Clause attributive de compétence : 24 novembre 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/01258

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Clause attributive de compétence : 24 novembre 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/01258
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MINUTE N° 485/2022

Copie exécutoire à :

– Me Guillaume HARTER

– Me Joëlle LITOU-WOLFF

Le 24 novembre 2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 24 Novembre 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/01258 – N° Portalis DBVW-V-B7G-HZU6

Décision déférée à la cour : 14 Janvier 2022 par le juge de la mise en état de STRASBOURG

APPELANTE :

La S.A.S. SPIE BATIGNOLLES EST, prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 1]

représentée par Me Guillaume HARTER, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me SEGARD, avocat au barreau de Paris

INTIMEE :

La S.A.S.U. SPIE INDUSTRIE ET TERTIAIRE

ayant son siège social [Adresse 3]

représenté par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me DAILLY, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 modifié et 910 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Franck WALGENWITZ, président de chambre, et Madame Myriam DENORT, conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Dominique DONATH, faisant fonction

ARRÊT contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président et Madame Dominique DONATH faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par un marché en date du 10 juin 2015, l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ci-après « EU LISA”) – organe de l’Union européenne dotée de la personnalité morale – a confié, en qualité de maître d’ouvrage, la conception et la réalisation de bureaux ainsi que la restructuration d’un data-center, sur le site situé au [Adresse 2] à [Localité 4], pour un montant de 21.530.252,46 € HT à la société Spie Batignolles Est (ci-après « SBE ”).

Le délai global de ce marché principal était fixé à 26 mois à compter du 11 juin 2015.

En sa qualité d’entrepreneur principal, la société SBE a confié à la société Spie Industrie et tertiaire (ci-après « SIT ”), par contrat en date du 2 septembre 2015, la réalisation en sous-traitance des lots intitulés ‘courants forts, VDI, SSI, sûreté, GTB et protection’ en contrepartie du paiement d’un prix global et forfaitaire de 5.558.913 € HT. Il est à noter que ce prix sera augmenté par la régularisation successive de 4 avenants pour un montant cumulé de 475 451,72 € HT, ce qui portait le montant du contrat à 6 034 364,72 € HT. Le délai d’exécution des travaux du sous-traitant était fixé, aux termes du contrat de sous-traitance, à 23 mois à compter du 11 septembre 2015.

Au cours du mois de juin 2018, des opérations préalables à la réception ont été conduites entre EU LISA et SBE en vue d’une réception programmée au 2 juillet 2018. Cependant, le 4 juillet 2018, le maître d’ouvrage, EU-LISA, informait la société SBE de son refus de réceptionner l’ouvrage, au motif d’un inachèvement de certaines prestations et de l’existence de « points bloquants ”.

La société SBE contestait par courrier du 4 juillet 2018, cette décision et ses motifs, considérant que les réserves invoquées par EU-LISA étaient infondées.

Dans ce contexte, la société SBE a déposé deux requêtes devant le tribunal administratif de Strasbourg au cours de l’année 2018.

La première requête était destinée à obtenir en référé la désignation d’un expert avec notamment pour mission de déterminer si l’ouvrage commandé par EU LISA était en état d’être réceptionné. Par ordonnance du 26 septembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande et commis Monsieur [Z] [E] en qualité d’expert judiciaire. Néanmoins, par une ordonnance du 14 novembre 2018, Mme la Présidente de la cour administrative d’appel de Nancy – saisie par EU LISA – a jugé que la demande de la société SBE ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative, s’agissant d’un marché conclu par une institution internationale en qualité de maître d’ouvrage, annulant corrélativement l’ordonnance du tribunal administratif de Strasbourg du 26 septembre 2018.

D’autre part, SBE avait déposé devant le tribunal administratif de Strasbourg une requête au fond tendant au prononcé de la réception judiciaire de l’ouvrage et à l’annulation de la décision de EU LISA de refus de réception. Le tribunal administratif de Strasbourg, par jugement en date du 23 juillet 2020, s’estimait compétent pour juger de cette affaire et décidait que l’ouvrage n’était pas en état d’être réceptionné, de sorte qu’il déboutait SBE.

Le 22 septembre 2020, la société SBE faisait appel.

Cette instance est actuellement pendante devant la cour administrative d’appel de Nancy.

Parallèlement à ces procédures la société SIT transmettait à la société SBE pour règlement plusieurs factures (factures n° 18302698 du 23 juillet 2018 d’un montant de 154.928,77 € HT; n° 18316653 du 29 octobre 2018 d’un montant de 227.010,17 € HT ; n° 19039914 du 29 octobre 2019 d’un montant de 83.830,13 € HT), pour un montant total de 465.769,07 € HT.

La société SBE refusait d’honorer leur paiement au motif que les travaux confiés n’étaient pas soldés.

La société SIT obtenait le 06/03/2020 du juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Nancy l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire sur tous les comptes bancaires de la société SBE, pour un montant de 465.769,07 €, saisie pratiquée entre les mains de l’agence centrale du Crédit Lyonnais.

