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Clause de non-concurrence : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01305

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Clause de non-concurrence : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01305

Arrêt n° 23/00380

14 septembre 2023

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N° RG 21/01305 –

N° Portalis DBVS-V-B7F-FQC7

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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de METZ

07 mai 2021

F 19/00867

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Quatorze septembre deux mille vingt trois

APPELANTE :

Mme [L] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Claire DERRENDINGER, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉE :

S.A. PROMAN 352, société anonyme de droit luxembourgeois, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Adresse 2] (LUXEMBOURG)

Représentée par Me Jean-Claude SASSATELLI, avocat au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé des faits

Mme [L] [E] a été embauchée par la société SAS Proman 352 à compter du 1er septembre 2016 en qualité de chargée d’affaire en exécution d’un contrat à durée indéterminée soumis au droit luxembourgeois.

Selon avenant en date du 31 mars 2017 Mme [E] a évolué aux fonctions de responsable de l’agence d'[Localité 4] au Luxembourg, avec une rémunération mensuelle brute de 4 000 euros pour un horaire hebdomadaire de 39 heures, ainsi qu’une prime de 13ème mois.

Cet avenant a prévu une clause de non-concurrence applicable pendant une durée de 12 mois après la fin du contrat de travail ou après le départ effectif de l’entreprise en cas de dispense d’exécution du préavis, et couvrant le Grand Duché de Luxembourg ainsi que les départements français frontaliers [Localité 7] ‘ [Localité 5] ‘ [Localité 3] ‘ [Localité 6], avec une contrepartie financière de 30 % de la moyenne mensuelle de rémunération au cours des trois derniers mois de présence.

Mme [E] a démissionné de son poste de travail par lettre datée du 26 juin 2019, et la SAS Proman 352 l’a dispensée de son préavis par lettre du 4 juillet 2019 en rappelant les termes de la clause de non concurrence. Mme [E] a quitté les effectifs de l’entreprise le 5 juillet 2019.

Le 1er août 2019 Mme [E] a été embauchée par la société Staff Interim sise à [Localité 4] au Luxembourg en qualité d’assistante administrative.

Par requête en date du 30 octobre 2019 enregistrée au greffe le 18 novembre 2019, la société Proman 352 a saisi le conseil de prud’hommes de Thionville aux fins de constater la validité de la clause de non concurrence, et en sollicitant la condamnation de Mme [E] à divers montants en raison du non respect de cette clause.

La procédure a été transmise au conseil de prud’hommes de Metz en exécution d’une ordonnance de Mme le Premier Président du 13 novembre 2019 désignant la section encadrement du conseil de prud’hommes de Metz pour connaitre des affaires inscrites au rôle de la section encadrement du conseil de prud’hommes de Thionville.

Par jugement contradictoire du 7 mai 2019, la formation paritaire de la section encadrement du conseil de prud’hommes de Metz a statué comme suit :

‘Déclare recevables et bien fondées les demandes formulées par la SAS Proman 352 ;

Constate la validité de la clause de non-concurrence ;

Constate que Mme [L] [E] a violé ladite clause de non-concurrence ;

En conséquence,

Déboute Mme [L] [E] de l’intégralité de ses demandes ;

Condamne Mme [L] [E] à verser à la SAS Proman 352, prise en a personne de son président, les sommes suivantes :

– 57 334 € net au titre des dispositions de la clause pénale ;

– 2 500 € au titre des dommages et intérêts pour concurrence illicite ;

– 2 500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SAS Proman 352 de ses autres demandes ;

Dit qu’il n’y a pas lieu de prononcer l’exécution provisoire de cette décision ;

Condamne Mme [E] aux entiers frais et dépens y compris ceux liés à l’exécution du présent jugement’.

Par déclaration transmise par voie électronique le 26 mai 2021, Mme [E] a régulièrement interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 10 mai 2021.

Par ses conclusions datées du 11 août 2021, Mme [E] demande à la cour de statuer comme suit :

‘Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Metz daté du 7 mai 2021 en ce qu’il a :

– constaté la validité de la clause de non-concurrence.

