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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 16
Chambre commerciale internationale
ARRÊT DU 07 JUILLET 2020
SUR LA COMPÉTENCE
(n° /2020, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01583 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBKV4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Novembre 2019 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 – RG n° 2018027210
APPELANTE :
APTOS LLC
Société de droit géorgien,
Immatriculée sous le n°202353602
Ayant son siège social: […]
Prise en la personne de ses représentants légaux
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, ayant pour avocat plaidant Me Caroline MERCIER HAVSTEEN, Ernst&Young société d’avocats, avocate au barreau des Hauts de Seine, toque 1733
INTIMÉE :
SAS ETAP
Immatriculée au RCS de Meaux sous le numéro 809 159 833
Ayant son siège social: […]
Prise en la personne de ses représentants légaux
Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050; ayant pour avocat plaidant Me Katia YVER, avocate au barreau de Paris, toque P411
COMPOSITION DE LA COUR :
En application :
– de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19;
– de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;
– de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;
L’affaire a été retenue selon la procédure sans audience, les avocats y ayant consenti expressément ;
La cour composée comme suit en a délibéré :
François ANCEL, Président
Fabienne SCHALLER, Conseillère
Laure ALDEBERT, Conseillère
Greffière, lors des débats : Clémentine GLEMET
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par François ANCEL, Président
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par François ANCEL, Président et par Clémentine GLEMET, Greffière à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.
I- FAITS
1-La société Aptos est une société de droit géorgien qui conçoit et fabrique des produits de matériaux de couture utilisés dans la chirurgie esthétique connus sous la marque « les fils d’Aptos».
2-La société Etap SAS (ci-après dénommée « la société Etap ») se présente comme ayant pour activité la distribution en France et en Belgique de produits de chirurgie esthétique.
3-En 2010, la société Aptos a concédé à Mme Q…, la distribution exclusive en France et en Belgique de ses produits.
4-En 2011, les parties ont formalisé leurs accords dans un contrat de concession exclusive conclu entre la société Aptos et «Aptos France», nom commercial sous lequel MmeQ…, exerçait son activité en tant qu’auto-entrepreneur.
5-Le 7 octobre 2013, un nouveau contrat a été conclu entre les mêmes parties et ce pour une durée déterminée de un an.
6-A l’échéance de ce contrat, les relations commerciales se sont poursuivies jusqu’en 2015, date à laquelle Mme Q… a créé la société Etap avec laquelle la société Aptos a également poursuivi les relations commerciales.
7-A la fin de l’année 2017, des négociations sont intervenues entre la société Aptos et la société Etap en vue de la conclusion d’un nouveau contrat de concession. Ces négociations n’ont pas abouti, mettant fin à la relation commerciale entre les parties.
II- PROCEDURE :
8-S’estimant victime d’une rupture brutale de leurs relations commerciales et de man’uvres dolosives, la société Etap a assigné, par acte du 17 avril 2018, la société Aptos devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et de l’article 1240 du code civil.
9-Dans le cadre de cette procédure, la société Aptos a soulevé l’incompétence des juridictions françaises au profit du tribunal de Tbilissi en Géorgie, sur le fondement d’une clause attributive de juridiction insérée à l’article 9.4 du contrat du 7 octobre 2013.
10-Par jugement du 14 novembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a dit recevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Aptos, mais mal fondée, s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes de la société Etap et a renvoyé l’affaire pour conclusions au fond.
11-Par déclaration du 28 janvier 2020, la société Aptos a relevé appel de ce jugement devant la cour d’appel de Paris et après y avoir été autorisée par ordonnance du 11 février 2020, a assigné le 20 février 2020 la société Etap, pour une audience devant initialement se tenir le 4 mai 2020.
12-En raison de la crise liée au Covid-19, cette audience n’a pu se tenir et les parties ont accepté que la procédure soit jugée sans audience selon les dispositions prises en application de la loi 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et de l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 modifiée par l’ordonnance n°2020-595 du 20 mai 2020.
III- PRÉTENTIONS DES PARTIES :
13-Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 22 mai 2020, la société Aptos demande à la Cour, au visa de l’ancien article 1134 du code civil, des articles 16, 74, 78, 80 et suivants et 568 du code de procédure civile :
– d’infirmer le jugement entrepris,
– de juger les juridictions françaises incompétentes au profit des juridictions géorgiennes et plus particulièrement du tribunal de Tbilissi et de condamner la société Etap à lui verser la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile outre la condamnation aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES.
