La validité de la clause de non-concurrence dépend de l’étendue de la restriction apportée à la liberté de travailler du salarié, doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et être proportionnée au but recherché par l’employeur.
Une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
Sommaire
Clause de non-concurrence valide
A été validée la clause de non concurrence d’une salariée, Brand Manager pour un éditeur de logiciel :
« Compte tenu de la nature de ses fonctions et des informations dont elle dispose et en particulier de sa connaissance des techniques de la société, de son contact privilégié avec la clientèle, de sa position stratégique au sein de celle-ci, la Salariée s’engage en cas de rupture du contrat de travail, pour quelque motif que ce soit :
A ne pas entrer au service d’une société concurrente ;
A ne pas s’intéresser directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit à une entreprise qui développe une activité concurrente de nature à concurrencer l’activité de la société ;
Par activité concurrente est entendue toute activité de distribution de produits informatiques et de services associés. Sont notamment considérés comme ayant une activité concurrente les sociétés Westcon, Techdata, Ingram, Avnet, Synnex, Exclusive Networks, Infinigate, Cris réseaux ;
Cette interdiction de concurrence est applicable pendant une durée de 12 mois et limitée au territoire français.
Elle s’appliquera à compter du jour du départ effectif de la Salariée.
En contrepartie de cet engagement, la Salariée percevra, à compter de la date de son départ effectif de la société, une indemnité forfaitaire mensuelle dont le montant est fixé à 50% du salaire brut moyen mensuel perçu au cours des 12 derniers mois précédant son départ effectif de la société.
En cas de violation de la clause, la Salariée sera automatiquement redevable d’une somme fixée forfaitairement et dès à présent à un an de salaire, calculé sur la base des trois derniers mois de salaires précédant la date du départ effectif de la société et ce, pour chacun des manquements constatés. Cette somme est due sans que la société ait besoin de mettre préalablement en demeure la Salariée de cesser ses agissements.
La société sera pour sa part libérée de son engagement de versement de la contrepartie financière.
Le versement de cette pénalité n’est pas exclusif du droit que la société se réserve de poursuivre la Salariée en indemnisation du préjudice effectivement subi et de faire ordonner sous astreinte la cessation de l’activité concurrentielle. »
Libre exercice d’une activité professionnelle
En application du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
En l’occurrence, comme l’a justement relevé le conseil de prud’hommes, la clause est limitée dans le temps, dans l’espace, et règle sa contrepartie financière.
Si la salariée en querelle la disproportion aux intérêts de l’entreprise, il n’en reste pas moins qu’elle occupait des fonctions commerciales en contact direct avec la clientèle, en qualité de brand manager, statut cadre, qu’elle était par ailleurs tenue à une obligation de discrétion et au secret professionnel « absolu », sur les renseignements recueillis à l’occasion de ses fonctions, s’entendant, selon la clause non disputée le stipulant, de la non-divulgation des plans, études, conceptions de projets, travaux réalisés par l’entreprise, et ce, dans le secteur très concurrentiel de la conception et de la distribution de services notamment informatiques pour les professionnels. Elle doit ainsi être tenue pour indispensable à la protection des affaires de l’appelante.
Cela étant, la clause litigieuse restreint l’activité concurrente empêchée à la distribution de produits informatiques et de services associés, et dresse une liste, certes non exhaustive, de huit sociétés concurrentes, laissant néanmoins supposer, sur l’ensemble des très nombreuses entreprises exerçant dans le secteur de l’informatique, que certaines développaient des activités plus spécifiquement concurrentes que d’autres à celle de l’appelante.
Au surplus, l’intimée, faute d’aucune pièce, n’établit pas n’avoir pu retrouver d’emploi durant un an de ce motif, et n’a pas interrogé l’employeur, dans le champ de cette activité singulière. Elle ne justifie pas plus n’avoir pu rechercher d’emploi dans des secteurs voisins en France, et notamment dans celui de la télécommunication, alors que son curriculum vitae laisse voir qu’elle avait travaillé chez un éditeur de solutions de communication unifiées de 2012 à 2016, et qu’elle se prévalait de très bonnes connaissances des technologies internet/intranet, télécommunications et sécurité.