Mais le 20 novembre 2020, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nancy rétractait l’ordonnance du 6 mars 2020 et décidait la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées à la requête de la société SIT sur les comptes bancaires de la société SBE.

* * *

C’est dans ce contexte que SIT a fait délivrer à SBE une assignation devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg le 25/07/2020 afin d’obtenir le règlement de la somme de 465.769,07 €.

Par conclusions d’incident datées du 12 février 2021, la société SBE a demandé au juge de la mise en état de surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt à intervenir de la Cour administrative d’appel de Nancy, en appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 juillet 2020.

Par une ordonnance du 14 janvier 2022 le juge de la mise en état dudit tribunal a rejeté la demande de la société SBE aux motifs :

– d’une part, que le contentieux administratif en cours ne concerne que les rapports entre la société SBE et l’agence EU LISA ;

– d’autre part que le contrat de sous-traitance conclu avec la société SIT prévoit un règlement à l’avancement des travaux.

La société SBE a fait appel de cette décision.

PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions d’appelante du 29 juin 2022, la société SBE expose que la cour devrait infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état et prononcer un sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir de la cour administrative d’appel de Nancy saisie de l’appel portant sur le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 juillet 2020 concernant le litige entre l’entreprise SBE et l’agence EU LISA suite au refus de cette dernière de réceptionner les travaux. L’issue de la présente procédure en dépendrait.

Elle réclamait aussi la condamnation de SIT aux dépens et au paiement d’une somme de 8 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Elle avançait plusieurs raisons à l’appui de son argumentation.

1) La première réside dans le fait que le litige principal pendant devant la juridiction administrative porte essentiellement sur les travaux confiés en sous-traitance à la société SIT, laquelle ne peut être attraite devant la juridiction administrative.

L’appelante conteste les développements de l’intimée selon lesquels la demande de sursis est inutile car la juridiction administrative serait incompétente pour connaître du litige et soutient que la juridiction administrative serait seule compétente pour connaître de l’affaire car :

– le droit applicable visé dans le contrat est « la loi française »,

– en droit français, la compétence des juridictions administratives est d’ordre public : aussi la clause attributive de compétence incluse au contrat, au profit de la juridiction judiciaire, serait inopposable et devrait être écartée comme contraire à l’ordre public qui préside à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction,

– l’application des critères jurisprudentiels de qualification des contrats conduit à constater la présence d’une personne publique – l’agence EU-LISA étant un organe de l’Union européenne dotée de la personnalité morale – au contrat litigieux ; l’objet de ce dernier porte en outre sur des travaux publics de sorte que le contrat est de nature administrative.

2) En second lieu, SBE soutient qu’en première instance, le tribunal administratif de Strasbourg a refusé dans son jugement du 23 juillet 2020 de prononcer la réception judiciaire des travaux au motif de l’existence de nombreuses inexécutions, non façons, malfaçons et retards portant sur lesdits travaux correspondant principalement à ceux réalisés en sous-traitance par la société SIT.

L’Agence EU-LISA a procédé à la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société SBE, en invoquant les mêmes griefs relatifs aux travaux confiés en sous-traitance à la société SIT et donc imputables à cette société.

Le tribunal se serait appuyé sur les notes établies par l’expert (§ 17. du jugement), et plus particulièrement sur sa note aux parties n°4 pour juger que les travaux, correspondant principalement à ceux réalisés en sous-traitance par la société SIT, ne pouvaient être regardés comme achevés.

3) Enfin la société SBE serait désormais en mesure de faire état de son préjudice, lequel s’élève, a minima, au montant du solde du décompte que la société SBE a notifié à l’Agence EU-LISA, le préjudice étant susceptible d’être aggravé par la réclamation que l’Agence.

En résumé, il serait important que ne pas ‘ déconnecter artificiellement le sort de l’action de la société SIT dirigée contre la société SBE, par rapport aux prétentions formulées par l’Agence EU LISA’.

* * *

Dans des écritures récapitulatives datées du 31 mai 2022, SIT conclut à la confirmation de l’ordonnance entreprise et à la condamnation de SBE au règlement d’une somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

A l’appui de sa demande, elle soutient que :

– sa créance à l’égard de SBE est certaine, liquide et exigible, sur la base des stipulations contractuelles ; aux termes de l’article 4.2 du contrat, le règlement du sous-traitant doit intervenir à l’avancement des travaux de sorte que l’entrepreneur principal est tenu contractuellement de verser au sous-traitant les montants figurant dans les situations de travaux,

– aucune exception d’inexécution ne peut valablement être opposée à la société SIT par la société SBE, car une telle exception d’inexécution doit être justifiée par la décision de refus de réception opposée par le maître d’ouvrage, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisqu’elle fait l’objet d’une contestation devant la cour administrative d’appel de Nancy,

– de façon parfaitement contradictoire, comme l’a relevé le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nancy, la société SBE clame le caractère réceptionnable de l’ouvrage devant la juridiction administrative ce qui implique que tous les travaux ont été livrés, de sorte qu’elle ne saurait devant le juge civil prétendre que des manquements seraient imputables à SIT,

