Clause attributive de compétence : 5 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/04063

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Clause attributive de compétence : 5 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/04063
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 05 JANVIER 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/04063 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFP7H

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Décembre 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F 20/00233

APPELANT

Monsieur [P] [K]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

INTIMÉE

S.A.S. ABBOTT FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4] – FRANCE

Représentée par Me Lucie VINCENS, avocat au barreau de PARIS, toque: K0168

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre

Madame ALZEARI Marie-Paule, présidente

Madame LAGARDE Christine, conseillère

Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par CAILLIAU Alicia, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [P] [K] a été embauché par la société Abbott Laboratories Limited, société de droit canadien, (ci-après société Abbott Laboratories Limited ou ‘Abbott Canada’), par contrat à durée indéterminée à compter du 23 février 2009, en qualité de ‘Integrated Specialist Team Manager’, statut cadre.

Aux termes d’une « assignment letter » (lettre de mission) du 20 août 2014, acceptée le 22 août 2014 par « assignment Agreement », il a été convenu que M. [K] exercerait les fonctions de « Managing Director BeNeLux » pour la société Netherlands-Abbott Laboratories, société de droit néerlandais située aux Pays-Bas. Il a assuré ces fonctions du mois d’octobre 2014 jusqu’au mois d’août 2017.

Selon décision en date du 17 juillet 2017, la société Abbott Investistments Luxembourg, associée unique de la société Abbott France, a nommé M. [K] ‘président’ de cette dernière.

Le 18 juillet 2017, aux termes d’une « assignment letter » acceptée le 20 juillet 2017 par « assignment Agreement », la société Abbott Canada a donné mission à M. [K] d’exercer la mission de ‘General Manager ADD France’ au sein de la société Abbott France située à [Localité 4] à compter du mois de septembre 2017, pour une durée de 36 mois.

Les différentes « assignment letters », stipulaient une clause prévoyant de soumettre les litiges aux juridictions canadiennes et à la loi canadienne :

« Le salarié se soumet expressément à la compétence des juridictions canadiennes. Il convient que toute juridiction compétente au Canada pourra connaître des prétentions fondées sur le droit ou l’équité découlant du présent contrat. Le présent contrat sera régi par les lois internes du Canada et interprété conformément à celles-ci, nonobstant leurs principes de conflit de lois ».

A compter du 5 novembre 2019, M. [K] a été placé en arrêt de travail jusqu’au 6 janvier 2020, date à laquelle il a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier adressé à la société Abbott France.

Le 24 février 2020, M. [K] a initié, devant le conseil de prud’hommes de Créteil, une procédure à l’encontre de cette dernière afin de voir requalifier sa prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse faisant état de faits de harcèlement.

In limine litis, la société Abbott France a soulevé l’incompétence territoriale du conseil de prud’hommes de Créteil au profit des juridictions canadiennes.

Par jugement en date du 16 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de Créteil :

« REÇOIT l’exception d’incompétence et la déclare fondée.

DÉCLARE le Conseil de Prud’hommes de céans matériellement incompétent.

RENVOIE les parties à mieux se pourvoir.

RÉSERVE les dépens ».

M. [K] a interjeté appel de la décision le 14 janvier 2022 complétée par déclaration du 31 mars 2022.

Les procédures ont été jointes par ordonnance du 12 avril 2022.

Par décision du 5 octobre 2022, l’appelant a été autorisé à assigner à jour fixe l’intimée.

PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 4 novembre 2022, M. [K] demande à la cour de :

« Vu notamment les articles R. 1412-1 et R. 1412-4 du Code du travail

INFIRMER le jugement rendu le 16 décembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes de Créteil en sa totalité,

STATUER A NOUVEAU :

Sur la compétence du Conseil de prud’hommes de Créteil :

DIRE non écrite la clause attributive de compétence contenue dans le contrat ;

En conséquence,

DIRE que le Conseil de prud’hommes de Créteil est seul compétent territorialement pour trancher le litige sur le fond ;

RENVOYER les parties devant le Conseil de prud’hommes de Créteil pour statuer ;

CONDAMNER la société Abbott France au paiement de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Sur la loi applicable :

DIRE que les parties à un contrat ne peuvent choisir la loi qui le régira que si ce choix ne prive pas le salarié de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix ;

En conséquence,

DIRE la loi française applicable ».  

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 20 octobre 2022, la société Abbott France demande à la cour de :

« A titre principal,

– Confirmer au besoin de substitution de motif le jugement entrepris rendu le 16 décembre 2021 par le Conseil de prud’hommes de Créteil en ce qu’il s’est déclaré incompétent au profit des juridictions canadiennes et plus précisément au profit du Conseil de prud’hommes de Montréal

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire, la juridiction de céans devait infirmer le jugement entrepris et considérer que le Conseil de prud’hommes de Créteil est compétent pour connaître de l’action dirigée par Monsieur [K] à l’encontre de la société concluante, il n’en demeure pas moins que la Cour de céans n’est pas saisie de la question de la détermination de la loi applicable

Rejeter les demandes formulées par Monsieur [K] concernant la détermination de la loi applicable, la Cour n’étant pas saisie de ses demandes et en tout état de cause, la Cour ne devant nullement trancher à ce stade une question de fond

A titre infiniment subsidiaire

Déclarer la loi canadienne comme étant la loi applicable au litige sur le fond

En tout état de cause,

– Débouter Monsieur [K] de ses entières demandes, fins et conclusions ;

– Condamner Monsieur [K] à verser à la société Abbott France la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamner Monsieur [K] aux entiers dépens ».

L’intimée a signifié des conclusions par RPVA le 8 novembre 2022 et l’intimé, par conclusions signifiées le même jour en a sollicité le rejet.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de rejet des conclusions et pièces communiquées le 8 novembre 2022 à 17 heures par l’intimée

Par conclusions du 8 novembre 2022 à 19h45, l’appelant a sollicité le rejet des conclusions et pièces communiquées par l’intimée le 8 novembre 2022 à 17h50.

Sur ce,

Aux termes de l’article 15 du code de procédure civile, « les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de faits sur lesquels eues fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense ».

L’article 16 du code de procédure civile dispose que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

Aux termes de l’article 135 du code de procédure civile, « le juge peut écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile ».

En l’espèce, les conclusions et pièces signifiées par RPVA le 8 novembre 2022 par l’intimée seront rejetées en ce qu’elles sont tardives.

Sur la compétence

M. [K] fait valoir que :

– il ne cherche pas à établir un contrat de travail avec la société Abbott France car les règles attributives de compétence territoriale ne se basent pas sur ce critère ;

– son contrat de travail avec la société Abbott Canada était suspendu depuis juillet 2014 et il n’avait plus aucun lien de subordination avec cette dernière à l’exception d’une partie de son salaire qu’elle lui versait ; il était placé sous l’autorité hiérarchique de M. [V], « vice-président EMEA basé en Allemagne » qui était rattaché à la société Abbott France en sa qualité de vice-président, et tout comme lui, « travaillait clairement au sein de cette dernière, et les échanges avec ce dernier se faisaient par Webex »;

– il travaillait depuis 2017 pour le compte de la société Abbott France qui le rémunérait, était déclaré dans les effectifs de cette dernière qui l’a affilié au régime de protection sociale français, il payait ses impôts en France où il accomplissait sa mission ;

– les faits de harcèlement qu’il a subis l’ont été en France, dans le cadre de ses missions exercées pour le compte de la société Abbott France et dans le cadre de son mandat social, « lieu d’accomplissement du travail comme unique critère de détermination des juridictions applicables » ;

– « aussi bien le règlement Bruxelles I bis que les règles d’ordre public issues du Code du travail ne font aucunement référence à un contrat de travail : la détermination des juridictions compétentes est basée sur le rattachement au lieu d’exécution des missions » ;

– la clause attributive de compétence prévoyant que tout litige devrait être porté devant les juridictions canadiennes n’est pas applicable à la relation de travail avec la société Abbott France ;

– il exerçait ses fonctions exclusivement en France, ce qui rend la clause attributive de juridiction au profit des juridictions canadiennes inapplicable puisque, lorsqu’un salarié est domicilié en France et exécute ses missions en France, les dispositions d’ordre public françaises en matière de juridiction territorialement compétente s’appliquent sans qu’une clause attributive de juridiction ne puisse s’y substituer.

En réponse, la société fait valoir que :

– en l’absence de tout contrat de travail avec elle, la juridiction prud’homale est incompétente pour connaître du litige ;

– M. [K] est resté salarié de la société canadienne pendant toute la durée de son détachement et a très peu travaillé en France, soit deux ans et deux mois, son contrat de travail initial avec la société canadienne est resté en vigueur et l’affiliation au régime de sécurité sociale canadien était maintenue ;

– la clause attributive de juridiction est valable en application des règles de compétence judiciaire dans l’Union Européenne eu égard aux dispositions du règlement communautaire n°1215-2012 du 12 décembre 2012 qui autorisent les clauses attributives de juridiction et qui précisent que les parties peuvent toujours se mettre d’accord pour écarter une règle de compétence au profit d’une juridiction de leur choix ;

– le droit communautaire prévaut sur les règles nationales de compétence, et notamment en ce qu’il admet la validité des clauses attributives de juridiction.

Sur ce,

Aux termes de l’article R. 1412-1 du code du travail, « l’employeur et le salarié portent les différends et litiges devant le conseil de prud’hommes territorialement compétent.

Ce conseil est :

1° Soit celui dans le ressort duquel est situé l’établissement où est accompli le travail ;

2° Soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié.

Le salarié peut également saisir les conseils de prud’hommes du lieu où l’engagement a été contracté ou celui du lieu où l’employeur est établi ».

Sans qu’il soit besoin d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties, la cour ne peut que constater qu’il résulte expressément des conclusions qui lui sont soumises que les parties ne sont liées par aucun contrat de travail, l’appelant précisant à ce titre dans ses conclusions : « Or, il est souligné que Monsieur [K], dans le cadre de la présente instance, ne cherche pas à établir un contrat de travail avec Abbott France, car les règles attributives de compétence territoriale

ne se base pas sur ce critère ».

Par conséquent, le conseil de prud’hommes est incompétent pour connaître de tout litige entre les parties.

La décision entreprise sera confirmée en son dispositif.

Sur l’amende civile

Aux termes de l’article 559 du code de procédure civile, en cas d’appel dilatoire ou abusif, l’appelant peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros.

Les éléments de la procédure tels qu’ils ont été rappelés plus haut démontrent que M. [K] a agi avec légèreté dégénérant en abus en ayant présenté ses demandes devant le conseil de prud’hommes et en ne présentant aucun moyen sérieux ou pertinent permettant de remettre en cause la décision du premier juge , alors même qu’il n’a pas de contrat de travail avec la société intimée qu’il ne cherche pas à établir un.

M. [K] sera condamné à une amende civile de 3 000 euros.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. [K], qui succombe, supportera les dépens d’appel et sera condamné à payer à la société Abbott France la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civil et sera débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Rejette les conclusions et pièces communiquées le 8 novembre 2022 par la société Abbott France ;

Confirme le jugement en date du 16 décembre 2021, du conseil de prud’hommes de Créteil ;

Y ajoutant :

Condamne M. [P] [K] à une amende civile de 3 000 euros ;

Condamne M. [P] [K] aux dépens d’appel ;

Condamne M. [P] [K], à payer à la société Abbott France la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande à ce titre ;

Dit que le greffe adressera une copie exécutoire du présent arrêt au Trésor Public.

La greffière, Le président,

 


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