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Clause de non-concurrence : 27 septembre 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01098

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Clause de non-concurrence : 27 septembre 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01098

Arrêt n°

du 27/09/2023

N° RG 22/01098

IF/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 27 septembre 2023

APPELANTE :

d’un jugement rendu le 6 mai 2022 par le Conseil de Prud’hommes de TROYES, section Encadrement (n° F 21/00006)

Madame [U] [O] épouse [C]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS et par la SELARL CORINNE LINVAL, avocat au barreau de l’AUBE

INTIMÉE :

LA MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE-SSAM

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par la SARL BELLEC & ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 juin 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, et Madame Isabelle FALEUR, Conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 27 septembre 2023.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle FALEUR, conseiller, en remplacement du président régulièrement empéché, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Faits et procédure :

Madame [U] [C] [O] a été embauchée par la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à compter du 1er décembre 1988.

En dernier lieu, elle occupait les fonctions de pharmacienne assistante, statut cadre.

Son contrat de travail était régi par la convention collective de la Mutualité.

Elle était rémunérée par référence à la classification 550 de la convention collective des pharmaciens d’officine.

Par courrier du 20 mai 2020, Madame [U] [C] [O] a fait l’objet d’un rappel à l’ordre par sa supérieure hiérarchique, Madame [P] [A], pharmacienne directrice, pour avoir enfreint les règles d’utilisation du téléphone portable sur le lieu de travail, pour ne pas avoir respecté les gestes barrières et le port du masque dans un contexte épidémique lié au Covid 19, et pour avoir, le 14 mai 2020, laissé entrer dans l’espace réservé au personnel un membre de sa famille et son animal de compagnie.

Le 7 octobre 2020, Madame [U] [C] [O] a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 19 octobre.

Le 16 octobre 2020, Madame [U] [C] [O] a adressé un courrier électronique à Madame [D] [Z], responsable RH et à Madame [X] [I] directrice du pôle Biens Médicaux, pour porter à leur connaissance le harcèlement moral qu’elle subissait de la part de Madame [P] [A], se manifestant par une dévalorisation, une défiance affichée à son égard et une volonté de la décrédibiliser vis-à-vis de son équipe.

L’entretien préalable s’est déroulé le 19 octobre 2020.

Madame [U] [C] [O] a été licenciée pour faute grave par courrier du 26 octobre 2020, son employeur lui reprochant d’avoir commis des erreurs de délivrance de médicaments pouvant nuire à la santé des clients, de ne pas avoir respecté les protocoles de traçabilité de délivrance ou de destruction de produits placés sous la réglementation des stupéfiants, de s’être octroyé un avantage personnel et individuel contraire à la réglementation et aux procédures en vigueur et de ne pas avoir respecté les notes de service et le règlement intérieur concernant le port du masque, les gestes barrières et l’utilisation de son téléphone portable.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Troyes par requête du 8 janvier 2021 pour contester son licenciement et formuler diverses demandes indemnitaires et de dommages et intérêts.

Devant le bureau de conciliation et d’orientation, Madame [U] [C] [O] a sollicité la production, par l’employeur, de ses relevés d’heures de travail sur le fondement de l’article R 1454-14 du code du travail.

Par décision du 19 février 2021, le bureau de conciliation et d’orientation a rejeté sa demande.

Au terme de ses dernières conclusions, Madame [U] [C] [O] a sollicité du conseil de prud’hommes de Troyes :

– qu’il condamne la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à lui payer les sommes suivantes :

. 41’686,72 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

. 12’652,59 euros au titre de l’indemnité de préavis,

. 1 265,26 euros au titre des congés payés sur préavis,

. 201’528,36 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

. 16’870,08 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l’indemnité compensatrice de clause de non-concurrence,

. 15’000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison du harcèlement moral et des conditions vexatoires dans la mise en ‘uvre de la procédure de licenciement,

. 684,72 euros de rappel de salaires au titre des minima conventionnels,

. 68,47 euros de congés payés afférents,

. 10’000 euros à titre de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité en raison du non-respect par l’employeur des amplitudes de travail, de l’application sans son accord d’un temps de travail modulé et de l’absence de document récapitulatif du temps de travail joint à chaque bulletin de salaire,

. 25’305,18 euros à titre d’indemnité de travail dissimulé,

. 3 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– qu’il condamne la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM aux dépens.

Par jugement du 6 mai 2022, le conseil de prud’hommes de Troyes a :

– dit Madame [U] [C] [O] recevable mais mal fondée en ses demandes,

– dit que le licenciement pour faute grave de Madame [U] [C] [O] était fondé,

– débouté Madame [U] [C] [O] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné Madame [U] [C] [O] à payer à la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Madame [U] [C] [O] aux entiers dépens.

Madame [U] [C] [O] a interjeté appel du jugement de première instance, le 24 mai 2022, pour le voir infirmer en toutes ses dispositions.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 28 juin 2023 pour être mise en délibéré au 27 septembre 2023.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 22 août 2022, auxquelles en application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Madame [U] [C] [O] demande à la cour :

DE JUGER recevable et bien fondé son appel à l’encontre du jugement du conseil de prud’hommes de Troyes du 6 mai 2022 ;

le réformant en toutes ses dispositions,

DE DÉCLARER son licenciement nul, et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et en tout cas non fondé sur une cause grave ;

DE CONDAMNER la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à lui payer les sommes suivantes :

. 41’698,72 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement

. 12’652,59 euros au titre de l’indemnité de préavis

. 1 265,26 euros au titre des congés payés sur préavis

. 201’528,36 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement 84’350,60 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

. 16’870,08 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l’indemnité compensatrice de clause de non-concurrence

. 15’000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison du harcèlement moral et des conditions vexatoires dans la mise en ‘uvre de la procédure de licenciement

. 247,26 euros de rappel de salaires au titre des minima conventionnels

. 24,72 euros de congés payés afférents

. 10’000 euros à titre de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité

. 25’305,18 euros à titre d’indemnité de travail dissimulé

. 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

D’ORDONNER la capitalisation des intérêts ;

DE CONDAMNER la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM aux dépens de première instance et d’appel ;

Madame [U] [C] [O] soutient que son licenciement est nul en raison de l’atteinte portée aux droits de la défense dans le cadre de l’entretien préalable, en raison du contexte de harcèlement moral dans lequel est intervenue la procédure de licenciement et à raison de la discrimination liée à l’âge.

