prévues dans l’ordonnance rendue en date du 07 juillet 2022 par le tribunal de commerce ;

– condamner la société Seven portage à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la première instance et d’appel.

La société Coalise soutient en substance que :

– il existe un motif légitime issu de la sollicitation de Mme [N], du détournement de la clientèle de la société Coalise, de la sollicitation et du débauchage de consultants actifs et salariés au profit de la société Seven Portage, qui tente à tort de déplacer le débat sur le fond,

– elle a ainsi recruté des consultants salariés de la société Coalise et approché certains de ses clients, les éléments saisis permettant de prouver les actes de concurrence déloyale, à son préjudice,

– les mesures ordonnées sont proportionnées, en ce qui concerne la période temporelle fixée, les mesures étant circonscrites,

– la dérogation au principe du contradictoire était parfaitement justifiée, par la nécessité d’agir par surprise et par le risque de déperdition des preuves,

– la notion de secret des affaires n’est pas un argument absolu ni un obstacle systématique à toute mesure d’instruction,

– la procédure sur requête n’a fait l’objet d’aucun détournement,

– la communication des pièces séquestrées devra être ordonnée.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

Sur le motif légitime

L’application de l’article 145 du code de procédure civile suppose que soit constatée l’existence d’un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sans qu’il revienne au juge statuant en référé ou sur requête de se prononcer sur le fond.

En l’espèce, la société Coalise soutient à l’appui de sa demande de mesure d’instruction qu’elle soupçonne la société Seven Portage de se livrer à des actes de concurrence déloyale à son encontre, manifestés par un débauchage de salariés et par le démarchage de clients historiques.

Il résulte des pièces produites à l’appui de la requête soumise au tribunal de commerce que :

– la société Seven Portage a été créée en février 2021,

– Mme [P] [N] a été engagée par la société Coalise le 14 novembre 2016 en qualité de responsable commerciale puis de directrice commerciale,

– elle est en arrêt maladie depuis le 9 avril 2021 et a saisi le 7 juin 2021 le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur,

– il s’infère de la requête litigieuse que Mme [N] aurait été sollicitée par la société Seven Portage, alors que son contrat de travail avec la société Coalise était en cours, notamment pour faire recruter par son intermédiaire des consultants salariés de la société Coalise, puis pour démarcher des clients.

Sur le premier point, et la sollicitation de Mme [N], la société Coalise produit un courriel de l’un de ses clients, M [C] [L], ‘France Director’ de la société Computer Futures Sthree, indiquant le 15 décembre 2021: ‘Pour faire suite à votre demande, nous avons les consultants suivants qui sont passés de Coalise à Seven Portage: [D] [Z], [J] [X], [G] [A], [Y] [R] et [K] [S] qui a été sollicité. Nous avons eu écho que votre collègue [P] [N] a rejoint les équipes de Seven Portage sans confirmation officielle’. Elle produit également à l’appui de la requête un relevé ‘Ubereats’ d’une commande reçue sur le courriel ‘[Courriel 6]’, livrée au [Adresse 3], à [Localité 5], adresse de locaux de la société Seven Portage le 5 octobre 2021.

Ainsi, la découverte de cette livraison au nom de Mme [N], alors en arrêt de travail pour la société Coalise, dans les locaux de la société Seven Portage et le courriel de M. [L] constituaient bien un faisceau d’indices suffisants pour légitimer les suspicions de la partie requérante qui pouvait ainsi craindre des actes constitutifs de concurrence déloyale, au-delà même de la procédure prud’hommale menée par Mme [N]. Si en effet, les preuves recherchées dans le cadre de la procédure sur requête pourraient également servir cette procédure prud’hommale, la mesure litigieuse a bien été sollicitée dans l’éventualité d’un procès en concurrence déloyale, sur un fondement juridique distinct, de sorte qu’il ne peut utilement être soutenu qu’à la date de la requête le juge prud’hommal était déjà saisi d’un litige identique.

Par ailleurs s’il n’est pas méconnu que Mme [N] disposait d’une obligation de loyauté de fidélité inscrite au contrat de travail et ainsi que d”une ‘clause de non-sollicitation et de non-débauchage’, mais qu’elle n’était pas tenue par une clause de non-concurrence, force est de constater que son contrat de travail était encore en cours au sein de la société Coalise et qu’il est néanmoins relevé que, sur une période de temps relativement courte, cinq de ses consultants salariés ont mis un terme à leur contrat pour fournir des prestations au profit de la société Seven Portage.

Si ces éléments ne peuvent à eux seuls suffire à caractériser un débauchage illicite, ils constituent néanmoins des indices suffisamment sérieux permettant de démontrer, de ce chef, l’existence d’un motif légitime pour justifier la mesure d’instruction sollicitée.

Au surplus, il est rappelé qu’agissant sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la société appelante n’a pas à rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve de la désorganisation subie et du préjudice en résultant, l’existence de celle-ci se déduisant des départs successifs de ses salariés.

Enfin, pour étayer ses soupçons de détournement de clientèle, la société Coalise produit un tableau Excel comparatif de chiffres d’affaires des mois de juin 2020 et juin 2021 dont il ressort une nette diminution du chiffre d’affaires de la société Ozitem puis un second tableau du chiffre d’affaires de cette société établissant une diminution encore plus importante, soit une perte d’environ 50% du chiffre d’affaires précédemment réalisé avec cette société.