– constaté que Mme [E] avait violé la clause de non-concurrence.

– condamné Mme [E] à verser à la société Proman 352 une somme de 57 334 € au titre des dispositions de la clause pénale et une somme de 2 500 € à titre de dommages et intérêts pour concurrence illicite, outre une somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

Dire que la clause inscrite à l’article 13 du contrat de travail de Mme [E] ne constitue pas une clause de non-concurrence au titre de l’article L 125-8 du code du travail luxembourgeois.

Débouter la société Proman 352 de l’ensemble de ses demandes de son appel incident.

A titre subsidiaire :

Déclarer non écrite, la clause inscrite à l’article 13 du contrat de travail au regard du salaire annuel versé à Mme [E] inférieur au montant minimum fixé par l’article 6 du règlement Grand-ducal du 11 juillet 1989.

Débouter la société Proman 352 de l’ensemble de ses demandes et de son appel incident.

A titre encore plus subsidiaire :

Constater que la clause de non-concurrence figurant à l’article 13 du contrat de travail ne produit aucun effet en ce qu’elle ne remplit pas les conditions de l’article L 125-8 paragraphe 3 du code du travail luxembourgeois.

Débouter la société Proman 352 de l’ensemble de ses demandes et de son appel incident.

A titre encore plus subsidiaire :

Déclarer nul(le) sinon écarter la clause décrite à l’article 13 du contrat de travail de Mme [E] pour violation de la Constitution luxembourgeoise.

Débouter la Société Proman 352 de l’ensemble de ses demandes et de son appel incident ;

A titre encore plus subsidiaire :

Déclarer inapplicable la clause pénale.

Constater que la société Proman 352 ne justifie d’aucun préjudice susceptible de légitimer les dommages et intérêts mis en compte.

Débouter la société Proman 352 de l’ensemble de ses demandes et de son appel incident.

En dernier ordre de subsidiarité :

Réduite la clause pénale inscrite à l’article 13 du contrat de travail et à de plus justes proportions sur la base de l’article 1152 alinéa 2 du code luxembourgeois.

Débouter la société Proman 352 de l’ensemble de ses demandes et de son appel incident.

En tout état de cause :

Condamner la société Proman 352 à payer à Mme [E] une somme de 20 000 € sur la base de l’article 240 du nouveau code de procédure civile luxembourgeois, plus subsidiaire sur la base de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononce la société 352 aux entiers frais et dépens’.

Mme [E] observe à titre préliminaire que si le contrat de travail a été exécuté au Luxembourg, le litige relève de la compétence du conseil de prud’hommes de Metz en raison du lieu de son domicile sis à proximité d’Amnéville pendant le cours de l’exécution de ce contrat.

Elle fait état des circonstances qui l’ont amenée à présenter sa démission en évoquant qu’elle a été victime du harcèlement de M. [J] – responsable au sein de la société Proman 352 -, qui s’est poursuivi bien au-delà de la fin de son contrat, et que M. [H], directeur adjoint de la société Proman 352, s’est allié à M. [J] pour lui faire vivre un calvaire. Elle ajoute que cette situation a eu des répercussions directes sur son état de santé, l’obligeant à bénéficier d’un suivi psychiatrique.

Au soutien de la nullité de la clause de non-concurrence, Mme [E] fait notamment valoir que celle-ci n’est prévue par le droit du travail luxembourgeois que si le salarié fait concurrence à son ancien employeur en exploitant une entreprise personnelle, alors qu’elle a été embauchée en qualité d’assistante administrative pour le compte de la société Staff Interim, et non pas à son propre compte.

Au soutien de l’inopposabilité de la clause, Mme [E] fait valoir :

– que la condition de rémunération n’était pas atteinte en l’espèce :

Elle expose qu’elle ne percevait pas une rémunération supérieure au seuil fixé par le règlement grand-ducal, de sorte que la clause de non-concurrence n’a pas vocation à s’appliquer, d’où la tentative de la société de régulariser la situation en lui versant deux primes de 1 000 € chacune à la suite de la réception de sa lettre de démission.