Elle fait valoir que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme a consacré le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, que la jurisprudence fait une application large de la notion de tribunal, que l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit l’existence d’une liberté fondamentale qui consiste à voir sa situation appréciée équitablement dans le respect des droits attachés à la défense.

Madame [U] [C] [O] ajoute que l’article 7 de la convention 158 de l’organisation internationale du travail dispose qu’un travailleur ne doit pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité.

Elle souligne que l’irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire est assimilée à une garantie de fond dès lors que le salarié a été privé des droits de sa défense ou lorsqu’elle est susceptible d’avoir exercé une influence sur la décision finale de l’employeur et fait valoir qu’elle n’a pu avoir accès à son dossier et n’a pu, en vue de l’entretien préalable, se faire assister efficacement et préparer sa défense faute de connaître ce qui lui était reproché.

Madame [U] [C] [O] fait valoir, sur le fondement de l’article L 1152-1 du code du travail, que concomitamment à l’engagement de la procédure de licenciement, elle a informé sa hiérarchie par écrit qu’elle était victime de harcèlement moral avec pour point d’orgue la constitution d’un dossier disciplinaire destiné à la faire partir à moindre coût et qu’elle faisait l’objet d’un traitement discriminatoire lié à l’âge.

Elle souligne que, contrairement à son engagement pris lors de l’entretien préalable, l’employeur a fait le choix de la sanctionner sans enquête, en cautionnant le comportement de harcèlement moral de Madame [P] [A], sa supérieure hiérarchique, alors qu’une autre salariée dont la rupture de la période d’essai présentait toutes les caractéristiques de l’abus de droit, se plaignait d’être victime de faits identiques.

Madame [U] [C] [O] soutient que lorsque la dénonciation des faits de harcèlement moral intervient concomitamment à la mise en ‘uvre d’une procédure disciplinaire concernant la plaignante, l’employeur ne peut poursuivre sa procédure en s’affranchissant de son obligation de vérifier si la demande de sanction formulée par la mise en cause ne s’inscrit pas dans le processus de harcèlement dénoncé.

Madame [U] [C] [O] affirme qu’elle a subi des actions répétées ayant dégradé ses conditions de travail : interdiction de disposer de son téléphone portable dans le tiroir de son guichet pour consulter sa messagerie alors que le pronostic vital de sa mère âgée était engagé, comportement versatile de Madame [P] [A] alternant entre semblant d’amitié, ignorance, défiance injustifiée et attitude cassante, retrait des clés de la pharmacie, interdiction d’accéder au bureau des pharmaciens devenu le bureau individuel de [P] [A], interdiction d’accéder aux documents professionnels, surveillance en vue de constituer un dossier disciplinaire, reproches injustifiés, port du masque 10 heures par jour sans possibilité de s’isoler pour le retirer en effectuant des tâches hors public, amplitude anormale de temps de travail, mise en ‘uvre d’un décompte du temps de travail opaque, refus de lui faire connaître les griefs reprochés et de lui transmettre les pièces pour préparer sa défense.

Madame [U] [C] [O] affirme qu’elle a été victime d’une discrimination liée à l’âge, étant âgée de 58 ans au moment de l’engagement de la procédure de licenciement, après 32 ans d’ancienneté, et précise que Madame [J] dont la période d’essai a été rompue par Madame [P] [A] était alors âgée de plus de 50 ans.

A titre subsidiaire, Madame [U] [C] [O] affirme que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, les fautes qui lui sont reprochées n’étant pas caractérisées.

Concernant les prétendues erreurs dans la délivrance des médicaments, elle explique qu’elle a fait une avance d’un médicament (Norfloxacine) à une cliente habituelle de la pharmacie conformément aux règles déontologiques des pharmaciens qui leur permettent d’avancer un médicament habituellement pris par un patient dans le cadre d’une affection chronique dès lors que ce dernier justifie avoir pris un rendez-vous auprès du praticien concerné ; qu’elle a délivré du Plaquenil sur production d’une ordonnance d’un rhumatologue habilité à prescrire ce type de médicament pour une pathologie de polyarthrite ; qu’elle a fait l’avance d’un médicament vétérinaire pour un chien présentant une insuffisance cardiaque chronique, la propriétaire de l’animal n’ayant pu obtenir un rendez-vous à bref délai auprès du vétérinaire et l’interruption du traitement pouvant entraîner un risque vital pour l’animal ; que c’est dans le cadre du contrôle de cohérence de la prescription, qu’il appartient au pharmacien d’effectuer sur l’ordonnance médicale qui lui est présentée, qu’elle a délivré à un jeune patient de la Ritaline 20 mg en libération prolongée et de la Ritaline 10 mg à libération immédiate.

Concernant le non-respect des protocoles de traçabilité de délivrance des stupéfiants ou de leur destruction, Madame [U] [C] [O] affirme que l’employeur n’en apporte aucune preuve, se contentant de produire des photographies de médicaments qui ne permettent de préciser ni la date de leur réception, ni le contenu des sacs, ni la personne qui les a réceptionnés.

Elle fait valoir par ailleurs que la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM, qui produit des textes réglementaires, ne précise pas ses propres procédures internes de contrôle et de destruction et que c’est à la pharmacienne directrice d’assurer l’effectivité de la traçabilité des stupéfiants et de leur destruction, avec un lieu de stockage dédié et une procédure interne en conformité avec la législation.

Concernant l’octroi d’un avantage personnel de quelques euros, Madame [U] [C] [O] affirme qu’elle s’est délivrée un collyre selon l’usage existant au sein de la Mutualité consistant à facturer au personnel des prix préférentiels, au tarif du remboursement de la sécurité sociale et que la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM, qui conteste cet usage, n’explique pas la différence de traitement entre ses salariés dès lors qu’elle applique cet avantage à d’autres salariés et notamment à Madame [G] qui a pu s’acheter des collants de contention avec un avantage de 15 euros.

Concernant le grief d’insubordination, Madame [U] [C] [O] souligne que l’employeur le reprend dans la lettre de licenciement alors que les faits ont déjà été sanctionnés dans la lettre du mois de mai 2020, qu’ils sont prescrits et infondés dès lors que l’employeur ne démontre ni qu’elle ne respectait pas les règles de port du masque ni qu’elle ait fait usage de son téléphone portable alors qu’elle se trouvait au comptoir.