14-Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 juin 2020, la société Etap demande à la Cour, au visa de l’article L. 442-6-I-5° du code de commerce (dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019), des articles D.442-3 du code de commerce et l’annexe 4-2-1 du même code, et des articles 46 et 48 du code de procédure civile, et 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme :
– de confirmer le jugement dont appel, après avoir jugé que la clause attributive de juridiction stipulée à l’article 9.4 du contrat conclu avec la société Aptos le 7 octobre 2013 lui est inopposable ou, à titre subsidiaire, nulle et qu’en tout état de cause son application la priverait de son droit d’être entendue par un tribunal impartial et indépendant.
– de condamner la société Aptos à lui payer une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens dont distraction au profit de la SCP REGNIER BEQUET MOISAN, Avocats postulants, et ce conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.
IV- MOYENS DES PARTIES :
15-La société Aptos fait valoir en premier lieu que le tribunal de commerce de Paris a violé le principe du contradictoire en retenant qu’en l’absence de clause attributive de juridiction et de convention internationale applicable au litige, l’article 14 du code civil devait s’appliquer et conduire à la compétence des juridictions françaises dès lors que cet article, qui n’est pas d’ordre public, a été appliqué d’office et sans débat contradictoire, en violation de l’article 16 du code de procédure civile, de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, aucune des parties ne l’ayant invoqué et la société Etap y ayant expressément renoncé en concluant une clause attributive de juridiction conférant compétence aux juridictions géorgiennes.
16-Elle soutient que l’article 14 du code civil tout comme l’article 46 du code de procédure civile ne peuvent justifier la compétence des juridictions françaises en l’espèce dans la mesure où une clause attributive de juridiction a été stipulée dans le contrat unissant les parties.
17-Elle précise en outre que l’action en rupture brutale des relations commerciales établies ne peut être que de nature contractuelle dans l’ordre international et que la société Etap n’apporte pas la preuve que les lieux de livraison et/ou de prestation de services étaient situés en France. Elle souligne que pour ce faire, il convient de se référer prioritairement aux termes et clauses pertinents du contrat pour déterminer le lieu de livraison y compris ceux reconnus par les usages du commerce international tels que les Incoterms de la CCI et précise que les dispositions relatives au transfert des risques stipulées l’article 6.1 du contrat établissent que les livraisons avaient lieu en Géorgie et que précisément l’apposition des Incoterms sur les documents de transport « EXW TBILISI » et « FCA GE » démontre que le lieu de livraison choisi par les parties était la Géorgie de sorte que la prestation de service essentielle du contrat résidait dans le transfert des marchandises par la société Aptos à la société Etap qui a eu lieu en Géorgie.
18-Elle considère cependant que l’application de l’article 46 du code de procédure civile doit être écartée en raison de la clause attributive de juridiction qui est opposable aux parties et qui couvre aussi le litige lié à la rupture brutale de la relation commerciale.
19-Elle fait valoir que la portée de la clause litigieuse est large puisqu’elle comprend tout différend entre les parties et qu’elle a vocation à s’appliquer même après le terme du contrat, les parties ayant poursuivi leurs relations en continuant à se conformer à toutes les dispositions du contrat. Elle souligne à cet égard que dès 2015 et lors de la création de la société Etap par Madame Q…, cette dernière a apporté le contrat de concession conclu avec la société Aptos à cette structure et que la société Etap s’est toujours considérée comme étant partie à l’accord conclu en 2013.
20-Elle précise en outre que l’autonomie de la clause attributive de juridiction emporte qu’elle n’est pas affectée par la fin du contrat qui la contient quelles que soient les causes d’inefficacité du contrat (nullité, caducité, résiliation ou expiration). Elle conteste par ailleurs que l’application de la clause attributive de juridiction soit limitée aux contentieux survenus au cours de l’exécution du contrat et soutient qu’elle s’applique tant aux litiges découlant du contrat qu’à ceux survenus au cours de son exécution.