Mme [E] précise que sur les 12 derniers mois de travail elle a perçu un montant total de 51 000 euros au titre du salaire, alors que le seuil est de 55 518,22 euros.

– que la fonction concernée par le contrat signé le 3 août 2019 avec la société Staff Interim concerne un poste d’assistante administrative à compter 19 août suivant, dont les responsabilités sont moindres :

Mme [E] précise que seules deux missions étaient partiellement identiques, soit la charge du recrutement des intérimaires et le fait qu’elle devait s’assurer du bon déroulement des missions de ces intérimaires. Elle observe que les fonctions de responsable d’agence ont une vocation essentiellement commerciale qui ne sont pas celles d’une assistante administrative.

– que la clause de non-concurrence litigieuse dépassait largement les limites géographiques prévues par le code du travail luxembourgeois, soit le territoire national du Grand Duché du Luxembourg :

– qu’au-delà des règles prévues par l’article L. 125-8 du code du travail luxembourgeois, en vertu du principe de proportionnalité une comparaison doit être faite entre l’atteinte portée au principe fondamental de la liberté du travail et les intérêts légitimes de l’employeur. Elle soutient que la clause de non concurrence ne peut être prévue que si la concurrence que pourrait développer le salarié présente une dangerosité, alors qu’elle ne présente pas de risque concurrentiel pour l’employeur.

Concernant la non-conformité de la clause de non-concurrence à la Constitution luxembourgeoise et aux textes internationaux, Mme [E] fait valoir que le contenu ce cette clause restreint de manière exagérée ses libertés du fait de la zone géographique trop étendue mais également au regard du trop large champ d’application des activités professionnelles interdites. Cette clause rendait impossible la possibilité de continuer à travailler dans le domaine pour lequel elle avait été formée et dans lequel elle avait toute son expérience professionnelle.

S’agissant des demandes indemnitaires de la société Proman 352, Mme [E] rappelle qu’elle-même a procédé au remboursement du montant de 1 409,01 € qu’elle avait perçu le 27 septembre 2019 au titre de l’indemnité de non-concurrence, que concernant le mois d’octobre 2019 elle a fait consigner sur le compte-tiers de son conseil le montant de 2 818,02 € correspondant aux indemnités perçues pour les mois d’août et septembre 2019. Elle ajoute que les virements effectués pour les périodes suivantes ont été rejetés et retournés à l’expéditeur.

Mme [E] rappelle qu’une demande en paiement du montant d’une clause pénale ne peut se cumuler à une demande de dommages et intérêts, dès lors que l’existence d’un préjudice distinct n’est pas démontrée.

Elle observe que la société Proman 352 n’apporte aucune preuve démontrant que la baisse de son chiffre d’affaires alléguée est due à une activité concurrente exercée par Mme [E], en soulignant qu’il y a une vingtaine d’agences intérimaires dans le secteur qui est très concurrentiel et que la société Proman 352 se prévaut elle-même de sa position de leader.

Par ses conclusions datées du 10 décembre 2021, la société Proman 352 demande à la cour de statuer comme suit :

‘Recevoir la société Proman 352 en ses demandes et son appel incident et les dire bien fondées;

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Metz le 7 mai 2021 en ce qu’il a:

– constaté la validité de la clause de non-concurrence ;

– constaté que Mme [L] [E] a violé la clause de non-concurrence ;

– condamné Mme [L] [E] à verser à Proman 352 SA :

la somme de 57 334 € au titre des dispositions de la clause pénale ;

des dommages-intérêts pour concurrence illicite ;

l’article 700 du code de procédure civile.

– débouté Mme [L] [E] de l’intégralité de ses demandes ;

– constaté que Mme [L] [E] avait remboursé les indemnités qu’elle avait indument perçue au titre de la clause de non-concurrence ;

– condamné Mme [L] [E] aux entiers frais et dépens y compris ceux liés à l’exécution du présent jugement.