Dès lors, la clause, par ailleurs limitée, n’étant pas disproportionnée aux intérêts légitimes de l’employeur, n’encourt pas la nullité.
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 25 OCTOBRE 2023
N° RG 21/03155 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UZWL
AFFAIRE :
S.A.S. ARROW ECS
C/
[B] [M]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Septembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : F 18/03180
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Martine DUPUIS de
la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES
Me Elodie DANA-ABIKER de la AARPI COVER AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant initialement prévu le 26 OCTOBRE 2023 avancé au 25 OCTOBRE 2023 dans l’affaire entre :
S.A.S. ARROW ECS
N° SIRET : 384 16 9 9 26
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Nathalie CAZEAU de la SELARL CAZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0247 – Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – substitué par Me Lucas DEMERTAS
APPELANTE
****************
Madame [B] [M]
née le 26 Février 1974 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Elodie DANA-ABIKER de l’AARPI COVER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0295 – substituée par Me Vincent GOUTMANN
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Septembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Président,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
Exposé du litige
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [B] [M] a été engagée par contrat à durée indéterminée, à compter du 8 février 2016, en qualité de Brand Manager, statut cadre, par la société par actions simplifiée Arrow ECS, qui a pour activité la conception et la distribution de solutions d’infrastructure et de services informatiques pour les professionnels, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils, sociétés de conseils dite SYNTEC.
L’article 11 de son contrat de travail intitulé « non concurrence-non débauchage » stipule :
« Compte tenu de la nature de ses fonctions et des informations dont elle dispose et en particulier de sa connaissance des techniques de la société, de son contact privilégié avec la clientèle, de sa position stratégique au sein de celle-ci, Mme [B] [M] s’engage en cas de rupture du contrat de travail, pour quelque motif que ce soit :
A ne pas entrer au service d’une société concurrente ;
A ne pas s’intéresser directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit à une entreprise qui développe une activité concurrente de nature à concurrencer l’activité de la société ;
Par activité concurrente est entendue toute activité de distribution de produits informatiques et de services associés. Sont notamment considérés comme ayant une activité concurrente les sociétés Westcon, Techdata, Ingram, Avnet, Synnex, Exclusive Networks, Infinigate, Cris réseaux ;
Cette interdiction de concurrence est applicable pendant une durée de 12 mois et limitée au territoire français.
Elle s’appliquera à compter du jour du départ effectif de Mme [B] [M] de la société.
En contrepartie de cet engagement, Mme [B] [M] percevra, à compter de la date de son départ effectif de la société, une indemnité forfaitaire mensuelle dont le montant est fixé à (‘) 50% du salaire brut moyen mensuel perçu au cours des (‘) 12 derniers mois précédant son départ effectif de la société.
(‘)
En cas de violation de la clause, Mme [B] [M] sera automatiquement redevable d’une somme fixée forfaitairement et dès à présent à un an de salaire, calculé sur la base des trois derniers mois de salaires précédant la date du départ effectif de Mme [B] [M] de la société et ce, pour chacun des manquements constatés. Cette somme est due sans que la société ait besoin de mettre préalablement en demeure Mme [B] [M] de cesser ses agissements.
La société sera pour sa part libérée de son engagement de versement de la contrepartie financière.
(‘)
Le versement de cette pénalité n’est pas exclusif du droit que la société se réserve de poursuivre Mme [B] [M] en indemnisation du préjudice effectivement subi et de faire ordonner sous astreinte la cessation de l’activité concurrentielle. »
Par courrier du 4 décembre 2017, Mme [M] a démissionné de son poste, le préavis, dont elle était dispensée dès le 1er janvier 2018, finissant le 3 mars suivant.
La société Arrow ECS, avisée que la salariée allait rejoindre la société Techdata, n’a pas levé la clause de non-concurrence.
Mme [M] a saisi, le 15 mars 2018, la formation de référé du conseil de prud’hommes de Nanterre pour solliciter le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence jusqu’au 3 mars et la levée de la clause, faute de versement.
Par ordonnance du 14 mai 2018, la formation en référé du conseil de prud’hommes de Nanterre
a statué comme suit :
Dit y avoir lieu à référé
Ordonne à la société Arrow ECS de payer à Mme [M] la somme de 7.844,44 euros brut correspondant au net de 6.914 euros nets en deniers ou quittances, au titre de la contrepartie financière afférente à la clause de non-concurrence.
