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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2022
(n° , 18 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/22505 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE4LL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris RG n° 21/10243
APPELANTE
Société [J] BANK SAL
société anonyme de droit libanais, immatriculée au registre des sociétés de Beyrouth sous le numéro 15261, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au dit siège
[Adresse 6]
[Localité 7] (Liban)
Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
ayant pour avocat plaidant Me Louis MARTIN
INTIMEE
Madame [S] [T]
née le [Date naissance 4] 1952 à [Localité 7], Liban
[Adresse 3]
[Localité 5] / France
Représentée par Me Jacques-alexandre GENET et Prosha DEHGHANI de la SELAS ARCHIPEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0122
ayant pour avocat plaidant Me Mickael SCHLESINGER
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 18 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Marc BAILLY, Président de chambre
M. Vincent BRAUD, Président
Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par M. Marc BAILLY, Président de chambre dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Yilia TREFILOVA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
Faits et procédure :
Mme [S] [T], de nationalité syrienne résidente en France, a ouvert en 2014 deux comptes en devises dans les livres de la banque libanaise Near Est Commercial Bank sise à [Localité 7], l’un en euros l’autre en dollars américains.
Il est constant que la Near Est Commercial Bank n’a plus de succursale ni de représentation en France depuis l’année 2004.
Les fonds ont été successivement investis dans des comptes à terme au rendement compris entre 4 et 6 %, des virements sur un compte courant permettant à Mme [T] de prélever les sommes qu’elle souhaitait.
Au cours de l’année 2016, la banque a fusionné avec la Banque de l’Industrie et du Travail pour devenir la [J] Bank.
Mme [T] expose avoir sollicité, au cours de l’année 2019, le transfert de ses avoirs en France sur un compte en banque français.
Le 8 juillet 2020, la banque [J], répondant à la demande formulée par le conseil de Mme [J] de transfert de la somme de 150 000 euros en date du 29 janvier 2020, lui a répondu que ‘suite à la situation économique du pays – des restrictions ont été imposées à toutes les banques libanaises sur les transferts vers l’étranger et les retraits d’espèce’.
Mme [T], exposant que ce refus a perduré, a été autorisée à assigner la banque [J] à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Paris, ce qu’elle a fait par acte en date du 18 juin 2021.
Le 22 septembre 2021, la banque [J] a informé Mme [T] avoir clôturé ses deux comptes et avoir consigné les sommes s’y trouvant auprès d’un notaire de [Localité 7] au moyen de deux chèques tirés sur la Banque du Liban.
Par jugement du 19 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris :
– s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes par application des articles 17, 18, 19 du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit Bruxelles 1 bis aux motifs que Mme [S] [T], domiciliée en France, avait la qualité de consommateur et que la banque libanaise ayant dirigé son activité vers la France, la compétence était déterminée par le lieu du domicile du consommateur, sans que la banque ne puisse utilement se prévaloir de la clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Beyrouth figurant dans la convention,
– a déclaré recevable les demandes formées par Mme [S] [T] aux motifs que la banque [J] tout en invoquant les dispositions de l’article 122 du code de procédure civile ne précisait pas la fin de non recevoir dont elle se prévalait et qu’elle ne pouvait sérieusement soulever le défaut d’intérêt à agir de la demanderesse à son encontre en raison de l’extinction de leur relation contractuelle en ce qu’elle se serait acquittée de son obligation alors que Mme [S] [T] conteste justement l’effectivité de cette remise des fonds,
– a condamné la banque [J] à payer à Mme [S] [T] les sommes de 51 934,84 euros au titre des sommes inscrites sur le compte n°[XXXXXXXXXX01] et la contre valeur en euros au 22 septembre 2021 de la somme de 2 727 768,72 dollars américains au titre des sommes inscrites sur le compte n°[XXXXXXXXXX02], aux motifs que s’il n’est pas contesté que la banque est tenue d’une obligation de restitution des fonds remis par sa cliente en application du droit libanais auquel est soumis la convention d’ouverture de compte ni que la résiliation des comptes bancaires à laquelle la banque a procédé, le 22 septembre 2021 est régulière et rend immédiatement exigible le solde du compte majoré des intérêts en application du paragraphe 14 des conditions générales, la démarche de consignation des fonds effectuée par la banque entre les mains d’un notaire à [Localité 7], en émettant à l’ordre de celui-ci, le 22 septembre 2021, deux chèques tirés sur la Banque du Liban d’un montant respectif de 51 934,84 euros et de 2 727 768,72 dollars américains en application des articles 822 et suivants du code de procédure civile libanais ne vaut pas exécution de son obligation de restitution des fonds car ” cette procédure d’offre réelle et de consignation édictée aux dispositions citées par la défenderesse permet seulement à un débiteur d’établir une proposition en l’exécution de son obligation qui, pouvant être refusée par le créancier, ne peut s’apparenter précisément en un remboursement pur et simple des sommes qui sont dues. “,
– a débouté Mme [S] [T] de ses demandes indemnitaires au titre d’un préjudice moral,
– a condamné la banque [J] à payer à Mme [S] [T] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– a condamné la banque [J] aux dépens,
– a ordonné l’exécution provisoire.
****
Par déclaration remise au greffe de la cour le 29 décembre 2021, la banque [J] a fait appel de cette décision en critiquant chacun de ses chefs puis a été autorisée par ordonnance du délégué du premier président en date du 12 janvier 2022, à la suite de sa requête du 4 janvier 2022 contenant ses conclusions au fond, à assigner, avant le 30 janvier 2022, Mme [S] [T] devant la 6ème chambre du pôle 5 de la cour d’appel à l’audience du 15 mars 2022.
La banque [J] a assigné Mme [S] [T] par acte d’huissier de justice du 14 janvier 2022.
A l’audience du 15 mars 2022, l’affaire a été renvoyée pour être plaidée au 18 octobre 2022 avec une clôture prévue au 20 septembre 2022.
Mme [T] a fait procéder à des mesures de saisies conservatoires de sommes détenues par la banque [J] dans des établissements bancaires et sur la contestation de la banque [J] le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 1er juin 2022, a rejeté les demandes de rétractations en estimant le recouvrement de la créance menacée.