L’infirmer pour le surplus en ce qu’il a :

– limité le montant des dommages-intérêts pour concurrence illicite à la somme de 2 500 € sur les 50 000 € sollicités ;

– limité le montant de la somme attribuée au titre de l’article 700 du code de procédure civile à

2 500 € sur les 15 000 € sollicités ;

– débouté Proman 352 de ses autres demandes.

Et partant, statuant de nouveau :

Constater la parfaite validité de la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail liant Mme [L] [E] à Proman 352 ;

A titre subsidiaire, réduire la clause de non concurrence dans ses effets à ce qui est autorisé par la loi ;

Constater que Mme [L] [E] a violé la clause de non-concurrence la liant à Proman 352 en étant entrée aux services d’une société concurrente, Staff Interim dans le secteur prohibé, à partir du 11 août 2019 à tout le moins ;

En conséquence, en tout état de cause :

Condamner Mme [L] [E] à payer à Proman 352 la somme de 57 334 € au titre des dispositions de la clause pénale insérée au contrat et acceptée sans réserve par elle ;

Condamner Mme [L] [E] à payer à la société Proman 352 A la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour la concurrence illicite subie ;

Condamner Mme [L] [E] à payer à la société Proman 352 S.A la somme de 15 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.’

La société Proman 352 fait valoir que dans la mesure où elle a décidé du maintien de la clause de non concurrence et elle a respecté ses engagements financiers au titre de ladite clause vis-à-vis de Mme [E] – et ce en lui versant une indemnité brute de 1 449,50 € par mois -, cette dernière était tenue de la respecter.

Elle considère que sous-couvert d’une embauche en qualité d’assistante administrative, Mme [E] exerce en réalité les mêmes fonctions que celles qu’elle occupait au sein de Proman 352 comme cela ressort des tâches mentionnées en première page de son contrat de travail.

Elle ajoute que l’analyse des bulletins de salaire de Mme [E] révèle des frais de déplacement indemnisés chaque mois, ce qui témoigne d’une activité commerciale et non pas d’un poste administratif qui est en principe sédentaire.

Elle remarque que la nouvelle production de pièces de la salariée le 25 janvier 2021 en cours de délibéré sur demande du conseil de prud’hommes de Metz confirme qu’elle est employée dans le cadre d’un poste commercial auprès de Staff Interim, ce qui n’est d’ailleurs pas une condition d’application de la clause de non-concurrence qui prévoit l’interdiction d’être employé par une entreprise de travail temporaire.

Concernant le fait que Mme [E] affirme n’avoir jamais postulé à des offres d’emplois avant sa démission intervenue le 26 juin 2019, la société ajoute que cela est difficilement crédible puisque le contrat de l’ancienne salariée a pris fin le 5 juillet 2019 et que Mme [E] a été embauchée dès le 1er août 2019. Elle ajoute que Mme [E] ne produit aucun justificatif daté concernant sa recherche d’emploi.

La société fait valoir que Mme [E] avait conscience de violer sa clause de non-concurrence puisqu’elle a souhaité rembourser les sommes perçues.

Concernant les circonstances de la démission de la responsable d’agence, elle mentionne que M. [H], Directeur adjoint de Proman 352, conteste avoir été mis au courant des agissements de M. [J], et elle note que Mme [E] ne produit aucun élément probant pour corroborer ses dires. Elle retient que les témoignages des anciennes collègues de l’appelante, Mesdames [D] et [S], évoquent essentiellement la qualité de responsable de Mme [E] et le fait qu’elle se rendait sur les chantiers afin de voir les clients et intérimaires.

La société Proman 352 souligne qu’elle a maintenu l’application de la clause de non-concurrence et qu’elle a respecté ses engagements financiers en versant une indemnité brute de 1 449,50 € par mois. Si Mme [E] insiste sur le poste d’assistante administrative/secrétaire qu’elle occupe, elle bénéficie d’une rémunération variable ainsi que d’un véhicule de fonction de type Golf, qui ne correspondent pas à un poste d’assistante administrative/secrétaire mais à des fonctions commerciales.