Madame [U] [C] [O] expose qu’elle n’a pu retrouver que des contrats précaires de remplacement, que les années d’indemnisation du chômage n’ouvrent pas droit à des trimestres de cotisation en vue de la retraite et qu’elle a dû souscrire une couverture santé individuelle dont le montant est élevé au regard de son âge, ce qui justifie l’indemnisation de la nullité de son licenciement à hauteur de quatre années de rémunération soit la somme de 201 528,36 euros.

A titre subsidiaire elle sollicite que la cour fasse application du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse à son maximum, soit 20 mois de salaire équivalents à 84’350,60 euros.

Elle soutient que le harcèlement moral dont elle a été victime et la procédure de licenciement vexatoire dont elle a fait l’objet, alors qu’elle n’avait pas démérité en 32 années d’ancienneté, justifient une indemnisation à hauteur de 15’000 euros.

Madame [U] [C] [O] fait valoir que la clause de non-concurrence qui figure dans son contrat de travail ne prévoit pas la possibilité pour l’employeur d’y renoncer unilatéralement sans l’accord de la salariée et qu’elle est par ailleurs nulle car dépourvue de contrepartie financière.

Elle souligne que, même à la qualifier de clause de non- réinstallation, elle doit être assortie d’une contrepartie financière sérieuse.

Madame [U] [C] [O] affirme que sa demande de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité est recevable puisque, dès le stade du bureau de conciliation et d’orientation, elle avait sollicité la production des relevés d’heures et s’était prévalue du non-respect des amplitudes de temps de travail et de la mise en ‘uvre d’un système de compensation des heures supplémentaires sans accord collectif et information préalable. Elle ajoute que ces éléments se trouvent dans le débat depuis l’origine et que sa demande est, de ce fait, recevable.

Elle affirme que l’employeur a mis en place sans son accord et dans des conditions opaques, un système de compensation partielle des heures supplémentaires avec l’octroi de jours de repos alors que la convention collective subordonne le recours au repos compensateur de remplacement à l’accord exprès du salarié.

Elle ajoute que le non-respect des amplitudes de temps de travail caractérise un manquement à l’obligation de sécurité dont l’employeur est débiteur, que par ailleurs, ce dernier n’a pris aucune disposition pour mesurer, dans le cadre de la révision du document d’évaluation des risques en période Covid, les conséquences pour les salariés du contact avec le public et du port du masque pendant une période de 10 heures par jour, ce qui justifie une indemnisation à hauteur de 10’000 euros.

Madame [U] [C] [O] soutient que le système de compensation partielle des heures supplémentaires, mis en place par l’employeur, lui permettait d’éviter le paiement des heures supplémentaires majorées et les contreparties obligatoires en repos, ce qui caractérise l’élément intentionnel de la dissimulation d’emploi.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 novembre 2022, auxquelles, en application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM demande à la cour :

DE DÉCLARER que la demande nouvelle portant sur le versement de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité est irrecevable ;

DE CONFIRMER le jugement rendu en ce qu’il a :

– dit Madame [U] [C] [O] recevable mais mal fondée en ses demandes,

– dit que le licenciement pour faute grave de Madame [U] [C] [O] était fondé,

– débouté Madame [U] [C] [O] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné Madame [U] [C] [O] à lui payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Madame [U] [C] [O] aux entiers dépens,

En conséquence,

DE DIRE que le licenciement pour faute grave est justifié ;

En tout état de cause :

DE DÉBOUTER Madame [U] [C] [O] de l’ensemble de ses demandes ;

DE CONDAMNER Madame [U] [C] [O] à lui payer la somme de 3600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DE CONDAMNER Madame [U] [C] [O] en tous les frais et dépens liés à l’instance.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM fait valoir que la demande de Madame [U] [C] [O] portant sur des dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité est irrecevable comme étant nouvelle dès lors que le principe d’unicité d’instance a été abrogé par un décret du 20 mai 2016, entré en vigueur le 1er août 2016, que dans sa requête saisissant le conseil de prud’hommes de Troyes, Madame [U] [C] [O] n’a formé aucune demande à ce titre et ne l’a formée qu’à l’occasion de conclusions ultérieures.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM affirme que Madame [U] [C] [O] a commis une faute grave justifiant son licenciement en ne respectant pas les protocoles de traçabilité de délivrance ou de destruction de produits placés sous la réglementation des stupéfiants, en ne respectant pas les consignes de sécurité et d’hygiène, en ayant commis des erreurs de délivrance de médicaments, en s’octroyant un avantage personnel et individuel contraire à la réglementation et aux procédures en vigueur.

Elle conteste tout harcèlement moral qu’aurait exercé Madame [P] [A], et affirme que Madame [U] [C] [O] a instrumentalisé la notion de harcèlement moral pour faire obstacle à son licenciement.

Elle souligne enfin que Madame [U] [C] [O] ne produit aucun élément au soutien de ses allégations de discrimination liée à l’âge.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM fait valoir que la clause de non réinstallation insérée dans le contrat de travail de la salariée n’a pas la nature juridique d’une clause de non-concurrence et qu’elle est prévue par l’article R 4235-37 du code de déontologie des pharmaciens qui ne fait référence à aucune contrepartie financière.

Elle souligne qu’en tout état de cause Madame [U] [C] [O] n’a subi aucun préjudice du fait de l’insertion de cette clause à son contrat de travail dont elle l’a déliée dans la lettre de licenciement.

Concernant la demande de rappel de salaire, la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM fait valoir que Madame [U] [C] [O] se fonde à tort sur la convention collective des pharmacies d’officine qui ne lui est pas applicable dès lors qu’elle relève de la convention collective de la Mutualité comme indiqué sur ses bulletins de paie.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM expose que Madame [U] [C] [O] qui lui reproche de ne pas avoir respecté les dispositions légales concernant la durée du travail, ne fournit pas d’éléments précis de nature à étayer sa demande et que toutes les heures effectuées et non déjà récupérées ont été rémunérées et apparaissent sur le solde de tout compte.

Elle conteste toute intention de dissimuler les heures de travail effectuées par Madame [U] [C] [O].

Motifs :

Sur la demande de dommages-intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité

* sur la recevabilité de la demande

En vertu de l’article L 1454-1-1 du code du travail, en cas d’échec de la conciliation, la formation du bureau de jugement vers laquelle l’affaire a été orientée connaît de toutes les demandes des parties, y compris les demandes additionnelles ou reconventionnelles.