21-Elle rappelle que selon la jurisprudence prise sur le fondement de l’article 48 du code de procédure civile, en matière internationale, les clauses attributives de compétence sont en principe licites et que la clause doit seulement être clairement apparente dans le contrat et acceptée par les parties, la clause attributive de compétence étant valable alors même qu’elle désigne de manière générale les juridictions d’un autre État dès lors que les règles de cet autre État permettent de déterminer la juridiction compétente. Elle ajoute que le droit géorgien admet la validité des clauses attributives de compétence en matière internationale et fixe des règles qui permettent de déterminer le tribunal compétent, en l’espèce le tribunal de la ville de Tbilissi, en Géorgie, compétent tant pour les affaires civiles que commerciales. Elle soutient que la volonté des parties telle qu’elle ressort du contrat est d’appliquer la législation géorgienne (clause 9.2.) et d’attribuer la compétence territoriale aux tribunaux géorgiens (clause 9.4.).
22-Enfin, la société Aptos soutient que l’application de la clause attributive de juridiction ne peut être écartée par des présomptions générales de corruption d’un système judiciaire.
23-En réponse, la société Etap fait valoir que le tribunal n’a pas fondé sa décision sur l’article 14 du code civil, cet article ne permettant pas de déterminer la compétence matérielle et territoriale d’un tribunal français, mais sur l’article 46 du code de procédure civile, après avoir jugé la clause d’élection de for inapplicable. Elle ajoute que la société Aptos ne démontre pas que l’application de l’article 14 du code civil lui aurait causé un quelconque préjudice puisque cet article n’a pas pu déterminer la compétence du tribunal de commerce de Paris.
24-La société Etap soutient qu’elle est fondée à solliciter l’application de l’article 46, alinéa2 du code de procédure civile attribuant compétence, en matière délictuelle, à « la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi », soit en l’espèce, au lieu de son siège social, qui se trouve dans le ressort spécial du tribunal de commerce de Paris pour les litiges relatifs aux ruptures brutales de relations commerciales établies entre deux sociétés commerciales (Article D. 442-3 du Code de commerce et son annexe 4-2-1).
25-Elle ajoute que si la Cour devait considérer que la rupture brutale de relations commerciales établies engage la responsabilité contractuelle de son auteur dans un contexte international, le tribunal de commerce de Paris serait également compétent en application des dispositions de l’article 46, alinéa 1er du code de procédure civile désignant « la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service », dans la mesure où le lieu de livraison des produits et d’exécution des prestations est également son siège social. Elle souligne que la prestation de service essentielle du contrat résidait dans la promotion et la distribution des produits Aptos et a été exécutée sur le territoire français, et en aucun cas en Géorgie. Elle fait également valoir que les pièces versées aux débats établissent que la société Aptos a toujours procédé à ses frais à la livraison des produits à son siège social. Elle conteste que le lieu de livraison puisse se déduire des incoterms, tel que soutenu par la société Aptos, faisant valoir que ces mentions ont en réalité été apposées par défaut par les transporteurs et ne lui sont pas opposables.
26-La société Etap fait par ailleurs valoir que la clause attributive de juridiction stipulée à l’article 9.4 du contrat du 7 octobre 2013 lui est inopposable car insérée dans un contrat conclu pour une durée déterminée d’une année, sans tacite reconduction, venu à expiration le 7 octobre 2014, les parties ayant ensuite poursuivi leurs relations commerciales dans le cadre d’un contrat de distribution exclusive non écrit, à durée indéterminée. Elle considère que le principe de l’autonomie de la clause attributive de juridiction n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où la validité du contrat conclu le 7 octobre 2013 n’a jamais été remise en cause et précise en outre que ce contrat n’a pu perdurer dès lors qu’il n’a pas été conclu avec la société Etap, mais avec l’ancienne structure dénommée «APTOS France» de Madame Q…, qui avait à cette époque le statut d’auto-entrepreneur et que le contrat n’a pas été régularisé par la suite avec la société Etap qui a été constitué le 27 janvier 2015.
27-La société Etap soutient à titre subsidiaire, que la clause attributive de juridiction litigieuse n’est pas applicable à un litige relatif à la résiliation du contrat, et encore moins à la rupture des relations commerciales établies entre les parties depuis 2010 dès lors qu’il résulte de ses stipulations que seuls les litiges qui pouvaient surgir pendant son exécution étaient susceptibles d’être portés devant les juridictions géorgiennes.