Rejette le surplus des demandes de Mme [M]
Met les dépens à la charge de la société Arrow ECS
Mme [M] a relevé appel de cette décision. La cour d’appel de Versailles, par l’arrêt du 22 novembre 2018, a statué comme suit :
Confirme l’ordonnance déférée uniquement sur la demande de la société Arrow ECS au titre des frais irrépétibles ;
[l’] Infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande en paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence au titre de la période écoulée entre le 1er janvier 2013 et le 3 mars 2013 ;
Constate que Mme [M] est libérée de la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail la liant à la société Arrow ECS ;
Y ajoutant,
Déboute la société Arrow ECS de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel ;
Déboute Mme [M] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [M] aux dépens
Estimant n’être pas remplie de ses droits, Mme [M] a saisi, au fond, le conseil de prud’hommes de Nanterre le 3 décembre 2018 aux fins de demander le paiement de dommages-intérêts y compris pour préjudice moral pour clause de non-concurrence restrictive de liberté, l’exécution de la contrepartie financière de novembre et décembre 2018 et des congés payés afférents ; ce à quoi l’employeur s’opposait, en formant néanmoins des demandes reconventionnelles et subsidiaires au cas où la nullité de la clause serait admise.
Par jugement rendu le 22 septembre 2021, le conseil a statué comme suit :
Dit que la clause de non-concurrence du contrat de travail de Mme [M] avec la société Arrow ECS n’est pas nulle.
Condamne la société Arrow ECS à verser à Mme [M] la somme de 10.000 euros pour restriction excessive à la liberté de travailler.
Dit n’y avoir pas lieu à exécution provisoire sur cette créance indemnitaire.
Condamne la société Arrow ECS à verser à Mme [M] la somme de 6.802,13 euros (‘) outre 680,21 euros à titre d’indemnité de non-concurrence de novembre et décembre 2018.
Rappelle qu’en application des articles du code du travail, R.1454-28 et R.1454-14, la créance salariale ci-avant [est] exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire sachant que la moyenne des trois derniers mois de salaire est fixée à 5.848 euros.
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne la société Arrow ECS à verser à Mme [M] la somme de 1.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société Arrow ECS de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Arrow ECS aux dépens.
Le 25 octobre 2021, la société Arrow ECS a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Moyens
Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 1er juillet 2022, la société Arrow ECS demande à la cour de :
La déclarer recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
Infirmer le jugement en ce qu’il :
L’a condamnée à verser à Mme [M] la somme de 10.000 euros pour restriction excessive à la liberté de travailler ;
L’a condamnée à verser à Mme [M] la somme de 6.802,13 euros outre 680,21 euros à titre d’indemnité de non-concurrence pour les mois de novembre et décembre 2018 ;
A rappelé qu’en application des articles R.1454-28 et 1454-14 du code du travail, la créance salariale ci-avant était exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire sachant que la moyenne des trois derniers mois de salaire est fixée à 5.848 euros ;
L’a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires ;
L’a condamnée à verser à Mme [M] la somme de 1.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’a déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’a condamnée aux dépens ;
Statuant à nouveau :
Débouter Mme [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Juger que les sommes de 6.802,13 euros outre 680,21 euros au titre de l’indemnité de non-concurrence des mois de novembre et décembre 2018 ne sont pas dues par la société à Mme [M] ayant été libérée de l’obligation de non-concurrence par arrêt de la cour d’appel de Versailles du 22 novembre 2018 ;
Condamner Mme [M] à rembourser à la société les sommes perçues en exécution du jugement du conseil de prud’hommes du 22 septembre 2021, à savoir :
o 10.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
o 6.802,13 euros au titre de l’indemnité de non-concurrence ;
o 680,21 euros au titre des congés payés sur l’indemnité de non-concurrence ;
o 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Débouter Mme [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions au titre de son appel incident et confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes tendant à obtenir la nullité de la clause de non-concurrence ainsi que la condamnation de la société à lui verser 50.817,16 euros au titre du préjudice financier subi du fait de l’atteinte excessive à sa liberté de travailler et 20.000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’atteinte excessive à sa liberté de travailler.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel devait juger la clause de non-concurrence nulle :
