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02/02/2023
ARRÊT N° 102/2023
N° RG 22/01064 – N° Portalis DBVI-V-B7G-OVTX
CBB/MB
Décision déférée du 16 Février 2022 – Tribunal de Commerce de Montauban ( 2021/14)
[F] [Z]
S.A.S. COMPTOIR DE PRODUITS AGRICOLES
C/
S.A.R.L. SAATBAU FRANCE
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
S.A.S. COMPTOIR DE PRODUITS AGRICOLES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Luc-Christophe DEJEAN, avocat plaidant au Barrreau de BORDEAUX
INTIMÉE
S.A.R.L. SAATBAU FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Eric ARNAUD-OONINCX de la SELARL ERIC ARNAUD-OONINCX, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C.BENEIX-BACHER, Président chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
C. BENEIX-BACHER, président
E.VET, conseiller
A. MAFFRE, conseiller
Greffier, lors des débats : M. BUTEL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BENEIX-BACHER, président, et par M. BUTEL, greffier de chambre
FAITS
La SAS CPA et la SARL Saatbau France ont consenti entre elles le 1er décembre 2017 une convention de partenariat ayant pour objet la commercialisation de semences agricoles, sur un territoire réservé, d’une durée de trois ans expirant le 30 novembre 2020 renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation avec un préavis de six mois.
Le 21 mai 2021, la SARL Saatbau France a dénoncé le contrat à effet au 30 novembre 2021.
Par courrier du 8 juin 2021, elle lui envoyait un état de créance d’un montant de 476 137,40 €, puis une mise en demeure de payer le 22 juin 2021.
Le tribunal de commerce de Bordeaux a été saisi par la SAS CPA sur le fondement de l’article L442-1 du code de commerce d’une action en responsabilité pour rupture brutale de la relation commerciale et pour contester la créance qui lui est réclamée.
PROCEDURE
Par acte en date du 30 juillet 2021, la SARL Saatbau France a fait assigner la SAS Comptoir de Produits Agricoles devant le juge des référés du tribunal de commerce de Montauban pour obtenir, sur le fondement des articles 48, 696, 700 et 873 du code de procédure civile, la condamnation de la SAS Comptoir de Produit Agricole à lui verser la somme de 306 165,12€ et le renvoi du dossier à une audience ultérieure afin qu’il soit statué au fond.
Par ordonnance contradictoire en date du 16 février 2022, le juge a’:
– rejeté la demande relative à l’incompétence ;
– dit que le juge des référés est compétent ;
– condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser à la SARL Saatbau France la somme de 306.165,12 euros au titre de provision ;
– rejeté toutes les autres demandes ;
– condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser à la SARL Saatbau France la somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles aux entiers dépens ;
– dit que l’exécution provisoire est de droit.
Par déclaration en date du 15 mars 2022, la SAS Comptoir de Produits Agricoles a interjeté appel de la décision. L’ordonnance est critiquée en ce qu’elle a’:
– rejeté la demande relative à l’incompétence ;
– condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser à la SARL Saatbau France la somme de 306.165,12 euros au titre de provision ;
– condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser à la SARL Saatbau France la somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles aux entiers dépens ;
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SAS Comptoir de Produits Agricoles, dans ses dernières écritures en date du 18 novembre 2022, demande à la cour au visa de l’article 873-2 du
code de procédure civile, de’:
– déclarer recevable et bien fondée la SAS Comptoir de Produits Agricoles en son appel de l’ordonnance du tribunal de commerce de Montauban du 16 février 2022,
en conséquence,
– réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance du tribunal de commerce de Montauban du 16 février 2022 en ce qu’elle a rejeté la demande d’incompétence du tribunal de commerce de Montauban au profit du tribunal de commerce de Bordeaux et dit que le juge des référés du tribunal de commerce de Montauban est compétent ; condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser la somme de 306 165,12 euros à titre de provision ; condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles aux entiers dépens,
et statuant à nouveau,
– déclarer le tribunal de commerce de Montauban saisi en référé incompétent au bénéfice du tribunal de commerce de Bordeaux statuant au fond d’ores et déjà saisi du présent litige,
– débouter la SARL Saatbau France de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions, dès lors que l’obligation de paiement des factures se heurte à la contestation sérieuse résultant de l’inexécution du contrat du 1er décembre 2017 par la SARL Saatbau France, de l’imprécision du montant sollicité, de l’existence de créances de compensation, et de la saisine du Juge du fond,
– condamner la SARL Saatbau France au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SAS Comptoir de Produits Agricoles,
– condamner la même aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle soutient l’existence de contestations sérieuses quant au montant de la créance en ce que l’article 5 de la convention prévoit que les sommes dues à la SARL Saatbau France doivent être compensées avec les «remises de fin de campagne» ainsi qu’un commissionnement portant sur les clients facturés par la SARL Saatbau France. Or, ces remises de fin de campagne et commissionnement ne lui ont pas été justifiés et elle n’honore plus ses commandes depuis le 6 juillet 2021.