La société Proman observe que le bulletin de salaire de la salariée mentionne qu’elle est employée avec le statut « intellectuel », et que le poste d’«assistante administrative et recrutement » n’y est pas mentionné. De plus, il existe des frais de déplacement indemnisés chaque mois, ce qui ne correspond pas à un poste administratif sédentaire.

Concernant la validité de la clause en droit luxembourgeois, la société Proman 352 se prévaut notamment d’une décision de la cour d’appel du Luxembourg du 20 décembre 2018 (n°44974) qui retient qu’une clause de non-concurrence élargie aux activités salariées demeure valable et assure une liberté de travailler au salarié, dès lors qu’elle permet au salarié de trouver un emploi auprès d’entreprises non-concurrentes, qu’elle est limitée dans le temps et l’espace, et qu’elle comporte une contrepartie financière.

Concernant la validité de la clause au regard de la rémunération annuelle de la salariée, la société Proman 352 se rapporte à l’article 6 du règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 qui fixe le montant au 1er janvier 2019 de 6 817,07 € à l’indice 100, soit 55 518,22 € à l’indice de 814,40.

La société observe que Mme [E] a perçu une rémunération annuelle brute de 57 334 € pour l’année 2018 justifiant l’application de la clause de non-concurrence, que la salariée a pris en compte le salaire annuel qu’elle aurait perçu au cours de l’année 2019 – ce dernier n’ayant pas été versé sur une année entière – et ne prend pas en compte ni le 13ème mois ni les autres éléments de salaire éventuellement dus, modifiant ainsi le salaire effectivement versé certains mois.

La société explique qu’elle a versé une prime variable au mois de juillet 2019 car elle était due à Mme [E] en tant que salariée démissionnaire.

La société Proman 352 retient que la clause de non-concurrence est conforme aux conditions cumulatives exigées par la loi, à savoir qu’elle est limitée dans le temps, dans l’espace et à un secteur professionnel déterminé du travail intérimaire et temporaire, Proman 352 et Staff Interim intervenant dans le même secteur d’activité et ayant le même objet.

Elle rappelle que la clause de non-concurrence est limitée géographiquement aux localités où la salariée peut faire une concurrence réelle à son employeur à savoir le Grand Duché du Luxembourg ainsi que les départements français frontaliers de la [Localité 7], de la [Localité 5], de la [Localité 6] et du [Localité 3]. Elle ajoute qu’elle n’excède pas les limites imposées.

A l’appui de ses demandes chiffrées, la société Proman 352 fait état de ce que Mme [E] a été embauchée pendant 3 ans en son sein, ce qui lui a nécessairement laissé le temps d’acquérir un savoir-faire et des connaissances importantes dans l’intérim, mais aussi l’accès à d’innombrables informations relatives aux clients, aux prospects et aux intérimaires de Proman 352. Elle ajoute que si l’appelante souhaitait devenir secrétaire/ assistante de direction, elle aurait pu choisir un employeur n’intervenant pas dans le domaine de l’intérim.

La société Proman 352 soutient qu’il y a un lien entre la baisse de son chiffre d’affaires et le départ de la salariée auprès de la concurrence, que peu importe le nombre d’agences puisqu’elles existaient déjà avant le départ de Mme [E] et que cela n’entachait pas son chiffre d’affaires.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La cour observe à titre liminaire que l’application des règles définies par le code du travail luxembourgeois ne fait pas débat entre les parties, qui se rapportent au soutien de leurs prétentions respectives aux dispositions de l’article 125-8 dudit code, qui disposent que :

‘La clause de non-concurrence inscrite dans un contrat de travail est celle par laquelle le salarié s’interdit, pour le temps qui suit son départ dans l’entreprise, d’exercer des activités similaires afin de ne pas porter atteinte aux intérêts de l’ancien employeur en exploitant une entreprise personnelle.

Sous peine de nullité la clause de non-concurrence doit être constatée par écrit.