– en tout état de cause, les conditions à remplir pour retenir l’existence d’une exception d’inexécution – à savoir l’existence d’obligations réciproques et d’une inexécution suffisamment grave de la part de l’autre partie – ne sont pas remplies ; à ce sujet l’intimée précisait que :

* la juridiction administrative serait en tout état de cause incompétente pour juger du litige existant entre l’agence EU LISA et la société SBE, de sorte qu’un sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt à intervenir de la cour administrative d’appel de Nancy est inutile,

* la décision de refus de réception concerne le maître d’ouvrage et l’entreprise principale dans leurs propres relations contractuelles,

* SBE ne saurait soutenir dans le même temps d’un côté que les travaux doivent être réceptionnés par l’agence européenne et de l’autre l’existence d’une exception d’inexécution à la charge de son sous traitant SIT,

– la démarche de SBE est mue par une volonté dilatoire ; il n’est pas nécessaire d’attendre le résultat de procédures particulièrement longues, auxquelles la société SIT n’est pas partie, pour statuer sur la demande d’un sous-traitant concernant des situations de travaux achevés.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l’article 378 du Code de procédure civile « La décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.”

La question débattue entre les parties – tendant à savoir si la juridiction administrative est compétente ou non pour connaître du litige opposant SBE à EU LISA (et sur le caractère réceptionnable ou non de l’ouvrage) – ne relève pas de la compétence de la présente cour, et sera tranchée par la seule cour administrative d’appel.

Quant au contexte, il est rappelé que la société SIT était chargée, en vertu du contrat de sous-traitance passé avec SBE, de l’exécution des lots techniques courants forts, SSI, VDI, Sûreté, GTB, Protection, pour un prix forfaitaire initialement fixé à 5.558.913 € HT, SBE devant en vertu du marché principal conclu avec l’agence EU LISA, remettre à cette dernière un ouvrage « clés en mains ”, en contrepartie d’un prix forfaitaire de 21.530.252,46 € HT.

Par courrier en date du 4 juillet 2018, l’Agence EU- LISA a informé SBE de son refus de réceptionner l’ouvrage, ledit refus étant principalement motivé par des ‘points bloquants’ qui rendraient ‘l’ouvrage impropre à sa destination’ (pièce n°12).

Par lettre recommandée reçue par SBE le 25 mars 2022, EU LISA informait la société de sa décision de résilier aux torts exclusifs de cette dernière le contrat les liant.

SBE répondait par courrier recommandé en date du 20 avril 2022 qu’elle produit en annexe 52 de ses pièces, dans lequel – tout en contestant le bien fondé de la position de EU LISA – elle lui réclamait le règlement d’une somme de 5 335 338.75 euros TTC au titre de frais supplémentaires.

Parmi les pièces justificatives annexées à ce courrier, est joint un MÉMOIRE DÉFINITIF daté du 19 avril 2022 qui rappelle l’historique de la facturation et des règlements, et établit le solde à régler de 5 335 338.75 euros.

L’étude dudit tableau démontre que sur la somme de 25 912 492,38 euros – correspondant grosso modo au montant du marché initial – EU LISA a procédé au règlement d’une somme de 25.836.302.94 euros au profit de SBE.

Il s’en déduit que SBE a d’ores et déjà perçu de la part de EU LISA le paiement des prestations effectuées par SIT qui sont visées dans les factures objets du présent litige.

Aux termes de l’article 4.2 du contrat liant les parties au litige, le règlement du sous-traitant doit intervenir à l’avancement des travaux de sorte que l’entrepreneur principal est tenu contractuellement de verser au sous-traitant les montants figurant dans les situations de travaux.

Il est constant que les factures litigieuses ont fait l’objet de situations de travaux transmises à SBE, et que EU LISA a d’ores et déjà réglé à SBE le montant des travaux réalisés par SIT.

La cour constate enfin que, dans le cadre de la procédure menée par SBE contre EU LISA devant les juridictions administratives, elle soutient que l’ouvrage est en état d’être réceptionné ce qui implique nécessairement l’absence de malfaçons ou non façons attribuables à SIT.

Dans ces conditions, la demande de sursis n’est pas justifiée. La procédure doit se poursuivre au fond sans avoir à attendre la décision de la cour administrative d’appel de Nancy.

L’ordonnance du juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg sera confirmée.

L’appelante sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel et à verser à SITau titre de l’article 700 du code de procédure civile une somme de 1 500 €. Corrélativement la demande formulée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pas SBE sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

CONFIRME l’ordonnance rendue le 14 janvier 2022 par le juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg,

CONDAMNE la société Spie Batignolles Est aux dépens de l’appel,

CONDAMNE la société Spie Batignolles Est à payer à la société Spie Industriel et Tertiaire une somme de 1.500 € (mille cinq cents Euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de la société Spie Batignolles Est au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président

 


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