Au regard des éléments qui précèdent, la société Coalise est donc légitime à vouloir déterminer l’ampleur de la concurrence déloyale suspectée, susceptible de résulter d’un débauchage illicite et d’un possible détournement de clientèle au profit de la société Seven Portage.

Ainsi, et sans qu’il soit utile de suivre les parties dans le détail de leur argumentation quant aux autres clients potentiellement détournés ou quant aux tailles respectives des deux sociétés, celle de la société Seven Portage étant plus restreinte que celle de la société Coalise, cette dernière justifie d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, lui permettant de solliciter une mesure d’instruction afin d’améliorer sa situation probatoire pour un futur procès qu’elle pourrait engager à l’encontre de la société Seven Portage lequel n’apparaît pas manifestement voué à l’échec.

Sur la dérogation au principe du contradictoire

Le juge, saisi sur requête, doit rechercher si la mesure sollicitée exige une dérogation au principe de la contradiction. L’éviction de ce principe directeur du procès nécessite que la requérante justifie de manière concrète les motifs pour lesquels, dans le cas d’espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

Aux termes de la requête, la société Coalise a justifié la dérogation au principe de la contradiction par le risque de dépérissement des preuves et la nécessité de créer un effet de surprise, seul garant de l’efficacité de la mesure sollicitée. L’ordonnance qui y fait droit, tenant compte des éléments développés par la requérante, retient que les circonstances exigent pour la préservation des preuves dont il est sollicité la mise à disposition que les mesures ne soient pas prises contradictoirement.

Au cas présent, il existait un risque évident de déperdition des preuves inhérent à la nature même des pièces, données informatiques par essence furtives qui pouvaient aisément être supprimées ou altérées alors qu’elles étaient nécessaires pour établir l’existence des agissements déloyaux suspectés de la part des anciens salariés de la société requérante et l’étendue du préjudice subi.

Ainsi, au regard des agissements de l’appelante suspectée par la société intimée de se livrer à des actes de concurrence déloyale, il apparaissait justifié, de procéder de manière non contradictoire.

La nécessité de déroger au principe du contradictoire est ainsi suffisamment caractérisée.

L’ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.

Sur le caractère proportionné de la mesure d’instruction

Les mesures d’investigation doivent être légalement admissibles, les mesures d’investigation générales étant prohibées, de sorte qu’elles doivent être circonscrites dans le temps et l’objet.

Or, l’ordonnance rendue comporte des mots clés pertinents ([D] [Z], [J] [X], [G] [A], [Y] [R], [K] [S], [B] [M], [P] [N]), dont la combinaison apparaît nécessaire à l’établissement des faits, et prévoit une saisie des éléments correspondants à compter du 1er janvier 2021, date à compter de laquelle la société Seven Portage était en cours de création.

De la sorte, les mesures prescrites sont circonscrites dans le temps et l’objet, tout en étant proportionnées au but poursuivi et à la recherche d’éléments probants et l’exercice du droit de la preuve. En effet, il apparaît bien que le respect de la vie privée qui n’est pas un obstacle en soi est respecté dans la mesure où les correspondances personnelles sont exclues, et que l’atteinte au secret des affaires invoquée est limitée aux recherches de preuves en lien avec le litige.

Il ressort des termes de l’ordonnance rendue sur requête que la mesure d’instruction a été circonscrite dans le temps et dans l’objet des recherches par l’indication d’une part, des noms des anciens salariés de la société Coalise ayant mis un terme à leur contrat et, d’autre part, de ses clients, notamment la société Ozitem.

Il convient encore de rappeler qu’une mesure de séquestre des éléments recueillis a été prévue afin de préserver, le cas échéant, le secret des affaires.

En outre, la violation des droits des salariés concernés par la mesure d’instruction n’est pas caractérisée au regard des liens ayant précédemment existé entre ces derniers et la société intimée et le but poursuivi par celle-ci.

Enfin, l’atteinte au secret des affaires ne constitue pas un obstacle à l’application de l’article 145 du code de procédure civile et, donc, à la saisie de documents pouvant s’avérer utiles pour préserver le droit à la preuve de la société Coalise.

Au surplus, la société Seven Portage qui n’a pas sollicité l’organisation d’une procédure de tri des pièces saisies, ne précise pas en quoi, selon elle, celles-ci devraient être protégées au titre du secret des affaires au sens de l’article L.151-1 du code de commerce, dès lors qu’il s’agit de documents relatifs aux conditions d’embauche des anciens salariés de la société Coalise et aux procédures de recrutement de ces salariés démarchés mais aussi de documents, informations commerciales et techniques et de documents relatifs aux relations commerciales engagées avec ses clients.

En conséquence, la mesure ordonnée, utile et proportionnée à la solution du litige, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits de la société Seven Portage et, tenant compte de l’objectif poursuivi, concilie le droit à la preuve de l’appelante et le droit au secret des affaires de l’intimée.

Au regard des motifs qui précèdent, la société Seven Portage sera déboutée de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 7 janvier 2022.

Les pièces saisies en exécution de cette ordonnance et placées sous séquestre de l’huissier de justice, seront en conséquence transmises à la société Coalise.

L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile. En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d’un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et, dès lors, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une d’elles.

Au regard de l’issue du litige en appel, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et la société Seven Portage sera condamnée à payer à la société Coalise contrainte d’exposer des frais irrépétibles tant en première instance qu’en appel, pour assurer sa défense, la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise,

Y ajoutant,

Laisse à chacune des parties la charge des dépens de première instance et d’appel par elle exposés,

Condamne la société Seven Portage à payer à la société Coalise la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x