La clause de non-concurrence est réputée non écrite lorsqu’au moment de la signature de la convention, le salarié est mineur ou, lorsque le salaire annuel qui lui est versé au moment de son départ de l’entreprise ne dépasse pas un niveau déterminé par règlement Grand-ducal.

Lorsque le salaire annuel excède le niveau déterminé par règlement Grand-ducal, la clause de non-concurrence ne produit d’effets qu’aux conditions ci-après :

1) elle doit se rapporter à un secteur professionnel déterminé et à des activités similaires à celles exercées par l’employeur ;

2) elle ne peut prévoir une période supérieure à 12 mois prenant cours le jour où le contrat de travail a pris fin ;

3) elle doit être limitée géographiquement aux localités où le salarié peut faire une concurrence réelle à l’employeur en considérant la nature de l’entreprise et son rayon d’action ; en aucun cas elle ne peut s’étendre au-delà du territoire national.

La clause de non-concurrence est inapplicable lorsque l’employeur a résilié le contrat sans y être autorisé par l’article L 124-10 ou sans avoir respecté le délai de préavis visé à l’article L 124-3.”.

En droit français, le seul texte général qui peut se rapporter à la réglementation de la clause de non-concurrence est l’article L. 1121-1 du code du travail en vertu duquel “nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché”. Par conséquent, et a contrario, si la nature de la tâche le justifie et si le principe de proportionnalité est respecté, une restriction peut être valablement apportée. La possibilité est donc offerte à un employeur de limiter la liberté du travail, mais encore faut-il qu’elle ne soit pas interdite par un texte légal ou une disposition conventionnelle.

Ainsi la clause de non concurrence, qui porte atteinte au principe fondamental de la liberté du travail, n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, si elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié, et si elle comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

Aussi, par application du principe de faveur, lorsque la convention collective applicable prévoit les conditions de validité de la clause de non-concurrence et son étendue, le contrat de travail comportant une clause de non-concurrence ne pourra assortir celle-ci de conditions plus contraignantes pour le salarié que ne le fait l’accord collectif.

En l’espèce, Mme [E] a été embauchée par la Société Proman 352 à compter du 1er septembre 2016 en qualité de ‘chargée d’affaires’ (aucun contrat n’étant produit par les parties).

Selon avenant signé le 31 mars 2017, Mme [E] a évolué aux fonctions de responsable d’agence à compter du 1er avril 2017, qui prévoit une rémunération pour 40 heures hebdomadaires de travail à hauteur de 4 000 euros brut par mois à l’indice de 794,54 ainsi qu’une prime de treizième mois, les autres rémunérations constituant de la part de l’employeur une « allocation exclusivement bénévole, temporaire et facultative et ce même si elles sont payées ou octroyées de manière régulière ».

L’article 13 de cet avenant comporte une ‘obligation de non concurrence et concurrence déloyale’ définie comme suit :

”Pendant la durée du présent contrat, le salarié s’engage à ne pas participer, sous quelque forme que ce soit directement ou indirectement, à toutes activités concurrentes de celles de l’employeur. L’exercice d’activités professionnelles complémentaires est soumis à l’accord préalable écrit de l’employeur.

Compte tenu de la nature et de l’importance de ses fonctions, les informations auxquelles le salarié aura accès et qui l’amènent à connaître la politique commerciale de l’entreprise, ses conditions tarifaires, ses projets de développement, ainsi que ses fichiers clients et intérimaires, mais également en raison du marché hautement concurrentiel sur lequel intervient l’employeur, le salarié s’interdit en cas de cessation du présent contrat, quelle qu’en soit la cause :

– d’entrer en qualité de salarié au service d’une entreprise ayant des activités identiques ou similaires à celles de l’employeur, en particulier les entreprises dont l’activité se rapporte sous une forme ou une autre à la mise à disposition de personnel dont notamment le travail intérimaire et ainsi pouvait concurrencer la société ;

– d’exploiter une entreprise personnelle active dans le même secteur d’activité que celui de l’employeur, à savoir la mise à disposition de personnel dont le travail intérimaire,

– de s’intéresser directement à titre personnel ou indirectement par personne interposée et sous quelque forme que ce soit à une entreprise dont l’activité se rapporte sous une forme ou une autre à la mise à disposition de personnel dont notamment le travail intérimaire.