L’inexécution contractuelle et la contestation de la rupture du contrat devant le tribunal de Bordeaux constituent la contestation sérieuse à la demande de provision.
Elle fait donc valoir l’exception d’inexécution pour s’opposer au paiement’: les commissionnements pour vente de produits directement aux clients ainsi que les avoirs pour retour d’invendus doivent entrer en déduction du montant réclamé soit 100’274,79 € arrêté au 10 août 2021. Elle a réclamé cette compensation de la Remise Forfaitaire Commerciale Complémentaire prévue à l’annexe 2 du contrat qui lui était payée jusqu’en 2020 suivant mise en demeure des 6 et 7 septembre 2021. Le refus de justification de ses avoirs et commissionnements constitue en lui-même la contestation sérieuse de l’obligation de payer une provision.
Maid en tout état de cause, l’existence de dettes de compensation entre les parties constitue une contestation sérieuse au paiement d’une provision réclamée selon la Cour de Cassation.
Dès lors que le juge du fond est saisi de la contestation de la créance réclamée ainsi également que de la contestation de la rupture brutale des relations contractuelles, la présente juridiction doit se déclarer incompétente à son profit.
En outre, elle vient de découvrir que l’intimée détourne des commandes à son profit, ce qui lui cause un préjudice économique constitutif également d’une contestation sérieuse de la demande.
Par courrier du 6 juillet 2021, elle a reconnu devoir le paiement des factures mais, surtout elle opposait la compensation en raison des retours, des RFCC et des commissions, de sorte qu’il ne peut être affirmé qu’elle a reconnu devoir la somme réclamée.
La SARL Saatbau France, dans ses dernières écritures en date du 19 mai 2022, demande à la cour au visa des articles 542 et 561 du code de procédure civile, de’:
– confirmer en tous ses chefs la décision du 16 février 2022, en ce qu’elle a,
1. rejeté l’exception d’incompétence,
2. retenu la compétence du juge des référés de Montauban,
3. condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser à la SARL Saatbau France la somme provisionnelle de 306 165.12 €,
4. condamné la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser à la SARL Saatbau France la somme de 5 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile majorée des dépens,
et,
– condamner la SAS Comptoir de Produits Agricoles à verser à la SARL Saatbau France la somme de 10 000 € par application de l’article 700 code de procédure civile majorée des dépens.
