Clause attributive de compétence : 27 mai 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 21/03237

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Clause attributive de compétence : 27 mai 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 21/03237
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AFFAIRE : N° RG 21/03237 –

N° Portalis DBVC-V-B7F-G4EZ

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce d’ALENCON en date du 23 Novembre 2021

RG n° 2021000429

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 27 MAI 2022

APPELANTE :

S.A.S. MOTEURS J.M.

N° SIRET : 478 913 460

[Adresse 4]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Stéphane PIEUCHOT, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

Société MACTAGGART SCOTT ET COMPANY LTD

N° SIRET : SC0 555 32

[Adresse 2]

MIDLOTHIAN EH20 9 SP

ROYAUME UNI

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Didier LEFEVRE, avocat au barreau d’ALENCON,

assistée de Me Flavie HANNOUN, avocat au barreau de PARIS, Me Marine ALIX, avocat au barreau de PARIS

DEBATS : A l’audience publique du 17 mars 2022, sans opposition du ou des avocats, M. GOUARIN, Conseiller, a entendu seul les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

ARRÊT prononcé publiquement le 27 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

La société Moteurs JM a pour activité la construction de moteurs sur mesure résistant à des environnements hostiles et collabore au programme de la marine nationale française de fabrication du sous-marin nucléaire Barracuda.

La société de droit écossais MacTaggart, Scott & Company Limited (société MTS) a pour activité la conception, la production et la commercialisation d’équipements industriels civils ainsi que militaires dans les secteurs naval et aéronautique et participe également au programme Barracuda.

Le 27 janvier 2017, la société MTS a commandé à la société Moteurs JM la fourniture de deux moteurs électriques Capstan, moyennant un prix de 192.000 euros.

Le 13 février 2017, la société MTS a confié à la société Moteurs JM la conception et la fabrication de deux moteurs de navire et pris trois options pour l’équipement de trois autres navires.

Deux avenants à ce contrat ont été conclus entre les parties les 24 mars et 30 mai 2017.

Le premier des moteurs commandés a été livré.

Par jugement du 5 novembre 2018, le tribunal de commerce d’Alençon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Moteurs JM. Selon jugement du 3 juin 2020, cette juridiction a adopté un plan de redressement.

Suivant acte d’huissier transmis le 29 décembre 2020 et remis le 13 février 2021, la société Moteurs JM a fait assigner la société MTS devant le tribunal de commerce d’Alençon aux fins, notamment, de voir condamner celle-ci au paiement de diverses sommes au titre de ses préjudices financier, économique, d’image et de réputation, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, pour ne pas lui avoir confié la fabrication des autres moteurs figurant à la commande.

Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal de commerce d’Alençon a :

– déclaré recevable l’exception d’incompétence soulevée par la société MTS,

– s’est déclaré incompétent au profit de la juridiction commerciale écossaise,

– ordonné au greffier de transmettre à l’issue du délai d’appel au greffe de la juridiction commerciale écossaise, dont les éléments seront fournis par la société MTS, l’intégralité du dossier au titre de l’article 82 du code de procédure civile,

– réservé les demandes relatives aux frais irrépétibles et aux dépens qui suivront le sort de l’instance au fond,

– dit que l’exécution provisoire est de droit,

– liquidé les frais de greffe à la somme de 103,57 euros.

Selon déclaration du 3 décembre 2021, la société Moteurs JM a interjeté appel de cette décision.

Le 9 décembre 2021, l’appelante a été autorisée à faire assigner à jour fixe la société MTS.

Suivant acte d’huissier du 30 décembre 2021, la société Moteurs JM a fait assigner à jour fixe la société MTS à l’audience de cette cour du 17 mars 2022.

Par dernières conclusions du 14 mars 2022, l’appelante demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, d’infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de débouter la société MTS de son exception d’incompétence et de toutes ses demandes, de dire et juger que le tribunal de commerce d’Alençon est seul compétent pour trancher le litige et de renvoyer les parties devant cette juridiction afin qu’elle se prononce sur le fond et de condamner l’intimée à lui verser la somme de 15.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.