Cette interdiction s’applique pendant une durée de 12 mois après la fin du contrat de travail ou après le départ effectif de l’entreprise du salarié en cas de dispense d’exécution du préavis.

Elle couvre le(s) territoire(s) géographique suivant(s) :

– Grand-Duché de Luxembourg ainsi que les départements français frontaliers 57 ([Localité 7]) ‘ 54 ([Localité 5]) ‘ 55 ([Localité 6]) ‘ 67 ([Localité 3]).

L’employeur pourra renoncer unilatéralement et à tout moment pendant la durée de l’engagement de non-concurrence à l’application totale ou partielle de cette clause.

En contrepartie de l’interdiction d’exercer une activité salariée aux services d’une entreprise ayant des activités identiques ou similaires à celles de l’employeur, le salarié percevra pendant la durée d’application de son engagement de non-concurrence, une indemnité mensuelle brute d’un montant égal à 30% de la moyenne mensuelle de sa rémunération au cours des 3 derniers mois de présence dans l’entreprise.

Le non-respect par le salarié de l’interdiction d’exercer une activité salariée aux services d’une entreprise ayant des activités identiques ou similaires à celles de l’employeur, exposerait ce dernier à :

– la perte de la contrepartie financière définie au présent contrat, mais également au remboursement de la contrepartie d’ores et déjà versée depuis la violation de l’obligation de non-concurrence,

– au paiement d’une pénalité forfaitaire égale à la rémunération des 12 derniers mois d’activité,

– des dommages et intérêts que l’employeur pourrait employer pour réparer le préjudice subi.”

Mme [E] a démissionné de son emploi par courrier recommandé en date du 26 juin 2019, et par lettre en date du 4 juillet 2019 la société Proman 352 a dispensé la salariée d’effectuer son préavis tout en lui rappelant l’application et les termes de la clause de non concurrence.

Il est constant qu’à compter du 1er août 2019 Mme [E] a été embauchée en qualité d’assistante administrative par la société Staff Interim et rémunérée pour 40 heures hebdomadaires de travail à hauteur de 4 500 euros brut par mois à l’indice de 814,40 ainsi qu’une prime de treizième mois. Il ressort du document contractuel complet produit par l’employeur (sa pièce n° 13) que ce contrat de travail ne comporte aucune clause de non concurrence.

Au soutien de la nullité de la clause de non concurrence, Mme [E] se prévaut de ce que les dispositions du code du travail luxembourgeois ne sont pas respectées en ce que ne sont concernées que les activités concurrentielles indépendantes, et non les activités salariées.

En l’espèce Mme [E] a été embauchée au sein de la société Staff Interim pour exercer des fonctions d’assistante administrative’, étant rappelé qu’elle avait dans un premier temps été embauchée au sein des effectifs de la société Proman à un poste de ‘chargée d’affaire’.

Si la société Proman 352 se prévaut d’une jurisprudence luxembourgeoise (ses pièce 9-2 et 9-3) en vertu de laquelle une clause de non concurrence élargie aux activités salariées demeure valable, il s’avère que l’une des deux décisions à laquelle elle se rapporte concerne un litige dans lequel la demande en nullité de la clause était soutenue par l’ancien employeur et a été déclarée irrecevable au regard de ce que les dispositions de l’article L. 125-8 du code du travail « sont conçues dans un esprit de protection du salarié, la nullité sanctionnant l’inobservation de ces clauses est une nullité qui peut seulement être invoquée par le salarié et non par l’employeur ».

Quant à l’autre décision, elle concerne une clause de non concurrence convenue non pas dans un contrat de travail mais dans une transaction, et les magistrats luxembourgeois ont considéré que la clause de non concurrence était nulle en retenant que « même si en l’espèce, la clause de non concurrence convenue entre les parties n’a pas été prévue dans le contrat de travail mais dans la transaction, la référence, par analogie, à l’article L. 125-8 du code du travail opérée par le tribunal du travail est tout à fait valable, dès lors qu’à l’instar de la clause visée par le code du travail, la clause de non concurrence de l’espèce vise le temps qui suit le départ du salarié de l’entreprise ».