Par ordonnance en date du 5 juillet 2022, le conseiller de la mise en état s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de Mme [T] tendant à la radiation de l’affaire du rôle en vertu de l’article 524 du code de procédure civile et tendant à ce que les demandes de sursis à statuer de la banque [J] soient déclarées irrecevables, jugeant que les demandes relevaient de l’appréciation de la cour d’appel.
Par ses dernières conclusions en date du 5 septembre 2022, Mme [S] [T] demande à la cour de :
‘- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 19 novembre 2021 (RG n°21/10243), sauf en ce qu’il a débouté Madame [T] de sa demande de condamnation de [J] Bank SAL à des dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Statuant à nouveau sur ce point :
– condamner [J] Bank SAL à payer à Mme [T] la somme de 150 000 € à titre de préjudice financier, moral et d’anxiété ;
Ajoutant au jugement entrepris :
– dire que les condamnations prononcées à l’encontre de [J] Bank SAL seront assorties d’une astreinte de 10 000 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir;
En tout état de cause :
– déclarer irrecevable [J] Bank SAL en sa demande de sursis à statuer ;
– dire n’y avoir lieu de transmettre une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne ;
– débouter [J] Bank SAL de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner [J] Bank SAL aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de la SELAS Archipel conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
– condamner [J] Bank SAL à payer à Mme [T] la somme de 65 000 € au titre au titre des frais irrépétibles en cause d’appel’.
Par ses dernières conclusions en date du 16 septembre 2022, la société [J] Bank SLA demande à la cour de :
‘- Réformer le jugement rendu le 19 novembre 2021 par le Tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il s’est déclaré compétent et en ce qu’il a condamné la Banque [J] à verser à Madame [T] la somme de 51 934,84 euros au titre des sommes inscrites sur le compte n°[XXXXXXXXXX01], la contre-valeur en euros au 22 septembre 2021 de la somme de 2 727 768,72 dollars américains au titre des sommes inscrites sur le compte n°[XXXXXXXXXX02] et la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Et statuant à nouveau,
1. Sur la compétence :
– Déclarer les juridictions françaises incompétentes au profit du Tribunal de commerce de Beyrouth pour trancher le présent litige ;
– Renvoyer en conséquence les parties à mieux se pourvoir ;
À défaut, surseoir à statuer et transmettre à la Cour de Justice de l’Union européenne la question suivante :
-« Dans les cas où le site Internet du professionnel n’est pas dirigé vers l’État membre, l’article 17, paragraphe 1, sous c) du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, s’applique-t-il au consommateur qui a lui-même sollicité le professionnel ‘ »
2. Sur le fond :
– Déclarer irrecevable comme nouvelle la demande de condamnation sous astreinte présentée par Madame [T] dans le dispositif de ses conclusions du 5 septembre 2022,
Vu la consignation réalisée par la Banque et l’action aux fins de validation actuellement en cours,
– Juger que l’offre réelle suivie de la consignation de la dette libère la Banque de sa dette et tient lieu de paiement, ne serait-ce qu’à titre provisoire,
En conséquence,
– À titre principal,
– Débouter Madame [T] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
À défaut :
Surseoir à statuer sur les mérites des demandes de Madame [T] dans l’attente de connaître l’issue définitive de l’action en validation actuellement pendante devant le Tribunal de première instance de Beyrouth,
– Confirmer le jugement pour le reste,
– Débouter en conséquence Madame [T] de sa demande indemnitaire au titre d’un prrétendu préjudice financier, moral et d’anxiété,
En tout état de cause :
– Condamner Madame [T] à verser à la Banque [J] la somme de 80 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile’.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2020.
SUR CE
Sur la compétence des juridictions françaises
Mme [S] [T] fait valoir :
principalement,
– que les juridictions françaises sont compétentes en vertu du Règlement du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I Bis qui dispose qu’un consommateur, dans ses rapports avec un professionnel, ne peut se voir opposer une clause attributive de compétence,
– que, contrairement à ce que soutient la banque, selon l’article 17 (1) c, la compétence du lieu du domicile du consommateur dans un Etat membre lorsque le professionnel dirige ses activités vers cet Etat membre n’est pas limitée à l’hypothèse du commerce électronique,
– que c’est encore à tort que la banque affirme que cette règle de compétence ne s’appliquerait qu’à un consommateur passif, c’est à dire qui ne contacte pas un professionnel de sa propre initiative alors que le Règlement ne le distingue en rien du consommateur actif et qu’aucun lien de causalité entre le moyen employé pour diriger son activité vers un Etat membre et les modalités concrètes d’entrée en relation ne ressort de la jurisprudence de la CJUE, étant observé qu’en tout état de cause, elle a fait l’objet d’un démarchage actif des préposés de la banque,
– qu’en l’espèce, il ressort des pièces, outre que la convention de compte a été signée à [Localité 5] et que toutes les correspondances lui ont été adressées à son domicile parisien, que la banque dirige ses activités vers la France au sens de ce texte dès lors qu’elle dispose d’un réseau de banques correspondantes en Europe, d’un nom de domaine international ‘.com’, d’un préfixe téléphonique international permettant d’être contactée depuis la France, d’un site internet en langue anglaise, que les préposés auxquels elle a eu principalement à faire, Mme [V] et M. [W], avaient des numéros de téléphone portable français, exerçaient à [Localité 5] où ils l’ont rencontrée pour lui faire signer les documents conventionnels, que les comptes étaient en devises, que la convention de dépôt prévoyait la faculté de virements internationaux, qu’à l’instar des autres banques libanaises, elle avait pour politique d’attirer les capitaux étrangers comme le montrent leurs multiples actes de démarchages notoires,
– qu’il n’y a pas lieu de poser la question préjudicielle proposée à la CJUE dès lors qu’elle recouvre l’hypothèse d’un consommateur qui a lui-même sollicité le professionnel ce qui est indifférent à l’appréciation des activités de la banque dirigées vers la France, que la direction du site internet vers la France est inopérante, qu’en tout état de cause elle a été démarchée par les préposés de la banque,
– que la clause attributive de compétence aux juridictions de Beyrouth, non négociée, est prohibée par les articles 18 et 19 du Règlement en tant qu’elle la prive, en sa qualité de consommateur du droit de saisir la juridiction du lieu de son domicile,
subsidiairement,
– que les juridictions françaises sont encore compétentes en vertu du droit international privé français en ce qu’il est jugé que la clause attributive de compétence entre un consommateur et un professionnel est abusive et donc réputée non écrite, que la protection du consommateur s’applique indépendamment de la loi applicable au fond du litige, soit en l’espèce la loi libanaise, compte tenu de la règle matérielle d’ordre public du consommateur issue du Règlement du 5 avril 1993 transposée à l’article L232-1 du code de la consommation dès lors qu’il existe un lien étroit avec le territoire d’un Etat membre comme la conclusion du contrat dans l’Etat membre où se trouve son domicile de consommateur,
– que le droit français juge abusive une clause qui supprime ou entrave l’accès du consommateur au juge, la jurisprudence de la CJUE jugeant abusive les clauses attributives qui prévoient la compétence d’un juge éloigné du consommateur au terme d’une clause préalablement prévue par le professionnel non négociée, ce qui constitue un déséquilibre manifeste, de sorte qu’elle est parfaitement en droit de saisir la juridiction du lieu de son domicile.