Elle expose que’:
– elle a mis fin au contrat le 30 novembre 2021 en respectant le préavis,
– les factures n’ont jusque-là jamais été contestées, ni les livraisons,
– le contrat prévoit une clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Montauban,
– l’appelante n’a contesté la compétence du juge des référés de Montauban qu’après l’échec de la conciliation ordonnée par le juge suivant ordonnance en date du 13 octobre 2021,
– et la contestation de cette compétence résulte de la contestation de la rupture des relations commerciales devant le juge du fond à Bordeaux’: il s’agit d’un simple stratagème procédural,
– l’application de la clause attributive de compétence ne préjudicie en rien la décision qui sera prise par le juge de Bordeaux sur l’hypothétique rupture brutale des relations commerciales,
– la saisine du juge du fond intervenu six mois après la saisine du juge des référés est une procédure d’opportunité’: les deux actions sont divisibles chacune portant sur un objet et une cause distinctes: d’un côté le paiement de factures, de l’autre une action responsabilité,
– et décliner sa compétence pour le juge de Montauban serait en réalité trancher une question de fond,
– d’autant que le juge des référés reste compétent pour accorder une provision sur le paiement de factures émises et non contestées avant la saisine du juge du fond,
– par courrier du 6 juillet 2021 l’appelante reconnaissait devoir les factures et elle-même a reconnu devoir déduire les retours hybrides, RFC, et autres commissions, réduisant ainsi ses réclamations,
– la compensation supplémentaire invoquée n’est qu’hypothétique.
L’ordonnance de clôture a été reportée au 5 décembre 2022.
MOTIVATION
Sur la compétence
En vertu de l’article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
La SAS CPA soutient l’incompétence du tribunal de commerce de Montauban pour celui de Bordeaux saisi sur le fondement de l’article L 442-1 II du code de commerce, auquel elle demande le renvoi de l’affaire. Or, ce n’est pas le tribunal de commerce qui est saisi par l’assignation du 30 juillet 2021, mais le juge des référés de ce tribunal de commerce, de sorte que l’affaire ne peut pas être renvoyée devant un tribunal saisi au fond sauf application de l’article 873-1 du code de procédure civile en cas d’urgence, non invoqué en l’espèce.
En réalité, elle soutient l’incompétence matérielle du tribunal de commerce de Montauban en raison des contestations sérieuses qu’elle élève sur le montant de la créance de la SARL Saatbau France et en raison de la créance personnelle qu’elle invoque contre l’intimée à son profit outre la compensation revendiquée des deux créances.
Or, l’existence de contestations sérieuses de l’obligation telle que visée à l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile n’a aucun effet sur la compétence du juge des référés mais sur l’étendue de ses pouvoirs, de sorte qu’en présence de contestations sérieuses, le juge des référés dit qu’il n’y a pas lieu à référé mais ne se déclare pas incompétent.
Selon l’article 14 de la convention de partenariat, les litiges relatifs à son exécution relèvent de la compétence du tribunal de commerce de Montauban. Dès lors, l’exception d’incompétence doit être rejetée et la décision confirmée de ce chef.
Sur la demande provisionnelle
En présence d’une demande de provision, il appartient à celui qui la sollicite d’établir l’existence de la créance qu’il invoque’; et c’est au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable. Mais il n’est pas exigé de celui qui conteste devoir la provision d’établir le caractère manifestement évident de sa contestation’; il lui suffit de justifier de son sérieux.
Et il y a contestation sérieuse lorsque le juge est contraint de trancher une question de fond pour justifier la mesure sollicitée ou qu’il a à prendre parti sur les droits ou obligations revendiqués ou invoqués ; la contestation de l’obligation est sérieuse quand elle paraît susceptible de prospérer au fond. A défaut, le montant de la provision allouée n’a alors d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Ainsi, en l’espèce, la convention du 1er décembre 2017 d’une durée de 3 ans a été reconduite tacitement pour un an le 1er décembre 2020 conformément à son article 4, expirant le 30 novembre 2021. Suivant courrier du 21 mai 2021, la SARL Saatbau France a dénoncé la dite convention en respectant le délai de préavis conventionnel de 6 mois soit à effet au 30 novembre 2021.
Par courrier du 8 juin 2021, la SARL Saatbau France sollicitait le paiement de la somme de 476 137,40€ arrêtée au 31 mai 2021 au titre des factures du 1er mars au 15 avril 2021. Par courrier du 16 juin 2021, la SAS CPA invoquait la brusque rupture des relations commerciales et ses conséquences indemnitaires qu’elle chiffrait à 546 461,53€ (comprenant l’indemnisation de pertes de marge et commissionnement, le coût des moyens matériels et humains, et l’indemnisation d’un préjudice moral).