28-A titre infiniment subsidiaire, la société Etap soutient que la clause litigieuse est nulle et de nul effet au motif qu’elle n’est pas conforme aux dispositions de l’article 48 du code de procédure civile français en ce qu’elle ne désigne pas de façon suffisamment précise la juridiction compétente, et encore moins le tribunal de Tbilissi auquel se réfère la société Aptos.
29-La société Etap fait enfin valoir qu’en tout état de cause l’application de la clause litigieuse doit être écartée car ne garantissant pas son droit d’accès à un tribunal impartial et indépendant, prescrit par l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, au motif que son actionnaire et dirigeante est russe, pays qui est en conflit armé avec la Géorgie, et qu’il existe un risque de corruption en Géorgie. Elle ajoute que compte tenu du déséquilibre existant entre les parties, la clause attributive de compétence qui lui est défavorable doit être considérée comme abusive et annulée.
30-La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision entreprise et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
V- MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le non respect du principe du contradictoire devant le tribunal de commerce ;
31-Le respect du contradictoire exige que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des premiers juges n’ait échappé à leur débat contradictoire.
32-Il ressort du jugement rendu le 14 novembre 2019 que le tribunal de commerce de Paris, ayant considéré que la clause attributive de juridiction n’était pas applicable, a estimé que la juridiction compétente devait être « désignée en application des règles françaises étendues à l’ordre international» et en particulier de l’article 14 du code civil. Ayant constaté que le lieu du siège social de la société Etap se situait en France, il a ainsi rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Aptos.
33-Cependant, il ne ressort d’aucune pièce que le tribunal ait sollicité les observations préalables des parties sur l’application de l’article 14 du code civil alors que celles-ci ne s’en étaient pas prévalues lors des débats.
34-Il convient en conséquence de réformer le jugement sur ce point étant observé que par l’effet dévolutif prévu aux articles 561 et 562 du code de procédure civile, il appartient à la cour de statuer à nouveau en fait et en droit.
Sur l’applicabilité de la clause attributive de juridiction au présent litige ;
35-Au terme de l’assignation qu’elle a délivrée à la société Aptos le 17 avril 2018, la société Etap entend obtenir la réparation des préjudices qu’elle indique avoir subis d’une part, en raison du caractère prétendument brutal de la rupture des relations commerciales établies en application de l’article L. 442-6-5 du code de commerce et d’autre part, en raison des manoeuvres frauduleuses dont elle se serait rendue coupable au cours des négociations engagées entre les parties dans la perspective de la conclusion d’un nouveau contrat, la société Etap fondant cette dernière demande sur l’article 1240 du code civil et donc l’engagement de la responsabilité délictuelle de la société Aptos.
36-Pour considérer que les juridictions Géorgiennes sont compétentes, la société Aptos se prévaut de l’application de la clause attributive de juridiction qui est insérée dans le contrat conclu le 7 octobre 2013, rédigé en langue russe et anglaise, pour une durée déterminée et dont le terme est intervenu le 7 octobre 2014.
37-Il ressort de ce contrat et notamment de son article 4 que celui-ci a été conclu pour une durée déterminée d’ un an et que ce contrat était « obligatoirement résilié si aucune des parties n’exprime le souhait de prolonger la durée du contrat en adressant une notification écrite par un moyen de communication qui garantit la confirmation du fait et de la date de sa réception (par exemple par courrier recommandé avec accusé de réception, par un accord fac-similé) au plus tard 1 (un) mois avant la date d’expiration du contrat », cette traduction produite par la société Etap n’étant pas contestée par la société Aptos et étant conforme à la version anglaise ainsi rédigée : ” The present Agreement is subject to compulsory termination if none of the parties express its wish to prolong it by sending written notification through means of communication providing confirmation of fact and the date of receipt (e.g registered letter wiht notice on delivrey, fax) at least 1 (one) month prior to expiration date of this Agreement”.
38-Il n’est pas contesté par les parties qu’aucune notification écrite dans les conditions de l’article 4 n’a été adressée par les parties de sorte que le contrat conclu le 7 octobre 2013 est arrivé à son terme le 7 octobre 2014.
39-Au regard de ces éléments, il convient en premier lieu de rappeler que l’application d’une clause attributive de juridiction ne dépend pas de la nature contractuelle ou délictuelle de l’action en responsabilité diligentée mais de la seule portée que les parties ont voulu donner à cette clause.