La banque [J] expose :
– que Mme [T] a ouvert les deux comptes dans ses livres par l’intermédiaire de sa soeur, Mme [Y] [T], qui l’a présentée en prenant attache avec l’une de ses préposées, Mme [V] au mois d’octobre 2014, que le contrat initial prévoyait l’accomplissement d’opérations de bourses et stipulait une clause attributive de compétence au tribunal de commerce de Beyrouth,
– que le tribunal a fait une appréciation erronée des règles de compétence du Règlement dit Bruxelles I Bis, qu’en effet le critère de la direction de ses affaires vers la France n’est pas pertinent en l’espèce puisque la ‘direction des activités’ du professionnel n’a été insérée, en l’an 2000, que pour répondre à l’hypothèse du commerce électronique alors que Mme [T] n’a jamais affirmé ni avoir été démarchée ni avoir ouvert son compte par le biais du site internet de la banque, que si l’hypothèse d’un commerce à distance non électronique n’est pas exclue par la jurisprudence de la CJUE, il ne peut qu’être constaté qu’elle n’a jamais fait application de ce critère dans ce cas,
– qu’en tout état de cause, elle n’a pas dirigé ses activités vers la France au sens de ce texte dès lors que c’est Mme [T], par l’intermédiaire de sa soeur qui l’a contactée, que seuls 0,5 % de ses clients détenant 0,6% des fonds résident actuellement en France, seulement, deux d’entre eux, dont Mme [T] ayant signé les contrats en France,
– que le surplus des indices retenus par le tribunal n’est pas pertinent puisqu’issu d’exemples jurisprudentiels relatifs au commerce en ligne alors que le nom de domaine, les numéros de téléphone et l’utilisation de la langue anglaise ne sont pas un signe de direction vers la France de ses activités alors qu’elle a été contactée par Mme [T] par l’intermédiaire de sa soeur, non plus que celle de la faculté de virements internationaux ou de détention de comptes en devises communes à de nombreux établissements bancaires et qui ne caractérisent pas qu’elle entendait diriger son activité vers la France, ce qui se distingue de l’exercice de son activité internationale générale en ce qu’une ‘proactivité’ est exigée,
– que la disposition sur la compétence de la juridiction du domicile du consommateur n’est pas applicable au consommateur actif qui assume l’internationalité du contrat comme c’est le cas de Mme [T] qui l’a sollicitée par le biais de sa soeur comme l’indique le formulaire de connaissance du client dès l’origine,
– que si la cour devait ne pas être convaincue de l’inapplicabilité de la section 4 du Règlement au litige elle devrait, compte tenu des incertitudes à cet égard de la jurisprudence de la CJUE à la suite de son arrêt Mühleitner poser une question préjudicielle relative à l’hypothèse de la sollicitation du professionnel par le consommateur,
– que les règles de compétence internationale de droit commun ne permettent pas de conclure à la compétence du tribunal français dès lors que le droit français reconnaît comme licite dans l’ordre international les clauses attributives de compétence non prohibées par une règle impérative alors que si les règles du droit de la consommation peuvent les faire regarder comme non valide c’est à la condition qu’elles s’appliquent,
– qu’en l’espèce, la clause attributive de compétence est valide au regard de la loi libanaise – selon le certificat de coutume produit- qui est applicable puisque la loi régissant le contrat principal régit la clause de compétence qui y est inlcuse,
– qu’en tout état de cause, elle est également valide au regard du droit français dès lors qu’elle ne crée aucun déséquilibre significatif au sens de l’article L212-1 du code de la consommation, le recours par Mme [T], qui a ouvert des comptes à l’étranger, à une action judiciaire au Liban n’étant pas complexe compte tenu de sa situation, la logique étant, de plus, que le juge libanais applique sa loi qui régit le contrat.
******
Il est constant que Mme [S] [T] est domiciliée à [Localité 5] et qu’elle l’était déjà au mois de novembre 2014 lors de l’ouverture des comptes dans les livres de la banque aux droits de laquelle vient la Banque [J], dont le siège est sis à [Localité 7], que le contrat a été signé à [Localité 5] et que Mme [T] ne poursuivait pas, en le souscrivant, la satisfaction de besoins professionnels, de sorte que sa qualité de consommateur, au sens du droit de l’Union, n’est pas non plus contestée.
La convention d’ouverture de compte comporte une clause attributive de compétence ainsi libellée : ‘le tribunal de commerce de Beyrouth sera compétent pour trancher tout litige qui pourrait survenir concernant l’ouverture ou le fonctionnement du compte et tout résultat direct ou indirect qui en découle selon les lois du Liban. Toutefois, cette compétence n’est pas obligatoire pour la Banque, qui se réservé le droit de soumettre la question à toute juridiction compétente, conformément aux règles de compétence internes et internationales’.