Condamner Mme [M] à rembourser à la société les sommes perçues au titre de l’indemnité de non-concurrence (janvier à décembre 2018) et des congés payés y afférents ;
En tout état de cause,
Condamner Mme [M] à payer à la société une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamner Mme [M] aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 4 avril 2022, Mme [M] demande à la cour de :
Débouter la société de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Confirmer le jugement rendu en ce qu’il a :
Alloué à Mme [M] des dommages et intérêts pour atteinte excessive et disproportionnée à sa liberté de travailler ;
Condamné la société à verser à Mme [M] la somme de 6.802,13 euros outre 680,21 euros à titre d’indemnité de non concurrence des mois de novembre et décembre 2018 ;
Infirmer le jugement en ce qu’il a :
Dit que la clause de non concurrence du contrat de travail de Mme [M] n’est pas nulle ;
Limité la condamnation de la société à la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour restriction excessive à la liberté de travailler de Mme [M] ;
Débouté Mme [M] du surplus de ses demandes ;
En statuant à nouveau, il est demandé à la cour de :
Déclarer Mme [M] recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;
Déclarer nulle la clause de non-concurrence incluse au contrat de Mme [M] comme portant une atteinte excessive à sa liberté de travailler ;
En conséquence :
Condamner la société à verser à Mme [M] la somme restant due de 50.817,16 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de l’atteinte excessive à sa liberté de travailler,
Condamner la société à verser à Mme [M] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’atteinte excessive à sa liberté de travailler,
A titre subsidiaire,
Condamner la société à verser à Mme [M] la somme de 6.802, 16 euros au titre de l’indemnité de non-concurrence de novembre et décembre 2018 non réglée outre la somme de 680, 21 euros de congés payés afférents ;
En tout état de cause,
Dire que ces sommes seront assorties de l’intérêt légal, à compter du 3 décembre 2018, date de la saisine du conseil de prud’hommes,
Ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis plus d’un an,
Condamner la société à verser à Mme [M] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 5 juillet 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 5 septembre 2023.
Motivation
MOTIFS
Sur la nullité de la clause de non-concurrence
Au rappel que la validité de la clause de non-concurrence dépend de l’étendue de la restriction apportée à sa liberté de travailler, qui doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et être proportionnée au but recherché par l’employeur, Mme [M] fait valoir que, compte tenu de sa formation et de son expertise acquise dans le champ de la distribution de logiciels et de solutions en matière de réseaux et télécommunications depuis 20 ans, la clause litigieuse était rédigée en des termes singulièrement larges, lui interdisant d’exercer sur le territoire national dans son domaine d’activité et d’expertise, durant un an, ce qui s’avéra. Elle en déduit sa nullité.
La société Arrow ECS plaide la validité de la clause qui se déduit de ses limites temporelles, spatiales, matérielles et de la contrepartie financière organisée. Elle l’estime légitime compte tenu des fonctions de la salariée, en contact direct avec la clientèle, et proportionnée à l’aune de l’indemnisation, dépassant l’usage. Elle conteste qu’elle ait constitué un empêchement absolu au retour à l’emploi, et note n’avoir jamais été sollicitée pour une autre société que Techdata par l’intimée, qui ne justifie d’aucune recherche dans des secteurs proches ou à l’étranger, et dont l’employabilité ne pâtit pas puisqu’elle trouva un nouvel emploi le 1er janvier 2019.
En application du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
En l’occurrence, comme l’a justement relevé le conseil de prud’hommes, la clause est limitée dans le temps, dans l’espace, et règle sa contrepartie financière.
Si Mme [M] en querelle la disproportion aux intérêts de l’entreprise, il n’en reste pas moins qu’elle occupait des fonctions commerciales en contact direct avec la clientèle, en qualité de brand manager, statut cadre, qu’elle était par ailleurs tenue à une obligation de discrétion et au secret professionnel « absolu », sur les renseignements recueillis à l’occasion de ses fonctions, s’entendant, selon la clause non disputée le stipulant, de la non-divulgation des plans, études, conceptions de projets, travaux réalisés par l’entreprise, et ce, dans le secteur très concurrentiel de la conception et de la distribution de services notamment informatiques pour les professionnels. Elle doit ainsi être tenue pour indispensable à la protection des affaires de l’appelante.