L’article 70 du code de procédure civile dispose que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En l’espèce, si dans le cadre de son acte de saisine, reçu au greffe du conseil de prud’hommes de Troyes le 8 janvier 2021, Madame [U] [C] [O] n’a pas formé de demande de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité en lien avec le respect de la durée du travail, elle a toutefois formé une demande de rappel d’heures supplémentaires à chiffrer dans l’attente de la production par l’employeur sous astreinte, des documents d’enregistrement de son temps de travail pour la période de janvier 2018 à octobre 2020, ainsi qu’une demande d’indemnité de travail dissimulé ce qui établit que, dès l’origine de la procédure, elle a contesté le décompte de son temps de travail.

Elle a d’ailleurs formé, devant le bureau de conciliation et d’orientation une demande sur le fondement de l’article R 1454-14 du code du travail pour obtenir communication de ses relevés d’heures, dont elle a été déboutée par décision du 19 février 2021 du bureau de conciliation et d’orientation.

La demande de Madame [U] [C] [O], sur laquelle le conseil de prud’hommes de Troyes n’a pas statué, est donc recevable dès lors qu’elle se rattache aux prétentions d’origine par un lien suffisant.

* sur le bien-fondé de la demande

Madame [U] [C] [O] produit aux débats un document intitulé « édition de la période du 1er septembre 2019 au 30 septembre 2019 » qui, la concernant, mentionne un ‘temps de présence théorique’ de 148 heures, un ‘temps de présence effective’ de 193,04 heures, un ‘temps d’heures normales’ de 182,29 heures et un ‘temps d’heures payées’ de 189,29 heures. Il est également mentionné 29,48 heures de ‘solde d’heures en compte’.

Le bulletin de salaire correspondant pour la période de septembre 2019 ne mentionne aucune heure supplémentaire et mentionne un horaire de 151,67 heures.

Les bulletins de salaire que Madame [U] [C] [O] produits aux débats pour la période du 1er septembre 2019 jusqu’à son licenciement ne comportent pas, à l’exception de celui d’octobre 2019, de mention d’heures supplémentaires.

Le document intitulé « édition de la période du 1er septembre 2019 au 30 septembre 2019 » corrobore les affirmations de Madame [U] [C] [O] selon lesquelles l’employeur avait mis en place un système de compensation des heures supplémentaires avec l’octroi de jours de repos.

Il est par ailleurs établi qu’elle avait sollicité devant le bureau de conciliation et d’orientation, au titre du droit à la preuve, la communication des éditions des heures de travail réalisées, demande que les juges ont rejeté au motif qu’elle devait chiffrer ses heures supplémentaires par un décompte préalable.

Or, si dans le cadre des règles de preuve relatives aux heures supplémentaires, le salarié doit apporter des éléments précis sur son temps de travail et les heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées pour que l’employeur puisse répondre, les demandes de communication de pièces ne relèvent pas de ces règles et la cour observe que l’employeur ne justifie d’aucun décompte du temps de travail de Madame [U] [C] [O] permettant le paiement majoré des heures supplémentaires éventuellement effectuées voir l’application du repos compensateur au-delà du contingent conventionnel des heures supplémentaires, alors qu’il est établi, au moins pour le mois de septembre 2019 qu’elle a effectué de nombreuses heures supplémentaires.

C’est à l’employeur de contrôler le temps de travail du salarié et de veiller à ce qu’il ne dépasse pas les durées légales quotidiennes et hebdomadaires, un tel dépassement, susceptible d’affecter la santé du salarié, étant constitutif d’un manquement à l’obligation de sécurité

En l’espèce, la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM n’apporte pas cette preuve.

L’absence de respect des durées légales de travail crée nécessairement un préjudice pour le salarié.

Compte tenu de la persistance dans le temps de cette situation, il convient de réparer le préjudice de Madame [U] [C] [O] à hauteur de 2 500 euros.

Sur la demande de rappel de salaires

Il est établi par les bulletins de salaire produit aux débats que le contrat de travail de Madame [U] [C] [O] relevait de la convention collective Mutualité.

Il est fait toutefois référence, en ce qui concerne le niveau de rémunération, au coefficient 550 propre à la convention collective des pharmacies d’officine.

L’article L 5125-1 du code de la santé publique dispose qu’on entend par officine l’établissement affecté à la dispensation au détail des médicaments, produits et objets mentionnés à l’article L 4211-1 ainsi qu’à l’exécution des préparations magistrales ou officinales.

Il y a donc lieu d’appliquer la convention collective des pharmacies d’officine au calcul de la rémunération de Madame [U] [C] [O], étant en outre observé que l’avenant à son contrat de travail en date du 1er juillet 1993 stipule qu’elle est rémunérée par référence à la classification cadre au sens de la convention collective de la pharmacie d’officine.

C’est donc à juste titre que Madame [U] [C] [O] soutient que la grille salariale de la convention collective de la pharmacie, issue de l’accord du 10 janvier 2020 relatif aux salaires à compter du 1er janvier 2020, prévoit que la valeur du point conventionnel de salaire dans la branche professionnelle de la pharmacie d’officine est fixée à 4,568 euros de l’heure sur la base de référence du coefficient 100 de la convention collective et que, pour les salaires mensuels des coefficients supérieurs à 230, le mode de calcul du salaire est le suivant : coefficient x valeur du point conventionnel x 151,67/100.

Ainsi pour un coefficient 550 le calcul est de 550 x 4,568 x 151,67/100 = 3810,55 euros.

Or le salaire mensuel de Madame [U] [C] [O] était de 3791,53 euros soit un différentiel à son préjudice de 19,02 euros par mois.

Compte tenu des développements qui vont suivre, ce différentiel doit être pris en compte sur une période de 13 mois, incluant le préavis, soit la somme de 247,26 euros outre 24,72 euros de congés payés afférents.

Compte tenu des rubriques ‘choix’ et ‘expérience professionnelle acquise’ qui figurent chaque mois sur ses bulletins de salaire pour des montants respectifs de 201,29 euros et 46,98 euros, le salaire mensuel brut de référence de Madame [U] [C] [O] s’établit à la somme de 4058,82 euros.

Sur la nullité du licenciement

* sur la violation des droits de la défense

Le licenciement ne peut être annulé que si la loi le prévoit expressément ou en cas de violation d’une liberté fondamentale.