Ainsi qu’en conviennent les parties, en application de l’article 6 renvoyant à l’article 18, paragraphe 1, du Règlement du 20 décembre 2012, dès lors que la Banque [J] a son siège hors du territoire d’un Etat membre mais que Mme [T] est domiciliée est France et revêt la qualité de consommateur, la compétence est fixée par la section 4 du Règlement relative à la ‘compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs’.
L’article 17.1 et 17.2 dispose que :
‘1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5):
a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels;
b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets;
ou
c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.
2. Lorsque le cocontractant du consommateur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État membre.’
Il convient donc de déterminer si la condition posée à l’article 17.1 c ) est remplie en l’espèce.
Le tribunal n’est pas contredit en ce qu’il a relevé que la Banque [J] a offert la gestion de comptes en diverses devises autres que la livre libanaise, dont comme en l’espèce le dollars, la proposition de virements internationaux, la faculté de joindre ses préposés par des adresses électroniques au nom de domaine ‘.com’ et des coordonnées téléphoniques avec un préfixe international auxquels s’ajoutent la rédaction d’un site internet et de documents de gestion du compte en langue anglaise.
Ces éléments démontrent la vocation internationale de l’activité de la banque, ce que cette dernière ne conteste pas tout en soutenant qu’elle ne saurait suffire à démontrer qu’elle dirigeait spécifiquement son activité vers la France en y recherchant activement des clients et qu’en tout état de cause, dès lors que le contrat n’a pas été conclu à distance, cette méthode du faisceau d’indice, réservée au commerce électronique destiné au seul consommateur ‘passif’ est inopérante.
Toutefois, d’une part, comme le fait valoir Mme [T], la Cour de Justice de l’Union Européenne a dit pour droit que l’article appliqué, plus exactement celui qui le précède dans la chronologie normative, doit être interprété, premièrement ‘en ce sens qu’il n’exige pas que le contrat entre le consommateur et le professionnel ait été conclu à distance’ et deuxièmement, ‘en ce sens qu’il n’exige pas l’existence d’un lien de causalité entre le moyen employé pour diriger l’activité commerciale ou professionnelle vers l’Etat membre du domicile du consommateur, à sa voir un site Internet, et la conclusion du contrat avec ce consommateur’.
D’autre part et surtout, c’est à juste titre que le tribunal a rappelé qu’en l’espèce, le contrat d’ouverture des comptes a été signé à [Localité 5], de même que c’est à [Localité 5] que les préposés de la banque ont recueilli les déclarations de Mme [T] nécessaires au renseignement du formulaire de connaissance du client du 3 novembre 2014 et qu’il en a été encore de même pour l’actualisation de ces éléments le 2 mars 2018.
Mme [T] n’est, en outre, pas contredite lorsqu’elle expose que les préposés en charge de ses comptes, Mme [V] et M. [W], qui parlent le français, pouvaient être contactés au moyen de coordonnées téléphoniques françaises, étant ajouté qu’il résulte d’un site de référencement professionnel que M. [W] avait travaillé dans l’agence française de la banque lorsqu’elle existait et que la banque reste taisante sur les modalités de leurs interventions à [Localité 5].
La circonstance, également constante, que Mme [T] a été mise en relation avec la banque par le biais de sa soeur comme cela résulte du formulaire de connaissance du client – laquelle n’en était toutefois pas elle-même cliente – est indifférente dès lors que, quelles qu’aient été les modalités exactes de la pollicitation, il n’en reste pas moins que la banque a dépêché ses préposés à [Localité 5], auprès de Mme [T], pour conclure le contrat d’ouverture des comptes puis, par la suite pour différents actes de gestion.
C’est donc à juste titre que le tribunal a jugé que ces éléments caractérisaient la direction vers la France des activités de la banque et a donc retenu sa compétence, à tout le moins par application de l’article 17.1 in fine si ce n’est en vertu du fondement de compétence qui le précède c’est à dire ‘lorsque le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’Etat membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile’ tant cette hypothèse recouvre celle de la présence, à [Localité 5], de préposés à cette fin et de la souscription du contrat au lieu du domicile du consommateur, lequel fondement se distingue de celui de la succursale ou de l’agence sur le territoire du domicile du consommateur puisqu’il est envisagé par l’article 17.2.
En conséquence et sans qu’il ne soit nécessaire de poser une question préjudicielle ni d’examiner les fondements subsidiairement soutenus eu égard à ce qui précède, c’est à bon droit que Mme [S] [T] invoque, d’une part, l’option de l’article 18.1 du Règlement qui lui permet de saisir de son action la juridiction du lieu de son domicile et, d’autre part, la prohibition des clauses attributives de compétence, stipulées antérieurement à la naissance du différend, en défaveur du consommateur le privant de cette option, prévue à ses articles 19.1 et 19.2.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la Banque [J].