40-En outre, si l’autonomie de la clause attributive de juridiction permet à celle-ci de survivre au contrat qui la contient et ainsi d’être applicable même après que ce contrat fût parvenu à son terme, encore faut-il que le litige au cours duquel la clause est invoquée trouve son origine dans le contrat contenant la clause et que le comportement dénoncé présente un lien suffisant avec ce contrat et puisse être rattaché au champ couvert par la clause, selon la portée que les parties ont entendu lui donner.
41-En l’espèce, dans sa version anglaise, la clause attributive de compétence est ainsi rédigée :
« 9.3. All disputes that may arise during the execution of this Agreement shall be settled by negociations between the parties.
9.4. In case it is impossible to solve disagreements by negotiations, parties will submit the case to the Court for review under legislation of Georgian».
42-Les parties produisent chacune une traduction certifiée de l’anglais vers le français qui diffère.
43-La société Aptos considère que cette clause doit être traduite en français comme suit :
« 9.3. Tout[s] litige[s] découlant du présent Accord et pouvant survenir au cours de l’exécution du présent accord doivent être règlés par voie de négociations entre les parties.
9.4. En cas d’impossibilité de résoudre les différends par voie de négociations, les parties auront recours aux juridictions compétentes en Géorgie ».
44-La société Etap considère que cette clause doit être traduite en français comme suit :
« 9.3. Tout litige qui pourrait surgir pendant l’exécution du présent Contrat sera réglé par voie de négociations.
9.4. Dans les cas où il serait impossible de résoudre le désaccord par négociation, les parties soumettent l’affaire au tribunal pour examen en vertu du droit Géorgien ».
45-En outre, la société Etap produit aussi une traduction certifiée de cette clause du russe vers le français dont le contenu est le suivant :
« 9.3. Tout litige et tout différend susceptibles de surgir lors de l’exécution du présent Contrat seront résolus par les Parties par voie de négociations
9.4. Si à l’issue des négociations, les Parties ne parviennent pas à un accord, elles transmettent le litige au tribunal conformément à la procédure établie par la législation géorgienne ».
46- Il en résulte une différence de sens et il appartient à la cour de rechercher celle qui correspond à la volonté des parties. La cour retiendra pour trancher le présent litige la traduction de l’anglais vers le français produite par la société Etap qui est plus conforme à la lettre de la clause telle que rédigée en langue anglaise, outre le fait que cette traduction rejoint aussi celle certifiée produite également par la société Etap du russe vers le français, le contrat ayant été rédigé en version bilingue russe/anglais.
47-Il résulte de cette traduction que les parties ont manifestement entendu restreindre la portée de la clause litigieuse aux seuls litiges qui étaient susceptibles de surgir pendant l’exécution du contrat, entendu comme étant précisément le contrat conclu le 7 octobre 2013 arrivé à échéance le 7 octobre 2014.
48-De plus, il convient d’observer que si les deux contrats conclus entre Aptos France et la société Aptos en 2011 et 2013 comportent des clauses de compétence, celles-ci ne sont pas identiques puisque le contrat conclu en 2011 contient une clause compromissoire au profit d’un tribunal arbitral ayant son siège en allemagne tandis que le contrat de 2013 comporte une clause qui paraît désigner les juridictions Géorgiennes. Ceci tend à démontrer une volonté manifeste des parties de négocier pour chaque nouvelle étape de leur relation contractuelle une clause spécifique en cas de litige de sorte que lorsque le contrat contenant cette clause est expiré, il ne peut être déduit de la seule poursuite des relations commerciales une volonté consensuelle des parties de conserver le bénéfice de la clause qui y était insérée.
49-Il convient en outre de relever que ce contrat a été conclu, non pas entre la société Aptos et la société Etap, mais entre la première et «APTOS France» structure au travers de laquelle Madame Q…, ayant le statut d’auto-entrepreneur, exerçait son activité, étant précisé que la société Etap n’a été constituée que le 27 janvier 2015, soit après le terme du contrat litigieux.
50-Ainsi, d’une part, les faits à l’origine de l’action en justice engagée par la société Etap sont postérieurs à l’arrivée du terme du contrat du 7 octobre 2013 auquel la société Etap, qui n’a été constitué que postérieurement, n’était pas partie, et d’autre part au regard de la rédaction de la clause, ces faits ne peuvent non plus être considérés comme ayant surgi lors de l’exécution de contrat alors que sont en cause les conditions d’une rupture intervenue trois ans et demi après son expiration et l’engagement de la responsabilité délictuelle d’une partie dans le cadre des pourparlers engagés après son terme pour la conclusion d’un nouveau contrat.
51-Au regard de ces éléments, la société Aptos ne peut opposer à la société Etap la clause litigieuse pour fonder la compétence des juridictions de Georgie.
52-Il appartient en conséquence à la cour de déterminer la compétence juridictionnelle en l’absence de clause attributive de juridiction.
Sur la détermination de la compétence juridictionnelle en l’absence de clause attributive de juridiction ;
53-En l’espèce, la société Aptos, défenderesse dans la procédure initiale engagée au fond par la société Etap, ayant son siège social en Georgie (Tbilissi) soit dans un Etat situé en dehors de l’Union européenne, la compétence juridictionnelle doit être déterminée en fonction du droit international privé français.
54-A cet égard, l’action en indemnisation du préjudice résultant des manoeuvres frauduleuses alléguées lors des pourparlers relève en droit interne de la matière délictuellle dès lors que l’obligation de réparer ce préjudice résulte de la violation de la règle de droit qui impose aux parties de négocier de bonne foi et non d’une obligation librement assumée.
55-Il convient dès lors pour cette demande d’appliquer l’article 46 alinéa 2 du code de procédure civile au terme duquel « en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi » est compétente.
56-En l’espèce, la société Etap ayant son siège en France, les juridictions françaises sont bien compétentes pour connaître de cette demande.
57-S’agissant de la demande relative à la rupture brutale des relations commerciales établies, celle-ci relève également en application des règles de compétence interne, applicables dans l’ordre international, de la matière délictuelle, ce qui conduit à appliquer l’article 46 alinéa 2 précité.
58-En l’espèce, la société Etap ayant son siège en France, et plus précisément à Magny-le-Hongre (77 700), lequel est situé dans le ressort de la compétence spéciale du tribunal de commerce de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce, le lieu du préjudice subi allégué lié à la rupture brutale des relations commerciales se situe bien dans ce ressort.
59-A titre surabondant, il peut être observé qu’à supposer même que dans un souci de convergence des solutions, l’on qualifie dans l’ordre international à l’instar de la qualification qui a cours au sein de l’Union européenne, l’action en rupture brutale des relations commerciales établies comme étant de nature contractuelle en ce sens qu’en l’espèce, au regard des circonstances, il peut être fait état d’un engagement librement assumé par les parties et d’une relation contractuelle tacite entre elles, l’article 46 alinéa 1er du code de procédure civile selon lequel « en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service » est compétente, conduirait aussi à désigner le tribunal de commerce de Paris.
60-En effet, les produits de la société Aptos étaient livrés à l’adresse du siège social de la société Etap, comme en attestent les pièces versées par cette dernière de sorte que la seule mention portée sur les documents douaniers des Incoterms “EXW” (pour “Ex-Work” ou mise à disposition de la marchandise à la sortie de l’usine du vendeur) et “FCA” (“Free carrier” pour viser une marchandise chargée dans le pays de départ) par le transporteur ne peut suffire à remettre en cause le lieu effectif de livraison en France.
61-En outre, il n’est pas contesté que leurs relations commerciales se sont poursuivies pour la promotion et la distribution de produits en France.
62-Il convient en conséquence de considérer que les juridictions françaises sont bien compétentes pour statuer sur les demandes de la société Etap et plus particulièrement, le tribunal de commerce de Paris, dans le ressort duquel la société Etap exécutait son obligation de distribution et de promotion des produits de la société Aptos.
Sur les frais et dépens ;
63-Il y a lieu de condamner la société Aptos, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
64-En outre, la société Aptos doit être condamnée à verser à la société Etap, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 8 000 euros.
VI-
PAR CES MOTIFS :
La cour,
1- Réforme le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 14 novembre 2019 ;
Statuant à nouveau,
2- Rejette l’exception d’incompétence soulevée par la société Aptos ;
3- Dit que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour statuer sur les demandes de la société Etap;
4- Condamne la société Aptos à payer à la société Etap la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
5- Condamne la société Aptos aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière Le président
C. GLEMET F. ANCEL