Elle ne réglait pas la somme demandée au titre des factures sans toutefois en contester le principe mais seulement le montant qu’elle reconnaissait à hauteur de 306 165,12€ selon courriel du 6 juillet 2021. Elle soutient qu’en application de l’article 5 de la convention, il convient de déduire les RFC (remises de fin de compagne) et les commissionnements portant sur les clients facturés directement par la SARL Saatbau France ainsi que les invendus.
Il ressort du courriel de la SARL Saatbau France du 10 août 2021, qu’il a été fait droit à ces contestations soulevées sur le montant des Retours invendus qui ont fait l’objet d’un avoir. Puis par courrier du 27 septembre 2021, la SARL Saatbau France a admis un montant de factures de 314 321,34 euros au 30 septembre 2021.
En réponse au défaut de paiement des factures, la SARL Saatbau France refusait d’honorer les commandes d’approvisionnement asséchant ainsi la clientèle de la SAS CPA qui dénonçait ce comportement par courriel du 25 août 2021′; elle précisait à cette occasion les motifs de contestations de la créance réclamée.
Ainsi, au paiement de factures, la SAS CPA opposait une créance de dommages et intérêts pour brusque rupture et le litige a évolué puisqu’en refusant d’honorer les commandes en l’absence de paiement des factures antérieures, la SARL Saatbau France a ainsi refusé d’honorer le préavis.
Le tribunal de commerce de Bordeaux a été saisi d’une action en responsabilité pour brusque rupture le 27 décembre 2021, soit postérieurement à la saisine le 30 juillet 2021 du juge des référés du tribunal de commerce de Montauban en paiement provisionnel des factures échues au 31 mai 2021.
Il s’agit donc de deux instances distinctes.
La SAS CPA soutient que sa créance de dommages et intérêts soutenue devant le juge de Bordeaux, dont elle sollicite la compensation constitue la contestation sérieuse qu’elle oppose au paiement des factures.
Or, d’une part, cette demande obligerait le juge des référés pour justifier la mesure sollicitée, à trancher une question de fond ou à prendre parti sur les droits ou obligations revendiqués et en tout cas à procéder à un examen des pièces pour révéler l’obligation soutenue ou apprécier la gravité du comportement d’une partie au procès soit toute question qui ne relève que de l’appréciation du juge du fond.
D’autre part, il appartient au juge des référés d’apprécier si l’éventualité d’une compensation est de nature à rendre sérieusement contestable la créance invoquée. Mais le demandeur ne peut se voir opposer une compensation si le principe même de la créance du défendeur est incertain.
Or, en vertu de l’article 1347-1 du code civil, la compensation ne s’opère qu’entre créance fongibles, certaines, liquides et exigibles.
Mais, il n’appartient pas au juge des référés de vérifier la qualité probatoire des justificatifs de la créance de dommages et intérêts invoquée à titre de compensation dont par ailleurs le tribunal de commerce de Bordeaux est saisi.
Dans ces conditions, en présence d’une créance de factures dont le principe n’est pas contesté mais seulement le montant, à défaut de preuve d’une créance certaine susceptible de se compenser, la contestation de la SAS CPA n’apparaît pas sérieuse.
La SARL Saatbau France produit les différents relevés de compte dont le dernier d’un montant de 314 321,34€ en date du 27 septembre 2021 retenant les objections de la SAS CPA. Dès lors, le montant réclamé à titre provisionnel de 306 165.12 €, reconnu comme dû par la SAS CPA suivant courriel du 6 juillet 2021, n’apparaît pas sérieusement contestable.
La décision sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour
– Confirme l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Montauban en date du 16 février 2022 en toutes ses dispositions.
– Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS CPA à verser à la SARL Saatbau France la somme de 1500€.
– Condamne la SAS CPA aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. BUTEL C. BENEIX-BACHER