Sur le fond
Mme [T] fait valoir :
– que la banque ne conteste pas l’existence des fonds ni son obligation de restitution en vertu de l’article 307 du code de commerce libanais, et ce, à première demande en valeur équivalente, qu’elle a pourtant violé son obligation pendant l’exécution du contrat en refusant irrégulièrement de lui virer les fonds aux motifs de la situation économique du Liban et de prétendues restrictions alors même qu’aucune mesure légale ou réglementaire n’a été adoptée à cet égard au Liban, ce à quoi n’équivalent en rien les conseils de l’Association des Banques du Liban qui est une organisation de droit privé sans pouvoir normatif, comme le confirment des décisions de justice libanaises,
– qu’elle a violé son obligation de restitution des fonds depuis la résiliation du contrat par la mise en oeuvre de ‘l’offre réelle de consignation’, prétendant ainsi, de mauvaise foi, que sa dette serait éteinte alors que le notaire dépositaire lui a signifié que si elle acceptait la consignation, elle pourra seulement obtenir le dépôt des sommes dans un compte bancaire ouvert à son nom au Liban, ne pouvant être ni encaissés sur un compte en dehors du Liban ou même, en espèces, au Liban,
– que la procédure ‘d’offre réelle de consignation’ est irrégulière au regard du droit libanais tel que résultant des articles 292 à 294 du code des obligations et des contrats et 822 et 823 du code de procédure civile libanais dès lors qu’elle ne peut être mise en oeuvre par un débiteur qu’à la suite du refus de paiement d’un créancier sans cause légitime, comme le prévoient d’ailleurs expressément les conditions générales du compte épargne de la banque [J] et comme cela résulte des certificats de coutume produits alors même qu’en l’espèce, il y a été recouru dès l’origine lors de la clôture unilatérale des comptes,
– qu’en tout état de cause, la remise des chèques, tirés sur la Banque du Liban, au notaire libanais ne vaut pas paiement et ne libère pas la banque [J] de sa dette en vertu du droit libanais du chèque, comme le montrent les nombreuses décisions de justice libanaises,
– que la restriction imposée par la banque à la libre disposition des fonds est contraire aux dispositions légales et conventionnelles de même que l’imposition de ne recevoir les fonds que dans une autre banque au Liban alors que le contrat prévoit qu’elle peut recevoir des chèques encaissables en France ou un transfert international comme prévu par le contrat pour le premier expressément et comme effectué depuis l’origine pour son exécution s’agissant des sommes reçues par virements,
– que la dette n’est pas quérable au sens du droit libanais mais au contraire portable puisque l’article 302 du code des obligations et des contrats ne le prévoit que dans le silence du contrat ce qui n’est pas le cas de son article 14 qui prévoit que la somme est payable en France en vertu de l’interprétation favorable au consommateur qui existe également en droit libanais, le contrat ne pouvant être interprété autrement que comme prévoyant un paiement en France où elle a son domicile,
– que la banque a agi en violation des dispositions légales sur le transfert international qu’elle ne pouvait refuser en vertu d’aucune disposition normative libanaise comme cela résulte du certificat de coutume produit et des nombreuses décisions de justice libanaises et notamment des arrêts de principe de la Cour de cassation du Liban du 11 janvier 2022, ainsi que de l’application du droit a qui a été faite par le juge anglais de la High Court de Londres les 17 décembre 2021 et 25 mars 2022 et encore le 11 août 2022, la restitution s’imposant sous astreinte compte tenu de la résistance opposée, qu’elle n’a pas à supporter les conséquences de la procédure de ‘l’offre réelle de consignation’ qui entraînerait une décote considérable de ses avoirs,
– que le sursis à statuer demandé subsidiairement ne s’impose pas, qu’il est irrecevable faute d’avoir été demandé in limine litis en vertu de l’article 74 du code de procédure civile et mal fondée,
– qu’elle a subi un préjudice moral alors qu’elle souffre d’une maladie grave et s’est heurtée à l’obstruction de la banque qui a clôturé irrégulièrement ses comptes en prétendant être libérée de ses obligations par la procédure mise en oeuvre, l’article 248 du code des obligations et des contrats prévoyant des dommages-intérêts, qu’elle est en outre privée d’environ 3 millions de dollars depuis trois ans, ce qui est à l’origine d’un préjudice financier, l’astreinte demandée étant justifiée.
La banque [J], qui relève que Mme [T] ne conteste pas l’application du droit libanais, expose :
– qu’elle n’a commis aucune faute en cours d’exécution du contrat dès lors qu’elle ne pouvait exécuter un virement avant le terme des contrats fixé au 15 juillet 2020 puisque les sommes étaient indisponibles, que seuls les titulaires des comptes peuvent les mouvementer, ce qui n’était le cas ni de l’avocat de Mme [T] ni de sa soeur, ne disposant pas de procuration,
– qu’elle n’a pas commis de manquement dans la résiliation du contrat comme l’a jugé le tribunal au demeurant avant de considérer, à tort, que la procédure ‘d’offre réelle de consignation’ était irrégulière alors qu’il ressort du droit libanais et des certificats de coutume joints qu’il s’agit d’une procédure régulière ayant un caractère libératoire,
– qu’en effet, étant observé que Mme [T] n’a jamais sollicité de virements avant de l’assigner, de sorte qu’elle n’a pas contrevenu à l’article 14 du contrat qui prévoit que la banque peut adresser au client un chèque ‘émis par elle dans la devise du compte représentant son solde, sans que le client ne puisse se retourner contre la Banque en sa qualité de tireur’, la validité de cette clause résolutoire n’étant pas contestée et le virement international n’étant pas mentionné, de sorte que Mme [T] ne peut se prévaloir d’un droit d’option,
– que les chèques encaissables au Liban tirés sur un compte provisionné en devises à destination du compte du notaire détenu à la banque Blom est un mode de paiement libératoire, Mme [T] n’ayant entrepris aucune démarche pour leurs encaissements, de même que l’encaissement en espèce au Liban,
– qu’il résulte de l’article 302 du code des obligations et des contrats et de la clause résolutoire constituant l’article 14 de la convention de compte que la dette était quérable au Liban, à [Localité 7], lieu du siège de son principal établissement, qu’il est en effet d’usage de tirer un chèque sur la banque nationale qui sera présenté par la banque, que la clause, qui parle de la remise du chèque et non du paiement ne prévoit pas le contraire, le simple fait que Mme [T] réside à l’étranger ne lui offrant pas la possibilité de prétendre à l’application d’une simple clause facultative du contrat pour la banque qui peut choisir le lieu de paiement, la dette étant payable au Liban,
– que la procédure ‘d’offre réelle de consignation’ est régulière puisque c’est à tort que le jugement a considéré qu’elle ne pouvait être mise en oeuvre qu’à la suite d’un refus du paiement par le créancier, qu’en effet cela ressort de l’article 307 du code des obligations et des contrats et de l’article 822 du code de procédure civile libanais puisqu’une offre de paiement a été faite à Mme [T] le 27 septembre 2021 sans qu’elle ne réagisse en acceptant ou refusant auprès du notaire comme le prévoit ce texte ainsi que l’article 823,
– que la consignation effective des sommes libère le débiteur en vertu des articles 294 à 297 du code des obligations et des contrats et qu’elles ont effectivement été encaissées par le notaire sur son compte professionnel ouvert dans les livres de la Blom Bank, ce qui vaut dessaisissement effectif du débiteur,
– que les articles 824 et suivants du code de procédure civile libanais prévoient que le débiteur engage dans un délai de 10 jours à compter de la notification du refus du créancier, ‘une demande en justice pour établir la validité de l’offre et de la consignation’, le jugement à intervenir étant ‘déclaratif’ de l’acquittement ‘rétroactif’ du débiteur, procédure qu’elle a engagée le 30 septembre 2021 alors que Mme [T], au contradictoire de laquelle la procédure se déroule, n’y a pas fait valoir ses droits en dépit de ce qu’elle est conseillée par un avocat libanais, de sorte que si un doute subsistait sur la régularité de la procédure ‘d’offre réelle de consignation’, il incomberait à la cour d’appel de Paris, qui ne peut appliquer la procédure libanaise, de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du tribunal de première instance de Beyrouth, cette demande ne se heurtant pas à l’obstacle qu’elle n’a pas été présentée in limine litis puisque l’article 103 du code de procédure civile français renvoie à l’article 74 qui prévoit que la connexité – qui fonde la demande de sursis à statuer – peut être proposée en tout état de cause,
– qu’en revanche, la demande de Mme [T] tendant au prononcé de condamnations sous astreinte n’est pas recevable comme nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile,
– qu’il ne résulte en rien des décisions anglaises invoquées le droit pour Mme [T] d’obtenir un virement international vers la France alors qu’il n’était pas prévu par la convention de compte au contraire de la procédure qui a été régulièrement suivie ‘d’offre réelle de consignation’,
– que Mme [S] [T] ne justifie pas des préjudices complémentaires qu’elle allègue selon son appel incident.