La salariée se fonde sur les dispositions des articles 6 et 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme et sur l’article 7 de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail pour conclure à la nullité de son licenciement dans la mesure où la lettre de convocation à l’entretien préalable ne comporte pas les motifs sous-tendant la mesure de licenciement envisagée, circonstance constitutive, selon elle, d’une violation de ses droits fondamentaux et en particulier des droits de la défense.

Les dispositions de la convention européenne des droits de l’homme et de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail sont d’application directe en droit interne, de sorte qu’il appartient à la cour de vérifier si elles ont été ou non méconnues en l’espèce et si, ce faisant, elles ont porté atteinte à une liberté fondamentale.

L’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales intitulé «Droit à un procès équitable» dispose en son paragraphe 1 que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

C’est en vain que la salariée invoque ces dispositions, dont il ressort que le principe du droit à un procès équitable ne s’applique pas au stade, non juridictionnel, de l’entretien préalable.

L’article 7 de la convention n°158 de l’OIT prévoit qu’un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité.

Ces dispositions reconnaissent au salarié le droit de se défendre contre les griefs de son employeur avant le prononcé de son licenciement pour motif personnel et sont donc bien applicables en l’espèce.

En droit interne, la phase préalable au prononcé du licenciement pour motif personnel est régie par les dispositions des articles L 1232-2 et suivants du code du travail.

C’est ainsi que l’article L 1232-2 du code du travail dispose que l’employeur qui envisage de licencier un salarié, le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation. L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.

L’article L1232-3 du même code précise qu’au cours de l’entretien préalable, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications de ce dernier.

Enfin, l’article L 1232-4 définit les modalités d’assistance du salarié lors de son audition, cette possibilité d’assistance devant être mentionnée dans la lettre de convocation à l’entretien préalable.

Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu’au stade de la convocation à l’entretien préalable, l’employeur a seulement l’obligation d’en mentionner l’objet et que ce n’est qu’au cours de l’entretien qu’il doit indiquer au salarié les motifs de la décision envisagée et recueillir ses explications ainsi que ses moyens de défense.

En l’espèce, Madame [U] [C] [O] a été dûment informée, par la convocation en date du 7 octobre 2020 à l’entretien préalable du 19 octobre 2020, que l’employeur envisageait à son égard une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. La lettre indique qu’elle peut se faire assister, lors de l’entretien, par une personne de son choix appartenant au personnel.

Par ailleurs, la salariée, qui au demeurant ne justifie pas avoir, avant la tenue de l’entretien préalable, demandé de précisions à l’employeur sur les faits qui lui étaient reprochés, ne contredit pas avoir eu connaissance des griefs, lors de l’entretien préalable au cours duquel elle a pu s’exprimer.

En conséquence, l’énonciation de l’objet de l’entretien dans la lettre de convocation adressée à la salariée par l’employeur qui envisage un licenciement et la tenue de l’entretien préalable au cours duquel la salariée – laquelle a la faculté d’être assistée – peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfait à l’exigence de loyauté et au respect des droits du salarié.

Aucune nullité n’est encourue du chef de la violation d’une liberté fondamentale.

* sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1152-3 du code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

S’il en résulte que le licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul, il est toutefois nécessaire, pour que la nullité du licenciement du fait du harcèlement soit prononcée, que soit établi un lien entre le harcèlement moral et le motif du licenciement.

Madame [U] [C] [O] qui soutient que la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM avait pris l’engagement lors de l’entretien préalable de diligenter une enquête concernant les faits de harcèlement qu’elle dénonçait n’apporte aucune preuve de cet engagement.

C’est par ailleurs à tort qu’elle affirme que lorsque la dénonciation de fait de harcèlement moral intervient concomitamment à la mise en ‘uvre d’une procédure disciplinaire concernant la plaignante, l’employeur ne peut poursuivre sa procédure en s’affranchissant de son obligation de vérifier si la demande de sanction formalisée par la mise en cause ne s’inscrit pas dans le processus de harcèlement dénoncé.

En effet si cette enquête est opportune dans un tel contexte, elle n’est nullement obligatoire.

Il appartient à la cour de se prononcer sur la réalité du harcèlement dénoncé par Madame [U] [C] [O].

En vertu de l’article L 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L 1152-1 du code du travail.

Dans l’affirmative, il appartient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Madame [U] [C] [O] expose qu’elle a été harcelée en raison des faits suivants :

– interdiction de disposer de son téléphone portable dans le tiroir de son guichet pour consulter les messages concernant sa mère dont le pronostic vital était engagé.

Il est établi que le 20 mai 2020 Madame [U] [C] [O] a fait l’objet d’un rappel à l’ordre de la part de Madame [P] [A], pharmacien directeur pour avoir continué à utiliser son téléphone sur son lieu de travail, malgré leurs différents échanges suite à la mise en place de la note d’instruction concernant l’interdiction d’utilisation du téléphone portable sur le lieu de travail.

Ce fait est établi

– Comportement de Madame [P] [A] alternant entre fausses amitiés et utilisation de termes tels que ‘ma [U]’ ‘gros bisous’ ‘je t’apprécie’ puis n’adressant plus la parole et affichant une défiance non justifiée, se manifestant notamment par le retrait des clés de la pharmacie.

Il est produit aux débats quelques échanges de sms des mois de février et avril 2020 et une copie de carte d’anniversaire démontrant des échanges cordiaux voire amicaux entre Madame [U] [C] [O] et Madame [P] [A].

Il est également produit un courrier électronique adressé à la direction de la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM le 20 octobre 2020 par Madame [V] [J], pharmacienne assistante, dont la période d’essai venait d’être rompue, dans lequel elle indique que [P] [A] divise pour mieux régner et qu’à l’occasion de ses congés elle a laissé les clés du bureau qu’elle considérait comme le sien et non celui de la pharmacie, à une préparatrice alors que la pharmacienne assistante avait 31 ans d’ancienneté dans l’entreprise.

Ces éléments sont insuffisants pour établir le comportement volontairement versatile et défiant de Madame [P] [A].

– interdiction d’accéder au bureau des pharmaciens qui est devenu le bureau de Madame [P] [A] et interdiction d’accéder aux documents qui relèvent du rôle du pharmacien.

Le courrier électronique susvisé émanant de Madame [J] mentionne que Madame [P] [A] s’était attribué le bureau.

Madame [U] [C] [O] produit un échange de courriers électroniques du 29 février 2020 qui démontre que Madame [P] [A] avait fermé une armoire à clé contenant des documents professionnels à laquelle les pharmaciens assistants ne pouvaient accéder.