La cour retient donc que la clause contractuelle est nulle comme non conforme aux dispositions du code du travail luxembourgeois susvisées, qui restreignent les activités concernées à l’exploitation d’une entreprise personnelle.

De surcroît Mme [E] se prévaut de l’inopposabilité de la clause au regard :

– de ce que son niveau de rémunération était inférieur au seuil légal fixé :

Elle précise qu’elle a perçu sur les douze derniers mois précédent son départ un salaire annuel de 51 000 euros ‘ 4 100 euros brut jusqu’en janvier 2019 puis 4 400 euros à compter de février 2019 – alors que le seuil est de 55 518 euros.

La société Proman 352 conteste ce chiffre et soutient que Mme [E] dépassait le seuil de rémunération, mais elle retient pour ce faire l’intégralité des rémunérations versées à la salariée,

et notamment des primes qui, selon les termes mêmes du contrat de travail rappelés ci-avant, sont versées à la discrétion de l’employeur.

Si la société Proman 352 observe en revanche avec pertinence que le treizième mois fait partie du salaire fixe de Mme [E], l’ajout de ce montant (51 000 + 4 400) ne permet pas d’atteindre le seuil de rémunération de 55 518 euros.

– du secteur géographique qui s’étend au-delà du Grand-Duché du Luxembourg, soit aux départements français limitrophes (55 ‘ 57 ‘ 54 ‘ 67) :

La société Proman 352 prétend que l’appréciation de l’étendue géographique doit s’opérer in concreto, et qu’en l’espèce la clause litigieuse est « limitée au rayon d’action de Proman ».

Or l’article L. 125-8 du code du travail luxembourgeois stipule qu’« en aucun cas elle ne peut s’étendre au-delà du territoire national ».

De surcroît, si la société intimée se prévaut des règles définies par la jurisprudence en droit français quant à l’étendue géographique, il convient de rappeler que par application du principe de faveur, lorsqu’une convention collective prévoit les conditions de validité de la clause de non-concurrence et son étendue, le contrat de travail comportant une clause de non-concurrence ne peut assortir celle-ci de conditions plus contraignantes pour le salarié que ne le fait l’accord collectif.

Au surplus Mme [E] fait valoir à juste titre que la clause de non concurrence revendiquée par la société Proman 352 est de nature à l’empêcher d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances, et à son expérience professionnelle dédiée au domaine du travail temporaire, et ce au regard de son étendue géographique.

En conséquence, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens développés par Mme [E], la cour déclare nulle la clause de non concurrence prévue à l’article 13 de l’avenant au contrat de travail du 31 mars 2017.

Le jugement déféré est infirmé en ce sens, de même qu’en ce qu’il a fait droit aux prétentions de la société Proman 352 au titre de la clause pénale et à titre de dommages-intérêts qui sont rejetées.

Sur les dépens et sur les frais irrépétibles

Le jugement déféré est infirmé dans ses dispositions relatives à l’application de l’article 700 du code de procédure civile et dans ses dispositions relatives aux dépens.

Il est contraire à l’équité de laisser à la charge de Mme [E] ses frais irrépétibles. Il lui est alloué la somme de 5 000 euros à ce titre.

La société Proman 352 qui succombe assume ses frais irrépétibles et les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme le jugement rendu le 7 mai 2021 par le conseil de prud’hommes de Metz dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Déclare nulle la clause de non concurrence prévue à l’article 13 de l’avenant au contrat de travail du 31 mars 2017 ;

Déboute la société Proman 352 de toutes ses demandes y compris au titre de ses frais irrépétibles ;

Condamne la société Proman 352 à payer à Mme [L] [E] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Proman 352 aux dépens de première instance et d’appel.

La Greffière La Présidente

 


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