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Les parties s’accordent sur la désignation de la loi libanaise comme loi applicable au contrat et sur le fait que cette dernière impose à la banque dépositaire de fonds une obligation de restitution à ses clients, notamment lors de la clôture du compte, en vertu de l’article 307 auquel renvoie l’article 123 du code de la monnaie et du crédit.
La Banque [J] ne tire aucune conclusion, en terme de recevabilité des demandes de Mme [T], de la circonstance alléguée que cette dernière n’aurait pas formé de demande de paiement des sommes figurant sur les comptes avant la délivrance de l’assignation, étant observé :
– que si c’est par le biais de son conseil, dont on ne voit pas en vertu de quel principe il ne la représenterait pas valablement, que Mme [T] avait sollicité un virement d’une somme limitée à 150 000 euros le 4 mars 2020, c’est bien à Mme [T] elle-même que la banque a répondu par courriel du 8 juillet 2020 en ces termes :
‘Chère Mme [T],
Nous faisons suite à votre demande de virement, sur votre compte en France à la Blom Bank France de 150 000 euros en date du 29 janvier 2020. Nous vous conformons par la présente que – suite à la situation économique du pays – des restrictions ont été imposées à toutes les banques libanaises sur les transfert vers l’étranger et les retraits en espèces. Par conséquent, il est actuellement difficile d’honorer votre demande. Cependant nous ne manquerons pas de saisir toute opportunité qui nous permettra d’exécuter le transfert, même par tranche’,
– qu’il est indifférent que les comptes à termes n’aient pas été échus le jour de la première demande de paiement des sommes à [Localité 5] puisqu’ils le seront au mois de juillet 2020, la requête valant à leur échéance, étant observé que la banque est taisante sur les modalités de terme anticipé,
– que la banque n’a apporté aucune réponse à la demande réitérée de virement de sommes faite par la soeur de Mme [T], le 17 mars 2021.
Il résulte de ces éléments que la Banque [J] ne pouvait ignorer que Mme [T] réclamait le versement en France des sommes figurant sur les comptes à terme échus et qu’eu égard à la première réponse qui lui a été apportée ci-dessus rapportée faisant état de restrictions opposées à cette demande, sa réitération était vaine.
Alors que la Banque [J] s’était vue signifier, le 31 août 2021, des actes de saisies conservatoires pratiquées à l’initiative de Mme [T] en France, elle a mis en oeuvre une procédure ‘d’offre réelle de consignation’ le 22 septembre 2021 en consignant deux chèques, libellés en devises, dans les mains d’un notaire beyrouthin.
Ce dernier, par courriel en réponse au conseil de Mme [T] du 22 février 2022, a confirmé que:
-‘1. ces deux chèques ne peuvent être déposés par nous dans notre propre compte bancaire au Liban,
2. et puis si Mme [T] accepte cette consignation, elle recevra deux chèques émis par nous qui peuvent uniquement être déposés dans un compte bancaire ouvert au nom de Mme [T] au Liban, s’il existe ; mais qui ne peuvent être ni déposés et encaissés dans une banque en dehors du Liban, ni même encaissés en espèces au Liban’.
Sur la demande qui lui en a été faite par la banque, le dit notaire – outre des éléments inopérants pour la solution du litige sauf à préciser que les chèques consignés ne sont pas tirés sur son propre compte mais sur celui de la Banque du Liban-, par réponse du 7 mars 2022, a confirmé que la remise d’espèce n’était pas de coutume ‘avant la crise de 2019”, de même qu’il n’existait pas de garantie de d’encaissement des chèques en devises à l’étranger.
Il y a lieu de statuer, en application du droit libanais constituant une question de fait à prouver par les parties, d’abord sur la validité de la procédure employée par la banque d’ ‘offre réelle de consignation’ comme ayant un effet libératoire et ensuite, le cas échéant, sur les modalités selon lesquelles elle peut se libérer de son obligation de restitution des sommes en dépôt dans ses livres appartenant à Mme [S] [T].
Si les certificats de coutume versés aux débats de part et d’autre sont usuellement à prendre en considération pour déterminer la teneur du droit libanais, l’application qui en est faite par les juridictions libanaises constitue un élément majeur d’appréciation.