Par dernières conclusions du 1er mars 2022, la société MTS demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il s’est déclaré territorialement incompétent pour connaître de la demande de la société Moteurs JM au profit de la juridiction écossaise, de débouter l’appelante de toutes ses prétentions et de condamner celle-ci au paiement de la somme de 15.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.

À l’audience de plaidoirie et par message adressé le même jour par le greffe, la cour a mis dans le débat le moyen tiré de la qualité de personne domiciliée dans un État membre de la société MTS au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis et invité les parties à transmettre leurs observations sur ce point jusqu’au 24 mars 2022.

Les 21 et 22 mars 2022, la société Moteurs JM ainsi que la société MTS ont fait valoir que l’acte introductif d’instance devant les premiers juges avait été transmis le 29 décembre 2020 par l’huissier instrumentaire français aux autorités judiciaires du Royaume-Uni, de sorte que les dispositions du règlement Bruxelles I bis sont applicables au présent litige.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIVATION

1. Sur l’exception d’incompétence

Pour retenir la compétence de la juridiction commerciale écossaise, le tribunal a, au visa des articles 4 et 7 b du règlement UE n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (le règlement Bruxelles I bis), retenu en premier lieu que la commande du 27 janvier 2017, adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de de réception du 3 février 2017, est accompagnée de conditions générales d’achat dont l’article 2 stipule qu’aucune modification de commande ne sera valide à moins que les parties n’en conviennent par écrit, cette entente étant attestée sur un bon de commande officiel, et dont l’article 27 prévoit que la validité de la construction ou de l’ordonnance sont régies par la loi écossaise et sont soumises à la compétence exclusive des tribunaux écossais.

Il a considéré que cette commande se réfère à des références de moteur et constitue un contrat de vente de moteurs au prix de 96.000 euros l’unité et que, pour cette commande, la société MTS, qui a son siège en Écosse, prévoit que le lieu de livraison est le siège social de celle-ci.

En second lieu, le tribunal a relevé que le contrat conclu entre les parties le 13 février 2017 avait pour objet l’acquisition par la société MTS de moteurs électriques au prix unitaire de 96.000 euros, que son article 9.5 prévoit que l’ensemble des ressources nécessaires à l’exécution des obligations contractuelles sont à fournir par le vendeur, lesquels doivent être conformes aux mesures sanitaires et de sécurité applicables en France au jour de la fabrication des produits et qu’il s’agit d’une opération translative de propriété d’un bien mobilier corporel ne pouvant être incluse dans la catégorie des fournitures de services.

Il a estimé que ces obligations correspondent à la définition de la vente de marchandise donnée par la Cour de justice de l’Union européenne le 25 février 2010, notamment si les matériaux nécessaires à la fabrication du bien sont fournis par le vendeur et si le vendeur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat des marchandises.

Le tribunal a en a déduit que, par application de l’article 7b-1 du règlement Bruxelles I bis, la juridiction compétente est celle de l’État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, soit en l’espèce la juridiction commerciale écossaise.

La société Moteurs JM fait valoir que le contrat en cause est un contrat de fourniture de services au sens de contrat de louage d’ouvrage défini par l’article 1710 du code civil, en ce qu’il porte sur la fabrication de moteurs supposant leur conception, leur fabrication et leur test, opérations effectuées à [Localité 3], siège de l’appelante qui dispose d’un savoir-faire particulier en la matière.

Elle affirme que les parties n’ont pas choisi la loi applicable au contrat les liant, de sorte qu’en application de l’article 4 du règlement Rome I CE 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 ce contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire a sa résidence habituelle, soit la loi française. Selon ce texte, le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle.

L’appelante soutient qu’en vertu de l’article 46 du code de procédure civile le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de l’exécution de la prestation de service.

Elle indique que, conformément à l’article 7 §1 a) et b) du règlement 1512/2012 Bruxelles I bis, la juridiction compétente est celle du lieu où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis, soit le tribunal de commerce d’Alençon.

Contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, la clause attributive de compétence aux juridictions écossaises et d’application du droit écossais invoquée par la société MTS n’est pas opposable à la société Moteurs JM dès lors que cette clause figure dans des conditions générales jointes au bon de commande du 27 janvier 2017, rédigées en petits caractères et qui n’ont pas été signées par cette dernière, contrairement à ce qu’exige l’article 48 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions des articles 67 et 126 de l’Accord sur le retrait du Royaume-Uni et de l’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, les dispositions du règlement 1215/2012 Bruxelles I bis sont applicables au présent litige, l’acte introductif ayant été transmis aux autorités judiciaires du Royaume-Uni le 29 décembre 2020, soit avant le 31 décembre 2020.

L’article 7 du règlement UE 1215/2012 Bruxelles I relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1 ) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

– pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ;

– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c ) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. »

Une action indemnitaire fondée sur la responsabilité contractuelle telle que celle engagée par la société Moteurs JM contre la société MTS relève de la matière contractuelle au sens du texte précité.

En matière de contrats complexes, les relations contractuelles doivent être qualifiées soit de contrat de vente de marchandises si l’obligation caractéristique du contrat en cause est la livraison d’un bien, soit de contrat de fourniture de services lorsque cette obligation est une prestation de services.

En l’espèce, le contrat conclu entre les parties précise qu’il a pour objet de livrer les moteurs électriques Capstan pour les ensemble Shipset 01 (sur un total de 4 ensembles Shipsets) et de fournir des services relatifs aux spécifications techniques.

Il est stipulé que les moyens nécessaires pour remplir les obligations contractuelles sont fournis par le fournisseur, lesquelles doivent être conformes aux nouvelles réglementations sanitaires et de sécurité applicables en France au moment de la fabrication des produits.

Ainsi, l’obligation caractéristique du contrat en cause est la fourniture de biens en pleine propriété, en l’occurrence des moteurs conçus et fabriqués par la société Moteurs JM, de sorte que le contrat en cause doit être qualifié de contrat de vente de marchandises.

Dans l’hypothèse d’un contrat de vente de marchandises, en l’absence de stipulation dans le contrat, le lieu de livraison est censé être celui de la remise matérielle du bien à l’acheteur.

Afin de vérifier si le lieu de livraison est déterminé en vertu du contrat, la juridiction saisie doit prendre en compte tous les termes et clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international tels que les incoterms (international commercial terms) élaborés par la chambre de commerce internationale.

S’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente.

En l’espèce, l’article 3.7 du contrat produit par la société Moteurs JM en pièce 4 prévoit que la fourniture des livrables du contrat se fera sur place chez MTS en Écosse, celle-ci pouvant communiquer au fournisseur d’autres sites MTS de livraison sur le territoire continental français, en Espagne, sur le continent européen ou au Royaume-Uni, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

Le bon de commande établi le 27 janvier 2017 par la société MTS porte la mention « conditions de livraison : Free Carrier (incoterms 2010) ».

Selon ce terme généralement reconnu et consacré par les usages du commerce international, le vendeur livre les marchandises, dédouanées à l’exportation, à un endroit désigné, les frais de dédouanement étant à la charge du vendeur et les frais de transport à celle de l’acheteur.

Cependant, si la société Moteurs JM produit des lettres de voiture relatives à des commandes antérieures de la société MTS, elle ne produit ni lettre de voiture concernant le moteur livré en exécution du contrat en cause, ni déclaration d’exportation attestant du paiement des droits de douane correspondant à cette livraison.

En outre, la cour relève que si les accusés de réception établis et produits par la société Moteurs JM indiquent que l’adresse de livraison est celle de la société MTS au Royaume-Uni et portent la mention « FCA [Localité 3] incoterms » au titre des conditions d’expédition, le bon de commande émis par la société MTS ne mentionne que le terme « FCA » sans précision de lieu, de sorte que l’utilisation de cet incoterm ne peut contredire la mention claire du contrat du 13 février 2017 désignant le siège de la société MTS comme lieu de livraison.

Il s’ensuit que le lieu de livraison est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente, soit en l’espèce l’adresse de la société MTS en Écosse, laquelle est indiquée comme étant celle de livraison dans le contrat liant les parties.

À ces motifs, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions soumises à la cour.

2. Sur les demandes accessoires

La société Moteurs JM, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel, déboutée de sa demande d’indemnité de procédure et condamnée à payer à la société MTS la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne la société Moteurs JM aux dépens d’appel et à payer à la société MacTaggart, Scott & Company Limited la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande formée par la société Moteurs JM sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

N. LE GALLF. EMILY

 


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