Cela étant, la clause litigieuse restreint l’activité concurrente empêchée à la distribution de produits informatiques et de services associés, et dresse une liste, certes non exhaustive, de huit sociétés concurrentes, laissant néanmoins supposer, sur l’ensemble des très nombreuses entreprises exerçant dans le secteur de l’informatique, que certaines développaient des activités plus spécifiquement concurrentes que d’autres à celle de l’appelante.
Au surplus, l’intimée, faute d’aucune pièce, n’établit pas n’avoir pu retrouver d’emploi durant un an de ce motif, et n’a pas interrogé l’employeur, dans le champ de cette activité singulière. Elle ne justifie pas plus n’avoir pu rechercher d’emploi dans des secteurs voisins en France, et notamment dans celui de la télécommunication, alors que son curriculum vitae laisse voir qu’elle avait travaillé chez un éditeur de solutions de communication unifiées de 2012 à 2016, et qu’elle se prévalait de très bonnes connaissances des technologies internet/intranet, télécommunications et sécurité.
Dès lors, la clause, par ailleurs limitée, n’étant pas disproportionnée aux intérêts légitimes de l’employeur, n’encourt pas la nullité. Les prétentions en ce sens de Mme [M] seront rejetées par confirmation du jugement.
Sur l’indemnisation
Le jugement sera nécessairement infirmé en ce qu’il a condamné la société Arrow à indemniser Mme [M] des conséquences de la limitation de sa liberté de travailler, dans la mesure où la clause litigieuse a été jugée valable, où de toute manière, en cause d’appel, la requérante subordonne cette indemnisation à la nullité de la clause qui n’a pas été retenue et où, comme l’observe l’employeur à juste titre, le juge ne peut qu’annuler ou restreindre la durée ou l’étendue territoriale de la clause, et ne saurait modifier indirectement la contrepartie financière.
Sur l’exécution forcée de la clause
Mme [M] sollicite paiement forcé des deux mois non réglés, novembre et décembre 2018, en exécution de la clause de non-concurrence, et la société Arrow ECS se prévaut de la décision du 22 novembre 2018 de la cour d’appel de Versailles, statuant en référé, libérant l’intéressée de ses stipulations, en sorte qu’aucune contrepartie supplémentaire n’est due, selon elle.
Il est acquis aux débats que l’indemnisation était due dès le départ effectif de la salariée, et ainsi dès le 1er janvier 2018, et qu’elle a été réglée jusqu’au mois d’octobre inclus.
Par ailleurs, de manière concordante, les parties se prévalent de l’autorité de la chose jugée de la décision de référé en appel.
En application de l’article 480 du code de procédure civile, elle joue dès le prononcé de la décision.
Dès lors, la société Arrow est tenue au paiement de la contrepartie financière du 1er au 22 novembre 2018, soit, à la somme de (6.802,16 euros/60 jours) x 22 jours = 2.494 euros, majorée des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé sur le quantum alloué.
Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal dès le 3 décembre 2018, date de saisine du conseil de prud’hommes, qui seront capitalisés dans les conditions posées à l’article 1343-2 du code civil.
Sur les frais de justice
Nul motif ne préside à la réformation du jugement sur les frais alloués en première instance.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné la société par actions simplifiée Arrow ECS à verser à Mme [B] [M] 10.000 euros de dommages-intérêts et a fixé le quantum de la contrepartie financière restant due aux sommes de 6.802,13 euros et 680,21 euros ;
L’infirme sur le surplus ;
Statuant de nouveau sur les chefs infirmés ;
Condamne la société par actions simplifiée Arrow ECS à payer à Mme [B] [M] la somme de 2.494 euros en exécution de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence du 1er au 22 novembre 2018, et de 249 euros de congés payés afférents, augmentées des intérêts au taux légal dès le 3 décembre 2018 ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;
Déboute Mme [B] [M] du surplus de ses demandes ;
Rappelle que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d’obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l’exécution provisoire ;
Rappelle la compensation des créances réciproques des parties à raison de la moindre d’entre elles ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne la société par actions simplifiée Arrow ECS aux dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,