S’agissant de la mise en oeuvre de la procédure ‘d’offre réelle de consignation’, c’est à juste titre que le tribunal a retenu étant rappelé que Mme [T] s’est vue notifier sa mise en oeuvre spontanée par la banque par courrier du 22 septembre 2021, qu’elle ne peut revêtir un effet libératoire pour la banque dès lors :
– que l’article 294 du code des obligations et des contrats dispose que ‘le créancier qui refuse, sans cause légitime, le paiement qui lui est offert dans les conditions régulières, se trouve, par cela même constitué en demeure, du moment que son refus est constaté par un acte officiel’,
– que l’article 822 du code de procédure civile libanais dispose que ‘Le débiteur qui souhaite se libérer vis-à-vis de son créancier peut offrir à ce dernier par l’intermédiaire du notaire la chose ou la somme dont il se considère redevable, et de la consigner auprès du même notaire ou, s’il s’agit d’une somme d’argent, de la déposer par l’intermédiaire et au nom de ce dernier dans une banque agréée ou au Trésor.’,
– qu’en l’espèce, les conditions générales de la banque, selon la traduction libre non contestée, stipulent ‘ la banque se réserve le droit de clôturer le compte de tout déposant à tout moment sans préavis et de restituer à ce dernier le solde de son compte en plus des intérêts courus jusqu’à la date de clôture du compte. En cas de refus du client de recevoir le solde, la banque pourra déposer ledit solde au profit du client chez tout notaire de son choix’,
– que les juridictions libanaises des référés ont statué, le 30 juillet 2020 en jugeant que ‘le chèque de banque barré que la banque a consigné en paiement n’est pas un moyen d’acquittement qui équivaut à l’argent puisque les conditions actuelles de son encaissement connues d’ailleurs de tous, du fait de son nouveau blocage par une autre banque, ne le rend pas un moyen d’acquittement illimité comme l’argent’, ou encore, le 26 février 2021, que ‘la banque ne peut pas prétendre que la provision du chèque qu’elle offre est disponible auprès de la Banque Centrale puisque le porteur de ce chèque n’est pas en mesure de se diriger directement à la banque mentionnée pour en encaisser sa valeur’ ou encore – le juge des référés de Nabatieh le 25 novembre 2019 que ‘ le retard de la banque défenderesse à restituer à la requérante ses fonds malgré sa réclamation à son égard ou la violation de son obligation d’exécution en nature entre les mains du créancier selon l’article 249 du Code des obligations et des contrats,137 et le fait qu’elle se contente de proposer de tirer un chèque sur une tierce personne, qui est la Banque du Liban (BDL), constitue un manquement par la banque, à ses obligations contractuelles et bancaires’ et que les recours en suspension de l’exécution provisoire des deux premières décisions ont été rejetés jusqu’à la Cour de cassation qui a estimé que les banques n’élevaient pas de contestations sérieuses,
– que le premier certificat de coutume de M. [U] M. [K] du 5 mai 2021 produit aux débats par Mme [T] n’est pas contredit lorsqu’il expose que les limitations des sorties internationales de devises par l’Association des Banques du Liban ne revêtaient pas de caractère normatif et contraignant et qu’il n’existait aucune loi ou règlement public restreignant le droit des clients d’obtenir restitution de leurs fonds.
Il en résulte que la Banque [J] ne peut utilement invoquer son ‘offre réelle de consignation’, préalable à toute demande adressée à sa cliente, comme ayant un effet libératoire puisque le refus de Mme [T] – qui pour être implicite n’en est pas moins certain et non équivoque dès lors qu’elle avait, dès avant sa mise en oeuvre, exercé des mesures conservatoires en France sur les biens de la banque et intenté la présente action le 18 juin 2021 – ne peut être considéré comme illégitime au sens du droit libanais.
En effet, les juges y estiment – comme le juge des référés de Beyrouth dans sa décision du 30 juillet 2020 mais aussi dans une autre décision rapportée ci-après- , que ‘l’acceptation d’un tel chèque conduit le client à rentrer dans un cercle vicieux interminable de limitations à son droit de disposer librement de ses fonds et de les déplacer, et la banque est parfaitement informée de cela’, que ‘ le chèque de banque barré que la banque a consigné en paiement n’est pas un moyen d’acquittement qui équivaut à l’argent puisque les conditions actuelles de son encaissement connues d’ailleurs de tous, du fait de son nouveau blocage par une autre banque, ne le rend pas un moyen d’acquittement illimité comme l’argent’, ce qui confirme l’impossibilité matérielle, pour Mme [T], de disposer des fonds d’une manière effective au terme de la procédure employée, au demeurant explicitée par le notaire ayant reçu les chèques de consignation dont les déclarations sont ci-dessus rapportées.
Les décisions invoquées par la Banque [J] au travers de son deuxième certificat de coutume du 10 mars 2022 sont, quant à elles, antérieures à celles de la Cour de cassation libanaise du 11 janvier 2022 évoquées ci-dessus et relatives à des cas où il a été estimé que les demandes excédaient les pouvoirs du juge des référés, de sorte qu’elles ne contredisent pas utilement ce qui précède.
S’agissant de la condamnation de la Banque [J] en France, étant observé que la décision elle-même de clôture des comptes en vertu de l’article 8 du contrat n’est pas contestée, elle fait valoir que sa dette à l’égard de Mme [T] est quérable au Liban et que le contrat, non plus que la loi libanaise, ne prévoient le contraire.
L’article 14 de la convention d’ouverture de compte stipule précisément en son alinéa 2 que ‘la banque peut adresser par courrier au client à l’adresse mentionnée dans le contrat d’ouverture de compte un chèque émis par elle dans la devise du compte représentant son solde, sans que le client ne puisse se retourner contre la Banque en sa qualité de tireur’.
La Banque [J] fait valoir que la convention envisage le lieu de remise du chèque au domicile du client qui toutefois n’équivaut pas à son paiement et que la modalité prévue n’est que facultative pour elle, de sorte que la remise et le paiement de chèques au Liban sont valables et revêtiraient un caractère libératoire.