Ce fait apparaît établi.

– port du masque 10 heures par jour sans possibilité de s’isoler pour le retirer en effectuant des tâches hors public.

Ce fait est établi par le rappel à l’ordre du 20 mai 2020 dans lequel il est indiqué que le port du masque n’est pas une option.

– amplitude de temps de travail, notamment sur septembre 2019, mise en ‘uvre d’un décompte du temps de travail opaque sans joindre l’édition de pointage au bulletin de salaire.

Ainsi que cela a été analysé ci-dessus, ce fait est établi.

– refus de transmettre les griefs reprochés et les pièces pour préparer sa défense en vue de l’entretien préalable : Madame [U] [C] [O] ne justifie pas avoir sollicité de telles informations auprès de l’employeur.

Ce fait n’est pas établi.

– ‘pistage’ pour alimenter un dossier disciplinaire point d’orgue du harcèlement moral

Il est établi que Madame [P] [A] a contrôlé le travail de Madame [U] [C] [O], le respect par cette dernière des gestes barrières en période épidémique et le respect des règles sur l’usage du téléphone, ce qui a conduit à la formulation de plusieurs griefs et à un licenciement pour faute grave.

Il est donc prouvé que Madame [U] [C] [O] a été rappelée à l’ordre concernant l’usage du téléphone portable sur le lieu de travail et concernant le port du masque, qu’elle ne pouvait pas accéder au bureau de la pharmacie que Madame [P] [A] avait ‘privatisé’, ni en certaines circonstances à l’armoire professionnelle qui était fermée à clé, que le temps de travail du mois de septembre 2019 a dépassé la durée légale de travail sans que les heures supplémentaires soient mentionnées sur le bulletin de salaire et que la salariée a fait l’objet d’un licenciement disciplinaire pour faute grave.

L’ensemble des éléments soumis à la cour permet de présumer que Madame [U] [C] [O] a été victime de harcèlement moral.

Il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM se prévaut d’une note d’instruction en date du 4 décembre 2019 concernant l’utilisation du téléphone portable dans laquelle il est indiqué :

– qu’il est demandé à tous les salariés de mettre leur téléphone portable personnel en mode vibreur ou silencieux et de les laisser dans leurs affaires personnelles

– que les appels téléphoniques personnels ou les envois de messages devront être passés dans un endroit isolé, sans occasionner de gêne pour le personnel présent, la clientèle et la qualité du service,

– qu’ils ne seront pas considérés comme un temps de travail et que ce temps passé devra être récupéré

– que l’utilisation du téléphone personnel doit être raisonnée et ne doit pas se faire au détriment de la prestation de travail

Au terme de cette note l’employeur rappelle qu’en cas de manquement constaté aux conditions d’utilisation du téléphone portable personnel pendant le temps de travail, le salarié pourra faire l’objet de sanctions disciplinaires.

Le rappel à l’ordre de Madame [U] [C] [O] est fondé sur cette note d’instruction et apparaît étranger à tout harcèlement.

Concernant le port du masque, il est constant que l’épidémie de Covid à compter de mars 2020 a nécessité le port du masque par les professionnels de santé en contact avec du public. L’obligation qui a été faite à Madame [U] [C] [O] de porter cet équipement de protection individuelle sur une large amplitude horaire, pour contraignant qu’il ait été, était justifiée par les conditions sanitaires. Ce fait est étranger à tout harcèlement.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM, pour justifier la ‘privatisation du bureau’ par Madame [P] [A] ou la fermeture à clé de l’armoire, produit un courrier d’explication de cette dernière qui mentionne que le bureau n’est pas un lieu de pause mais qu’elle y réalise les tâches administratives que Madame [U] [C] [O] a toujours refusé de faire et qu’il lui est arrivé de fermer l’armoire à clé car elle contenait des documents confidentiels.

En tant que pharmacienne directrice, responsable du bon fonctionnement de la pharmacie, Madame [P] [A] était fondée à dédier le bureau au traitement des tâches administratives et à mettre sous clé certains documents confidentiels, ce qui apparaît étranger à tout harcèlement moral.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM ne produit aucun élément concernant le temps de travail du mois de septembre 2019 et la contradiction entre le temps de présence effective de 193,04 heures et l’absence de mention des heures supplémentaires sur le bulletin de salaire afférent. Elle ne justifie pas de la comptabilisation du temps de travail hebdomadaire et mensuel.

Dans la mesure où Madame [U] [C] [O] expose que le licenciement injustifié pour faute grave est un élément constitutif du harcèlement moral, il convient à ce stade d’examiner le bien fondé des griefs formulés par l’employeur dans la lettre de licenciement, étant rappelé qu’il lui incombe d’en apporter la preuve.

Au titre du premier grief, la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM reproche à Madame [U] [C] [O] d’avoir délivré des médicaments pouvant nuire à la santé des patients en violation des articles R 4235-12 et suivants du code de la santé publique qui dispose que tout acte professionnel doit être accompli avec soin et attention, selon les règles de bonnes pratiques correspondant à l’activité considérée.

C’est à raison qu’elle reproche à Madame [U] [C] [O] d’avoir, le 17 août 2020, délivré un antibiotique Norflixacine avec une ordonnance périmée du 2 avril 2020 et sans en avoir informé le médecin traitant.

En effet, au terme de l’article R 5123-2-1 du code de la santé publique, le pharmacien peut exceptionnellement délivrer un médicament sur la base d’une ordonnance expirée à condition qu’elle remplisse les conditions cumulatives suivantes : le patient doit suivre un traitement chronique, c’est-à-dire depuis plus de trois mois, l’interruption serait préjudiciable à la santé du patient, le pharmacien doit inscrire la mention ‘délivrance par la procédure exceptionnelle d’une boîte supplémentaire’ sur l’ordonnance, le pharmacien doit informer dès que possible le médecin prescripteur de la délivrance du médicament.

En l’espèce aucune des conditions n’étaient remplies puisque l’ordonnance était périmée depuis plus de quatre mois, la Norfloxacine n’est pas un traitement chronique mais un antibiotique dont la prise est ponctuelle sur quelques jours. Il n’est pas établi que l’absence de délivrance aurait été préjudiciable pour la santé du patient et Madame [U] [C] [O] n’a pas inscrit la mention obligatoire sur l’ordonnance.

C’est également à raison qu’elle reproche à Madame [U] [C] [O] d’avoir délivré en juillet 2020 un traitement vétérinaire Cardelis 2,5 mg sans ordonnance.

En revanche, si la copie numérisée de l’ordonnance produite par la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM est illisible, il est établi que Madame [U] [C] [O] a délivré le 6 octobre 2020 six boîtes de Plaquenil sur la base d’une ordonnance lisible d’un médecin rhumatologue de [Localité 4], habilité à prescrire ce type de médicament, dont elle produit une copie aux débats.

Il n’est par ailleurs pas justifié qu’à la date de délivrance du médicament, le nombre de boîtes de Plaquenil était limité à deux en raison de la nécessité conjoncturelle de conserver des stocks.

Ce grief n’est pas fondé.

Au titre du deuxième grief, la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM reproche à Madame [U] [C] [O] de ne pas avoir respecté les protocoles de traçabilité de délivrance ou de destruction des produits placés sous la réglementation des stupéfiants.

Elle affirme que Madame [P] [A] a découvert le 14 septembre 2020, au sol, un sac contenant différentes boîtes de stupéfiants dont de la Ritaline 10 mg, près de l’armoire de Madame [U] [C] [O] dans l’espace vestiaire commun aux salariés, sans numéro d’ordonnancier sur les boîtes permettant d’en assurer la traçabilité et alors que les médicaments auraient dû être placés au coffre sous clé.

Elle affirme également que Madame [U] [C] [O] a reconnu les faits.

Toutefois l’employeur ne procède que par affirmation et la photographie des médicaments produite aux débats, non datée, est insuffisante pour engager la responsabilité de Madame [U] [C] [O] qui conteste les faits, et souligne à juste titre, qu’il incombait tout autant à Madame [P] [A] qu’à elle-même d’assurer la traçabilité et le stockage desdits médicaments stupéfiants.

Il est établi que Madame [U] [C] [O] a commis une erreur de délivrance le 4 septembre 2020 sur un stupéfiant destiné à un enfant âgé de six ans, deux boîtes de Ritaline 10 mg à libération immédiate ayant été délivrées au lieu de deux boîtes de Ritaline 10 mg à libération prolongée.

Toutefois l’ordonnance du médecin était peu cohérente en ce qu’elle mentionnait ‘RITALINE LP 20 10″ un comprimé à 20 et deux 10 mg le matin’.

Madame [U] [C] [O] fait justement observer que, logiquement, si le médecin avait souhaité que le patient prenne 40 mg de Ritaline à libération prolongée le matin, il aurait inscrit deux comprimés à 20 mg LP le matin et que c’est dans le cadre du contrôle de cohérence de la prescription qu’elle a délivré deux boîtes de Ritaline 10 mg à libération immédiate.

Il aurait été préférable qu’elle contacte le médecin prescripteur pour vérifier la prescription mais le grief est insuffisamment fondé.

Au titre du troisième grief, la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM reproche à Madame [U] [C] [O] de s’être octroyé un avantage personnel et individuel contraire aux procédures en vigueur en achetant du collyre VISMED dont elle modifiait le prix de vente public.

Madame [U] [C] [O] fait valoir qu’elle procédait selon l’usage existant au sein de la Mutualité, qui consistait à facturer au personnel des prix préférentiels, au tarif de remboursement de la sécurité sociale.

Toutefois elle ne justifie pas de cet usage et l’ordonnance et la facture relative aux collants de contention du Docteur [H] [G], salariée de la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM ne permet pas d’établir que cette dernière a bénéficié d’une remise de 15 euros en application de cet usage.

Le grief apparaît fondé étant précisé que le préjudice financier de la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM est inférieur à 10 euros.

Au titre du quatrième grief, la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM reproche à Madame [U] [C] [O] de ne pas porter le masque conformément au protocole sanitaire, justifiant de nombreux rappels à l’ordre y compris celui du Dr [B] fin mars 2020, de Madame [I] le 18 mai 2020 et de sa directrice pharmacien. Elle lui reproche également l’usage de son téléphone portable tous les jours au comptoir et son refus de se conformer aux procédures internes.

Or Madame [U] [C] [O] a déjà fait l’objet d’un rappel à l’ordre au mois de mai 2020 pour un manquement à l’obligation de porter correctement le masque et pour un usage inapproprié du téléphone portable et la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM qui procède par affirmations ne produit aucune preuve d’une persistance de ce comportement.

Le grief n’est pas fondé.

L’article L.1235-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige concernant la rupture du contrat de travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis.

Il est établi que Madame [U] [C] [O] a délivré un médicament vétérinaire au mois de juillet 2020, fait ancien, et un antibiotique le 17 août 2020 sans ordonnance valable et qu’elle a acheté quelques collyres en appliquant une réduction à laquelle elle ne justifie pas avoir droit, pour une somme inférieure à 10 euros.

Ces faits sont insuffisants pour caractériser une faute grave étant souligné que Madame [U] [C] [O] avait 32 ans d’ancienneté, qu’elle n’avait jamais fait l’objet d’une procédure disciplinaire à l’exception du rappel à l’ordre du mois de mai 2020 sur l’usage du masque et du téléphone portable dans des termes particulièrement imprécis et qu’elle produit aux débats une attestation de Monsieur [W], ancien pharmacien directeur salarié de la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM qui atteste de la qualité de son travail pendant 32 ans et de sa surprise quant à la procédure engagée par la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM.

Il est donc établi que Madame [U] [C] [O] a subi un harcèlement moral dont le licenciement pour faute grave, injustifié, est l’un des éléments constitutifs.

Son licenciement est donc entaché de nullité sur ce fondement sans qu’il soit nécessaire d’examiner la discrimination liée à l’âge, alléguée par la salariée.

Le harcèlement moral et les conditions vexatoires de son licenciement après 32 ans d’ancienneté justifient la condamnation de la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à payer à Madame [U] [C] [O] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les conséquences de la nullité du licenciement

* Indemnité légale de licenciement

La convention de la Mutualité prévoit que le salarié licencié bénéficie d’un demi mois de salaire par année d’ancienneté, au titre de l’indemnité de licenciement, plafonnée à 15/2 mois de salaire.

Au regard de l’ancienneté de Madame [U] [C] [O], l’indemnité conventionnelle est inférieure aux garanties légales prévues par les articles L 1234-9 et R 1234-1 et suivants du code du travail qu’il convient d’appliquer en l’espèce.

Compte tenu d’un salaire de référence de 4058,82 euros, l’indemnité légale de licenciement sera fixée à la somme de 39 911,68 euros.

* Indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents

Madame [U] [C] [O], en tant que cadre, bénéficie d’une indemnité de préavis de trois mois et des congés payés afférents soient les sommes de 12’119,40 euros outre 1 211,94 euros, qui n’incluent pas le différentiel de salaire pendant le préavis, déjà octroyé ci-dessus au titre du rappel de salaire sur 13 mois.

* dommages et intérêts pour licenciement nul

Madame [U] [C] [O] est née en 1962.

Elle était âgée de 58 ans au moment de son licenciement. Elle justifie avoir été indemnisée par pôle emploi pendant de nombreux mois et avoir retrouvé quelques contrats précaires de remplacement dont le dernier pour la période du 2 janvier 2023 au 29 avril 2023.

Contrairement à ce qu’elle affirme les périodes indemnisées par l’assurance chômage sont prises en compte pour la validation des trimestres d’assurance vieillesse et des points de retraite complémentaire.

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de condamner la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à lui payer la somme de 90’000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Sur la clause de non concurrence

Le contrat de travail de Madame [U] [C] [O] en date du 16 juillet 1990 stipule : « conscient qu’un jour prochain vous pourrez éprouver le légitime désir de vous installer à votre compte (seule ou en association) nous nous devons aujourd’hui d’insérer une clause de non-concurrence dans le présent contrat. C’est ainsi que nous vous demandons -que votre départ soit consécutif à une démission ou un licenciement de ne vous installer en tant que pharmacien ni [Adresse 3] à [Localité 5] ni dans les limites du bouchon de champagne à [Localité 6] et ce pendant les 12 mois suivant la cessation du contrat de travail vous ayant lié à la solidarité mutuelle ».

Cette clause de non-réinstallation, incorrectement qualifiée dans le contrat de travail de ‘clause de non concurrence’est conforme à l’article R4235-37 du code de la santé publique relatif à la déontologie des pharmaciens qui dispose :

‘ Un pharmacien qui, soit pendant, soit après ses études, a remplacé, assisté ou secondé un de ses confrères durant une période d’au moins six mois consécutifs ne peut, à l’issue de cette période et pendant deux ans, entreprendre l’exploitation d’une officine ou d’un laboratoire d’analyses de biologie médicale où sa présence permette de concurrencer directement le confrère remplacé, assisté ou secondé, sauf accord exprès de ce dernier.’

Par ailleurs, la clause n’est pas abusive, que ce soit dans le temps ou dans le périmètre visé et la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM a expressément indiqué dans la lettre de licenciement qu’elle renonçait à s’en prévaloir.

Madame [U] [C] [O] n’a subi aucun préjudice et sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à la liberté du travail.

Sur le travail dissimulé

Aux termes de l’article L. 8221-5 du code du’travail’, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige, est réputé’travail’dissimulé’par dissimulation d’emploi salarié, le fait par l’employeur de se soustraire intentionnellement soit à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche, soit à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur ces derniers un nombre d’heures de’travail’inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail, soit aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L’article L 8223-1 du même code prévoit qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l’employeur a eu recours en commettant les faits énoncés à l’article L. 8221-5 du code du travail, a droit à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire.

La dissimulation d’emploi salarié prévue par l’article L 8221-5 du code du travail est caractérisée lorsqu’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué, les juges du fond appréciant souverainement l’existence d’une telle intention.

En l’espèce, cette intention est, a minima, caractérisée pour le mois de septembre 2019 puisque les heures mentionnées sur le bulletin de salaire de Madame [U] [C] [O] ne correspondent pas aux heures mensuelles relevées par l’employeur. Par ailleurs l’absence de production par l’employeur des relevés du temps de travail sollicités par Madame [U] [C] [O] dénote une volonté de maintenir une certaine opacité sur la comptabilisation du temps de travail.

Il y a donc lieu d’accueillir la demande de Madame [U] [C] [O] au titre du travail dissimulé et de condamner la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à lui payer la somme de 24 352,92 euros.

Sur les autres demandes

Il convient de rappeler que les condamnations sont prononcées sous déduction des cotisations sociales et salariales applicables

En application de l’article L 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Madame [U] [C] [O] dans la limite de six mois d’indemnité.

Les condamnations de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 19 février 2021, date de l’audience de conciliation et d’orientation, à défaut de justificatif de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur à cette audience, en application des dispositions de l’article 1231-6 alinéa 1 du Code civil.

En application des dispositions de l’article 1231-7 du même code, les condamnations à des dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la nullité du licenciement, du harcèlement moral, de la déloyauté contractuelle et du manquement à l’obligation de sécurité porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts dus pour plus d’une année entière sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code précité.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM succombant en ses prétentions, le jugement de première instance est infirmé en ce qu’il a condamné Madame [U] [C] [O] à lui payer la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a condamnée aux dépens.

La société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM est condamnée à payer à Madame [U] [C] [O] la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Elle est par ailleurs déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens en appel.

Elle est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Par ces motifs :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Troyes du 6 mai 2022 en ce qu’il a déclaré Madame [U] [C] [O] recevable en ses demandes et en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’indemnité compensatrice de clause de non-concurrence,

L’INFIRME pour le surplus,

Statuant dans les limites de l’infirmation,

DIT que le licenciement de Madame [U] [C] [O] est nul en raison du harcèlement moral subi,

CONDAMNE la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à payer à Madame [U] [C] [O] les sommes suivantes :

. 39’911,68 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

. 12’119,40 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

. 1 211,94 euros au titre des congés payés afférents,

. 90’000 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

. 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et conditions vexatoires du licenciement,

. 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de sécurité,

. 24’352,92 euros au titre de l’indemnité de travail dissimulé,

. 247,26 euros de rappel de salaire,

. 24,72 euros de congés payés afférents,

RAPPELLE que les condamnations sont prononcées sous déduction des cotisations sociales et salariales,

DIT que les condamnations de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 19 février 2021,

DIT que les condamnations à des dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la nullité du licenciement, du harcèlement moral, de la déloyauté contractuelle et du manquement à l’obligation de sécurité porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour plus d’une année entière dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées Madame [U] [C] [O] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d’indemnité,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM à payer à Madame [U] [C] [O] la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,

CONDAMNE la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM aux dépens de première instance et d’appel,

DÉBOUTE la société MUTUALITÉ FRANÇAISE CHAMPAGNE ARDENNE SSAM de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens en appel.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

 


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