Toutefois, étant rappelé que la procédure d’offre réelle de consignation est la seule offerte par la banque pour s’acquitter de ses obligations et qu’elle a été jugée non libératoire au sens du droit libanais ainsi que cela résulte de ce qui précède, il y a lieu de relever que Mme [T] démontre :
– que l’ineffectivité de la procédure d’offre réelle de consignation retenue par les juridictions libanaises comme vu ci-dessus s’appliquerait également à un paiement par chèques encaissables au Liban ou au virement sur un compte au nom de Mme [T] au Liban pour les raison décrites par les juridictions libanaises elles-mêmes dans leurs décisions,
– que le contrat liant les parties comportait, de manière constante, la faculté pour Mme [T] d’obtenir des virements, notamment pour les intérêts de ses comptes à terme sur un compte en France, qu’il est jugé par les juridictions libanaises que le bénéfice d’un virement international fait partie des obligations de caisse d’une banque et que, loin d’être exclu en l’espèce, il est prévu au contrat,
– que le droit libanais comporte un article 18 d’une loi de protection du consommateur qui prévoit ‘les contrats doivent être interprétés dans l’intérêt du consommateur ; seront pris en compte afin de déterminer l’acceptation du consommateur les circonstances de la conclusion du contrat et les bénéfices que lui accorde le contrat et l’équilibre entre les droit et obligations des deux parties’,
– surtout, que la jurisprudence libanaise, loin de conférer un effet décisoire au principe quérable du paiement qui est stipulé à l’article 302 du code des obligations et des contrats libanais (‘la dette doit être acquittée dans un lieu déterminé par la convention. A défaut de stipulation expresse ou implicite à ce sujet le paiement est quérable au domicile du débiteur’) subordonne le caractère libératoire des modalités du paiement à son caractère effectif, c’est à dire de nature à assurer au client la libre disposition réelle de ses fonds ‘celui qui assure le paiement réel sans causer des dommages au déposant’, et ce, en conformité avec les principes constitutionnels évoqués dans le certificat de coutume versé aux débats par Mme [T] de respect de la propriété privée prévue à l’article 15 de la Constitution
– qu’en effet, la cour d’appel de Beyrouth dans une décision du 11 février 2021 a jugé que ‘l’insistance de l’appelante [la banque] à invoquer le texte de l’article 302 du code des obligations et des contrats qui soulève l’acquittement au lieu du domicile du débiteur, ne soulève aucune contestation sérieuse sur le droit de l’intimée à réclamer le transfert bancaire’,
– que la cour d’appel de Beyrouth, dans l’hypothèse d’un client domicilié à l’étranger, en l’espèce aux Emirats-Arabes-Unis, a jugé le 31 mars 2022 que ‘ l’offre de l’intimée [la banque] de payer la valeur du dépôt de la partie appelante au moyen d’un chèque de banque ne légitime pas son refus d’effectuer la demande de transfert et ne soulève aucune contestation sérieuse quant au droit de cette dernière au maintien de sa demande de transfert, car la remise du chèque à cette dernière ne satisfera pas sa demande qui vise le virement d’une somme d’argent de son compte auprès de la banque où il a son compte à l’étranger.
[‘] il s’ensuit que le refus de la banque d’accepter ladite demande constitue une atteinte claire et illicite, ce qui justifie l’intervention du juge des référés pour mettre fin à cette atteinte conformément à l’alinéa 2 de l’article 579 du code de procédure civile’, de sorte que la banque a été condamnée à effectuer un virement sur les comptes de son client à l’étranger.
Il résulte de tout ce qui précède que Mme [S] [T] démontre à suffisance qu’en vertu du droit libanais l’offre réelle de consignation faite par la Banque [J] n’est pas régulière ni libératoire et qu’elle est bien fondée à obtenir en France le paiement des sommes figurant sur ses comptes en devises.
C’est à juste titre qu’elle fait valoir que la demande de sursis à statuer formée par la Banque [J] dans l’attente d’une décision du tribunal de première instance de Beyrouth saisi dans le cadre de la procédure ‘d’offre réelle de consignation’ est irrecevable s’agissant d’une exception de procédure devant être soulevée avant toute défense au fond en vertu de l’article 74 du code de procédure civile, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce puisque la banque a défendu au fond en première instance sans solliciter ce sursis dont les causes étaient antérieures.
C’est par de justes motifs, s’agissant de la restitution de sommes d’argent, que le tribunal a relevé que Mme [T] ne justifiait pas d’un préjudice moral ou de difficultés financières non étayées imputables à la société Banque [J].
En conséquence de tout ce qui précède, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
La demande de Mme [S] [T] tendant à ce que la condamnation soit assortie d’une astreinte n’est pas irrecevable en appel comme nouvelle en vertu de l’article 564 du code de procédure civile puisqu’il s’agit d’une demande accessoire à la prétention tendant à la condamner au sens de son article 565, qui plus est motivée par l’inexécution du jugement revêtu de l’exécution provisoire.
Toutefois, s’agissant du paiement d’une somme d’argent et compte tenu des mesures d’exécution entreprise par Mme [T], il n’y a pas lieu de prononcer l’astreinte sollicitée.
Il y a lieu de condamner la société [J] Bank SAL aux dépens d’appel ainsi qu’à payer à Mme [S] [T], qui a produit une attestation d’honoraires de l’instance d’appel, la somme de 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
DÉCLARE irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la société Banque [J] Bank SAL dans l’attente d’une décision du tribunal de première instance de Beyrouth ;
DIT n’y avoir lieu de poser une question préjudicielle à la CJUE ;
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; sauf à préciser que le paiement doit être effectué par la société [J] Bank SAL au bénéfice de Mme [S] [T] en France ;
Y ajoutant,
REJETTE la fin de non recevoir opposée à la demande de Mme [S] [T] tendant à ce que la condamnation soit assortie d’une astreinte ;
DÉBOUTE Mme [S] [T] de sa demande tendant à ce que la condamnation confirmée soit assortie d’une astreinte ;
CONDAMNE la société [J] Bank SAL à payer à Mme [S] [T] la somme de 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société [J] Bank SAL aux dépens d’appel recouvrés par la Selas Archipel en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT